PLUS JAMAIS ÇA !
19 septembre. Comme convenu, Sonia et
moi allons faire un petit shopping entre vieilles. Ventes privées,
tour chez agnès b. Exactement ce qu’il me faut pour
décompresser.
Liste des choses à
faire :
- - Maigrir.
- - Fondre.
- - Décoller.
- - Perdre du poids.
Depuis que je me suis vue en photo, me mettre en
petite culotte et soutien-gorge est une épreuve aussi insurmontable
que m’exposer en maillot de bain sur une plage le premier jour. Ai
le sentiment désagréable d’être le homard de Jeff Koons exposé à
Versailles dans la galerie des Glaces.
Observe toutes ces fesses culottées entrer et
sortir des jeans, tous ces
seins disparaître et réapparaître des débardeurs et suis
paralysée.
Sonia me secoue.
– Ouh ouh, Alice !
Elle aussi s’est débarrassée de ses vêtements et
me montre le tee-shirt qu’elle a enfilé.
– T’en penses quoi ?
Reviens sur terre : Super joli… Je ne peux
pas me déshabiller, Sonia, c’est au-dessus de mes forces… Je me
sens ridicule.
– Mais nous sommes toutes ridicules, me
dit-elle en tournant sur elle-même.
– Je me sens vraiment trop vieille
aujourd’hui pour me mettre à poil comme ça, elles vont toutes me
regarder.
– Tu te prends pour le centre du monde,
Alice. Elles ont autre chose à faire.
La moutarde me monte doucement, mais sûrement, au
nez.
– Je ne peux plus me voir. Les bras qui
pendent, les cuisses pleines de cellulite, mon ventre… C’est trop
moche…
– Personne te demande de monter sur un podium
pour défiler. Planque-toi dans les portants si tu veux, mais c’est
vraiment pas cher, tu devrais…
Me raisonne : Okay, okay…
Fouille dans les piles à moitié détruites, choisis
quelques vestes, trois tee-shirts, attrape un jean et me dirige
vers le fond de la halle. Déniche un portant à l’abri des regards.
M’accroupis au milieu des pantalons et commence à me tortiller tel un ver de terre tout
juste sectionné par une pelle… Mes santiags, mon jean, mon pull, ma
chemise, tout valse.
M’aperçois soudain que je porte une culotte
Snoopy, que mes chaussettes sont dépareillées… Un fléau, j’ai
soixante chaussettes qui attendent dans un sac le retour des
fugueuses. Suis presque parvenue à enfiler le jean lorsque
j’entends la voix de Sonia qui me cherche dans les
allées :
– Aliiiiice ! T’es où ?
Finis par faire rentrer mes fesses dans le
pantalon, quand je l’entends à nouveau. Me relève d’un coup, les
cheveux dans tous les sens, concentrée sur la fermeture.
– Je suis là ! Putain, j’arrive pas à le
fermer…
– Devine qui j’ai trouvé ?
Moi, la tête plongée dans mes problèmes de
braguette : Je ne sais pas moi, Eva Longoria de passage à
Paris… Puis, relevant la tête : Ah, c’est toi Garance !
Je lui tombe dans les bras : Comment tu le trouves ce
jean ?
Je la fixe et me demande si elle va me le dire que
je suis grosse.
Elle, la main tendue vers mon pantalon : Je
crois que tu devrais prendre une taille au-dessus.
Elle l’a dit. En douceur, mais elle l’a dit.
Moi, agacée : Euh ouais… tu as
raison.
Efficace, Garance va me chercher un 40, revient,
me le tend et reste là, plantée.
Moi, énervée : Bon, ben, vous n’allez pas
rester là et me regarder, si ?
Garance, enracinée : Ben, on t’attend. Tu as
vu, tes chaussettes sont dépareillées…
Sonia moralisatrice : Ah ouais, j’avais pas
vu. Tu te laisses aller en ce moment…
Moi, excédée, respire un grand coup.
Elles comprennent enfin : On bouge, on bouge…
On t’attend à la caisse…
Moi, soulagée : C’est ça…
J’arrache mon jean, mon tee-shirt, me retrouve à
poil devant toutes les autres filles qui, effectivement, Sonia a
raison, se moquent de mon cul comme de l’an quarante. Me rhabille,
abandonne le tas d’affaires sur une pile au hasard, les rejoins,
les dépasse.
Les deux en chœur : Ben, t’as rien
pris ?
Ne laisse pas le temps à Sonia et Garance d’ouvrir
la bouche : Je vous laisse, Ethan vient de m’appeler, je dois
y aller, les devoirs…
Oui, je suis de mauvaise humeur.
Susceptible.
À cran.
Décide de continuer mon shopping. Seule. Me voilà,
rue Pierre-1er-de-Serbie chez agnès
b. Choisis trois robes. Et là, j’avais complètement oublié. La
cabine d’essayage collective, fléau de la branchitude
vestimentaire !
Soulève le rideau, vérifie que je suis seule et me
refais mon strip-tease éclair. Pull, chemise, jean, santiags, tout
valse à nouveau. Et là, alors que je suis à poil, trois bombes entrent, très en phase avec
le concept vestiaire de foot : string, fesses bronzées,
musclées.
Tétanisée, je fais semblant de chercher un truc
important dans mon sac en priant pour qu’elles partent. Pas de
chance. Elles ont décidé d’essayer tout le magasin. En me
tortillant, je finis par enfiler ma robe, assise. Le père Fouras
aurait apprécié. Comme les trois pipelettes n’en finissent pas, je
remets mon jean, mes pompes, et je garde la robe sur moi.
Un peu étonnée, la caissière doit enlever
l’antivol en me couchant sur sa machine. Puis m’informe gentiment
que la robe se porte dans l’autre sens. Je ris bêtement, sors.
Épuisée.
RÉCAPITULONS
Vous l’aurez compris, il m’est impossible de me
déshabiller en public. Je crois que si je mesurais 1,76 mètre,
pesais 55 kilos et avais 35 ans, je serais moins… pudique,
complexée, gênée.
Les soldes presse et les ventes privées sont
destinés à vous faire acheter vite (trois jours en général) et pas
cher leur stock. Pas question de perdre du temps en essayages, vous
êtes clairement là pour qu’ils écoulent leur marchandise invendue.
D’où l’absence de cabines. Seulement voilà, une femme qui n’essaye
pas n’est pas une femme qui achète, ce qui a conduit ces marques à
autoriser ces scènes de strip-tease improbable.
Concernant agnès b., j’imagine que l’idée des
cabines collectives lui est venue en observant l’ambiance confraternelle et chaleureuse dans
les douches entre footballeurs d’une même équipe qui viennent de
gagner un match.
S’il vous plaît, Agnès, faites quelque chose pour
moi, mettez deux, trois cloisons, par-ci par-là… C’est rien à
faire, et pas cher…