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Oscar souleva la plaque de métal et poussa sur ses bras pour s’extraire du conduit.

Il regarda autour de lui. Le silence était presque parfait, brisé de temps à autre par le hurlement d’un chien. Le ciel des dernières heures du jour prenait des teintes rouges qui évoquaient immanquablement la menace qui pesait sur le monde.

Il s’approcha d’une silhouette assise sur un bidon. Alistair tourna la tête.

– Ta décision est prise ?

Oscar acquiesça.

– Il faudra juste veiller sur ma mère. Violette s’en sortira, je ne me fais pas de souci pour elle.

– J’en prendrai soin, fais-moi confiance.

Oscar sourit et bouscula gentiment Alistair.

– J’y compte bien.

– Si ça ne dépendait que de moi…

– Ça ne dépend pas d’elle non plus, répondit Oscar. Elle s’est tellement consacrée à nous depuis notre naissance qu’elle en a oublié de vivre. Sinon, elle n’aurait pas fini avec cet abruti de Barry.

– Lui, je m’en occuperais encore plus facilement si je ne craignais pas de faire souffrir ta mère… Et puis ce ne serait pas très loyal.

– Il faut la forcer un peu à s’intéresser à quelqu’un d’autre… enfin, à vous, de préférence. Mais je veux pas vous faire la leçon.

– Merci pour le conseil. C’est le monde à l’envers, quand même !

Il tira sur une cigarette. Tout près d’eux, un cri retentit dans une maison. On claqua une fenêtre, un volet descendit et le silence reprit ses droits.

– Je croyais que vous aviez arrêté de fumer, lui dit Oscar sur le ton du reproche.

– Je croyais que tu ne me faisais pas la leçon…

– Comme vous voulez. Mais elle déteste les fumeurs.

– Saligaud, va. Toi non plus, t’es pas loyal, tu frappes où ça fait mal.

Alistair jeta sa cigarette dans le caniveau.

– Où tu vas ? demanda-t-il sans cacher son inquiétude.

– Aucune idée, reconnut Oscar. Je sais juste qu’il faut partir vite.

– Tu ne seras pas seul à le chercher.

– Je sais.

Ils se turent un instant. Oscar ne se souvint pas d’avoir profité d’un moment paisible depuis longtemps.

– À quoi ressemble ce quatrième Pilier ?

– Aucune idée, avoua Alistair. Les seuls à savoir étaient Brave et Mrs Withers.

Le cœur d’Oscar se serra. Les disparitions et l’absence : était-ce de cela que serait fait le futur ?

– Elle va me manquer, murmura-t-il. Même lui.

– Il faut vivre, répondit Alistair. On n’a pas le droit de baisser les bras, de toute manière.

Des sirènes d’ambulance résonnèrent au loin et se perdirent dans le crépuscule. Alistair leva la tête.

– À mon avis, elles n’ont pas fini de bosser, ces pauvres ambulances, dans les temps à venir. Elles seront même bientôt débordées.

Oscar y vit un signe. Il était temps de partir.

– Tu ne dis pas au revoir à ta famille ? Ni à tes amis ?

– Non. Histoire d’être sûr de revenir.

– On ne sera plus là. Maintenant, c’est à nous de fuir et de nous cacher.

– Si je peux trouver un Pilier qu’on croyait disparu, alors je vous retrouverai.

Alistair se leva et le prit par les épaules.

– Je te le demande une millième et une dernière fois : tu es certain de vouloir partir seul ?

– Pour la millième fois, oui. Mais merci quand même.

Il tourna la tête vers sa sacoche et un jappement étouffé retentit. Une seconde plus tard, la bouille d’un Jack Russel format réduit en émergea.

– Pas vraiment seul, en fait.

Alistair caressa Split.

– Tu t’occupes du grand, là, sinon on va se fâcher tous les deux, d’accord ?

Split lui répondit d’un coup de langue. Alistair se tourna vers Oscar.

– Sache que l’Ordre n’est pas éteint, et que des alliés seront sans doute tout près de toi sur ta route, dans l’ombre.

– Mes ennemis aussi. J’essaierai de reconnaître les deux.

Alistair le serra dans ses bras à en faire craquer ses os.

Oscar prit sa sacoche, la porta en bandoulière, hésita un instant puis choisit de s’engager dans la rue qui partait vers la gauche. « La main droite pour la force, la gauche pour le cœur », lui avait expliqué un jour Mrs Withers. Il optait pour le cœur, résolument.

Pour la première fois depuis qu’il était sorti de leur cachette, il ressentit le froid vif du soir d’hiver. Il posa la main sur son pendentif, à travers le T-shirt, qui lui répondit par une douce chaleur. Il remonta le Zip de son blouson et marcha sans se retourner.

Un dernier voyage solitaire, se dit-il. Au bout, il y aurait la mort ou la rédemption. Et peut-être ce beau visage aux grands yeux sombres qui ne le quittait pas et qui se dessinait nettement dans les nuages pourpres, devant lui. Une lueur dans une longue, une interminable nuit.

 

Alistair sentit une présence près de lui. Il posa la main sur l’épaule de la jeune fille.

– Je ne sais pas pourquoi, mais… j’ai confiance en ce gaillard. Pas toi ? Il reviendra.

Louise regarda Oscar s’éloigner jusqu’à ce qu’il disparaisse à l’angle d’un immeuble lépreux, sous la lueur blafarde d’un lampadaire.

– Oui. Il reviendra.