CHAPITRE XVIII
 
L'évasion

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Les quatre enfants et Dagobert entrèrent dans la grande cave. Ils se frayèrent un chemin au milieu des cageots, des corbeilles et des caisses et s'étonnèrent de la quantité de marchandises volées.

« Ces caves sont naturelles, remarqua François. Le toit s'est peut-être effondré au point d'intersection des deux tunnels. Le vieil Étienne nous a parlé d'un accident et on a bloqué le passage.

— Les deux murs ont-ils été construits en même temps ? dit Michel.

— C'est impossible à deviner, répliqua François ; des gens connaissaient probablement l'existence des caves, et un beau jour quelqu'un a exploré le tunnel et a peut-être trouvé un vieux train sous des décombres.

— Et il a eu l'idée de s'en servir, de pratiquer une ouverture secrète dans le premier mur et d'en élever un second pour former une cachette. C'est extrêmement ingénieux.

— Cela peut dater de la dernière guerre, dit François. C'était peut-être un refuge de résistants, et les voleurs l'ont utilisé après. Qui sait ?

Ils avaient exploré une partie de la cave sans rien trouver d'intéressant, quand ils arrivèrent devant les caisses soigneusement empilées les unes sur les autres et marquées de numéros tracés à la craie. François s'arrêta.

« Ces caisses paraissent prêtes à être emportées, dit-il. Elles sont en ordre et numérotées ; il doit y avoir une sortie par ici. »

Il prit la lampe électrique des mains de Claude et dirigea son rayon de tous les côtés. Il ne se trompait pas dans ses prévisions ; la lumière éclaira une porte de bois, grossière mais solide. Cette découverte fut saluée par des cris de joie.

« Exactement ce qu'il nous faut, déclara François ; je parie que cette porte s'ouvre sur un endroit désert, non loin d'une route qui permet aux camions de venir chercher les marchandises. Il y a sur le plateau des chemins où l'on ne rencontre jamais un chat.

— C'est formidable d'ingéniosité, dit Michel. Les denrées d'abord cachées dans une petite ferme d'aspect bien innocent, puis, au moyen d'un vieux train, transportées dans ces caves à l'abri des regards indiscrets, et enfin sorties par cette porte pour être vendues très loin d'ici.

— En rentrant du camp en pleine nuit, j'ai surpris Pierre qui fermait la grange ; je vous l'ai dit, n'est-ce pas ? s'écria Jacquot. Il ramenait le camion plein de marchandises volées, et le lendemain, il les a chargées sur le train fantôme. »

Pendant ce temps, François s'escrimait contre la porte.

« Zut ! Impossible d'ouvrir. Pourtant je pousse de toutes mes forces et je ne vois pas de serrure. »

Tous unirent leurs efforts aux siens sans le moindre résultat. La porte résista à toutes les tentatives pour l’ébranler.

Rouges et haletants, les enfants durent s'avouer vaincus.

« Savez-vous ce que je pense ? dit Michel. La porte doit être bloquée par-dehors.

— En effet, approuva François. Et il faut qu'elle soit bien camouflée pour que personne ne la remarque. Les chauffeurs l'ouvrent de l'extérieur quand ils viennent prendre les marchandises et après, ils la referment et la dissimulent soigneusement.

— Il n'y a donc pas moyen de sortir, murmura Claude désappointée.

— J'en ai peur », répliqua François. Claude poussa un gros soupir.

« Tu es fatiguée, ma vieille, demanda Michel, ou tu as faim ?

— Les deux, répondit Claude.

— Mais, j'y pense, nous avons des provisions, reprit François ; un des hommes m'a jeté mon havresac et nous n'avons pas encore goûté ; si nous prenions le temps de casser la croûte ? D'ailleurs nous n'avons rien de mieux à faire pour le moment.

— Mangeons ici, proposa Claude. Je suis incapable d'aller plus loin. »

Ils s'assirent autour d'une caisse qui leur servit de table et se partagèrent le pain, le chocolat et les prunes. Ce petit repas les réconforta, mais ils regrettaient de n'avoir rien à boire.

La pensée d'Annie tourmentait toujours François.

« Je me demande ce qu'elle fait, dit-il ; elle attendra pendant des heures, puis, peut-être, elle retournera au camp ; mais elle ne connaît pas très bien le chemin et elle pourrait se perdre. Oh ! mon Dieu, je ne sais pas ce qui serait le pire pour Annie… se perdre sur le plateau ou être prisonnière avec nous.

— Elle a peut-être trouvé son chemin », dit Jacquot en donnant à Dagobert la dernière bouchée de son morceau de pain. « Je suis rudement content que Dago soit ici. Tu sais, Claude, quand j'ai entendu l'aboiement de Dagobert et ta voix, j'ai cru rêver. »

Ils restèrent assis un moment, puis décidèrent de retourner à côté du train.

« Il est possible que nous trouvions le ressort qui ouvre le mur, dit François ; nous aurions dû déjà chercher, mais je n'y ai pas pensé. »

Vu de près, le vieux train n'avait rien de surnaturel et paraissait plutôt comique. Les enfants donnèrent de nouveau la lumière et cherchèrent partout un levier ou un ressort, mais, à part le commutateur électrique, ils ne trouvèrent rien. Soudain Claude aperçut une grande manette tout à fait en bas du mur de briques ; elle essaya de la tourner et, n'y réussissant pas, elle appela François.

« François, viens voir, je me demande si c'est ce machin-là qui ouvre le mur. »

Les trois garçons rejoignirent Claude. François saisit la manette, mais elle ne se déplaça pas d'un centimètre ; Michel lui vint en aide. Soudain un bruyant cliquetis annonça qu'un mécanisme se déclenchait et, avec un grincement, un pan du mur s'ouvrit lentement. La voie était libre.

« Sésame, ouvre-toi, cria Michel.

— Éteignons l'électricité, ordonna François ; si un des hommes est resté dans le tunnel, il pourrait apercevoir la lumière et venir voir ce qui se passe. »

Il joignit le geste à la parole, et l'obscurité régna de nouveau autour d'eux. Claude montra le chemin avec sa lampe électrique.

« Venez, dit Michel avec impatience. Nous sortirons par la gare du Grand Chêne. »

Tous les quatre se mirent en route en s'efforçant de ne faire aucun bruit.

« Gardons le silence, dit François à voix basse ; n'attirons pas l'attention sur nous si un de ces bandits est encore dans le tunnel. Dieu veuille que nous ne fassions pas de mauvaises rencontres. »

Ils se turent donc et marchèrent à la file indienne.

Ils avaient parcouru environ deux cent cinquante mètres quand François s'arrêta net ; ceux qui le suivaient se heurtèrent les uns contre les autres, et Dagobert poussa un petit gémissement, car Jacquot lui avait marché sur la patte. La main de Claude saisit aussitôt son collier.

Tous les quatre, et Dagobert lui-même, retinrent leur respiration. Quelqu'un s'avançait vers eux ; ils voyaient un point lumineux et entendaient un bruit de pas.

« Demi-tour, vite! » chuchota François.

Et ils obéirent aussitôt, Jacquot en tête, et retournèrent au carrefour ; peut-être auraient-ils le temps d'atteindre la vallée des Peupliers.

Mais, hélas, leurs espoirs furent déçus ! Une lanterne brillait à quelque distance, et ils n'osèrent aller plus loin, car ils ignoraient si un de leurs ennemis n'était pas à côté de la lanterne.

« Ils verront que le mur est ouvert, dit brusquement Michel, nous ne l'avons pas refermé ; ils s'apercevront que nous nous sommes échappés, et nous serons repris ; ils se mettront à notre recherche et n'auront pas besoin d'aller très loin… »

Ils restèrent immobiles, serrés les uns contre les autres. Dagobert grondait tout bas. Claude eut une inspiration.

« François, Michel, et le trou d'aération par où le pauvre vieux Dago a dégringolé ? Essayons de sortir par là. Avons-nous le temps ?

— Où est-il ? demanda François. Vite, retrouve-le, Claude. »

La fillette chercha à rappeler ses souvenirs. Oui, le trou d'aération était à l'autre extrémité du tunnel, à peu de distance de la bifurcation ; le tas de suie servirait de point de repère. Elle espérait bien que la faible clarté de sa lampe électrique passerait inaperçue. L'homme, qui venait de la gare du Grand Chêne, ne devait plus être loin.

Elle reconnut enfin le tas de suie sur lequel Dagobert était tombé.

« Voilà, chuchota-t-elle, mais, François, comment pourrons-nous hisser Dago là-haut ?

— Impossible, répondit François. N'aie pas peur ; il parviendra à s'esquiver ; c'est un malin, tu sais. »

Il poussa Claude en avant. La fillette, à tâtons, retrouva les premiers échelons ; puis Jacquot monta, le nez presque sur les talons de Claude ; Michel les suivit. C'était maintenant le tour de François, mais un événement l'immobilisa.

Une brillante clarté remplit le tunnel ; quelqu'un avait tourné le commutateur électrique. Dagobert se tapit dans un coin et grogna. Un cri retentit :

« Qui a ouvert le mur ? Il est ouvert. Qui est là? »

C'était la voix de M. André ; une autre voix lui succéda, sonore et irritée :

« Qui est là ? Qui a ouvert le mur ?

— Ces gamins n'ont pas pu toucher le levier, dit M. André, ils étaient ligotés… »

Les hommes, qui étaient au nombre de trois, s'élancèrent dans la cavité ; François gravit les premiers échelons ; le pauvre Dagobert restait seul dans l'obscurité.

Les hommes ressortirent en courant.

« Ils sont partis ! Ils ont coupé leurs cordes. Comment ont-ils pu s'enfuir ? Albert monte la garde du côté de la vallée des Peupliers et nous, nous étions à l'entrée de la gare du Grand Chêne. Ces gosses ne sont sûrement pas loin.

— À moins qu'ils ne se cachent dans les caves. Pierre va voir. »

Les hommes cherchèrent partout ; ils ignoraient l'existence du trou d'aération et ne virent pas le chien tapi dans l'ombre. Claude avait dépassé les échelons et mettait les pieds sur les tiges de fer quand, brusquement, elle s'arrêta ; sa tête avait rencontré un obstacle. Qu'était-ce ? Elle leva, la main. Le grillage de fer qu'elle avait déplacé quelques heures plus tôt en descendant obstruait l'ouverture. Claude ne pouvait monter plus haut ; elle essaya d'écarter le grillage, mais il était trop lourd. Et elle craignait de le faire tomber sur sa tête et celle de ses compagnons ; tous quatre auraient été grièvement blessés.

« Qu'y a-t-il, Claude ? Pourquoi ne continues-tu pas ? demanda Jacquot qui était derrière elle.

— Un grillage m'en empêche, répondit Claude. Je l'ai déplacé en descendant et il est coincé dans l'ouverture. Je n'ose pas tirer trop fort dessus et je ne peux pas monter plus haut. »

Jacquot répéta le message à Michel qui le transmit à François ; tous les quatre étaient immobilisés.

« Zut ! s'écria François ; dommage que je ne sois pas monté le premier. Qu'allons-nous faire maintenant ? »

Que faire, en effet ? Juchés sur les échelons et les tiges de fer dans les ténèbres qui sentaient la suie, les enfants se trouvaient dans une situation critique.

« Que dis-tu des aventures, Jacquot ? demanda Michel. Je parie que tu aimerais mieux être chez toi.

— Pour sûr que non, protesta Jacquot. C'est palpitant ! Pour rien au monde, je ne voudrais manquer ça ! »