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Je n’oublierai jamais le premier médecin qui a eu le courage de nous annoncer que Mathieu était définitivement anormal. Il s’appelait le professeur Fontaine, c’était à Lille. Il nous a dit qu’il ne fallait pas nous faire d’illusions. Mathieu était en retard, il serait toujours en retard, de toute façon il n’y avait rien à faire, il était handicapé, physiquement et mentalement.
Cette nuit-là, on n’a pas très bien dormi. Je me souviens d’avoir fait des cauchemars.
Jusqu’alors, les diagnostics étaient restés flous. Mathieu était en retard, on nous avait dit que c’était seulement physique, il n’avait pas de problème mental.
Beaucoup de parents et d’amis essayaient, souvent maladroitement, de nous rassurer. Chaque fois qu’ils le voyaient, ils se disaient étonnés des progrès qu’il faisait. Je me rappelle un jour leur avoir dit que moi, j’étais étonné des progrès qu’il ne faisait pas. Je regardais les enfants des autres.
Mathieu était mou. Il n’arrivait pas à tenir sa tête droite, comme si son cou était en caoutchouc. Tandis que les enfants des autres se redressaient, arrogants, pour réclamer à manger, Mathieu restait allongé. Il n’avait jamais faim, il fallait une patience d’ange pour le faire manger, et souvent il vomissait sur l’ange.