CHAPITRE XIII

Samedi 24 février

 

 

 

L’aube rampait par la fenêtre. L’esprit encore ensommeillé, Corentin Jourdan se glissa hors du lit. Le miroir ébréché lui renvoya l’image d’un homme fatigué qui avait négligé de se raser depuis plusieurs jours. Au prix d’un violent effort, il versa l’eau du pichet dans la cuvette et saisit son blaireau. Il allait le porter à son visage, quand son geste s’interrompit.

—  Je suis le pauvre Ben Gunn, murmura-t-il. Je suis un « marron54 », camarade !

Littéralement hypnotisé par cette évidence, il considéra la solitude qui serait désormais son lot jusqu’à l’ultime culbute et envisagea la façon de la supporter. Il secoua la tête, s’efforçant d’échapper à cette obsession. Il se sentait à la fois l’acteur sur la scène et le spectateur dans la salle, et ni l’un ni l’autre n’appréciait l’intrigue de la pièce.

—  Rentre à la maison.

Pareille à un enfant rebelle, sa volonté refusait de lui obéir. Il s’était empêtré dans une situation insoluble à la Dostoïevski qui ne pourrait s’achever que par l’affliction. Son obstination à ne pas lâcher prise avait quelque chose de mystérieux. Il lui suffirait d’abandonner ce cercle vicieux qui l’entraînait de plus en plus loin, de boucler son sac et de retourner là où était sa place, mais une force démoniaque le retenait à l’intérieur de ce cercle. Il lui fallait trouver le troisième larron.

Les braillements d’une bande de gosses en train de se poursuivre le long de l’escalier lui résonnèrent douloureusement aux oreilles. En bas, la rue s’animait, le train-train se perpétuait. On ouvrait boutique, on faisait les courses, on partait au travail. Tous, menu peuple, boutiquiers, petits-bourgeois, menaient une vie normale dont il était exclu.

Sur un plan de Paris, il situa la rue des Martyrs.

 

Le collignon avait renâclé à rallier la rue de Belleville, mais la générosité du pourboire effaça sa rogne. Remerciant mentalement Victor qui lui avait offert le fiacre, Joseph remonta la chaussée envahie de marchands ambulants. Il était déçu de parcourir un territoire semblable à celui d’autres arrondissements populaires, avec ses lingeries, ses drogueries-herboristeries, ses merceries, ses serrureries et autres commerces. Il espérait un dépaysement plus grand du quartier d’ Amérique 55.

Peinant tout autant que l’omnibus Belleville-lac Saint-Fargeau, il grimpa jusqu’au point culminant de la colline, où l’église Saint-Jean-Baptiste effilait ses deux flèches. Il ne distingua nul pékin à ceinture bleue et sabots rouges devant l’édifice à portail ogival, pastiche d’un sanctuaire du XIII° siècle.

Il s’enquit alors auprès d’un raccommodeur de porcelaine du sentier de l’Encheval. D’un geste vague, on lui indiqua la rue de Palestine.

Quand il eut doublé les écoles dont lui avait parlé Sylvain Bricart et atteint la rue des Solitaires, Joseph, incapable de s’orienter, s’adressa à deux jeunes blanchisseuses chargées de paniers. Elles lui rirent au nez et se sauvèrent. Ses questions réitérées à une rempailleuse de chaises à demi sourde puis à un essaim d’apprentis massés devant un bistrot lui valurent enfin d’accoster la rue de la Villette, où une concierge joufflue à tablier à pois et imposant chignon l’expédia vers une ruelle se terminant en impasse. Là, il se sentit soudain transporté en terre étrangère, bien que ce ne fût pas cette Amérique dont il avait rêvé. Il escalada quatre marches. Face à face, sur une centaine de mètres s’étayaient au coude à coude des cabanes de planches disjointes et des bicoques en dur, séparées par une rigole d’eaux usées, où survivaient quelques familles misérables. Des enfants loqueteux galopaient au milieu de volailles picorant d’une masure à l’autre. Des chiens aboyaient, une vache beugla, et un méchant petit coq agressa les mollets de Joseph, qui se précipita dans la première cour venue. Près d’un puits, une femme et deux fillettes, visiblement gelées, tiraient de l’eau dont elles emplissaient un baquet réservé à la vache, une normande pie.

—  Bel animal, constata Joseph, délivré du gallinacé.

— Et une aubaine, sans son lait on la sauterait, les mioches et moi.

— Elle est potable, cette eau ?

—  J’pense bien, et elle a meilleur goût qu’celle de la source sulfureuse de la rue d’l’Atlas ! C’est avec ça qu’on arrose le potager. J’vous donne un verre ?

— Je vous remercie, je n’ai pas soif. Savez-vous où habite M. Sylvain Bricart ?

— Le millionnaire ? Au bout du passage, impossible de vous tromper, c’est lui qu’a la plus grosse baraque, même qu’elle est en pierre, et verrouillée de partout, il a trop peur qu’on l’dévalise.

Comme la vache demeurait immobile, le coq s’enhardit et tenta une contre-attaque, repoussée par les gamines qui le coursèrent jusqu’à un poulailler.

—  Vous exagérez sa fortune, il ne vend que des croûtes de pain, marmonna Joseph, guignant les filles occupées à refermer le grillage.

— Ça lui rapporte de l’or, soyez-en certain. Bon, j’admets qu’c’est pas l’mauvais bougre. Depuis que mon Théodule a été viré de l’atelier et qu’il va sur les quais vider les péniches ou dans les gares aider au service des bouillottes, le Sylvain nous tire d’embarras. Hier encore, il m’a fourni un plein sac de craquelins durcis, y suffit d’les tremper dans du lait et on se régale. Ça d’vient coton d’obtenir du crédit chez le boulanger et le bougnat, et j’ai déjà presque tout engagé au clou.

— C’est donc un brave homme que ce Bricart.

— Voire…

Et la commère de raconter que le millionnaire possédait un manoir dans le Berry et que d’ici peu il s’y retirerait afin d’y couler une vieillesse oisive.

—  Notez, ça s’ra mérité, il s’décarcasse pire qu’un baudet. Et pis lui, l’a pas d’bouches à nourrir, ajouta-t-elle en contemplant sa progéniture.

Harcelé par la vision d’un bébé aux yeux bridés aussi vorace qu’un énorme oisillon, Joseph gagna l’extrémité de la venelle.

—  Elle a ma foi raison, c’est plutôt un fortin qu’un logis, son domicile, bougonna-t-il face à un cube de ciment précédé d’une porte métallique.

Il frappa à plusieurs reprises avant qu’un œilleton ne permît son identification.

—  Ah, c’est vous, mâchonna Sylvain Bricart, qui pointa son museau prognathe et, après s’être assuré qu’il était seul, l’autorisa à s’avancer.

—  Pourquoi tant de précautions ?

—  On n’est jamais assez prudent, l’envie mène le inonde.

Une alléchante odeur de gâteaux filtrait d’une resserre. Joseph imagina un four empli de massepains et de nonnettes, deux de ses péchés mignons, et saliva. Il sortit d’une de ses poches un livre prisonnier d’un emballage mal ficelé.

—  C’est une commande à l’intention de Mlle Sophie Clairsange – ou plutôt Mathewson, j’ai découvert la totalité de ce nom dont vous ne m’aviez révélé que la première syllabe.

Sylvain Bricart gratta sa tignasse poivre et sel. Il n’était pas vêtu du costume utilisé lorsqu’il travaillait, mais d’une blouse, d’un pantalon rapiécés et de bottes à l’empeigne déchirée. Il paraissait s’être saupoudré de farine.

—  Ben, pourquoi me le remettre à moi ? Livrez-le donc à l’hôtel !

— Mile Clairsange a filé à l’anglaise.

— En ce cas, vous n’avez qu’à l’déposer à la confiserie.

—  Quelle confiserie ?

—  Au Chinois bleu, rue des Vinaigriers, chez la veuve Hermance Guérin.

— C’est que mon patron va renauder, j’ai promis de rentrer dare-dare.

— Et moi j’ai du pain sur la planche, figurez-vous, alors la rue des Vinaigriers, peau d’balle et balai d’crin ! A dire le vrai, la patronne m’envoie bouler une fois sur deux. Y a pas à tortiller, le retour d’âge, ça vous détraque les nerfs d’une femme. Qu’est-ce que c’est ? Un roman ?

—  Histoire d’un crime, de Victor Hugo.

— Ah ! Hugo… Il m’a valu une nuit au poste. l’avais fait du barouf avec les étudiants parce que gouvernement interdisait Ruy Blas. On a échangé des horions, les sergots et nous. Faut avouer qu’y a des morceaux un peu raides :

Bon appétit, messieurs !

Ô ministres intègres

Conseillers vertueux ! Voilà votre façon

De servir, serviteurs qui pillez la maison !

Au grand dam de Joseph, cette tirade débitée, Sylvain Bricart s’apprêtait à rompre là, pressé de rejoindre son four. Vite, relancer la conversation.

— Ces vers sont toujours actuels, parce que franchement les grosses têtes qui nous dirigent nous tondent la laine sur le dos… Félicitations, vous étiez sûrement très jeune quand vous avez retenu cette réplique !

Le millionnaire céda à l’orgueil.

—  Ouais, question théâtre, j’ai un don naturel. J’aurais dû grimper sur les planches, j’étais aussi coquet que coquin. Je marnais chez un confiseur et j’gagnais des queues d’cerises, mais j’en pinçais pour la vendeuse. Dix-huit ans, accorte et guère farouche. Elle m’a préféré mon copain, c’est la vie.

— Comment s’appelait-elle ?

—  Hermance.

—  Comme la dame qui tient le Chinois bleu ?

—  La même, avec des années, des rides et des kilos en plus.

—  Elle l’a épousé, votre copain ?

— j’t’en fiche ! Le temps de lui coller un député dans l’urne, il a pris ses cliques et ses claques. La petiote avait un mois quand son papa a enfilé l’uniforme. En route vers Sedan ! La guerre, ça vous tire des larmes dans les couplets patriotiques, mais l’jour où il s’agit de s’étriper, on déchante. Moi, j’ai suivi nos ministres intègres, je m’ suis réfugié chez ma mère, à Bordeaux, et j’y ai creusé mon trou jusqu’à ce que ça se tasse.

— Et votre copain ?

— Disparu corps et biens dans la tourmente. Il ambitionnait d’égaler Velpeau. Total, aucun toubib n’a pu lui rendre la vie.

—  Et vous, vous êtes marié ?

— Marié ? Vous plaisantez, y a trop d’femmes sur la terre, si je devais toutes les marier… Mon gars, c’est bientôt l’heure de ma première tournée.

— J’aimerais vous suivre.

— J’croyais qu’ votre patron se languissait d’vous.

— Il poireautera. Au diable, les singes56 !

—  Cristi ! Ça, c’est causer. Mais je vous avertis, faut des jambes d’acier, je marche, moi ! Restez là, j’ vais m’changer.

Il ne tarda pas à reparaître, en noir-bleu-rouge, ses yeux mangés par ses paupières et par le bord de son haut-de-forme. Il empila dans sa carriole les cageots pleins de rassis redorés, les enveloppa soigneusement d’une épaisse couverture, et en route !

Une heure plus tard, Joseph, exténué, haletait derrière le bull-terrier ragaillardi après une série de ventes fructueuses qui avaient empli sa bourse et délesté sa charrette de presque tout son contenu. Nul doute qu’à ce train Sylvain Bricart ne fût prochainement en mesure d’adjoindre à son château une aile supplémentaire.

—  La recette a été bonne, mon gars, j’vous invite à trinquer ! proposa le millionnaire

Ils s’échouèrent dans un estaminet où la patronne leur servit deux galopins57 en jouant d’une prunelle particulièrement sensible à la présence du marchand de croûtes.

— C’est pas ma personne qui l’attire, c’est mon pognon, souffla Sylvain Bricart.

—  Vous avez eu une grande idée, c’est un chouette métier, vendeur de rassis frais, on est libre, répondit Joseph, heureux d’être installé au chaud.

—  Comme le vent. J’ai débuté une fois la guerre finie, en 72, de retour à Pantruche. Y avait plus d’boulot pour mézigue à la confiserie. Le patron, Marcel Guérin, v’nait d’épouser l’Hermance. Elle est devenue plus tiède à mon égard, normal. L’insouciance de la jeunesse avait foutu l’camp ! Quand son Guérin de mari a fait le saut final sans crier gare, il a laissé des dettes. Hermance a hypothéqué la boutique. Sur ces entrefaites, v’là que j’la rencontre aux Halles et qu’elle se plaint avec une de ces mines de chatte éplorée qui m’font craquer à tous les coups. J’ai épongé l’hypothèque, j’ai payé les travaux de rénovation, c’est moi qui ai peint la nouvelle enseigne, l’Hermance tenait absolument à ce que sa confiserie s’appelle Au Chinois bleu.

—  Pourquoi bleu ?

— En hommage à son papa qu’a avalé son bulletin de naissance chez les Célestes en 1860 sur les rives du Yang-Tsé-kiang, le fleuve Bleu, quoi ! Ça m’a coûté des sous mais j’ai consolé l’Hermance, j’ai emménagé chez elle, une vraie p’tite famille. Alors la Sophie, c’est un peu ma môme.

—  Si Mme Guérin est sa mère, pourquoi se nomme-t-elle Clairsange ?

— C’est le nom de jeune fille d’Hermance. Marcel Guérin a refusé de reconnaître la mouflette.

—  Vous ne vivez plus ensemble, Mme Guérin et vous ?

— Dites donc, vous comptez écrire mes Mémoires ? Les Mémoires d’un âne, tant qu’on y est ! Ça a duré dix ans, et puis voilà qu’cette rouée s’est avisée de me gratifier de cornes avec j’sais pas qui ! Sur ce, j’ai dit bon vent, mais on est restés en relation, au fond c’est aussi bien.

—  Et ce procès au cours duquel vous avez aidé Sophie ?

— Une belle vacherie ! La justice qui s’indignait parce que des femmes, des riches mais surtout des pauvres, avaient osé s’insurger contre une maternité non désirée. J’ai plaidé la cause de la Sophie, et j’en suis fier, même qu’on m’a cité dans les canards !

Il produisit un carnet dépenaillé où il avait collé des coupures de presse. Son nom était plusieurs fois imprimé dans la liste des témoins à décharge, entre celui d’un missionnaire, bienfaiteur des orphelins, et celui d’une cousette qui affirmait avoir assisté au viol d’une de ses amies.

— C’est pas tout ça, la deuxième tournée s’annonce à l’horizon, je vais au bercail, à la vôtre, mon gars ! s’écria Sylvain Bricart en sifflant son verre.

Joseph l’imita, aussitôt le décor se mua en un océan démonté. Incapable de bouger, il serra la main que lui tendait le millionnaire et resta prostré, couvé du regard par la tenancière qui n’avait plus que ce jeune homme à se mettre sous la dent.

Lorsqu’il eut maîtrisé le tremblement enfiévré qui le rivait à son siège, Joseph profita d’un moment d’inattention de la gargotière pour tituber jusqu’à la rue de la Villette, où il attrapa un fiacre. Il se fit conduire rue des Vinaigriers.

« Battre le fer tant qu’il est brûlant. Sonder cette Mme Guérin. Si elle nous a dissimulé que Sophie Clairsange est sa fille, c’est qu’elle cherche à la couvrir, ou qu’elle-même a la conscience douteuse. »

Un brusque accès de torpeur éthylique le transporta sur un champ de bataille où un monstrueux coq nommé Velpeau pourchassait l’ignoble Zandini déguisé en vache normande.

— Faut vous l’brailler en turc ? Z’êtes rendu ! claironna le cocher en lui secouant le bras.

Ahuri, Joseph régla la course rognée cette fois du pourboire. Il ignora le chapelet d’injures occasionné par cette omission.

Le Chinois bleu éclairait la triste rue des Vinaigriers tel un fanal dans la grisaille. La boutique alliait le stuc, le marbre et les miroirs afin de composer un cadre raffiné aux affriolantes friandises alignées sur ses comptoirs. Trônant derrière la caisse, la patronne abaissait son bonnet de dentelle noire vers le tricot qui la distrayait aux heures creuses. Joseph se félicita d’être le seul client. Au tintement de la sonnette, Hermance Guérin releva un visage ingénu de poupée défraîchie et ses yeux azur cillèrent comme s’ils se réadaptaient à la réalité.

— Que désirez-vous, monsieur ?

— Un cadeau pour ma femme, elle attend un enfant, elle a des envies de sucré. Que me conseillez-vous ?

—  Je vais vous préparer un assortiment. Des pralines, des fondants, des berlingots. Elle aime la menthe ?

—  Il me semble.

—  Des pastilles de menthe et de la guimauve. Ah ! Quelques bonbons à la violette. C’est pour quand ?

—  Quoi donc ? bredouilla Joseph, fasciné par un bocal de caramels.

—  L’accouchement.

—  Pas avant juillet.

— Vous avez choisi un prénom ?

L’intérêt d’Hermance Guérin était teinté d’une politesse indifférente.

—  Si c’est une fille, Évangéline, et si c’est un garçon, Sagamore.

— Ce sont des noms chrétiens ? s’enquit-elle, interloquée.

—  Mes beaux-parents sont américains. Oh ! Quel étourneau je suis : vous avez de l’angélique ? jeta-t-il, dardant sur elle des yeux en boules de loto.

—  C’est plutôt un article de pâtissier.

—  Justement, ma mère souhaite confectionner un gâteau, et si je lui déniche pas son angélique… – Malheureusement je suis à court. Ce sera tout ?

— Oui, je viendrai vous acheter les dragées au moment opportun.

— Vous êtes du quartier ? demanda Mme Guérin tout en lui comptant la monnaie.

— Nous avons emménagé le mois dernier boulevard de Magenta. C’est un peu bruyant mais très confortable. Tant que j’y pense, transmettez donc les amitiés de ma femme à votre fille, Sophie.

Le coup était tellement imprévu qu’Hermance Guérin abandonna un bref instant son masque commercial. Elle se reprit presque aussitôt, toutefois ce fut d’une voix mal assurée qu’elle dit :

— Vous vous trompez, je n’ai pas de fille.

— Allons, je suis sûr de ce que j’avance, c’est ce vieux Sylvain qui m’a renseigné, et il n’était pas brindezingue ce jour-là. Il m’a indiqué votre adresse, parce que figurez-vous que mon épouse est une ancienne camarade de Sophie.

— Je vous répète que c’est une erreur.

— Je comprends que ça vous embête de l’avouer, avec ce chambard autour du procès de la Mort aux Gosses, mais puisqu’on en est à évoquer le passé, ma douce moitié était sur le banc des accusées. Vous voyez que nous sommes dans le même bateau, vous et moi.

Livide, Hermance Guérin cherchait en vain à ramener sous son bonnet une mèche invisible.

— Qui êtes-vous ? murmura-t-elle.

— Un ami du boiteux.

Elle ébaucha un signe de dénégation.

— Laissez-moi tranquille, allez-vous-en.

Vous hébergez votre fille Sophie, madame Guérin, convenez-en. Nous savons pourquoi elle est revenue d’Amérique. Dites-le-lui. Merci de votre obligeance ! conclut-il, agitant le paquet noué d’une faveur rose

« Le patr… Victor sera satisfait de moi, j’ai mené l’affaire tambour battant ! » se dit Joseph, à la recherche d’un omnibus.

 

Mais, bizarrement, dès qu’il eut entendu son récit au sous-sol de la librairie, Victor plissa le front, preuve de son mécontentement.

—  Vous avez donné un coup de pied dans la fourmilière, à présent ils vont s’affoler, la veuve, sa fille, le bancal, et qui encore ? Vous avez agi sans discernement.

—  Ça, je l’aurais parié ! Je me réveille aux aurores, je cavale à Belleville, j’extirpe au millionnaire des renseignements de première classe, et vous…

—  Je reconnais que vous avez récolté des informations cruciales, admit Victor avec un sourire légèrement forcé. Bravo, Jojo.

Plantant là son beau-frère, dont il estimait les compliments insuffisants, Joseph décida de remonter près d’Iris. Il prévint Kenji qu’il allait le seconder illico, et, à l’étage, croisa Zulma effectuant un repli craintif vers l’escalier à vis alors qu’Euphrosine, un couteau dans une main, une carotte dans l’autre, martelait :

— Allez donc cafarder, m’en fiche, c’est moi qui règne ici ! À coups d’marteau, j’vous enfoncerai ça dans la caboche, au besoin !

Joseph embrassa sa mère dans l’espoir de la calmer Il allait quitter la cuisine lorsqu’il se ravisa.

—  Par hasard, ça te rappelle quelque chose, Velpeau ?

Euphrosine en lâcha sa carotte.

—  Tu oses traiter ta mère de vieille peau ? Ah, j’l’aurai bue à ras bord, la coupe de l’amertume ! Jésus-Marie-Joseph !

Joseph s’esquiva avant qu’Euphrosine n’invoquât sa croix. Comme il s’introduisait dans la chambre à coucher, Iris se débarrassa prestement sous un coussin du cahier où elle écrivait le conte de la libellule et du papillon.

— J’ai fini de taper le troisième chapitre du Bouquet du Diable, annonça-t-elle à son mari.

 

Pendant ce temps, Victor, toujours dans la réserve, réfléchissait.

— Que m’a narré Joseph de primordial au milieu de son charabia ? Le millionnaire a comparu aux assises avec un missionnaire bienfaiteur des orphelins.

Lestocart a également mentionné un individu préoccupé du sort des orphelins, il a placé Loulou dans un ouvroir… Qui t’a parlé de son séjour dans une mission africaine… Le père Boniface ! Oui, c’est ça, il a protégé Louise Fontane. Bougre d’imbécile que je suis, que n’ai-je songé plus tôt à lui ?

— Victor, sauriez-vous où nous avons rangé les Portraits politiques d’Hippolyte Castille ? cria Kenji.

Il regagna la boutique où il déterra la série de reliés sous les œuvres de Marmontel. Impatient de sacrifier ces ouvrages difficiles à écouler, Kenji entreprit de séduire un couple de rentiers désireux de se monter à moindres frais une bibliothèque ornementale fleurant bon le cuir.

Joseph redescendait. Victor l’entraîna dans un coin et lui souffla à l’oreille :

—  Je pars, excusez-moi auprès de Kenji, inventez un prétexte… Je vais pousser jusqu’au fort Monjol, vos indices impliquent une nouvelle conversation avec le père Boniface.

— Et moi ? Je me tourne les pouces ?

— Après déjeuner, vous serez chargé d’une mission de reconnaissance au cirque d’Hiver avec pour but d’obtenir l’adresse d’Absalon Thomassin.

— Vous ne prenez pas votre bicyclette ?

—  J’y renonce, Kenji me barre la retraite.

« Le cirque d’Hiver… Ce serait un chouette décor où situer une scène de mon roman, pensa Joseph, frustré de ne pouvoir se consacrer à son œuvre littéraire. Au fait, ce Velpeau ? Un explorateur ? Un savantasse ? »

Il s’apprêtait à chercher dans un dictionnaire quand Kenji requit ses services.

 

En dépit du ciel plombé et d’un vent coupant, « la Monjol » arborait un air de fête. À travers les fenêtres, la clarté des lampes à pétrole mouchetait d’or les ruelles étroites empestant le hareng grillé, l’alcool, le tabac et les immondices. Moins dépourvu de lumière et à l’abri de la bise, le carrefour formé par la rue Monjol et la rue Asselin accueillait une kyrielle de garnements adonnés à dégommer à l’aide de lance-pierres des bouchons en équilibre sur les goulots de bouteilles vides, ce qui n’allait pas sans fracas de verre brisé. Derrière eux, en file indienne le long des taudis et des hôtels borgnes dans l’attente des habitués du samedi accourus des confins de la Villette et de Belleville, ces dames papotaient avec leurs barbeaux ou bien ensemble. L’une d’elles fit signe à Victor, qui reconnut Marion, la femme au nourrisson croisée chez le père Boniface.

—  Vous r’voilà dans les parages ?

Avant qu’il pût répliquer, une voix aiguë s’écria :

—  Bas les pattes, il est à moi, c’miché-là !

Victor pivota. Les paupières charbonnées, les lèvres carmin, sa frêle silhouette attifée d’une robe de lainage trop échancrée, se déhanchait la Môminette. Menaçante, Marion marcha sur elle.

— Si tu m’touches, j’crible à la drive58 ! glapit la fille. Paumes écartées, Victor les sépara.

— Je ne suis pas ici pour… la chose. Je cherche le père Boniface.

Les deux femmes le dévisagèrent, soudain honteuses, plaquées contre le mur sang de bœuf de l’Hôtel du Bel Air telles des ménades échevelées dansant sur une amphore grecque.

Marion pointa l’index vers l’Hôtel des 56 Marches, au sommet des trois escaliers de la rue Asselin.

—  Il est allé visiter la Girafe.

Éberlué, Victor se demandait comment un tel animal avait pu s’introduire dans cette cour des Miracles sans que les autorités aient été averties. Comprenant son émoi, la Môminette précisa :

—  C’est comme ça qu’on surnomme Joséphine Pégrais, vu qu’elle est longue comme un jour sans pain et sèche comme un coup d’trique !

—  Depuis qu’son dos59 l’a balancée pour la Ravignole, une jeunette qu’a une sacrée plastique, elle bat la campagne et elle bouffe plus rien, si ça continue on va lui zyeuter à travers les côtes, renchérit Marion.

Victor leur dédia un salut embarrassé et s’esquiva avant qu’un des souteneurs ne s’en prît à lui. Essoufflé, il escalada la rue puis les marches de l’hôtel, peuplé de proxénètes, d’infirmes truqués et de quelques ouvriers au chômage.

Quand un « Entrez ! » sonore l’y autorisa, il pénétra dans un galetas dont le mobilier se composait d’une cuvette à usages multiples et d’une paillasse de varech étalée au sol. Une femme à la figure émaciée y gisait, recouverte d’un drap taché. Un âpre fumet chatouilla les narines de Victor, sur-le-champ victime d’une crise d’ éternuements.

—  Excusez-moi, monsieur… votre nom m’échappe, j’ai dû avoir la main un peu lourde avec le vinaigre de Bully, c’est à cause des punaises, à croire que ce sont elles les vraies propriétaires du quartier, expliqua le père Boniface, quittant le chevet de la malade.

— Ce n’est rien, repartit Victor, un mouchoir sur le nez. Je me nomme Victor Legris.

—  Oui, cela me revient maintenant, c’est vous qui m’avez appris la mort de Loulou.

— Justement, j’ai une requête au sujet de cette même personne. En effectuant des recherches, je me suis aperçu qu’elle était logée chez une ancienne amie de travail, rue Albouy.

— Je l’ignorais.

—  J’ai également découvert que cette amie, Sophie Clairsange, et Loulou avaient été impliquées dans un procès de faiseuse d’anges, et que vous aviez été cité à y comparaître en qualité de témoin de la défense.

Le père Boniface ne tiqua pas. Il se pencha afin d’essuyer posément la bouche de la femme qui bavait, puis s’étira avec une grimace.

—  J’ai les reins en capilotade, à force. Oui, c’est exact, le procès de la mère Thomas, j’ai tenu à fournir mon assistance à ces malheureuses, et tout spécialement à Loulou, que j’avais placée dans un ouvroir.

—  Je m’étonne qu’un religieux absolve ces pratiques.

— S’indigner de l’hypocrisie sociale n’est pas absoudre. On m’a enseigné la compassion. J’ai longtemps vécu en Afrique. Là-bas la vie est rude, ici elle est sordide.

— Loulou ? Serait-ce le diminutif de Louise ?

—  Je l’ai toujours connue sous le nom de Loulou. Quand je l’ai recueillie, elle ne possédait aucun extrait de naissance.

Le père Boniface s’interrompit pour soulever une tabatière et aérer un instant la mansarde.

— Je suis convaincu que Notre-Seigneur ne saurait condamner ces filles, victimes de la lubricité et de la violence des hommes.

—  Pardonnez mon indiscrétion, mais puis-je m’enquérir de l’école où vous avez suivi vos études médicales ?

—  L’école ? répéta le père Boniface.

Il éclata de rire.

— L’école des livres et de la pratique, cher monsieur. Je ne possède pas de diplôme officiel.

—  La loi n’interdit-elle pas…

—  La mendicité, le vagabondage, la prostitution, l’infanticide, l’avortement, le suicide. La loi excelle à interdire. Moi, je tente modestement de remédier à ses incuries. Quand un homme crève de misère, on lui tend la main, n’est-ce pas ?

Le père Boniface le dévisagea d’un air railleur.

— Seules comptent la ténacité, l’aptitude et l’expérience, enchaîna-t-il. Je voulais secourir mon prochain. le rêvais de devenir chirurgien, les trépanations notamment me fascinaient. Je lisais les ouvrages spécialisés… Mes parents étaient pauvres, j’ai dû trimer de bonne heure, puis je me suis exilé et j’ai atterri de l’autre côté de la Méditerranée.

— C’était après avoir participé à la guerre de 70 ?

— Non, bien avant, j’ai eu la chance de ne pas assister à cette boucherie.

— Sylvain Bricart m’a pourtant certifié vous avoir fréquenté à cette époque.

—  Sylvain Bricart ?

Le père Boniface referma la lucarne et se gratta la joue.

—  Décidément, ma mémoire devient défaillante, ce nom n’éveille rien en moi.

—  Il a cependant lui aussi témoigné au procès. Réfléchissez, il était l’amant d’Hermance Guérin, qui semble être la mère de Sophie Clairsange.

Le père Boniface secoua la tête.

—  Désolé, monsieur Legris, mais réellement je ne me rappelle pas ces personnes. Ce qui ne signifie nullement que je ne les aie jamais rencontrées. Vieillir est un satané handicap. Peut-être finirai-je par me souvenir, alors n’hésitez pas à me solliciter de nouveau. À présent, il faut que j’essaie de nourrir Joséphine, elle n’a rien mangé depuis hier.

Victor comprit que sa présence devenait indésirable. Il prit congé et, fuyant « la Monjol », gagna la rue Bolivar. Rejoindre Tasha à La Revue blanche et l’emmener déjeuner au restaurant ainsi que convenu, telles étaient ses priorités. Il se débrouillerait pour téléphoner à la librairie afin de relater succinctement à Joseph les quelques renseignements glanés auprès du père Boniface. Drôle de bonhomme Il paraissait de bonne foi. Et apte à soigner celles qui s’en remettaient à lui. Mais de là à pratiquer des opérations sans être diplômé ! Qui croire ? Lui ou Sylvain Bricart ? Un fiacre daigna s’arrêter à sa hauteur, il s’affala sur la banquette en regrettant de ne pouvoir seconder Joseph. Pourvu qu’il réussît à s’entretenir avec le Grand Absalon…

 

Sourd aux protestations de son estomac contre la dorade aux pois chiches préparée par Euphrosine, Joseph admirait la rotonde du cirque d’Hiver ornée de deux frises de bas-reliefs à la gloire de l’art équestre. L’ignoble Zandini se démancha lui aussi le cou pour observer l’amazone de bronze qui décorait la gauche de l’entrée principale. Mettant à profit cette seconde d’inattention, Carmella se fondit dans la foule des badauds sur le boulevard du Temple. Un coassement alerta Joseph quant à l’état déplorable de sa digestion. Adoptant le mépris, il congédia ses personnages et se présenta, rue de Crussol, à la porte du directeur des Deux-Cirques. Un domestique à faciès d’Auguste, à qui il affirma être un journaliste, lui enjoignit de s’asseoir dans un petit salon. Il ne tarda guère à le mener jusqu’au cabinet de M. Franconi. Installé derrière une immense table couverte d’un tapis vert et dominée par un méli-mélo d’affiches jaunies ou criardes, celui-ci désigna un fauteuil d’acajou à l’importun puis, les mains croisées sous le menton, se composa une physionomie résignée à subir les questions les plus saugrenues. Aussi exprima-t-il un vif plaisir quand Joseph lui débita :

— Je ne vais pas abuser de votre temps, monsieur. Tout ce que j’ambitionne, c’est une entrevue avec Absalon Thomassin.

— Il doit rentrer aujourd’hui de province où il s’exerçait. Je l’attends demain matin ici même pour régler les ultimes détails du spectacle, il se produit l’après-midi. Le mieux serait que vous alliez à son domicile, 2, rue des Martyrs.

Sans doute Victor Franconi se figurait-il que, lesté le cette nouvelle, son visiteur allait disparaître. Joseph demeura vissé à son siège, inconscient du désappointement suscité. C’est qu’il n’avait pas tous les jours un directeur de cirque à sa disposition, et il brûlait de lui arracher des secrets essentiels à sa création littéraire.

—  Les lecteurs du Passe-partout sont friands des dessous du monde artistique. Serait-ce inopportun de vous soutirer des tuyaux à propos du prochain numéro du Grand Absalon ? C’est un acrobate de génie qui a les faveurs de nos abonnés – surtout les femmes.

— Un excellent acrobate, c’est vrai. Mais, au risque de décevoir ses adulatrices, je suis incapable de vous éclairer : il ne m’a toujours rien confié de ses projets ! Cet homme est capricieux – ne l’écrivez pas. Son contrat, par exemple : il stipulait que ses costumes seraient commandés par les soins de la direction. Eh bien, il a exigé qu’on modifie la clause, Monsieur se pique de jouer au tailleur ! Et, si doué soit-il, le public commence à se lasser de ses sauts périlleux. Il veut du neuf. Nos pauvres lions et nos chevaux l’ennuient. comment rivaliser avec les music-halls ? Tenez, lisez Le Mirliton : l’Olympia annonce Beloni, Marietta et leurs perroquets acrobates, et le tireur caballero Garcia assisté de son chien Guillaume Tell !

—  Ce qu’il vous faudrait, ce serait une Annie Oakley ! Mais hélas elle a déjà été recrutée par Buffalo

Elle se dépatouille tellement bien à la carabine que Sitting Bull en personne l’a baptisée « Watanya Cicilia », « Celle qui ne rate jamais » !

—  Bravo pour votre connaissance de la langue sioux, jeune homme, riposta le directeur, sarcastique. Je n’estime toutefois pas nécessaire dans l’immédiat de rouler notre édifice sur des rondins jusqu’au Mississippi, où l’on dit que le cirque flottant connaît un immense succès.

— Dommage, répondit Joseph, très sérieux. Dites, pour mon reportage, est-ce que je pourrais jeter un œil sur les coulisses ?

— Les deux, si vous le souhaitez ! s’exclama Victor Franconi, heureux de voir le terme de cet entretien.

De l’administration à l’entrée des artistes, il n’y avait qu’une cour à traverser. Le directeur la franchit de concert avec Joseph qu’il mena au seuil du magasin des accessoires et planta là.

Après avoir vadrouillé le long d’un sentier exigu bordé d’objets amoncelés, tandis qu’oscillaient au-dessus de lui des anneaux et des trapèzes, il dépassa des cages où somnolaient des fauves malodorants. Un tigre se déploya brutalement contre les barreaux de sa geôle et rugit. Joseph s’élança vers un couloir saturé d’enfants juchés sur de gros ballons et d’écuyères en maillot. Il atteignit la piste où des jongleurs chinois en casquette et vareuse fignolaient une pantomime. Dans une des stalles rouge et or, deux clowns anglais s’affrontaient aux dominos L’un d’eux portait un veston de palefrenier et des pantalons bouffants, l’autre un costume de soie pistache serré à la taille et un très petit chapeau pointu. Joseph s’approcha d’eux.

— Connaissez-vous le Grand Absalon ?

Pantalons bouffants haussa les épaules, signifiant qu’il ne parlait pas français. Chapeau pointu baragouina :

—  J’ai entendou dire loui very good, but we… sont meillours !

Il cligna de l’œil à l’intention de son partenaire et, sans préavis, lui sauta sur les épaules avant de bondir par-dessus la stalle dans l’arène où il se livra à une succession de galipettes qu’un singe n’eût point désavouées. Il fut rattrapé par son compère et ils accomplirent en duo un ballet de culbutes achevées en cascades d’une extrême virtuosité.

—  École du carpet… tapis, résuma Chapeau pointu, essoufflé. Le vrai acrobatism, this is !

« Mon fils, ce que les gymnastes exécutent avec leur corps, vous le devez faire avec votre esprit, se rappela Joseph dans l’omnibus. Il avait fichtrement raison, Barbey d’Aurevilly, sauf que si j’utilisais mon porte-plume à réservoir aussi vite que ces deux-là cabriolent, tout ce que j’obtiendrais, ce serait des pâtés ! »

Au 2, rue des Martyrs, un concierge revêche lui marmonna que lorsque M. Thomassin s’absentait, il réclamait généralement à son retour le cordon à des heures indues, ce qui n’avait rien de surprenant de la part d’un homme passant sa vie suspendu à une corde. Bref, M. Thomassin n’était pas là.

Joseph s’était engagé à regagner la librairie dès qu’il aurait soi-disant évalué un lot de livres chez un bouquiniste. Déçu, il galopa vers un omnibus qui s’était arrêté pour céder la place à une voiture de déménagement appartenant à un certain Lambert.

 

Additionner les fiacres aidait Corentin Jourdan à oublier le courant d’air glacial balayant les alentours de l’église Notre-Dame-de-Lorette. Une voiture jaune de l’Urbaine gouvernée par un cocher mastic chapeauté de blanc porta le nombre des véhicules comptabilisés à dix-neuf. Un laitier lancé à fond de train rue Saint-Lazare, hors jeu. Une guimbarde de la Compagnie des petites voitures avec son postillon vert coiffé de cuir bouilli noir, vingt. Quand donc ce ridicule pantin allait-il aborder l’immeuble prétentieux où il avait élu domicile ? Qu’annonçait l’affiche, déjà ?

ABSALON LE ROI DES ACROBATES

L’ACROBATE DES ROIS

Minable !

À la vue de l’omnibus Pigalle-Halle aux Vins qui ferraillait au pied de la rue des Martyrs, le cœur de Corentin se serra. Il avait assisté deux fois à la scène : un côtier60 attela un renfort à l’équipage de deux percherons afin que la caisse bringuebalante parvînt à effectuer l’ascension de la butte Montmartre. Jamais il n’aurait imaginé le sort réservé aux chevaux parisiens. Décidément, la perversité des hommes ne comportait pas de limite, ils maltraitaient les bêtes en se prétendant leurs défenseurs. Ces côtiers, par exemple, soutenaient que le secours apporté par leur animal allégeait le travail des autres. En ce cas, pourquoi ne pas simplement interdire aux omnibus d’escalader des rues à pic ? Qu’ils marchent, ces voyageurs intrépides ! Il eut une pensée fugitive envers Flip, et la colère l’envahit. Même si le destin des animaux n’avait aucune corrélation avec la tâche qu’il s’était assignée, la rage qu’il provoquait en lui décuplait sa détermination. Il devait à tout prix réussir, pour l’amour de Flip, pour celui de Clélia, victime elle aussi de l’hypocrisie sociale, pour…

Jaillie d’un coupé, une silhouette de dandy pimpant en jaquette et pantalon à carreaux stoppa le cours de ses idées. C’était lui, il le reconnaissait à sa fine moustache et à sa barbiche. Il était escorté d’un domestique encombré de bagages. Ils touchèrent au porche du numéro 2.

Corentin Jourdan se contraignit à la patience. Se précipiter provoquerait la panique de l’histrion. Mieux valait le laisser prendre ses aises, puis s’introduire par l’entrée de service et mener à bien ce qu’il avait prévu de réaliser.

En attendant, compter, non plus les sapins, mais les pieds des quidams, histoire de changer. Deux bottines gris souris à bout carré. Deux chaussures vernies, cela faisait quatre. Deux autres bottines maculées de gadoue, six. Deux godillots fendillés, huit. Deux légers escarpins protégeant mal du froid. Deux lourdes bottes de postillon…

 

Absalon Thomassin chaussa avec délices ses pantoufles molletonnées après avoir soigneusement posé son huit-reflets sur une table de nuit. Malgré la sourde inquiétude qui lui rongeait le cœur depuis qu’il avait appris grâce aux journaux l’assassinat d’Edmond de La Gournay et de Richard Gaétan, il éprouvait un vif soulagement à déambuler dans son quatre-pièces. Là étaient l’ordre et la sécurité qui lui avaient tant manqué pendant son long séjour à Chantilly où, dans la demeure familiale imprégnée de souvenirs rancis, il avait peaufiné un numéro compliqué.

Il ferma les yeux, déroulant en lui l’enchaînement de figures périlleuses qu’il était arrivé à roder à la seconde près. Il lui vaudrait un triomphe au cirque d’Hiver où, à la suite des répétitions qui commenceraient le lendemain matin, il serait la vedette de la saison prochaine.

Son majordome déplia sa robe de chambre préférée et l’avertit qu’il allait au ravitaillement.

De nouveau préoccupé, Absalon Thomassin arpenta le large salon envahi de tapis et de meubles orientaux, caressant au passage un narguilé décoratif. La presse avait évoqué un message tracé dans le cabinet aux poupées de Gaétan, et signé Angélique. C’était à en perdre la raison. Mais, somme toute, il n’y avait là aucun motif de s’affoler. Vengeance de femme, peut-être, quoi d’étonnant lorsqu’on résumait les penchants érotiques de Richard ? De plus, rien n’indiquait que le meurtre de La Gournay ne fût pas l’œuvre gratuite d’un mauvais plaisant. Simple coïncidence que ces deux décès simultanés, et non complot. Ce qui signifiait qu’Absalon était en dehors de cette sale affaire, et que, cadeau du ciel, il devenait l’unique administrateur de la Licorne noire. Il lui faudrait rencontrer Clotilde, à qui il avait transmis ses condoléances, et s’informer des circonstances de la mort de son mari. Les quotidiens n’avaient à ce jour jamais mentionné que sa collection de licornes eût subi des dégradations. Si la mémoire d’Absalon était exacte, la pièce abritait en outre des manuscrits et des ouvrages anciens fort rares que cette malheureuse Clotilde, qui s’en désintéressait, consentirait sans doute à lui céder pour une bouchée de pain. Elle se déchargerait également sur lui de la société ésotérique, et cesserait probablement de résister à ses avances à présent que ses maigres appas n’étaient plus la propriété d’Edmond. L’épouser ? Ce n’était pas exclu, il était assez fortuné pour éponger les créances du défunt et même racheter son titre. Le baron Absalon de Thomassin, cela sonnait joliment.

Il alla chercher dans une serviette les croquis brossés au cours de son exil à Chantilly. Il y en avait trois dont il était particulièrement satisfait : le costume orné de strass qu’il arborerait lors de son saut de l’ange, une étude de déguisement pseudo caucasien vermillon et argent affecté aux écuyers d’un futur spectacle équestre, une robe de dresseuse de serpents hindoue en soie enjolivée de broderies qu’il proposerait à Nala Damajanti, actuellement aux Folies-Bergère. Ils agrémenteraient l’ensemble de ses dessins conservés à l’intérieur d’un débarras reconverti en cabinet de travail.

Un bruit attira son attention.

— Léopold ? Est-ce vous ? demanda-t-il.

Il n’y eut d’autre réponse que la rumeur de la cité. Troublé, Absalon parcourut le long couloir au bout duquel, à côté de la porte des domestiques, se trouvait son bureau.

Il entra et réprima un cri. Une pluie écarlate s’était abattue sur les cartons où il rangeait ses esquisses, sur les maquettes épinglées aux murs, les deux mannequins drapés de tuniques chatoyantes, les calepins et les cahiers emplis d’aquarelles à partir desquelles il élaborerait tout un peuple de jongleurs, de clowns et de cavaliers rutilants.

Il effleura de l’index le dos d’une reliure et flaira son doigt, écœuré. Du sang. Il traversa la pièce et, ouvrant la croisée, se pencha. Un homme émergea de l’escalier de service puis s’enfuit vers le porche en boitant. Il faillit hurler « Arrêtez-le ! » mais se retint : trop tard. Il fit volte-face. C’est alors qu’il aperçut les lignes rédigées à la peinture blanche sur le trumeau bleu foncé de la cheminée :

TU AS LAISSÉ MOURIR LA GRAINE

PRÉPARE-TOI À ESSUYER UN GRAIN

LOUISE

— De quelle graine est-il question ? Louise ? Qui est Louise ? balbutia-t-il d’une voix altérée.

Il avait eu des maîtresses, comme tout un chacun. Des prénoms affluèrent : Catherine, Georgina, Aliette. Une dompteuse écossaise… ah oui, Helen Mac Gregor, Sophie, Philomène, Cécile. Aucune Louise, aussi loin qu’il remontât dans son passé.

 

 

Joseph attrapa le premier contrevent et souhaita une bonne soirée à Victor. En vigie sous la porte cochère, Mme Ballu salua celui-ci d’un air absent alors qu’il descendait la rue en direction du quai Malaquais, puis son regard revint se poser sur le fiacre stationné de autre côté de la chaussée.

« D’abord une carriole de déménagement, à présent un sapin rivé aux pavés ! Mais qu’est-ce qu’on me veut ? »

La remarque blessante assenée par Euphrosine résonnait encore douloureusement à ses oreilles : « Ma pauvre Micheline, vous avez dépassé l’âge critique ! Pourquoi un homme vous suivrait-il ? »

— Qu’est-ce que ça a d’extraordinaire qu’un homme me suive ! J’t’en ficherai, d’l’âge critique ! Y a pas d’âge pour séduire, sale garce ! Ah, elle s’mouche pas du pied, l’ancienne marchande de quatre-saisons, depuis que son rejeton a marié la fille du patron, elle fait sa bourgeoise, n’empêche qu’on m’épie, c’est un fait. Et si ça m’plaît, à moi, d’être surveillée, grogna-t-elle en se barricadant dans sa loge.

Elle avait grand besoin d’une goulée du porto millésimé de feu son époux Onésime. Elle ne vit pas le fiacre s’ébranler au petit trot.

Perdu dans ses pensées, Victor venait de doubler le café Le Temps perdu lorsqu’une ombre blanche fila sous son nez et s’échoua à ses pieds. Une rose. Il se retourna vivement. Un fiacre stationnait à quelques mètres. La portière s’ouvrit, on l’interpella.

— Monsieur Legris, montez, j’ai à vous parler. Il demeura indécis.

—  Je suis seule. Décidez-vous, je ne vais pas vous ensorceler !

Victor sauta sur le marchepied.

—  Bonsoir, madame Clairsange, ou faut-il dire Mathewson ? Est-ce un enlèvement ? Nous ne sommes pourtant pas au Far West !

— Je n’ai ni l’envie ni le cœur à la plaisanterie, monsieur. Prenez place. J’ignore ce qui motive votre acharnement à me harceler, mais je vous supplie de cesser d’importuner ma mère. Cet après-midi, votre acolyte…

— Une seule question, pourquoi mentez-vous ? Je sais que c’est vous qui avez débauché Loulou de son travail de la rue d’Aboukir Dans quel but ?

Elle offrait un piquant mélange d’innocence et de hardiesse. Elle garda le silence, mettant en œuvre les roueries du sourire, des yeux, des mains occupées à lisser ses gants. C’était un spectacle charmant même pour un homme averti.

—  Oh, monsieur Legris ! s’écria-t-elle. Vous êtes la seule personne à qui j’ose m’adresser. Si je vous livre mon secret, nous tiendrez-vous à l’écart de ce scandale ?

—  Il se peut. Je suis curieux de connaître votre version de…

Il s’arrêta court, confondu de la voie où il s’engageait. Elle soupira profondément et toqua au carreau pour aviser le cocher.

—  Fermez la portière, monsieur Legris, nous allons rouler un peu, murmura-t-elle.

Victor se tourna vers la vitre. Il savait que l’attitude de Sophie Clairsange était calculée, que, sous ses paupières baissées, elle l’étudiait attentivement et froidement.

—  Ma pauvre Loulou ! Tout est ma faute. C’est tellement invraisemblable que ce que je vais vous révéler ne peut être que la vérité. Après le décès de mon époux Samuel Mathewson, j’ai imaginé une revanche magistrale à l’encontre de deux hommes qui m’avaient volé ma jeunesse, j’ai tout consigné dans mon journal intime. Je voulais rendre la monnaie de leur pièce à Richard Gaétan et à Absalon Thomassin. Le premier m’a violée, le second m’a chassée alors que j’étais enceinte.

— Et le troisième ? Le baron de La Gournay ?

—  Il avait engrossé Loulou, ma meilleure amie. Je voulais détruire leur réputation, pas une seconde je n’ai envisagé leur mort.

—  Absalon Thomassin est toujours de ce monde, que je sache !

— J’espère qu’il le restera longtemps.

Victor tressaillit. C’était étrange d’entendre cette femme bafouée émettre un tel vœu. Elle l’observait avec une attention inquiète.

— Laissez-moi vous narrer l’histoire en son entier, reprit-elle, car je crains que vous doutiez de ma sincérité. Mon plan était simple. J’ai prié Loulou de s’installer chez moi, rue Albouy. Je lui ai fait part de mon dessein, elle a accepté d’y participer. Je me suis assurée que les trois canailles logeaient toujours aux mêmes adresses, puis j’ai écrit à Gaétan : Je suis à Paris, si vous voulez éviter les ennuis exécutez mes directives à la lettre. J’ai signé Angélique.

— Pourquoi Angélique ? Et quelles étaient vos directives ?

—  Il avait la manie d’attribuer des sobriquets de gâteries à ses victimes. Moi, c’était Angélique, les autres : Mirabelle, Chouquette, Clémentine, Cerise, Brugnon, Amandine, un vrai malade ! Loulou avait une silhouette identique à la mienne, seulement elle était blonde, et pour mener à bien mon plan il fallait qu’elle se substitue à moi. Elle s’est teint les cheveux. Nous avons convenu d’une date et d’un rendez-vous en un lieu excentré où Richard Gaétan devait se rendre. Il était indispensable de l’éloigner de chez lui afin que je puisse opérer tranquillement. Loulou interpréterait mon rôle, il n’y verrait que du feu. Tandis qu’elle l’attirait à la rotonde de la Villette, je me suis présentée à son domicile de la rue de Courcelles. J’ai renvoyé le valet de chambre sous un prétexte quelconque, j’ai actionné le mécanisme de son cabinet secret où il serrait sa précieuse collection de poupées et je m’en suis donné à cœur joie.

—  Vous avez tout saccagé ?

— Oui. Ensuite, j’ai tracé un avertissement sur le mur, je voulais qu’il sache d’où venait le coup. Au cas où il porterait plainte, le prénom d’Angélique ne me compromettrait en aucune façon.

—  Que devait lui dire Loulou ?

—  Qu’elle allait révéler qu’il n’avait jamais dessiné les modèles de sa maison de couture, que les créations qui faisaient sa réputation ne lui appartenaient pas. Qu’il serait la risée du Tout-Paris. C’était un jeu, je n’avais nullement l’intention d’aller jusqu’à l’assassinat ! Je suis rentrée rue Albouy et j’ai vainement attendu le retour de Loulou. Le lendemain dans le journal, j’ai lu qu’on avait retrouvé une inconnue étranglée sur le terre-plein de la Villette. J’ai compris et je me suis affolée. Le salaud ! Je suppose que lorsqu’elle l’a traité d’imposteur il a paniqué et l’a tuée, persuadé que c’était moi.

Elle se tamponna les paupières. Victor pesait le pour et le contre. Il voulait la croire, cependant il doutait, entraîné par ses préjugés à l’encontre des femmes qui affichent une attitude trop arrogante. Peut-être était-ce à son physique de brune lascive et à la condescence qu’elle affichait à son égard. Où donc était la clairvoyance qu’il se vantait d’avoir ? La modestie, voilà ce qu’il appréciait chez une femme.

— Il y avait un second individu sur les lieux du crime, répliqua-t-il doucement, un boiteux, je le sais de source sûre.

— Je ne le connais pas, je vous le jure. J’ai souffert, monsieur, et la souffrance peut parfois vous entraîner sur des chemins dangereux, vous devez me croire, je suis étrangère à ces meurtres, on aura eu vent de mes intentions et réalisé ce que pour rien au monde je n’aurais osé projeter.

—  Vous en avez sûrement parlé à quelqu’un.

—  Seule Loulou était au courant, elle est morte avant le baron de La Gournay et Richard Gaétan.

— Alors comment expliquez-vous ces…

—  Mon cahier bleu, mon journal intime, plusieurs personnes ont pu en prendre connaissance à mon insu.

—  Qui ? Avez-vous une idée ?

—  En janvier, la goélette sur laquelle j’avais embarqué a fait naufrage. Un homme m’a réanimée. J’ai séjourné chez lui, j’en garde un souvenir flou. Il est possible qu’il ait lu mon cahier bleu. Les religieuses d’Urville auxquelles il m’a confiée ont refusé de me révéler son nom. Plus tard, je l’ai entrevu à l’Hôtel de l’Arrivée. Il m’a affirmé qu’il était mon sauveur et je l’ai cru. Il était en piteux état, on l’avait assommé devant la porte de ma chambre. Il semblait vouloir me protéger, il m’a incitée à me cloîtrer rue Albouy. Le soir même, Richard Gaétan était assassiné.

« Pourquoi un inconnu rencontré en des circonstances si romanesques se serait-il érigé en justicier ? pensa Victor. Coupable, criminelle ou hypocrite, cette beauté brune qui se livrait à lui avec tant de facilité ? »

—  Qui d’autre parmi votre entourage a pu avoir accès à votre journal intime ? demanda-t-il.

— Peu après mon installation à Paris, j’ai rechuté, une fluxion de poitrine consécutive à mon séjour dans l’eau. J’ai déliré plusieurs jours. Un ami de ma mère s’est rendu à mon chevet.

—  Son nom ?

— Sylvain Bricart.

— Est-ce le seul ?

—  Le médecin aussi, naturellement, et maman, ils sont hors de cause.

—  Une mère est capable de tout pour sauver son enfant.

— Vous êtes fou !

— Vous avez raison, nous nous égarons. Laissons de côté votre journal intime, ce fameux cahier bleu. Hier, vous m’avez suggéré que Thomassin aurait eu grand intérêt à ce que ses associés passent l’arme à gauche.

—  Oui, évidemment, encore aurait-il fallu qu’il connaisse l’existence de Loulou. Or, personne ne l’a identifiée.

—  Ou qu’il ait été au courant de l’acte criminel de Richard Gaétan.

—  Ridicule ! Gaétan se confesser à son maître chanteur ?

— Tiens, encore un détail que vous avez omis de me signaler. Thomassin faisait chanter Gaétan ?

—  Cela tombe sous le sens. Pourquoi croyez-vous que Le Couturier des élégantes continue de tourner après tant d’années ? Alors, monsieur Legris, que décidez-vous ?

— Je dois réfléchir. Je vous contacterai, je vais descendre ici.

Le fiacre s’immobilisa à l’angle du pont de la Concorde.

—  Vous ne désirez pas que je vous raccompagne ?

— Non merci, j’ai envie de me dégourdir les jambes.

Il franchit la Seine en poussant un caillou de la pointe de son soulier.

— Pure invention, murmura-t-il, cette femme m’égare.

Son esprit agile suivait plusieurs pistes, s’embrouillait. Il récita les noms de ceux qui auraient pu avoir accès au journal intime où Sophie Clairsange prétendait avoir consigné son plan farfelu. Il monologuait, s’arrêtait, repartait.

— La mère, Mme Guérin, possible. Sylvain Bricart, possible également. Le bancal : pour quel mobile ? Pourquoi deux signatures : Angélique et Louise ? Je m’y perds. Joseph a raison, refilons le bébé à Lecacheur – Non, trop tôt, reste Thomassin. Est-il compromis ? Est-ce une victime potentielle ? Le rencontrer, vite.

Il s’aperçut qu’il foulait le trottoir de la rue de Rivoli. Il héla un fiacre en maraude.