La voiture glissa sans bruit sur l’asphalte et s’engagea dans une ruelle déserte d’un quartier nord de Pleasantville. Elle s’immobilisa devant la façade en crépi gris d’une maison sans caractère. Les volets étaient fermés, aucune fleur ne poussait sur la bande de terre, devant la porte en métal sans serrure apparente.

Un homme voûté sous une cape descendit de la berline. Malgré les soubresauts de son épaule gauche, il effleura une plaque métallique avec son gant et la porte s’ouvrit. Un autre homme de grande taille, lui, et coiffé d’un chapeau à larges bords sortit alors de la voiture et s’engouffra dans la maison.

Ils traversèrent la pièce nue plongée dans l’obscurité, puis un hall minuscule. Stomp ouvrit une porte dans un renfoncement et ils descendirent les marches d’un escalier en bois à l’équilibre incertain. Ils longèrent le couloir humide, évitèrent les canalisations suintantes et les flaques d’eau croupie sur le béton et entrèrent dans un ascenseur dont Stomp referma brutalement la grille.

Les étages défilèrent pendant plus d’une minute, tandis que la cabine s’enfonçait dans les profondeurs de la ville. Quand les portes s’ouvrirent, le Prince Noir écarta Stomp d’un geste impatient et passa devant lui. Il s’avança sur un balcon en arc de cercle et posa sa main gantée sur la rambarde.

En contrebas, sous une lueur rouge qui tombait du plafond, des individus en combinaison et masqués évoluaient dans un laboratoire circulaire. Le sol, les murs, les tables, les machines : tout était noir. Au centre du laboratoire, une colonne transparente se dressait entre le sol et la voûte. Une ombre s’y étirait au milieu d’une fumée épaisse jusqu’au niveau du balcon. Un homme qui portait un casque à visière soudé à sa combinaison leva la tête et s’inclina. Tous les techniciens l’imitèrent. L’homme parla et la voix jaillit de haut-parleurs camouflés dans les murs.

– Bonjour monsieur, on ne vous attendait pas aussi tôt…

Stomp tendit à son maître un micro de la taille d’une tête d’aiguille. Skarsdale l’accrocha au revers de son manteau.

– Six jours, répondit-il d’une voix monocorde.

– Oui, oui, bien sûr, bafouilla le responsable scientifique, je vous rassure, nous sommes dans les temps mais…

– Libérez-le, lâcha Skarsdale.

L’homme resta interdit.

– Le… ici ? Maintenant ?

– Vous n’avez pas bien entendu mon maître, professeur ? murmura Stomp dans son micro.

– Il nous faut encore un peu de temps, quelques heures tout au plus… quelques essais, des vérifications…

Skarsdale martela la balustrade. Le professeur inspira profondément et capitula. Tous les techniciens se retirèrent avec empressement et se réfugièrent dans des cabines de surveillance, en périphérie de la salle. Seul le professeur s’approcha d’un poste informatique et tapa nerveusement sur le clavier.

La colonne transparente s’éleva, disparut dans le plafond, et les volutes de fumée se dispersèrent. Stomp recula, impressionné. Skarsdale contempla le spectacle stupéfiant.

– Détachez-le, dit-il avec de l’impatience dans la voix.

Le professeur leva la tête, incrédule.

– Je crois… je crois que ce serait plus sage de le faire là où vous voudriez qu’il agisse…

Le Prince Noir leva brusquement son gant, menaçant. Le professeur, en nage dans son équipement, s’exécuta sous les regards effrayés de ses collègues. Les anneaux électriques disparurent. Un grondement roula tout autour de la salle. La masse resta inerte sur son socle.

– Vous voyez, dit le professeur, il faut simplement que…

La fin de la phrase fut couverte par un bruit strident. Le professeur tourna vivement la tête, écarquilla les yeux et tout se passa à une vitesse sidérante. Le sang gicla jusque sur Skarsdale. Il passa lentement son gant sur son visage éclaboussé. Dans les loges sécurisées, les cris étouffés résonnèrent comme des soupirs.

– Les dernières vérifications sont concluantes, affirma-t-il avec un sourire à l’attention des collaborateurs du défunt professeur. Neutralisez-le et nous partons.

Il se tourna vers Stomp.

– Nous retournons dans le corps de Noble.