CHAPITRE XVII
Nouvelles surprises
Que faisaient pendant ce temps les trois garçons engagés dans le tunnel ? Ils cheminaient lentement, cherchant sur les voies les traces du passage récent d'un train. Mais l'herbe ne poussait pas dans le tunnel sombre et sans air, et les indices manquaient.
Pourtant quand ils furent à mi-chemin, François remarqua un détail intéressant.
« Regardez, dit-il en promenant autour de lui le rayon de sa lampe électrique, derrière nous, les rails sont noirs et rouillés, mais en voici qui brillent comme s'ils servaient. »
Il ne se trompait pas. Derrière eux, les rails, tordus par endroits, avaient perdu tout éclat, mais devant eux, les rails qui conduisaient à la gare du Grand Chêne paraissaient soigneusement entretenus.
« Bizarre, approuva Michel ; on dirait que le train fantôme ne va que d'ici à la gare du Grand Chêne. Pourquoi ? Et où diable est-il maintenant ? S'est-il évaporé ? »
François était aussi intrigué que Michel. Où pouvait être le train sinon dans le tunnel ? Evidemment, il était arrivé au milieu, puis s'était arrêté, mais où était-il passé à présent ?
« Allons jusqu'au bout du tunnel pour voir si les rails sont brillants tout le long du chemin, dit François. Nous ne découvrirons rien ici, à moins que le train n'apparaisse brusquement devant nos yeux. »
Ils se mirent à marcher en s'éclairant de leurs lampes électriques ; et comme ils parlaient avec animation, ils ne virent pas quatre hommes tapis dans une petite niche obscure.
« Moi, dit François, je crois… »
Soudain il s'interrompit ; quatre silhouettes noires s'élançaient sur les garçons et s'emparaient d'eux. François poussa un cri et se débattit, mais ne put échapper à la poigne solide qui le tenait ; les lampes électriques furent jetées à terre : celle de François se cassa. Les deux autres restèrent allumées et projetaient une faible clarté au ras du sol.
En quelques secondes, les jeunes garçons furent hors de combat et eurent les bras derrière le dos. François essaya de se défendre à coups de pied, mais l'homme qui le tenait lui tordit le bras si fort qu'il gémit et renonça à lutter.
« Qu'est-ce que ça veut dire ? demanda Michel. Qui êtes-vous et qu'est-ce que c'est que cette histoire ? Nous explorons un vieux tunnel. Est-ce un crime ?
— Emmenez-les, dit une voix que tout le monde reconnut aussitôt.
— Monsieur André, c'est vous ! cria François, libérez-nous, vous nous connaissez. Nous sommes les campeurs, et Jacquot est ici aussi. Pourquoi nous traitez-vous ainsi ? »
M. André ne répondit pas, mais il gifla si fort son beau-fils que Jacquot chancela et ne reprit qu'avec peine son équilibre.
Les quatre hommes firent faire demi-tour à leurs captifs et les entraînèrent sans ménagement dans l'obscurité, car ils n'avaient pas pris la peine de ramasser les lampes électriques ; les trois garçons trébuchaient à chaque instant, mais les autres marchaient d'un pas assuré.
Au bout d'un moment, ils firent halte. M. André les quitta et François l'entendit s'éloigner vers la gauche ; puis on entendit un singulier grincement. Que signifiait cela ? François écarquilla les yeux, mais ne put percer les ténèbres. Il ne savait pas que M. André ouvrait le mur comme tout à l'heure pour faire passer le train ; il ne savait pas que ses compagnons et lui étaient poussés dans le second tunnel. Les trois garçons se laissaient entraîner sans oser protester.
François poussa un cri et se débattit…
Maintenant ils se trouvaient dans l'étrange cachette entre les deux murs. C'était là que le train fantôme était arrêté ; là aussi que Claude se dissimulait dans un des fourgons avec Dagobert sans que personne soupçonnât sa présence. M. André lui-même ignorait qu'une fillette et un chien étaient témoins de la scène. Il prit une lampe électrique et en promena le rayon sur le visage des trois garçons qui, malgré leur fière attitude, ne pouvaient s'empêcher d'avoir peur. L'attaque avait été si imprévue, l'atmosphère était si lugubre.
« On vous avait dit de vous tenir loin de cette gare, déclara une voix ; on vous avait dit que c'était un endroit dangereux, et c'est vrai. Vous n'avez pas obéi et vous en serez punis ; nous allons vous ligoter et vous resterez là jusqu'à ce que nous ayons terminé notre travail. Peut-être trois jours, peut-être trois semaines.
— Vous ne pouvez pas nous garder prisonniers aussi longtemps, cria François, on nous cherchera partout et on nous trouvera sûrement.
— Bien sûr que non, dit la voix ; personne ne vous découvrira ici. Allons, Pierre, ligote-les. »
Pierre exécuta consciencieusement sa besogne ; les jeunes garçons, jambes et bras liés, furent adossés à un mur. François protesta de nouveau.
« Pourquoi nous traitez-vous ainsi ? Nous n'avons rien fait de mal et nous ne nous occupons pas de vos affaires.
— Nous ne voulons courir aucun risque. »
Ce n'était pas M. André qui prononçait ces mots, mais une voix ferme et énergique qui vibrait de contrariété.
« Et maman ? dit brusquement Jacquot à son beau-père ; elle sera inquiète.
— Tant pis pour elle », reprit la voix sans laisser à M. André le temps de répondre. « C'est ta faute. Tu as été averti. »
Les quatre hommes s'éloignèrent, et le grincement, qui avait si fort intrigué les captifs, se fit de nouveau entendre. L'ouverture du mur se refermait, mais les jeunes garçons ne le savaient pas ; ils ignoraient où ils étaient. Puis tous les sons cessèrent et firent place à un silence de mort. Il faisait noir comme dans un four. Au bout d'un moment, François, Michel et Jacquot, sûrs d'être seuls, se mirent à parler.
« Quelles brutes ! Qu'est-ce qu'ils manigancent donc ? » dit François à voix basse en s'efforçant de desserrer les cordes qui entouraient ses poignets.
« Ils ont un secret à cacher, remarqua Michel. Zut ! Ils n'y sont pas allés de main morte pour garrotter mes chevilles, la corde entre dans ma chair.
— Qu'allons-nous devenir ? » gémit Jacquot.
Il voyait maintenant le mauvais côté des aventures. « Chut ! dit brusquement François, j'entends du bruit. » Tous tendirent l'oreille.
« C'est un chien qui gémi », dit Michel.
En effet, Dagobert, caché dans le fourgon à côté de Claude, avait entendu la voix de ses amis et voulait les rejoindre, mais Claude, qui n'était pas encore sûre que les hommes fussent partis, le retenait par le collier. Elle se réjouissait à l'idée de ne plus être seule ; les trois garçons, Annie peut-être aussi, étaient venus la rejoindre. Les garçons, qui écoutaient attentivement, entendirent la même plainte. Claude lâcha enfin le collier et Dagobert sauta du fourgon. Il courut droit aux garçons dans l'obscurité et François sentit une langue mouillée sur son visage. Un corps chaud se pressa contre lui et un jappement familier fut pour lui la plus douce musique.
« Dagobert ! Ça alors ! Michel, c'est Dagobert, s'écria François transporté de joie. D'où vient-il ? Dagobert, c'est bien toi ? »
« Ouah », répondit Dagobert, et il laissa François pour couvrir de caresses Michel et Jacquot.
« Où est donc Claude ? dit Michel,
— Ici », cria une voix.
Claude sauta du fourgon, alluma sa lampe électrique et courut auprès des garçons.
« Que s'est-il passé ? Comment vous trouvez-vous ici? Vous êtes prisonniers ?
— Oui, dit François. Claude, sais-tu où nous sommes ? Je me demande si ce n'est pas un cauchemar.
— Je vais d'abord couper vos cordes, puis je vous expliquerai tout. »
Elle tira son canif de sa poche. Quelques minutes plus tard, elle avait coupé les liens et les garçons se frottaient les chevilles et les poignets.
« Merci, Claude. Quelle chance que tu sois là, dit François en se levant. Où sommes-nous ? Mon Dieu, il y a une locomotive ici… Que fait-elle ?
— C'est le train fantôme, répliqua Claude en riant.
— Mais nous avons parcouru tout le tunnel d'un bout à l'autre sans le trouver, dit François intrigué. Quel mystère !
— Écoute, François, dit Claude. Tu as vu le mur qui bloque le second tunnel, n'est-ce pas? Eh bien, il y a une espèce de porte ; c'est comme si l'on disait : « Sésame, ouvre-toi ! » Un pan de mur pivote pour laisser passer le train, puis l'ouverture se referme derrière lui. »
Avec sa lampe électrique, Claude montra aux garçons étonnés le mur qui leur avait livré passage ; puis elle éclaira le côté opposé.
« Vous voyez, dit-elle, il y a deux murs dans ce second tunnel, avec un grand espace entre les deux, et c'est là que le train fantôme se cache. C'est rudement malin, n'est-ce pas ?
— À moins que ce ne soit complètement idiot, dit François. À quoi cela sert-il ? Qui peut bien venir s'amuser avec ce vieux train en pleine nuit ?
— C'est ce qu'il faut découvrir, affirma Claude, et c'est maintenant ou jamais. François regarde ces caves qui s'étendent des deux côtés du tunnel ; on pourrait en cacher des choses là-dedans.
— Quelles choses et pourquoi ? demanda Michel. Tout cela n'a ni queue ni tête. »
Claude promena sur les trois garçons le rayon de sa lampe et posa brusquement une question :
« Où est donc Annie ?
— Elle n'a pas voulu venir avec nous dans le tunnel et elle est passée par le plateau pour nous retrouver à la gare du Grand Chêne, expliqua François. Le temps doit lui paraître long. J'espère qu'elle ne viendra pas à notre rencontre dans le tunnel. M. André et ses compagnons y sont encore. »
L'idée était inquiétante. Pauvre Annie ! Comme elle aurait peur si quatre hommes bondissaient sur elle dans l'obscurité. François se tourna vers Claude.
« Éclaire-nous pour que nous examinions ces caves. Je crois qu'il n'y a plus personne maintenant. Nous pouvons faire une tournée d'inspection. »
Claude obéit, et François constata que des caves immenses avaient été creusées de chaque côté du tunnel. Jacquot fit, lui, une autre découverte. Il aperçut un bouton de métal sur le mur. Était-ce celui qui commandait l'ouverture du mur? Il appuya dessus ; immédiatement tout le tunnel fut inondé de lumière. Surpris par cette brusque clarté, les enfants fermèrent un instant les yeux.
« C'est mieux, dit François avec satisfaction. Un bon point pour toi, Jacquot. Maintenant, au moins, nous verrons ce que nous faisons. »
Il inspecta le train fantôme immobile sur les rails ; c'était vraiment un très vieux train qui aurait bien gagné d'être à la retraite.
« Il serait plus à sa place dans un musée, déclara François ; c'est donc toi que nous avons entendu l'autre nuit. Tu peux te vanter de nous avoir bien intrigués.
— J'étais cachée dans ce fourgon », dit Claude, et elle raconta ses aventures.
Les garçons l'écoutèrent, ébahis par l'étrange concours de circonstances qui avait amené la fillette dans ce lieu secret.
« Venez. Explorons ces caves », dit François.
Ils entrèrent dans la plus proche ; elle était pleine de corbeilles et de caisses de toutes tailles. François en ouvrit une et siffla.
« Mon Dieu ! Regardez-moi ça. Des fromages, du beurre, des œufs. Toutes sortes de denrées. Il y en a pour de l'argent ! »
Les garçons pénétrèrent un peu plus avant dans les caves ; elles étaient pleines à craquer de marchandises qui représentaient une fortune.
« M. André et ses amis sont des voleurs qui pillent la région, déclara Michel. Mais que font-ils de leur butin ? Ils ne peuvent le laisser ici éternellement ; comment l'écoulent-ils ?
— Ils ont peut-être des complices qui viennent le chercher ici, dit François.
— Non, protesta Michel, je ne crois pas. Laisse-moi réfléchir. Voyons : ils volent les marchandises et les cachent quelque part provisoirement.
— Oui, dans la ferme de maman, s'écria Jacquot d'une voix étranglée ; tous ces camions dans la grange, c'est à cela qu'ils servent ; ils descendent à la gare du Grand Chêne la nuit ; les marchandises sont entassées dans le vieux train et on les apporte ici.
— Tu as mis le doigt dessus, Jacquot, dit François ; c'est rudement bien combiné. Qui imaginerait que cette petite ferme est un repaire de voleurs ; vos ouvriers, ce n'est pas étonnant qu'ils ne fassent rien dans les champs ; ce sont des fripouilles. Leur seul travail est d'apporter les denrées à la gare et de les charger sur ce train.
— Ton beau-père doit gagner beaucoup d'argent à ce petit jeu, dit Michel à Jacquot.
— Oui. C'est pour cela qu'il a pu faire tant de dépenses dans la ferme, dit tristement Jacquot. Pauvre maman, comme elle sera malheureuse quand elle saura. Je ne crois pas que mon beau-père ait assez de cran pour être à la tête d'une organisation.
— Sûrement pas », approuva François, car M. André, stupide et falot, ne répondait pas à l'idée qu'il se faisait d'un chef de bande. « Dites donc, ces caves doivent avoir une issue par où sortent les marchandises.
— Tu as raison, dit Claude, s'il y en a une nous la trouverons. Et nous en profiterons pour nous échapper.
— Venez », dit François. Et il éteignit la lumière aveuglante. « Ta lampe électrique nous éclairera suffisamment. Explorons d'abord cette cave. Ouvrez l'œil, mes amis, et le bon. »