CHAPITRE IV
Les tours du château de Volfa, la forteresse du comte Luko, étaient maintenant toutes proches. Partis à l'aube sur les montures bien involontairement prêtées par les gardes royaux, les Terriens et le messager avaient chevauché toute la matinée. Le villageois était un jeune homme à l'air éveillé et à la langue bien pendue. Il avait longuement bavardé avec un Ray enchanté d'enrichir ainsi son vocabulaire et ses connaissances du pays, qu'il communiquait ensuite psychiquement à Marc.
Volfa était un gros bourg cerné par une muraille encore primitive. Une sentinelle les arrêta à la porte. L'envoyé brandit le parchemin que son chef lui avait remis. Une discussion animée s'engagea. Le cerbère, capitulant enfin, laissa passer les trois cavaliers. Ils remontèrent ce qui semblait être la rue principale. Elle était bordée de maisons à colombages à un étage. Les rez-de-chaussée étaient occupés par des commerces assez variés. Puis les arrivants parvinrent à une place où se tenait un marché grouillant d'animation. Au-delà se dressait l'entrée du château. Marc immobilisa sa monture.
-Va, ami, accomplir ta mission. Dis également au comte que le chevalier Marc sollicite pour demain l'honneur d'une audience.
-Pourquoi ne m'accompagnez-vous pas ?
-Nous voulons procéder à quelques achats pour paraître dignement devant le seigneur Luko.
Tandis que le messager poursuivait sa route, ses deux compagnons attachèrent leurs montures près de la porte d'une bâtisse dont l'enseigne en fer forgé proclamait la vocation hospitalière.
-Attention, prévint Ray, je n'ai pu fabriquer de monnaie, puisque j'ignore à quoi elle ressemble.
-C'est vrai ! Allons d'abord nous promener. Cela nous permettra de compléter notre savoir.
Ils parcoururent donc le marché, assistant aux discussions entre clients et vendeurs. Marc suivait avec amusement le manège d'un gamin de quatorze ans environ, maigre, le visage rond, les yeux brillants de malice, qui suivait un gros bourgeois d'allure cossue. Ce dernier s'arrêta à un étal pour se faire montrer des étoffes. Profitant de ce que l'attention des hommes était mobilisée par la marchandise étalée, l'adolescent tendit la main et, d'un mouvement preste, sectionna les cordons de la bourse qui pendait à la ceinture de sa victime. Il dissimula sa prise sous sa chemise et s'écarta lentement, feignant une parfaite indifférence.
Il ne tarda pas à gagner une rue latérale puis s'enfonça dans un passage étroit entre deux maisons. A l'instant où il allait entreprendre l'inventaire de sa prise, une main s'en empara.
-C'est à moi, hurla-t-il, rendez-la moi !
-Fort bien, ironisa Marc. Mais auparavant, nous allons demander l'avis d'un certain badaud vêtu de marron...
-Vous allez me livrer au guet ?
Ray préleva dans l'escarcelle une pièce, qu'il examina.
-Mélange d'or et de plomb ; frappe grossière qui ne sera pas difficile à imiter, émit-il.
Il rendit l'objet au gamin étonné.
-Reprends ça, sourit Marc. Nous ne gardons qu'une pièce, à titre de punition.
Son vis-à-vis récupéra son bien mal acquis et le cacha à nouveau sous sa chemise. Dévisageant les Terriens d'un regard vif, il remarqua :
-Vous êtes étrangers et vous venez d'arriver. Vos vêtements sont encore couverts de la poussière de la route.
-Exact, approuva Marc, amusé.
-Vous ne semblez guère fortunées.
-Qu'en conclus-tu ?
Après un instant d'hésitation, le gosse reprit :
-Nous pourrions aller à l'auberge commander un repas. (Il tapota la bourse.) C'est moi qui paierai. (Avec un soupçon de regret dans la voix, il ajouta :) Si je suis seul, on ne voudra pas me servir, et il y aura toujours quelqu'un pour me demander comment j'ai pu avoir de l'or. Vous, on n'osera pas vous questionner.
-Marché conclu, accepta Marc en tendant la main. Comment t'appelles-tu ?
-Burk ! Je vous confie ma bourse. Ce sera plus naturel lorsqu'il faudra payer.
Cinq minutes plus tard, ils étaient attablés dans la salle de l'auberge. La servante, une grosse fille au visage lunaire, apporta aussitôt un pichet de vin.
-Que nous conseilles-tu ? demanda Marc à leur nouvel ami.
-D'abord un pâté en croûte, puis un rôti. Ici, ils sont excellents.
Bientôt, Marc regardait avec amusement le jeune Burk, qui semblait ne pas pouvoir se rassasier. Entre deux bouchées, il apprit que le gamin, orphelin, survivait en effectuant des travaux pour des commerçants et de menus larcins.
Lorsque Burk fut enfin repu, Marc lui dit :
-Il nous faut un logis pour la nuit. Crois-tu qu'ils louent des chambres, ici ?
-Elles sont hors de prix ! Mais je connais une femme qui héberge les voyageurs de passage. Elle a même une écurie pour les chevaux.