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Thomas a des lunettes, des petites lunettes rouges, elles lui vont très bien. Avec sa salopette, il a l’air d’un étudiant américain, il est charmant.
Je ne me souviens plus comment on s’est aperçus qu’il ne voyait pas bien. Maintenant, avec ses lunettes, tout ce qu’il regarde doit être net, Snoopy, ses dessins… J’ai eu un moment l’incroyable naïveté de penser qu’il allait pouvoir enfin lire. J’allais lui acheter d’abord des bandes dessinées, ensuite des romans de la collection « Signe de Piste », puis Alexandre Dumas, Jules Verne, Le Grand Meaulnes et, pourquoi pas, après, Proust.
Non, il ne pourra jamais lire. Même si les lettres sur les pages sont devenues nettes, ça restera toujours flou dans sa tête. Il ne saura jamais que toutes ces petites pattes de mouche qui couvrent les pages des livres nous racontent des histoires et ont le pouvoir de nous transporter ailleurs. Il est devant elles comme moi devant des hiéroglyphes.
Il doit croire que ce sont des dessins, des tout petits dessins qui ne représentent rien. Ou alors il pense que ce sont des files de fourmis et il les regarde, étonné qu’elles ne se sauvent pas quand il avance la main pour les écraser.