CHAPITRE III
 
Le volcan d'Annie

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François s'éveilla le premier le lendemain matin ; un bruit étrange résonnait au-dessus de sa tente : « Coor-lie ! Coor-lie ! » Le jeune garçon se redressa et se demanda où il était et qui appelait. Puis il se rappela : il était dans sa tente avec Michel. Il campait sur un plateau et ces cris au-dessus de sa tête venaient d'un courlis, l'oiseau de la solitude.

Il bâilla et se recoucha ; ce n'était pas encore l'heure de se lever ; un rayon de soleil passait par l'ouverture de la tente. François était heureux et douillettement couché ; mais la faim le tourmentait déjà. Il regarda sa montre : six heures et demie. Il avait encore du temps devant lui. Il trouva dans la poche de sa veste une tablette de chocolat et la croqua. Puis il resta immobile à écouter les courlis et à regarder le soleil qui montait dans le ciel. Le sommeil s'empara de nouveau de lui ; il fut réveillé par Dagobert qui lui léchait la figure. Les filles le regardaient par l'ouverture de la tente et riaient. Elles étaient déjà prêtes.

« Debout, paresseux, dit Annie. Nous vous avons envoyé Dagobert pour vous réveiller. Il est sept heures et demie. Nous sommes levées depuis longtemps.

— Il fait une matinée splendide, renchérit Claude. La journée sera chaude. Levez-vous. Nous allons faire notre toilette au ruisseau. Ce serait stupide de transporter des seaux puisque nous avons un cours d'eau si près de nous. »

 

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« Debout, paresseux  », dit Annie.

Michel ouvrit les yeux. François et lui décidèrent d'aller prendre un bain dans le ruisseau. Ils quittèrent la tente et attendirent au soleil le retour des fillettes.

« C'est là-bas, dit Annie en indiquant la direction.

Dagobert, accompagne-les et montre-leur le chemin. C'est un ruisseau ravissant, entre deux rives couvertes de fougères. L'eau est très froide, je vous avertis. Nous avons laissé le seau là-bas ; rapportez-le plein, voulez-vous ?

— Pourquoi as-tu besoin d'eau puisque tu as déjà fait ta toilette ? demanda Michel.

— Et la vaisselle ? Il faudra bien la laver, dit Annie. Je viens d'y penser à l'instant. Si nous allions réveiller M. Clément ? Il n'a pas encore donné signe de vie.

— Non, laisse-le dormir, conseilla François. Il est probablement épuisé d'avoir conduit si longtemps. Nous lui garderons son déjeuner. Qu'est-ce que nous avons à manger ? Tu sais que nos parents nous ont recommandé de faire un déjeuner copieux le matin.

— Du chocolat, des tartines et même du jambon », répondit Annie qui était une très bonne petite ménagère et qui aimait beaucoup faire la cuisine. « Ce matin, nous nous contenterons de lait condensé. Sais-tu allumer le réchaud, François ?

— Claude s'en chargera, dit François. Je ne me rappelle plus si nous avons apporté une poêle et un gril.

— Oui, je les ai emballés moi-même, dit Annie. Dépêchez-vous d'aller prendre votre bain, le déjeuner sera prêt à votre retour. »

Dagobert courut en tête pour montrer le chemin.

François et Mick entrèrent aussitôt dans l'eau ; le chien les rejoignit et mêla ses aboiements à leurs rires.

« Je suis sûr que nous avons réveillé le pauvre M. Clément, dit Michel quand ils furent sortis de l'eau. Quel bon bain ! J'ai une faim de loup.

— Nous trouverons le déjeuner prêt », dit François.

Ils retournèrent auprès des tentes. M. Clément n'avait pas fait son apparition ; il avait vraiment le sommeil lourd.

Les quatre enfants s'assirent sur la bruyère et dévorèrent leur déjeuner. Annie avait fait griller du pain, et les garçons lui dirent qu'elle était une fameuse petite ménagère. Ce compliment la combla de joie.

« C'est moi qui m'occuperai des repas, déclara-t-elle, mais Claude m'aidera à laver la vaisselle, n'est-ce pas, Claude ? »

Claude montra peu d'enthousiasme ; elle détestait les besognes féminines, par exemple laver la vaisselle et faire les lits. Elle prit un air boudeur.

« Oh ! cette Claude ! s'écria Michel. Mais, après tout, pourquoi s'imposer cette corvée ? Dagobert ne sera que trop content de nettoyer les assiettes d'un coup de langue. »

Tout le monde se mit à rire, même Claude.

« Ça va, dit-elle, je t'aiderai, bien sûr, Annie ; seulement ne salissons pas trop d'assiettes pour ne pas compliquer le travail. Y a-t-il encore du pain grillé, Annie ?

— Non, mais il y a des biscuits dans cette boîte en fer. Dites, les garçons, qui ira chercher du lait à la ferme tous les jours ? Je suppose qu'on nous vendra aussi du pain et des fruits ?

— Nous nous en chargerons, François et moi, dit Michel. Annie, tu devrais préparer le déjeuner de M. Clément. Allons le réveiller, sans cela il dormira jusqu'à ce soir.

— J'y vais, dit François. Je ne crierai pas à tue-tête, il ne m'entendrait pas ; j'imiterai le bourdonnement d'une abeille et il se réveillera aussitôt. »

Il s'approcha de la tente, toussota et appela poliment :

« Voulez-vous venir déjeuner, monsieur ?… »

Ne recevant pas de réponse, le jeune garçon réitéra son appel ; puis, étonné, il jeta un regard dans la tente. Elle était vide.

« Qu'y a-t-il, François ? cria Michel.

— Il n'est pas là, dit François. Où peut-il être? »

Il y eut un silence. Prise de panique, Annie pensa un moment qu'une nouvelle aventure commençait. Puis Michel cria :

« A-t-il emporté son insectier, tu sais, la boîte de fer-blanc qu'il attache sur son dos quand il va à la chasse aux insectes. Et regarde si ses vêtements sont là. »

François entra dans la tente.

« Ça va, annonça-t-il au grand soulagement des autres ; son complet a disparu et sa boîte à insectes aussi. Il a dû partir de très bonne heure, avant notre réveil. Je parie qu'il a oublié notre présence, et aussi son déjeuner.

— Cela lui ressemblerait, dit Michel. Tant pis pour lui, nous ne sommes pas ses gardiens. Il est libre de faire ce qu'il veut et de se passer de déjeuner si ça lui chante. Il reviendra quand sa boîte sera pleine d'insectes, je suppose.

— Annie, nous allons à la ferme, Michel et moi, et nous verrons ce qu'on peut nous vendre, dit François. Si nous voulons faire une promenade aujourd'hui, ne perdons pas de temps.

— Bon, approuva Annie. Vas-y aussi, Claude. Je peux me charger de la vaisselle puisque les garçons m'ont apporté de l'eau. Emmenez Dagobert, il a besoin de se dégourdir les pattes. »

Ravie d'esquiver la corvée de la vaisselle, Claude ne se le fit pas dire deux fois ; elle partit avec les garçons et Dagobert en direction de la ferme. Annie vaqua à sa besogne en fredonnant. Quand elle eut terminé, elle regarda si les autres revenaient. Ils étaient invisibles, et M. Clément n'était pas encore de retour.

« Je vais aller me promener moi aussi, décida Annie ; je n'ai qu'à suivre le ruisseau et je ne risquerai pas de m'égarer. Je verrai où il prend sa source. Ce sera très amusant. »

En quelques minutes, elle atteignit le ruisseau et se mit à gravir la colline qu'il descendait en chantonnant gaiement entre deux rives gazonnées où les fougères poussaient en abondance. La fillette puisa de l'eau dans sa main, la goûta et la trouva délicieuse. Elle arriva enfin au sommet de la colline ; le ruisseau prenait sa source là ; il sortait en glougloutant d'un tertre couvert de bruyère et descendait vers le plateau, tout joyeux de s'ébattre dans la lumière du soleil.

« C'est donc là que tu commences », dit Annie.

Un peu fatiguée par son ascension, elle s'allongea sur la bruyère pour se reposer. Qu'il faisait bon se chauffer au soleil et écouter la musique de l'eau et le bourdonnement des abeilles. Soudain un autre bruit se mêla à ces sons joyeux. La fillette d'abord n'y prêta pas attention, puis elle se redressa épouvantée.

Le bruit était sous elle, dans les entrailles de la terre ! C'était un grondement sourd et effrayant.

« Que se passe-t-il ? Est-ce un tremblement de terre ?» se demanda Annie.

Le grondement se rapprochait, s'amplifiait. Annie n'osait même pas se lever et s'enfuir ; elle restait immobile, affolée. Un cri sinistre retentit et une chose extraordinaire eut lieu. Un grand nuage de fumée blanche sortit du sol et resta un moment suspendu dans les airs avant d'être dispersé par le vent.

Horrifiée, Annie ne faisait pas un mouvement. C'était si brusque, si inattendu, sur cette colline paisible. Le grondement résonna encore un moment, puis s'éteignit au loin.

Alors Annie se leva d'un bond ; elle descendit en courant la colline et se mit à crier : « C'est un volcan, au secours, au secours… j'étais assise sur un volcan. Il va y avoir une éruption, au secours, au secours, c'est un volcan !  »

Elle courait éperdument. Son pied heurta une racine de bruyère ; elle trébucha et se mit à rouler sur la pente en sanglotant. Elle s'arrêta enfin et entendit une voix anxieuse qui demandait : « Qui est là ? Qu'y a-t-il ? » C'était la voix de M. Clément.

Annie, soulagée, s'écria :

« Monsieur Clément, venez à mon secours. J'ai trouvé un volcan ici. »

Une telle terreur vibrait dans sa voix que M. Clément arriva précipitamment. Il s'assit près de la fillette tremblante et lui mit la main sur l'épaule.

« Qu'y a-t-il ? demanda-t-il. De quoi as-tu peur?

— Là-bas, il y a un volcan, monsieur Clément, répéta Annie. Il grondait, et, tout à coup, des nuages de fumée sont sortis de terre. Partons vite avant que la lave coule le long de la colline.

— Allons, allons », dit M. Clément et, à la grande surprise d'Annie, il se mit à rire. « Tu ne sais vraiment pas ce que c'était ?

— Non, je ne sais pas.

— Eh bien, sous ce grand plateau, deux ou trois longs tunnels permettent aux trains de passer d'une vallée à l'autre ; tu ne le sais pas ? Ce sont ces trains qui ont fait le bruit que tu as entendu, et la fumée sortait des locomotives. Il y a de grands trous d'aération çà et là pour que la fumée puisse s'échapper.

— Oh ! mon Dieu, dit Annie qui devint rouge comme une cerise. Je ne savais pas qu'il y avait des trains là-dessous et je croyais vraiment que j'étais assise sur un volcan. Vous ne le direz pas aux autres, ils se moqueraient de moi.

— Je ne dirai rien, promit M. Clément, et maintenant je crois qu'il vaut mieux retourner là-bas. Vous avez déjeuné ? J'ai une faim de loup ; je suis parti très tôt pour suivre un papillon que j'avais vu voler près de ma tente.

— Nous avons déjeuné il y a deux heures, dit Annie, mais si vous voulez venir avec moi, je vous ferai griller du pain et je vous donnerai une tranche de jambon.

— Tu me mets l'eau à la bouche, dit M. Clément. Eh bien, pas un mot sur les volcans ; c'est notre secret. »

Ils retournèrent aux tentes où les autres s'étonnaient de l'absence prolongée d'Annie. Ils ne se doutaient guère que la pauvre enfant s'était assise sur un volcan !

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