CHAPITRE XI
Le banquet offert par le roi se déroulait dans la joie, en apparence tout au moins. Luko, Spartack et une dizaine d'anciens esclaves mangeaient et buvaient sans réserve, se souvenant des durs moment passés. Marc sentait peser sur lui les regards d'une douzaine d'autres courtisans, jaloux et intrigués, se demandant sans doute qui était ce personnage qui semblait avoir une si grande influence sur le trop jeune roi. Les plus astucieux lançaient grands sourires et invitations.
Burk fit honneur au repas mais sut modérer sn appétit, confiant à Marc :
-Il ne serait pas convenable d'inaugurer mon règne par une indigestion.
Enfin, il se leva, lançant à l'assistance :
-Je souhaite que vous continuiez à vous amuser, messires. Pour moi, la journée fut rude, et j'aspire au repos.
Profitant de l'euphorie générale, un nobliau court de jambes et au torse puissant s'approcha du Terrien.
-Je sais que le roi écoute vos sages conseils. Aussi, je pense que nous pourrions facilement nous entendre. (Baissant la voix, il poursuivit :) J'étais le responsable de la vente des esclaves. Une lourde charge, qui n'est pas sans laisser quelques bénéfices. Je pourrais vous faire profiter de mes connaissances en la matière. Une association nous serait très profitable, n'en doutez pas.
Marc éclata d'un rire sonore.
-Je crains qu'il ne vous faille trouver une autre source de revenus. L'esclavage a été aboli, et notre souverain m'a fait l'honneur de me charger d'appliquer ces nouvelles mesures. Nous allons donc pouvoir commencer immédiatement. D'abord, qui fournissait les colliers ?
-Le premier serviteur du roi !
-Comment peut-on les ouvrir ?
-Il faut une clé spéciale, dont je suis le seul dépositaire.
-Excellent ! Vous allez vous rendre en ville sur l'heure et commencer à libérer les malheureux prisonniers. Puis demain, vous partirez accomplir la même besogne partout où vous en avez vendus.
La mine indignée, l'homme s'écria :
-C'est une besogne indigne de moi ! Je refuse !
Il se levait quand Marc le retint fermement par le bras. Désignant le groupe des anciens esclaves qui festoyaient, il murmura :
-Ne faites pas de scandale ! Voulez-vous que je leur révèle que vous avez touché de l'argent grâce au collier qui leur a été passé autour du cou ? Ils en ont tous conservé un très mauvais souvenir... Le baron Spartack est d'un caractère emporté, et il est capable de vous étriper avant que nous ayons pu l'en empêcher.
La menace fit blêmir le prétentieux. Marc appela d'un geste un de ses compagnons, qu'il avait remarqué en forêt pour sa taille et son énergie.
-Vous m'avez mandé, messire Marc ?
-Vous allez escorter le baron. Il possède le moyen d'ouvrir les colliers. S'il mettait une certaine mauvaise grâce à remplir sa mission, je vous autorise à... lui trancher la gorge !
Le regard de l'ex-captif brilla un instant. Il posa son énorme main sur l'épaule du nobliau, qui chancela sous le poids.
-Venez, messire, nous avons une lourde tâche à accomplir. (D'une voix très douce, il ajouta, en désignant un sillon violacé qui barrait son cou :) Là-bas, sur le chantier, j'ai juré d'étrangler ceux qui m'avaient infligé ce supplice. Vous comprendrez donc qu'il me sera très agréable d'exécuter les ordres de messire Marc.
Le festin se poursuivit longtemps encore. Repu, Marc sentait une douce somnolence l'envahir. Heureusement, les convives, après avoir porté de nombreux toasts au roi et à la victoire, commençaient à donner des signes de fatigue. Deux d'entre eux s'écroulèrent sur la table et s'endormirent aussitôt. Seul Spartack semblait insensible aux effets de l'alcool. Lorsqu'il le jugea possible sans risquer de vexer ses amis, Marc s'éclipsa.
Ce fut avec un plaisir immense qu'il s'allongea sur la couche pourtant dure. Peu confiant dans les capacités de ses compagnons pour cette nuit, il avait envoyé Ray surveiller les remparts.
Des coups timides frappés à sa porte le firent se redresser. Un garde passablement intimidé passa la tête par l'entrebâillement du battant.
-Monseigneur, je suis navré de vous déranger, mais une bourgeoise veut absolument vous voir. Elle affirme que c'est très important.
-Faites-la entrer !
Une jeune femme s'avança, emmitouflée dans une grande cape. Elle se jeta aux pieds de Marc.
-Monseigneur, mon mari et moi vous supplions de nous pardonner !
-Dame Mina ! s'exclama Marc, reconnaissant soudain sa visiteuse. Pourquoi cet empressement nocturne ?
-Nous implorons votre indulgence... (Il essaya de la relever, mais elle s'obstina à rester à genoux.) Ne nous tenez pas rigueur...
-Cessez, je vous en prie. Que dois-je vous pardonner ? J'ai gardé le meilleur souvenir de votre hospitalité !
-Depuis que nous avons appris la nouvelle de l'avènement du nouveau roi, mon époux est très inquiet. Nous n'avons pas été très aimables avec Burk. Un jour, nous lui avons même reproché sa nourriture. Si nous avions pu prévoir...
-Rassurez-vous. Demain, je verrai le jeune roi, et je puis vous affirmer que loin de vous en vouloir, il vous témoignera sa gratitude. Vous pouvez vous en retourner l'esprit en repos.
La jeune femme secoua la tête.
-Il y a pire ! Je vous ai frappé. Mon mari et nos voisins le savent. Comme j'avais dit que c'était sur leur conseil, tous sont anxieux...
Marc partit d'un grand rire.
-J'avais oublié ce détail. N'en parlons plus.
-Non, je dois expier ma faute.
Rejetant sa cape, elle tendit à Marc le fouet à six lanières qu'il saisit machinalement. Puis elle dégrafa sa robe, dénudant son dos jusqu'au bas des reins.
-Mon mari pense que vous devez me fouetter aussi longtemps et aussi souvent que vous le souhaitez.
-Je ne veux pas...
-Il a dit aussi que si vous nous refusiez l'honneur de me punir, il me flagellerait tous les matins devant notre boutique jusqu'à ce que vous lui ordonniez d'arrêter.
-Ce sont des enfantillages... (La vue du corps svelte, à demi dévêtu, émouvait Marc. Il enlaça Mina et la releva.) Puisque tu penses me devoir une réparation, j'ai une meilleure idée...
Il l'embrassa doucement. Elle lui rendit, son baiser avec fougue, et ils basculèrent sur le lit.
Beaucoup plus tard, quand ils eurent récupéré leurs esprits, Marc se redressa, prenant appui sur un coude.
-Maintenant que tu as subi bravement ta punition, tu pourras affirmer que j'ai pardonné.
-C'était une récompense, murmura-t-elle, la tête posée sur la poitrine du Terrien. Je n'avais jamais connu un tel bonheur ! Mais pour les rassurer, tu dois me battre. (Devançant le refus de son amant, elle ajouta :) Je t'en prie ! Juste quelques coups, avec des marques bien visibles. Ainsi, je pourrai les exhiber fièrement. Je t'assure que c'est indispensable : sinon, mon mari ne voudra pas me croire, et il me frappera. Or, il a la main lourde...
-Il te bat ?
-Seulement lorsque j'ai commis de grosses fautes.
-Tu ne sembles pas lui en vouloir.
-En aucune façon. Ce qu'il m'inflige, je l'ai toujours mérité.
Roulant sur elle-même, elle se retrouva à plat ventre.
-Commence aux épaules et descends jusqu'au creux des reins. Il serait bien que les traces se croisent.
Marc lui administra trois coups, juste assez fort pour strier de rouge son épiderme nacré.
-Comme toi, je ne peux pas plus !
-Tu es merveilleux.
-C'est la première fois que je fouette une femme, bougonna Marc, et il faut qu'elle me remercie !
Mina se retourna, se remettant sur le dos. Elle tendit les bras, le regard brillant, prouvant qu'elle n'était nullement hostile à l'ouverture d'un second round.