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Cher papa,

 

À l’occasion de la fête des Pères, on voulait t’écrire une lettre. La voici.

On ne te félicite pas pour ce que tu as fait : regarde-nous. C’était si difficile de faire des enfants comme tout le monde ? Quand on sait le nombre d’enfants normaux qui naissent tous les jours et qu’on voit la tête de certains parents, on se dit que ça ne doit pas être bien sorcier.

On ne te demandait pas de faire des petits génies, seulement des normaux. Une fois encore, tu n’as pas voulu faire comme les autres, tu as gagné, et nous on a perdu. Tu crois que c’est marrant d’être handicapé ? On a quelques avantages. On a échappé à l’école, pas de devoirs, pas de leçons, pas d’examens, pas de punitions. En revanche, pas de récompenses, on a loupé pas mal de choses.

Peut-être que Mathieu aurait aimé faire du football. Tu le vois sur un terrain, tout fragile au milieu d’une bande de grosses brutes ? Il n’en serait pas sorti vivant.

Moi, j’aurais bien aimé être chercheur en biologie. Impossible avec la paille que j’ai dans la tête.

Tu crois que c’est marrant de passer sa vie avec des handicapés ? Il y en a des pas faciles, qui crient tout le temps et nous empêchent de dormir, et des méchants qui mordent.

Comme on n’est pas rancuniers et qu’on t’aime bien quand même, on te souhaite une bonne fête des Pères.

Tu trouveras derrière la lettre un dessin que j’ai fait pour toi. Mathieu, qui ne sait pas dessiner, t’embrasse.