CHAPITRE VII
 
Monsieur André fait son apparition

 

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Ils s'assirent autour de la table chargée de bonnes choses : un pâté en croûte, un jambon, de la salade, des pommes de terre en robe de chambre. Que tout cela était appétissant !

« Nous allons commencer par le pâté, dit Mme André, puis ce sera le tour du jambon. Dans une ferme, la nourriture est très simple, mais tout est de bonne qualité. »

Le dessert se composait de prunes et de tartes à la confiture sur lesquelles on pouvait verser une crème épaisse et délicieuse.

« Je n'ai jamais fait un aussi bon repas, déclara Annie quand elle fut rassasiée. Je voudrais bien manger un peu plus, mais impossible. Vous nous avez gâtés, madame André.

— C'était formidable ! » approuva Michel. C'était son adjectif favori. « Absolument formidable ! »

« Ouah ! Ouah ! » dit Dagobert à son tour.

Mme André lui avait rempli une assiette avec des os, du pain et de la sauce et il n'en avait pas laissé une miette. Une bonne sieste au soleil et son bonheur serait complet. Les enfants éprouvaient le même désir. Mme André leur donna un morceau de chocolat à chacun et les envoya dehors.

« Allez vous reposer, dit-elle. Vous bavarderez avec Jacquot ; il n'a pas assez de compagnons de son âge pendant les vacances. Vous reviendrez goûter avec lui.

— Oh ! merci », s'écrièrent les enfants. Sûrement ils seraient incapables d'avaler une bouchée, mais ils acceptaient l'invitation pour prolonger leur séjour à la ferme.

« Est-ce que nous pourrons prendre un des petits chiens ? demanda Annie.

— Si Diane le permet, dit Mme André qui débarrassait la table, et si Dagobert promet de ne pas le dévorer.

— Oh ! non, Dagobert est trop bien élevé, répliqua Claude. Va chercher le petit chien, Annie ; pendant ce temps nous choisirons une place agréable au soleil. »

Annie alla chercher le chiot. Diane lui fit confiance et ne s'y opposa pas. Le petit animal serré contre sa poitrine, elle alla rejoindre les autres, déjà installés au soleil contre une meule de foin.

« Vos hommes prennent leur temps pour déjeuner », dit François en remarquant que les champs étaient déserts.

Jacquot poussa une exclamation de mépris.

« Ils sont fainéants comme des loirs. À la place de mon beau-père, je les mettrais tous à la porte. Maman lui dit bien qu'ils ne font rien, mais il se contente de hausser les épaules. Moi, ça ne me regarde pas, ce n'est pas moi qui les paie. Si je les payais, je les renverrais.

— Interrogeons Jacquot sur les trains fantômes, dit Claude en caressant Dagobert.

— Des trains fantômes, qu'est-ce que c'est que ça ? demanda Jacquot les yeux écarquillés par la surprise. C'est la première fois que j'entends parler d'une chose pareille.

— Vraiment ? demanda Michel. Pourtant tu n'habites pas très loin d'eux, Jacquot !

— Racontez-moi ça, dit Jacquot. Des trains fantômes ? Je ne savais pas que ça existait.

— Je vais te dire ce que nous avons découvert, reprit François. Nous espérions que tu pourrais nous renseigner, car nous ne savons pas grand-chose. »

Il raconta à Jacquot leur visite à la gare déserte et répéta les paroles de Thomas à la jambe de bois. Jacquot l'écouta avec un étonnement croissant.

« Que j'aurais voulu être avec vous ! Descendons là-bas ensemble, voulez-vous, cria-t-il. En voilà une histoire. Figurez-vous que je n'ai jamais eu une seule aventure de toute ma vie, pas même une petite. Et vous ? »

Les quatre enfants échangèrent un regard, et Dagobert adressa à Claude un jappement de complicité.

Des aventures ! Ils savaient ce que c'était ; ils en avaient l'expérience.

« Oui, nous avons eu des aventures, des formidables, dit Michel. Nous avons été emprisonnés dans des cachots ; nous nous sommes perdus dans des souterrains ; nous avons trouvé des passages secrets ; nous avons cherché des trésors. Je ne peux pas te raconter tout, ce serait trop long.

— Pas possible ? s'écria Jacquot sidéré. C'est vrai, il vous est arrivé tout cela ? À la petite Annie aussi ?

— Oui, tous, dit Claude, et Dagobert aussi. Il nous a sauvés je ne sais combien de fois de dangers épouvantables, n'est-ce pas, Dago ? »

« Ouah, ouah », dit Dagobert, et il frappa sa queue contre la meule.

Les enfants se mirent à raconter à Jacquot les péripéties des vacances précédentes ; il les écoutait bouche bée, et, aux endroits les plus dramatiques du récit, il perdait la respiration.

« Sapristi ! dit-il enfin ; je n'ai jamais rien entendu d'aussi palpitant. Quels veinards vous êtes! Il vous arrive tout le temps des choses extraordinaires. Et pendant ces vacances, croyez-vous que vous en aurez une ? »

François se mit à rire.

« Non. Que pourrait-il se passer sur ce plateau désert ? Tu vois, toi, tu habites ici depuis longtemps et il ne t'est jamais rien arrivé !

— C'est vrai, soupira Jacquot, jamais. » Mais brusquement ses yeux brillèrent.

« Ces trains fantômes, dont vous parlez, c'est peut-être bien le début d'une histoire formidable ?

— Oh ! non, je n'y tiens pas du tout, protesta Annie d'une voix horrifiée. Des trains fantômes, ce doit être affreux.

— J'aimerais vous accompagner dans cette vieille gare et voir Thomas à la jambe de bois, dit Jacquot. Le vieux me jetterait peut-être des cailloux. Promettez-moi de m'emmener la prochaine fois que vous irez.

— Nous n'avons pas l'intention d'y retourner, répliqua François. L'histoire n'a ni queue ni tête. Le bonhomme est devenu complètement fou d'être toujours dans cette gare déserte. Il croit entendre les trains qui passaient autrefois quand le tunnel servait encore.

— Mais le berger a dit la même chose que Thomas, remarqua Jacquot. Allons là-bas une nuit, nous verrons bien s'il y a des trains fantômes.

— Non, s'écria Annie horrifiée.

— Tu n'aurais pas besoin de venir, dit Jacquot, simplement les garçons, nous trois.

— Et moi, dit Claude immédiatement. Je suis aussi courageuse qu'un garçon et je ne veux pas rester à l'écart. Dagobert viendra aussi.

— Oh ! je vous en prie, ne faites pas ces affreux projets, supplia la pauvre Annie. Ça finira par une catastrophe ! »

Mais les autres ne l'écoutaient pas. Jacquot était rouge et surexcité. Son ardeur se communiqua à François.

« Eh bien, acquiesça-t-il, si nous décidons d'aller là-bas pour guetter les trains fantômes, nous t'emmènerons avec nous. »

Jacquot était radieux.

« Ça c'est chic, dit-il. Merci beaucoup. Des trains fantômes ! Comme je voudrais en voir un ! Qui les conduit ? D'où viennent-ils ?

— Ils sortent du tunnel à ce que prétend Thomas, expliqua Michel, mais seul leur bruit indique leur présence, parce que, paraît-il les trains fantômes ne passent qu'en pleine nuit  ; Jamais le jour ! Nous ne verrions pas grand-chose si nous étions là-bas. »

Ce sujet passionnait Jacquot et il y revenait sans cesse. Annie qui, au contraire, le trouvait très ennuyeux, finit par s'endormir, le petit chien dans ses bras. Dagobert se pelotonna auprès de Claude et s'offrit une bonne sieste. Il aurait préféré une promenade, mais il comprit que ses amis se trouvaient bien où ils étaient et se résigna à l'immobilité.

Le temps passa rapidement et l'heure du goûter arriva. En entendant la cloche, Jacquot sursauta.

« Le goûter ! Je ne croyais pas qu'il était si tard. J'ai passé une journée épatante. Ecoutez, si vous ne vous décidez pas à aller à la chasse aux trains fantômes, je crois que j'irai seul. Si je pouvais avoir une aventure dans le genre des vôtres, je serais si heureux. »

Ils retournèrent à la ferme après avoir eu quelque peine à réveiller Annie ; la fillette rapporta le petit chien à Diane qui le reçut avec des transports de joie et se mit en devoir de lui faire une toilette soignée.

François fut surpris de constater qu'il avait faim.

« J'étais pourtant bien certain de ne pas pouvoir avaler une bouchée d'ici la fin de la semaine, dit-il en s'asseyant à table. Quel bon goûter, madame André ! »

On aurait mangé sans appétit, rien que par gourmandise. Tout était si tentant : la brioche faite à la maison, les tartines de beurre, le fromage à la crème, le pain d'épices qui sortait du four, la grande tarte aux prunes.

« Que je regrette d'avoir été si gloutonne à midi, soupira Annie. Je pourrai à peine avaler un petit morceau de ces bons gâteaux. Quel dommage! »

Mme André se mit à rire.

« Vous emporterez ce qui vous fera envie. Du fromage à la crème, de la brioche, du miel, une grosse miche et aussi du pain d'épices ; j'en ai fait une quantité.

— Oh ! merci, dit François. Demain nous ne risquerons pas de mourir de faim ; vous êtes une cuisinière merveilleuse, madame André ; je voudrais bien habiter votre ferme. »

Soudain le ronronnement d'un moteur se fit entendre, et Mme André leva la tête.

« C'est M. André qui revient, dit-elle. Mon mari, le beau-père de Jacquot. »

François eut l'impression qu'elle était inquiète. Peut-être M. André n'aimait-il pas les enfants et ne serait-il pas content de trouver la maison pleine à son retour.

« Nous allons partir, madame André, dit-il poliment. M. André est sans doute fatigué de sa journée ; il désirera se reposer et nous sommes si nombreux… »

La mère de Jacquot secoua la tête.

« Non, restez, je lui servirai du café dans une autre pièce, s'il préfère. »

M. André entra. Il n'était pas du tout tel qu'Annie et les autres l'avaient imaginé. C'était un petit homme brun, sans personnalité, avec un nez beaucoup trop grand pour son visage. Il paraissait las et de mauvaise humeur et s'arrêta net à la vue des cinq enfants.

« Bonsoir, dit Mme André. Jacquot a invité ses petits amis aujourd'hui. Veux-tu que je te serve un peu de café dans ta chambre ? Ce sera facile.

— Si ça ne te dérange pas trop, répondit M. André avec un sourire mi-figue mi-raisin ; j'ai eu une journée harassante et je n'ai pour ainsi dire pas déjeuné.

— Je t'apporterai du jambon et de la tarte, promit sa femme, c'est l'affaire d'une minute. »

M. André sortit. Annie n'en revenait pas qu'il fût si petit et eût l'air si stupide ; elle l'avait imaginé grand, les épaules carrées, avec l'assurance des brasseurs d'affaires  ; mais sûrement ses dehors modestes cachaient une vive intelligence puisqu'il gagnait tant d'argent et achetait de si belles machines pour la ferme.

Mme André s'affaira et prépara un plateau avec un napperon d'une blancheur de neige.

M. André monta dans la salle de bains et on entendit couler l'eau ; puis il descendit et s'arrêta sur le seuil de la porte.

« Mon café est prêt ? demanda-t-il. Eh bien, Jacquot tu as passé une bonne journée ?

— Epatante », répondit Jacquot, tandis que son beau-père prenait le plateau des mains de Mme André et se retournait pour partir. « Ce matin, nous avons visité toute la ferme et cet après-midi nous avons parlé pendant des heures. Dis donc, papa, tu savais qu'il y avait des trains fantômes ? »

M. André, qui s'éloignait déjà, fit brusquement demi-tour.

« Des trains fantômes ? Qu'est-ce que tu racontes ?

— François m'a raconté qu'il y a une gare abandonnée assez loin d'ici et un tunnel d'où sortent des trains fantômes la nuit, dit Jacquot. Tu ne le savais pas ? »

M. André restait immobile, les yeux fixés sur son beau-fils, l'air consterné et indigné, puis il revint dans la salle à manger et ferma la porte d'un coup de pied.

« Je boirai mon café ici, déclara-t-il. Ah ! quelqu'un a eu la langue trop longue et a révélé l'existence des trains fantômes ! J'ai eu bien soin de ne pas en parler à ta mère ni à toi, Jacquot, j'avais peur de vous effrayer.

— Cristi! s'écria Michel, c'est donc vrai! C'est impossible…

— Dites-moi ce que vous avez appris et qui a bavardé, les gosses », ordonna M. André en posant son plateau sur la table et en s'asseyant. « N'oubliez aucun détail. Je veux tout savoir. »

François eut une hésitation. « Oh ! il n'y a pas grand-chose à dire, monsieur, c'est si stupide.

— Racontez-moi tout, insista M. André d'un accent impérieux. Après, moi je parlerai, et je puis déjà vous assurer que vous ne remettrez plus les pieds dans cette gare, je vous en donne ma parole. »

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« Racontez-moi tout », insista M. André.