LA DÉLICATESSE D’UN ÉLÉPHANT
23 septembre. Dépasser 40 ans, c’est un peu comme ne plus avoir son passe Navigo 5 zones. Il y a des régions où il ne faut plus s’aventurer… sous peine de payer le prix fort !
Liste des choses à faire :
  • -  Faire stériliser de force le gynéco de Marie.
  • -  Réorienter certains étudiants de médecine vers la filière vétérinaire.
  • -  Me souvenir que la carte Vermeil s’appelle désormais la carte Senior.
Ma voisine Marie, la chouette hulotte, est toute retournée ! Alors qu’elle avait pris rendez-vous avec son gynéco Joseph Tordjman pour une banale histoire de stérilet qui avait pris la tangente, ce dernier lui a suggéré une ligature des trompes.
Je ne supporte pas de voir Marie dans cet état. Depuis que je la connais, je l’ai vue (et surtout entendue) énervée, excédée, excitée, drôle, mais jamais abattue. Ce matin, elle est déprimée et je ne sais pas quoi faire.
Ses mutants sont aussi pénibles que les miens. Son jules la quitte tous les quatre matins. Son Dennis Quaid à elle vient également de la ranger au rayon des accessoires, et là son gynéco…
Pas d’autre choix que de la faire rire :
– On n’y pense pas assez. C’est vrai, pourquoi ne pas te faire ligaturer les trompes ? Ou bien, comme dirait ma mère, « te faire tout enlever » ? À 43 ans Marie, tu n’as pas besoin de tous ces organes qui prennent de la place pour rien… Tu n’es pas cool !
J’ai réussi mon coup : elle rit, mais moi ça ne m’amuse pas du tout.
– Comment ce type a pu te dire un truc pareil ? Il faut le faire radier de l’ordre des médecins, lui faire manger son serment d’Hippocrate !
Elle avale un quart de Lexomil (ses noix de cajou à elle en ce moment) et me raconte :
– En fait, c’est la troisième fois que je perds mon stérilet et tu me connais, en plaisantant, je lui ai dit : « Et si je me faisais ligaturer les trompes ? »
– Et il n’a pas compris que tu déconnais !
– Cet abruti, le plus sérieusement du monde, m’a sorti : « J’allais vous en parler… Vous ne comptez pas faire d’autres enfants… ? » Je suis repartie zombie. Bonne à me jeter dans un sac-poubelle…
Moi, révoltée : Je n’en reviens pas, j’ai l’impression d’entendre le véto de Félix quand il m’a conseillé de le castrer. Je me demande si tous les gynécos sont aussi misogynes…
– Non, je suis allée sur infobebes.com et j’ai tapé « ligature des trompes ». Il y a de tout. Ceux qui refusent, et ceux qui ont la main leste. En tout cas, certains pensent utile. Exactement ce que tu dis, comme les vétos pour les chiens et les chats…
– Imagine surtout qu’on propose à nos mecs de se faire stériliser !
– Oui, j’imagine très bien…
RÉCAPITULONS
Dégustez cette phrase gracieuse tirée du roman de Michel Houellebecq Extension du domaine de la lutte : « Aussi la rupture avec Véronique ne lui inspire-t-elle qu’un regret : “ne pas lui avoir tailladé les ovaires”. »
Et cette autre réflexion tout aussi délicate tirée du même ouvrage : « Je le savais, elle avait tellement besoin d’être tronchée. Ce trou qu’elle avait au bas du ventre devait lui apparaître tellement inutile. Une bite, on peut toujours la sectionner ; mais comment oublier la vacuité d’un vagin ? »
Finalement, comparée aux visions délicieuses de notre poète de l’amour hexagonal, « la ligature des trompes » passerait presque pour une poésie de Maurice Carême.