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Un père d’enfant handicapé doit avoir une tête d’enterrement. Il doit porter sa croix, avec un masque de douleur. Pas question de mettre un nez rouge pour faire rire. Il n’a plus le droit de rire, ce serait du plus parfait mauvais goût. Quand il a deux enfants handicapés, c’est multiplié par deux, il doit avoir l’air deux fois plus malheureux.
Quand on n’a pas eu de chance, il faut avoir le physique de l’emploi, prendre l’air malheureux, c’est une question de savoir-vivre.
J’ai souvent manqué de savoir-vivre. Je me souviens, un jour, d’avoir demandé un entretien au médecin chef de l’institut médico-pédagogique où Mathieu et Thomas étaient placés. Je lui ai fait part de mes inquiétudes : je me demandais parfois si Thomas et Mathieu étaient totalement normaux…
Il n’a pas trouvé ça drôle.
Il avait raison, ce n’était pas drôle. Il n’avait pas compris que c’était la seule façon que j’avais trouvée de garder la tête hors de l’eau.
Comme Cyrano de Bergerac qui choisissait de se moquer lui-même de son nez, je me moque moi-même de mes enfants. C’est mon privilège de père.