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Il paraît qu’on va se retrouver un jour, tous les trois.
Est-ce qu’on va se reconnaître ? Comment vous serez ? Comment vous serez habillés ? Je vous ai toujours connus en salopette, peut-être que vous serez en costume trois-pièces, ou en aube blanche comme les anges ? Peut-être que vous aurez une moustache ou une barbe, pour faire sérieux ? Est-ce que vous aurez changé, est-ce que vous aurez grandi ?
Est-ce que vous allez me reconnaître ? Je risque d’arriver en très mauvais état.
Je n’oserai pas vous demander si vous êtes toujours handicapés… Est-ce que ça existe les handicapés, au Ciel ? Peut-être que vous serez devenus comme les autres ?
Est-ce qu’on va pouvoir enfin se parler d’homme à homme, se dire des choses essentielles, des choses que je n’ai pas pu vous dire sur Terre parce que vous ne compreniez pas le français et que moi, je ne parlais pas le lutin ?
Au Ciel, on va peut-être enfin se comprendre. Et puis, surtout, on va retrouver votre grand-père. Celui dont je n’ai jamais pu vous parler, et que vous n’avez jamais connu. Vous allez voir, c’était un personnage étonnant, il va certainement vous plaire et vous faire rire.
Il va nous emmener faire des virées dans sa traction, il va vous faire boire, là-haut on doit boire de l’hydromel.
Il va rouler vite avec sa voiture, très vite, trop vite. On n’a pas peur.
On n’a rien à craindre, on est déjà morts.