CHAPITRE XIX
Marc s'installa sur le siège du copilote. Dix heures de sommeil l'avaient remis dans une forme passable.
-Pas de nouvelles du général ?
-Si j'avais reçu un message, je pense que je t'aurais averti, ironisa l'androïde. Il faut encore patienter.
Marc fit basculer son dossier et resta immobile, l'esprit dans le vague, à mi-chemin entre le rêve et le sommeil.
Une sonnerie aigrelette l'obligea à se redresser.
-Emergence au 130, annonça Ray. Deux astronefs. Ils se dirigent à grande vitesse vers Summa.
-Centre tous les détecteurs sur eux.
Marc scruta l'écran de visibilité extérieure.
-Ils ont l'apparence du vaisseau de Krotos, nota Ray.
-Tente de les contacter, décida Marc. Nous pourrions ouvrir des négociations.
-Si tous les Trikans sont aussi bornés que Krotos, tu n'as aucune chance.
Un voyant clignota au-dessus de la vidéo-radio.
-Ce sont eux qui nous appellent. Voyons ce qu'ils veulent, mais méfie-toi !
Un Trikan parut sur l'écran. Il avait la même morphologie que Krotos, avec un crâne énorme et un menton étroit. Ses yeux très pâles luisaient étrangement.
-Si vous ne voulez pas mourir, rendez-vous immédiatement. Gagnez votre module en laissant votre astronef intact pour que nous puissions en prendre possession.
Marc répondit d'un ton conciliant.
-Je suis un modeste représentant de l'Union Terrienne. Ne voulez-vous pas entrer en contact avec le chef de mon gouvernement ?
-Nous verrons plus tard à discuter avec ton président des modalités de sa capitulation. Pour l'heure, nous nous occupons de la tienne. Tu as une minute pour quitter ton bâtiment. Passé ce délai, nous ouvrons le feu !
-Je pense que vous m'avez mal compris. Un militaire ne peut se rendre sans ordre de ses supérieurs.
-Tais-toi, vermine ! Apprends à obéir à tes maîtres. Tu ne disposes plus que de quarante secondes.
-En attaquant un vaisseau de l'Union Terrienne, vous vous rendez coupable de piraterie. De plus, cela risque de déclencher un conflit dont vous et vos concitoyens subirez les conséquences.
Avec un sourire méprisant, le gnome rétorqua :
-Les Trikans régneront sur la galaxie...
-Je vous en prie, railla Marc, épargnez-moi votre philosophie simpliste sur la supériorité de votre race qui doit réduire en esclavage les autres peuples. Krotos m'a déjà fait la leçon ! Vous constaterez que cela ne lui a pas porté chance !
La colère défigura les traits de l'extraterrestre.
-Tu paieras ce crime ! Meurs donc !
Un éclair rouge jaillit de l'astronef ennemi.
-Rayon laser de puissance moyenne, diagnostiqua Ray. Le champ protecteur l'a facilement absorbe. Toutefois, si la distance qui nous sépare décroît, l'intensité augmentera notablement, ce qui pourrait devenir dangereux.
La communication n'ayant pas été coupée, Marc vit avec amusement une vive surprise se peindre sur le visage du Trikan. Manifestement, il n'avait pas envisagé l'échec de son attaque.
-Je vous renouvelle ma proposition de discussion, dit le jeune homme. Ne nous obligez pas à riposter.
Furieux, le nain écrasa de sa petite main une série de touches. Des missiles jaillirent des flancs des deux bâtiments ennemis.
-Cette fois, c'est sérieux, s'inquiéta Ray. Ils sont porteurs de puissantes charges nucléaires. Notre écran ne résistera pas à une telle énergie.
-Prends de la vitesse et utilise des cisées.
C'étaient des leurres très perfectionnés donnant une image thermique, volumique et magnétique exacte du Neptune. -Inutile de tenter de fuir, ricana le gnome, nos engins sont pourvus de têtes chercheuses. Ils ne vous lâcheront plus.
Sans répondre, Marc serra les dents sous l'effet de l'accélération. Ray effectua une série de virages serrés, et un voile noir vint obscurcir la vue de son ami.
La voix angoissée de l'androïde l'obligea très vite à émerger de son étourdissement.
-Un gros pépin, Marc. Les bombes n'ont pas réagi au leurre, elles nous suivent toujours.
D'un index nerveux, Marc éteignit la vidéo-radio, pour ne plus avoir à subir le regard ironique du Trikan.
-Ces petits monstres doivent diriger psychiquement leurs fusées comme ils le font avec les robots. Augmente la vitesse et fonce sur le premier appareil. Nous allons donner des émotions à cette punaise. Il faut l'effrayer suffisamment pour qu'elle ne songe plus à contrôler les engins. C'est notre seule chance.
Ray fit effectuer un virage serré au Neptune, ce qui secoua rudement Marc. Maintenant, les deux astronefs filaient à la rencontre l'un de l'autre à une vitesse phénoménale.
-Missiles à vingt mille mètres, annonça la voix synthétique de l'ordinateur... quinze mille...
Le vaisseau ennemi occupait tout l'écran central. Le nain commençait certainement à s'affoler car il ralentit en modifiant sa trajectoire d'une manière désordonnée.
-Missiles à dix mille mètres...
-Encore cinq secondes, souffla Marc. A l'instant où tu vireras, éjecte un cisée... Maintenant !
La manoeuvre fut d'une violence telle que le jeune homme perdit connaissance. Quand il émergea de son inconscience, un filet de sang sourdait de sa narine gauche.
-Manoeuvre réussie ! L'adversaire a été pulvérisé.
Un nuage irisé s'étalait lentement sur l'écran.
-Où est l'autre appareil ?
-Pour l'instant, il reste à bonne distance. La disparition de son co-équipier semble avoir émoussé l'ardeur combative du Trikan.
-Il faut le poursuivre ! Nous ne pouvons laisser un tel cinglé se balader dans la Galaxie.
Une sonnerie d'alarme se déclencha soudain.
-Mauvais, émit Ray. Des renforts arrivent. Cinq bâtiments viennent d'émerger du subespace.
Le témoin de la vidéo-radio clignota.
-A quoi bon ? soupira Marc. Je n'ai aucune envie de subir un nouvel ultimatum !
-Mieux vaut gagner du temps ! Nous acquerrons ainsi une vitesse suffisante pour plonger dans, le subespace, non sans leur avoir envoyé une gerbe de torpilles. Nous n'avons pas encore testé la résistance de leurs écrans. Un détail utile pour nos amis de la Sécurité Spatiale.
Marc effleura le commutateur. Son interlocuteur semblait plus âgé que le précédent, avec ses sourcils presque blancs. Une certaine noblesse irradiait de son visage.
-Bonjour, Terrien. Je suis le Président des Trikans, et je voudrais vous présenter les excuses de mon peuple. C'est seulement hier que nous avons capté le message de Krotos appelant ses amis à la haine et à la vengeance. J'ai aussitôt décidé de venir. (La voix trahissait une lourde peine.) Lorsque Krotos a exposé à notre assemblée ses idées ridicules, nous les avons bien évidemment repoussées. Mais nous avons commis une lourde faute en le bannissant. Nous n'avons pas pensé que lui et ses deux compères allaient se livrer à de telles atrocités sur des planètes primitives.
-Comment les connaissez-vous si vous n'avez été informé qu'hier ?
Une lueur amusée brilla dans le regard du Trikan.
-J'ai sondé l'esprit de Kork, celui qui mène l'astronef que vous avez épargné. En découvrant ces horreurs, j'ai été atterré. Je sais que vous avez lutté sans haine, espérant négocier jusqu'au dernier instant. A dire vrai, je n'espérais pas vous retrouver vivant. Votre manoeuvre était d'une folie audace.
-Je n'avais guère le choix, ironisa Marc.
-Je sais ! Logiquement, vous n'aviez aucune chance de réussir, mais instinctivement, vous avez trouvé la faille de votre adversaire : plus l'espérance de vie d'un individu augmente, plus il craint la mort. (Le Trikan esquissa un sourire.) Vous êtes d'une race jeune, impatiente, et je sens que vous ne souhaitez guère entendre un sermon philosophique. Grâce à votre vaillance, la menace qui pesait sur Summa et la Galaxie a été éliminée. Nous nous chargerons de punir le troisième fautif. Assurez votre Président qu'une pareille chose ne se renouvellera pas. Les Trikans ne quitteront plus leur planète.
-Ne voulez-vous pas nouer des relations avec l'Union Terrienne ?
-Cela nuirait à notre tranquillité d'esprit. Nous sommes un très vieux peuple qui n'a plus le désir de découvrir de nouveaux mondes. Adieu, ami, et pardonnez-nous les épreuves qui vous ont été infligées.
L'image du vieillard s'effaça.
-Ils reprennent de la vitesse, annonça Ray.
Cinq minutes plus tard, les vaisseaux plongeaient dans le subespace.
-Cela se termine mieux que nous ne pouvions l'espérer, soupira Marc. Après cette série d'émotions, je crois que j'aurais mérité ma permission.
-Notre mission n'est pas encore achevée. Nous avons un appel sur la fréquence réservée à la Sécurité Galactique.
-Communication de l'amiral Neuman, aboya un officier dès son apparition sur l'écran.
Le grand patron de la Sécurité Galactique avait un visage sévère, des cheveux gris.
-Le rapport que vous avez transmis au général Khov a déclenché une certaine effervescence dans les sphères dirigeantes. A la demande du Président, j'ai envoyé trois croiseurs pour vous soutenir. Il importe de mettre ces Trikans hors d'état de nuire.
-Vous pouvez rappeler vos unités, amiral, la guerre est terminée.
Neuman écouta avec attention le récit détaillé de Marc.
-Félicitations, capitaine. Mais est-ce qu'ils n'attaqueront pas à nouveau ?
-Je ne le pense pas. Contrairement à ce que pouvaient faire croire ces trois énergumènes, les
Trikans semblaient sincèrement désolés de l'incident.
-Espérons-le !
L'image de Khov remplaça celle de l'amiral.
-Dès que vous vous serez assuré que l'existence a repris un cours normal sur Summa, vous pourrez rentrer.