7

Il y a eu quelques secondes chaotiques. Le loup-garou grognait, Izzy hurlait, et j’avais apparemment laissé tomber le sac rempli d’armes, puisqu’il n’était plus dans mes mains. Si stupide que cela puisse paraître, j’ai quand même attendu une seconde, espérant sentir mon flux magique jaillir depuis mes pieds. Allais-je m’habituer un jour à être une humaine ?

Mes doigts se sont finalement refermés sur la lanière du sac, et, tout en le soulevant, je me suis demandé ce que j’allais faire. Je n’avais jamais tiré. Les paroles de Finley me sont revenues à l’esprit : « Inutile, inutile, inutile. »

J’ai lorgné le couteau d’Izzy, celui avec lequel elle m’avait menacée la veille. Mais tandis que Finley et le loup-garou se battaient à même la terre, Izzy semblait hésiter, réfléchissant à un moyen d’attaquer la créature sans blesser sa sœur. J’ai plongé la main dans le sac, sorti des flacons d’eau bénite et les ai jetés sur le loup-garou.

Seuls quelques flacons se sont brisés. Les autres ont à peine effleuré sa fourrure avant de rouler au sol. Il a tourné son museau baveux vers moi.

J’ai dégluti tandis que Finley reculait.

La veille, j’avais vu une étincelle d’humanité dans les prunelles du loup-garou. Ce soir, sous la pleine lune, il ressemblait davantage à un animal qu’à un humain. Le museau baissé, il m’a humée.

– Oui, ai-je fait, tu sais que je suis plus qu’une humaine ordinaire. Écoute, tu as peur, et ces filles t’ont pourchassé. Mais si tu t’en prends à elles, tu vas donner aux gens plus de raisons de vouloir te tuer. À ta place, je filerais.

Le loup-garou m’a considérée, et après un instant, j’ai cru qu’on allait tous s’en sortir indemnes. Puis il a découvert les crocs, un grondement sourd s’est échappé de son poitrail, et j’ai compris que j’étais fichue.

Du coin de l’œil, j’ai vu Finley armer une arbalète. Je connaissais la rapidité des loups-garous : il serait sur moi avant qu’elle n’ait le temps de tirer. J’ai vu un éclat lumineux. Un instant, j’ai pensé qu’Izzy avait fait feu. Puis ma main s’est levée, mes doigts ont remué, et le loup-garou s’est figé, prisonnier d’un filet magique scintillant.

Merci de venir à la rescousse, Elodie, mais s’il te plaît, tu dois arrêter de débarquer sans prévenir.

Elle n’a rien répondu, mais j’ai senti mes pouvoirs augmenter. J’ai regardé mes doigts s’animer et les étincelles bleues du sortilège qui retenait le loup captif. Soudain, il a disparu.

Il est où ? ai-je demandé à Elodie. Dans une autre dimension, a-t-elle répliqué. J’ai fait volte-face vers les filles Brannick.

– Laissez Sophie tranquille, me suis-je entendue dire.

Finley et Izzy ont échangé un regard.

– Pourquoi tu parles de toi à la troisième personne ? a questionné Izzy.

Finley a secoué la tête.

– Ce n’est pas Sophie, Iz. Tu te souviens de ce qu’elle nous a dit ? Elle a des pouvoirs magiques quand un fantôme la possède. Ça doit être le fantôme.

Ma tête a acquiescé. Mes lèvres ont remué.

– Je suis Elodie. Sophie n’est pas la fille que je préfère, mais elle a eu beaucoup d’ennuis. Ce n’est pas sa faute si votre clan stupide a chassé Aislinn et s’est fait exterminer.

Mon doigt s’est pointé sur Finley.

– Alors va faire ta crise d’adolescence ailleurs, et laisse-la respirer.

Je n’en revenais pas. Elodie Parris prenant ma défense ? Après tout, les poules avaient peut-être des dents.

Finley a plissé les yeux, mais Izzy a déclaré :

– Elle t’a sauvé la vie, Finn. Avant d’être possédée par le fantôme, elle s’est battue avec le loup-garou alors qu’elle n’avait ni ses pouvoirs ni l’expérience. Cette Elodie n’a pas l’air sympa, mais elle a peut-être raison.

Tu vois ? a fait Elodie. Je sais m’y prendre avec ce genre de filles.

Je n’ai pas besoin que tu t’en charges à ma place, ai-je rétorqué.

Oui, bien sûr, a-t-elle raillé. Tu avais vraiment réussi à dompter le loup-garou. Puis elle s’est volatilisée sans me laisser le temps de lui renvoyer une pique. J’avais perdu connaissance la dernière fois qu’elle était partie, ce qui était bien. Parce qu’avoir un fantôme à l’intérieur de soi qui disparaît d’un coup, c’est traumatisant.

Je suis tombée à quatre pattes, effondrée. Puis j’ai senti une main glisser sous mon bras. Izzy m’aidait à me relever. Finley s’est emparée de mon autre bras et j’ai réussi à me hisser sur mes pieds.

– Merci, ai-je marmonné.

À mon étonnement, Finley a répondu :

– Pas de problème.

Et Izzy a ajouté :

– Ramenons-la à la maison.

Nous avons marché à travers la nuit.

– Tu sais où elle a envoyé le loup-garou ? a questionné Izzy.

– Elle a dit : « Dans une autre dimension », c’est vague.

À notre arrivée, attablées à l’intérieur de la cuisine, ma mère et Aislinn buvaient du café, et d’après la tension qui régnait, nous venions d’interrompre un sujet sensible. Pendant que Finley ouvrait les placards à la recherche d’un désinfectant pour nettoyer les griffures de son bras, j’ai raconté à Aislinn ce qui s’était passé.

– Pouvoir envoyer des créatures dans une autre dimension est un sortilège intéressant, a-t-elle commenté.

– Ce n’est pas moi qui en suis capable, c’est Elodie, ai-je rectifié. Et elle n’est pas fiable.

Aislinn s’est rencognée sur son siège.

– Ça vaut peut-être mieux que tu n’en sois pas capable.

– Très bien, ça suffit pour ce soir, a décrété ma mère. Sophie a besoin de se reposer, ainsi que Finley et Izzy. D’ailleurs, où est-elle ?

Finley a grimacé en protégeant son bras d’une bande de tissu.

– Elle est déjà montée, je crois, a-t-elle répondu.

Nous nous sommes souhaité une bonne nuit, mettant un terme aux vingt-quatre heures les plus étranges de ma vie. Aislinn m’a autorisée à garder la même chambre, et après avoir embrassé ma mère, laquelle avait apparemment décidé de terminer sa conversation avec sa sœur, je me suis dirigée vers l’escalier faiblement éclairé.

Izzy m’attendait devant ma porte, un dossier à la main.

– Écoute, ai-je dit, je suis vraiment crevée. Si tu veux me parler, ce serait peut-être mieux de remettre ça à…

– Tiens, a-t-elle fait en me donnant le dossier. Je voulais simplement te remercier d’avoir sauvé Finley et de… je ne sais pas. D’être aussi gentille avec nous.

Je lui ai souri, et durant un moment, nous avons effectué une danse un peu gauche, hésitant à nous étreindre. À mon soulagement, la maladresse était donc un trait de famille. Pour finir, nous nous sommes tapoté l’épaule avant de regagner nos chambres.

Je me suis appuyée à la porte en ouvrant le dossier. J’ai bien fait car dès que j’en ai aperçu le contenu, mes jambes ont flanché. J’ai glissé le long du battant, portant une main à ma bouche tandis que les larmes me montaient aux yeux.

Le dossier ne contenait que deux choses. Un cliché en couleur plutôt flou, provenant sans soute d’un système de vidéosurveillance, et un bout de papier sur lequel figuraient quelques lignes tapées. La photo représentait un vampire que je connaissais bien : Lord Byron. Oui, le poète. Il avait enseigné à Hex Hall. Après son départ, je l’avais repéré dans une boîte de nuit londonienne. Et là, il flânait, d’un air renfrogné. Mais il n’était pas seul.

Jenna marchait à ses côtés, regardant nerveusement par-dessus son épaule. Elle était amaigrie et encore plus pâle que d’habitude, si tant est que ce soit possible. Sa mèche rose vif attestait qu’il s’agissait bien d’elle. J’ai caressé son image avant de jeter un œil sur le bout de papier.

Un nouveau vampire a rejoint le nid de Lord Byron. Sexe féminin, âge à déterminer (peut-être Jennifer Talbot).

D’après la date inscrite et en prenant en compte ces trois semaines que j’avais ratées, la photo avait été prise il y a moins d’une semaine.

Jenna était saine et sauve. Elle était avec Lord Byron, lequel, bien que peu sympathique, prendrait soin d’elle.

Les paupières closes, j’ai pressé le cliché contre ma poitrine. Si Jenna était en vie, alors mon père, Cal et Archer l’étaient peut-être aussi.