Pleasantville, États-Unis d’Amérique,
le 7 décembre
– Violette, ça suffit, où tu m’emmènes ? Je n’ai pas du tout envie de…
La jeune fille posa un index sur ses lèvres puis joignit les deux mains.
– Oscar, tu m’as promis !
Oscar soupira et regarda autour de lui. Voilà seize ans – très précisément seize ans, puisque c’était aujourd’hui, le 7 décembre, son anniversaire – qu’il vivait au côté de sa sœur aînée sans parvenir à se faire à ses bizarreries, et encore moins au spectacle étonnant qu’elle offrait en public sans le vouloir.
– Et cette couverture sous le bras, c’est quoi, encore ? demanda le jeune homme alors qu’ils étaient au beau milieu de Kildare Street, exposés au froid mordant.
– Tu vas gâcher mon cadeau d’anniversaire ! Écoute, Barth me l’a encore répété tout à l’heure : « Ne dis rien, sinon tu vas tout dire. » Et comme je meurs d’envie de tout dire mais que ça n’aurait plus aucun charme, je préfère ne rien dire. Tu me suis ?
Oscar ne résista ni à l’étrange raisonnement de sa sœur, ni à son fascinant regard violet. Il avait poussé d’une manière phénoménale en deux ans et affleurait le mètre quatre-vingt-cinq, mais Violette avait presque sa taille. Ses longs cheveux d’un roux flamboyant encadraient son visage triangulaire aux pommettes hautes et tombaient en ondulations légères sur ses épaules. Elle avait le port et l’allure d’une danseuse, semblait flotter à chaque pas, aérienne. Violette était tout simplement magnifique – malgré son accoutrement multicolore.
– D’accord, capitula Oscar. Mais fais vite, il est 19 h et tout le monde nous regarde.
– Tu crois qu’ils ont deviné, pour mon cadeau ?
– Mais non, personne ne nous regarde, se reprit-il en l’entraînant loin d’un réverbère, allez, avance ! Je ne sais pas où on va, mais allons-y.
Quelques instants plus tard, ils se trouvaient devant le petit immeuble en briques dont la famille O’Maley occupait le rez-de-chaussée et traversèrent la cour pour entrer dans un appentis transformé en véritable caverne d’Ali Baba : des vélos sans roues, des bonbons inconnus, des pots de fleurs à peine fanées, des vêtements professionnels sur des mannequins en résine, un sac de feuilles mortes et son affichette « Vous ne supportez plus les arbres nus en hiver ? Promo sur les feuilles de l’année dernière ! », des outils improbables, des plans de Pleasantville où plus une rue n’était la bonne… On y trouvait tout, absolument tout ce qui était inutile – et donc indispensable pour un petit cadeau.
– Tiens, Jeremy a rouvert son Bazar ? Je croyais qu’on était en pause hivernale…
– Ici, toutes les saisons sont réunies, regarde !
Elle prit la main de son frère et l’entraîna à l’autre bout du Bazar. Les deux adolescents s’arrêtèrent sous un lustre fait de branches entrelacées et de fleurs séchées duquel pendaient des dizaines de pampilles.
– Mince, pas de lumière ! dit-elle, dépitée. On va y remédier tout de suite…
Elle farfouilla sous son écharpe et en sortit un M cerclé d’or. Le pendentif comportait une particularité : il était doublé à l’intérieur par un autre cercle en jade – caractéristique des Médicus Trans-Universels.
Violette avait découvert son pouvoir en même temps que sa singularité : elle avait le don, à l’instar de cette caste de Médicus qu’on croyait disparue, de voyager dans un Univers ou un autre sans avoir à rapporter les Trophées des Univers précédents. Mrs Withers et surtout Anna-Maria Lumpini espéraient ardemment voir la jeune fille développer d’autres pouvoirs.
– Plus question d’attendre, avait décrété la comtesse Lumpini. Il faut éveiller les dons endormis sans effrayer notre belle rêveuse.
Elle s’était avérée fine diplomate et les deux personnes s’étaient prises d’une affection mutuelle. Sans doute l’exubérance de l’une et l’extravagance de l’autre avaient-elles contribué à les rapprocher et Violette se rendait régulièrement chez les Lumpini, où la dame révélait sans en avoir l’air les étranges pouvoirs de la jeune fille.
Violette tendit son pendentif en direction du lustre, et les pampilles s’illuminèrent comme un essaim de lucioles. La lumière, douce, teinta le Bazar d’ambre et d’or.
– Violette, qu’est-ce que tu fais ?! s’exclama Oscar. Quelqu’un pourrait nous voir – et tu sais qu’on ne peut pas utiliser nos pouvoirs en dehors du corps !
Aucun Médicus n’ignorait que faire usage de sa magie dans le monde extérieur était dangereux et pouvait l’affaiblir. Oscar n’avait évidemment pas souvent respecté la règle, surtout dans les conditions périlleuses de son périple parisien, deux ans plus tôt. Il avait mûri et son corps délié et athlétique prenait des proportions adultes, mais hélas, l’âge n’avait pas eu d’influence sur son aversion pour les lois et les ordres ; peu lui importait les risques qu’il courait. En revanche, il craignait pour sa sœur.
Violette ignora la remarque d’un grand sourire, força Oscar à s’asseoir sur un lit à baldaquin et prit place à côté de lui.
– Voilà, dit-elle d’une voix curieusement forte.
– C’est bon, je ne suis pas sourd et les voisins non plus.
Elle déploya la couverture et la laissa retomber sur eux. Ils se retrouvèrent dans l’obscurité, vite dissipée par le pendentif de Violette. La Lettre monta et souleva délicatement la couverture au-dessus de leurs têtes comme une tente.
– Et maintenant, on fait quoi ? soupira Oscar.
Violette fixa son pendentif : la Lettre brilla de mille feux, cette fois, et il fit aussi clair sous l’étoffe qu’un jour radieux de plein été. Son frère admira la prouesse : il n’avait jamais vu un Médicus commander son pendentif d’un simple regard.
– C’est mon premier cadeau, dit-elle d’une voix émue : qu’il fasse soleil, toujours, pour toi. Parce que je n’aime pas quand il pleut pour ton anniversaire. Ensuite, c’est un peu comme si ce n’était plus la fin de ton anniversaire mais le début, puisqu’il fait jour à nouveau.
Oscar sourit. S’il avait dû choisir un cadeau, là, tout de suite, sans réfléchir, ce serait que sa sœur ne perde jamais sa poésie.
– Merci, dit-il. C’est vraiment un beau cadeau.
– Attends, c’est pas fini.
– Ah, qu’est-ce qui va nous tomber sur la tête, cette fois ?
– Rien, répondit-elle en lui tendant une boîte avec une tresse de fleurs en tissu en guise de ruban.
– Encore ? dit-il, ravi et méfiant en même temps.
Il fronça les sourcils et maintint fermement la boîte : elle gigotait. Il dénoua le lien et le couvercle sauta comme s’il était monté sur ressort. Surgit alors l’adorable tête de Split avec sa tache chocolat sur l’œil. Le petit chien frétillait comme une anguille, une enveloppe presque aussi grande que lui coincée entre les mâchoires. Split n’avait pas pris un centimètre depuis qu’il avait rallié les États-Unis et le foyer des Pill, deux ans plus tôt ; son énergie, elle aussi, était intacte. Il sauta au cou de son maître et y déposa l’enveloppe dans l’encolure du pull. Oscar tenta d’esquiver les coups de langue et décacheta le pli. Il en sortit une photo cornée où l’on pouvait voir une belle jeune femme brune dont les yeux violets incomparables trahissaient le lien de sang avec Violette. Près d’elle, un homme se penchait sur le ventre de sa compagne qu’il caressait en souriant, un ventre arrondi par l’imminence d’un heureux événement.
Oscar se concentra sur le cliché de ses parents et du bébé à venir : lui.
– Pourquoi tu ne me l’as jamais montré ? demanda-t-il à sa sœur avec une ombre de reproche dans la voix, comme si elle l’avait privé de son père un peu plus que le destin ne s’en était déjà chargé.
– Il n’y avait rien sur la photo, répondit la jeune fille. Jusqu’à ce matin. C’est… c’est son cadeau, je crois.
Oscar glissa la photo dans une poche intérieure.
– Excuse-moi, dit-il maladroitement. Merci, c’est vraiment mon plus bel anniversaire. Tout est en double : le jour, le cadeau…
– Ah, non, rectifia sa sœur : le cadeau est triple.
– Oh, on va peut-être en laisser pour l’année prochaine, tu ne crois pas ?
– C’est le dernier, promit Violette. Allez, ferme les yeux. Vraiment.
La jeune fille se glissa hors de la tente improvisée.
– Et maintenant, rêve, murmura-t-elle de l’autre côté du tissu. Tu en as besoin.
Oscar s’allongea sous la pression douce de sa sœur, sans lâcher la photo. La lumière s’était faite plus apaisante. Il ferma les yeux, bercé par la chaleur ambiante et les pensées qui le traversaient. Le pendentif se mit alors à monter, entraînant lentement la couverture vers le plafond.
– Joyeux anniversaire, mon pote !
Oscar n’eut aucun mal à reconnaître la voix. Il ouvrit les yeux : le visage de Jeremy O’Maley était tout près.
– JOYEUX ANNIVERSAIRE !
Le cri – ou plutôt la clameur – éclata dans le Bazar comme une bombe. Des faisceaux laser coupèrent l’espace et la musique explosa depuis les enceintes dissimulées aux quatre angles de la pièce. Oscar se redressa comme un zombie : des dizaines de têtes émergèrent de sous les trésors du Bazar. Stupéfait, il reconnut ses amis du quartier et du lycée, sans oublier les jeunes Médicus qui avaient partagé ses aventures et formaient depuis un cercle d’amis étroit. Il n’eut pas le temps de réagir. Une horde de filles l’attira sur la piste de danse où les autres s’étaient déjà précipités, et tenta de lui arracher ses vêtements en poussant des cris de groupies hystériques.
– Moi d’abord, hurla une jeune fille aux cheveux mi-longs d’un rouge flamboyant. Joyeux anniversaire, mon Oscar !
Valentine bouscula tout le monde et sauta au cou de son ami, tandis qu’Oscar se battait sans grande résistance pour garder sa chemise sous le regard amusé – et un poil jaloux – des garçons qui dansaient autour d’eux au son assourdissant d’un tube pop-rock du moment. Jeremy brailla dans le micro.
– Attention, les choses bizarres sur la droite du buffet, c’est l’œuvre de Cherie. Pour ceux qui connaissent, l’info devrait suffire, pour les autres, faites-moi confiance, et évitez !
Ayden Spencer s’interposa entre le buffet en question et tous ceux qui s’y précipitaient.
– Je vous en prie, je vous en prie, ne gâchez pas la fête en vous rendant malades.
Sally Bunker, plus grande et sportive chaque année, bouscula Ayden et prit sa place.
– Dégagez ! J’ai dit dégagez vers la gauche, danger !
Le groupe de jeunes dévia instantanément. Elle se tourna vers Ayden.
– Voilà comment on fait. Compris ?
Ayden tenta d’ignorer les rires, saisit un verre au hasard et cacha sa silhouette étroite et fragile derrière un palmier en plastique.
Sur le sol comme sur les cartons, sur les caisses, sur les tables, tous se déchaînèrent. Les couples se formaient au rythme de la musique, s’exposaient de façon comique sous les lumières saccadées et les faisceaux ultraviolets, et s’oubliaient dans des danses torrides, ou disparaissaient dans les ombres du Bazar. Valentine était parvenue à attirer Lawrence au milieu des danseurs. Il s’agita frénétiquement comme un automate au visage poupon qu’on aurait remonté une minute plus tôt, totalement indifférent au rythme de la musique comme aux hurlements enthousiastes qu’il provoquait.
Stevie, un type de dix-sept ans au look gothique, rejoignit Jeremy qui était aux platines.
– Tu la connais, la fille aux cheveux rouges qui bouge bien ? hurla le jeune homme en se penchant vers le DJ.
– Ouais, c’est une super copine, pourquoi ?
– Tu me la présentes ?
Jeremy fouilla dans ses CD, son casque sur une oreille, sans regarder Stevie.
– Sale caractère, je te préviens. Pas cool, la fille – même violente, parfois.
– Ça me gêne pas, répondit le jeune homme, fasciné par Valentine. Présente-la-moi.
– Si tu veux. Mais je suis pas sûr que James apprécie.
– James ? répéta Stevie. Le type de Golden Crown ?
– C’est ça. Troisième dan de kung-fu. Tu savais pas ? mentit Jeremy avec une exquise cruauté.
– Ah… Dommage.
– Ouais, c’est ça. Dommage. Mais tu peux toujours tenter le coup.
– C’est bon, je crois que je vais laisser tomber.
Stevie s’éloigna, dépité. Valentine croisa le regard de Jeremy et lui fit signe de monter le son. Les murs tremblèrent. Il lui adressa un clin d’œil auquel elle répondit par un cri de joie. Tandis qu’elle se déhanchait entre Violette, qui s’essayait à quelques pas de danse classique avec Barth, et Oscar, qui jouait de son torse musclé, Jeremy couva la jeune fille d’un regard possessif.
Heureusement, la musique couvrait la voix d’Iris Flockhart, plus despotique que jamais.
– Je vous rappelle qu’après 22 h, hurlait-elle à l’oreille de chacun, c’est du tapage nocturne ; et je ne tolérerai AUCUN tapage nocturne.
– T’es flic, toi, maintenant ? répliqua Carrie, la sœur de Ronan Moss.
– À 22 h 01, tout le monde rentre chez soi, trancha Iris en s’installant entre les deux ressorts d’un canapé éventré, inflexible.
Stevie, oubliant déjà sa précédente proie, approcha sa coiffure punk des tresses strictes de la jeune fille au look de vieille gouvernante pincée.
– Il est 19 h 32, on a encore le temps de danser. Toi et moi.
Seuls les yeux d’Iris réagirent. Stevie sourit et effleura le cou de la jeune fille de ses lèvres piercées. Elle bondit comme si elle était le troisième ressort du canapé. Elle porta la main à son cou et pointa un index menaçant sur Stevie.
– Toi !
– C’était bien. Viens, ordonna-t-elle en le traînant par une boucle d’oreille jusque sur la piste. On danse.
Carrie et deux garçons éclatèrent de rire. Soudain, la foule se fendit en deux et les gens s’arrêtèrent de danser. Oscar, lui, n’avait rien remarqué. La voix qui résonna derrière lui le crispa instantanément.
– C’est l’anniversaire de notre meilleur ennemi et on n’est pas invités ?
Oscar se contenta de tourner la tête : les traces d’une ancienne acné virulente avaient rendu le visage de Ronan Moss plus dur encore. Moss était aussi grand que lui, mais plus massif. Oscar ressemblait à un athlète, Moss à un haltérophile. Derrière lui, Cole Doherty se dandinait, pataud, et Graham Norton, plus tubuliforme que jamais, tanguait sur ses longues jambes. En retrait, Jimmy Bates venait d’apparaître, lui aussi, et observait la scène en picorant au buffet. Ses mouvements félins, son regard sombre caché par des cheveux raides et noirs le rendaient infiniment plus mystérieux qu’eux. Et infiniment plus attirant, aussi : les filles, envoûtées, le dévoraient des yeux.
Mais pour Oscar, ce n’était pas ce groupe d’intrus qui gâcherait la fête. Le véritable péril, c’était cette silhouette, derrière Moss, cette main gracile posée sur son épaule, cette longue mèche de cheveux blond foncé. L’éclat doré de ce regard inimitable.
Tilla laissa glisser sa main sur l’épaule de Moss et avança jusqu’à Oscar, en ondulant dans un jean slim et une parka noire cintrée. Le jeune homme la fixa droit dans les yeux, mâchoires serrées, et reboutonna sa chemise.
– Je baisse le son pour demander aux gens du fond d’aérer un peu, cria Jeremy dans le micro. Ça sent le débile à plein nez dans cette pièce. Ah, pardon, j’avais pas assez reniflé : le débile ET l’allumeuse.
Moss esquissa un rictus carnassier et un mouvement vers le DJ. Un type aussi impressionnant que lui s’interposa.
– Tu vas où ? lui demanda Barth en desserrant à peine les lèvres. T’es pas le bienvenu, la sortie c’est là-bas.
Oscar et Barth faisaient face aux trois types. Moss, Doherty et Norton hésitèrent un instant. Bates, lui, continuait à observer la scène avec un petit sourire amusé. Tilla, très à l’aise sur ses bottes à talons, profita de la tension extrême pour se rapprocher d’Oscar.
– C’est une belle fête, susurra-t-elle. Tu me détestes tant que ça pour me mettre à l’écart ?
– C’était une belle fête avant que vous arriviez, toi et… ton copain.
Oscar jeta un regard haineux sur Moss. Sa liaison avec Tilla n’était plus un secret pour personne. Encore moins pour Oscar, qui éprouvait encore des sentiments confus pour elle malgré le souvenir douloureux de la trahison des jardins de Versailles. Il s’en voulait, il se maudissait même pour sa faiblesse, mais rien n’y faisait. Même si son amour-propre prenait parfois le dessus – comme ce soir-là.
Tilla baissa les yeux avant de les plonger dans ceux d’Oscar.
– On a le droit de changer d’avis. Et on a le droit… de se tromper.
– Je me suis déjà trompé, répondit Oscar. C’était il y a deux ans. Ça me suffit.
Moss s’approcha d’une table et la renversa d’un coup de genou. Les verres et les plateaux de sandwiches volèrent. Ayden s’interposa.
– Abruti, tu veux qu’on fasse la même chose avec toi ?
Moss l’écarta d’une main, et Ayden s’écrasa contre un mur.
– Pas plus solide que la table, dit-il avec un rire agressif.
Oscar et Barth bondirent et le repoussèrent violemment. Les acolytes de Moss réagirent, eux aussi. D’autres garçons s’alignèrent aux côtés d’Oscar et Barth dans une atmosphère électrique.
– Bon, y’a que des losers ici, on se barre, décréta Moss, prudent.
Il passa son bras autour de la taille de Tilla. D’un mouvement de reins, elle s’esquiva sans quitter Oscar des yeux, suivie de ses deux âmes damnées, Shadow et Barbie, toujours aussi insipides, peut-être un peu plus néfastes que par le passé – la bêtise et la jalousie sont encore plus dangereuses avec le temps. Jeremy remonta le son. Les indésirables se retirèrent enfin en bousculant les invités. Jimmy Bates finit son verre, caressa la joue d’une fille hypnotisée et disparut lui aussi.
L’ambiance se détendit et finit presque par retrouver l’énergie précédant l’intrusion de Tilla, Moss et leur bande. L’impression désagréable de leur présence ne s’était pas totalement estompée quand Violette porta la main à son cœur.
– Ça va ? s’inquiéta Barth.
– Ça y est, je suis encore trop amoureuse de toi : ça me brûle.
Barth fondait comme au premier jour devant Violette après des années à l’attendre et deux ans à vivre sa passion pour elle.
– Soyons clair : tu ne m’aimeras jamais trop.
– Ah, non, s’écria la jeune fille, tu as raison : c’est mon pendentif, souffla-t-elle. Bon, je reviens t’aimer là où j’en étais dans une minute, d’accord ?
Elle se mit à l’écart et entrouvrit le col de sa tunique. La Lettre brillait avec une intensité inhabituelle et par intermittence.
– C’est très joli, mon cher pendentif, mais je ne sais pas ce que tu veux me dire…
– Il veut te dire la même chose que le mien, répondit Sally : on nous attend.
Ayden et Iris les rejoignirent.
– Ou alors c’est le Grand Maître qui nous ordonne de nous calmer parce qu’il n’aimerait pas nous récupérer au poste de police, suggéra cette dernière.
– Brave s’en fiche complètement du bruit qu’on peut faire, répondit Ayden. À mon avis, on nous attend dès que possible.
– Demain, après les cours, tous à Cumides Circle, proposa Sally.
– Non, tout de suite, décréta Iris en observant son pendentif, les sourcils froncés. Il n’est pas très tard, on peut encore y aller.
– Qu’est-ce qui vous arrive ? Vous me mijotez encore une surprise ?
Ils se tournèrent vers Oscar, gênés. Le jeune homme devina la lueur caractéristique à travers le pull de Sally. Il n’eut pas besoin de fouiller dans sa poche pour savoir que son propre pendentif, lui, ne brillait pas. Ayden posa sa main sur l’épaule de son ami.
– On est désolés, Oscar, on aimerait tellement que…
– C’est bon, t’inquiète pas, ça va aller, répondit le jeune homme avec amertume.
– D’un autre côté, intervint Iris, ce n’est pas pour rien que tu te retrouves dans cette situation de…
– Oui, c’est bon, la coupa Sally en la poussant vers la sortie. Tu nous détailleras ta théorie en chemin.
– Tu le fais exprès ou quoi ? souffla Ayden à l’oreille d’Iris.
– Il faut juste qu’il comprenne qu’il a mal agi, mais…
– Génial, tu es vraiment réconfortante. Sally a raison : bouge.
– Tu veux mon pendentif ? proposa Violette à son frère. Vas-y, je peux rester ici.
– Non, je ne crois pas que ça marche comme ça.
Elle l’embrassa affectueusement.
– Je te raconterai tout à mon retour. Et si c’est pas assez bien, j’inventerai. C’est une bonne idée, non ?
– Très bonne.
Il les regarda partir, triste et sombre.