POMPON
Quand je les ai vus, ils saucissonnaient
au bord du chemin ; l’âne attaché à un arbre, et le type, un
barbu, genre catho traditionaliste ou écolo, couché dans l’herbe à
côté. Je me suis dit : Ah non, je ne vais pas me trimballer
avec un mec et un âne, plus l’histoire du mec et de son âne !
Au secours ! Je les ai salués, et je me suis mise à cavaler le
plus vite possible pour éviter qu’ils ne me rattrapent.
C’était un jour de jubilations,
ce 17 septembre. Après avoir quitté Saintes, et laissé un
cierge aux antiques reliques de saint Eutrope dans la crypte
décrite par le pèlerin Aymeri Picaud au XIIe siècle, j’avais
téléphoné à ma mère pour son anniversaire, et à Valérie pour rien,
assise sur une borne, juste parce que je me sentais bien et que
j’avais envie de le dire à une amie. Grâce à ces grosses bornes,
précisément, qui balisent les Charentes, je pouvais me passer de
cartes et de guides, et entrer avec confiance dans un paysage qui
virait doucement au Midi de mon enfance, celui qu’on appelait le
Midi moins le quart pour le distinguer de l’autre, le Midi de
Pagnol et des Parisiens. Du chemin, j’apercevais à l’horizon la
nationale 137 qui nous conduisait autrefois chez
notre grand-mère paternelle à Lavaur, dans le
Tarn. Ça sentait déjà le Sud-Ouest, ses poules, ses oies et bientôt
ses pintades dans une campagne de maisons blanches à toits de
tuiles. Les gens n’avaient pas encore l’accent, mais déjà le texte.
Je l’avais vérifié auprès d’un homme en short assez ventru à qui
j’avais demandé de l’eau. Comme je le félicitais pour les glaïeuls
de son jardin, il me dit qu’il en avait eu un de plus d’un mètre
quatre-vingts, à trois têtes, saumon orangé, le mois précédent...
Je m’ébahis poliment.
Ensuite, j’avais fumé une cigarette de
délices dans une sorte d’Olympie miniature : les ruines de
Thénac. Trois bouts de colonnes cassées, trois petits cyprès, un
pin. Pierres grises sur fond vert profond. Manquaient les cigales.
Pauvreté de la pensée, pauvreté de l’écriture, pauvreté du pèlerin,
ai-je noté, heureuse dans ma bulle de solitude.
À la fin, le paysage était nul et
plat ; l’arrivée à Pons interminable, comme à Saintes la
veille. L’accueil des pèlerins en haut de la ville, et
l’hébergement en bas, à l’autre bout — évidemment. Sous
une voûte antique tout ce qu’il y a de chic, classée par l’UNESCO
et bien fermée. On m’avait donné un numéro de digicode, mais
impossible de trouver la porte qui allait avec. Au moment où je
téléphonais pour me renseigner, un énorme orage éclata. Des trombes
d’eau. Et le barbu est arrivé. Avec l’âne. Sous des plastiques
dégoulinants. Sûrement le Bon Dieu qui me les envoyait ; je
n’allais pas leur faire le coup de Raquel... D’ailleurs le barbu
trouva la porte sans s’énerver.
Or donc, ainsi qu’il devait être écrit
depuis le commencement des siècles, en mangeant une pizza sur
la place, j’eus droit à l’histoire du mec avec
l’âne. Le barbu s’appelait Pascal, et quand il déclara que la bière
que nous buvions en apéritif était la preuve de l’existence de
Dieu, je fus rassurée : pas le genre d’argument théologique
d’un abonné à Famille chrétienne... Et comme il travaillait
dans « la grande distrib’ » peu de risques non plus qu’il
fût écologiste ; sa barbe n’était pas un uniforme. Quant à
l’âne, il s’appelait Pompon, ce qui est le sort de tous les ânes,
quand ils ont échappé au patronyme de Cadichon, glorifié par la
comtesse de Ségur.
Ingénieur agronome, Pascal s’était
retrouvé en coopération à Haïti, où il avait essayé de restaurer
l’élevage porcin sinistré après le tragique abattage de ses cochons
noirs (effet pervers de l’impérialisme américain sur lequel
j’appris tout), quand un terrible accident de moto, qui aurait pu
lui coûter la vie, se contenta de lui exploser un pied. « Si
je remarche un jour, s’était-il dit alors, je marcherai. »
Après quantité d’opérations, son pied restauré, il se souvint de
son vœu et décida d’aller à Compostelle. Il se fit faire des
chaussures sur mesure et s’entraîna. Peu avant le départ, il se
rendit compte que, si la marche ne lui posait pas de problème, il
ne pouvait pas en même temps porter du poids sur le dos sans
souffrir atrocement. Comment trimballerait-il ses affaires ?
« Prends un âne », lui conseilla un ami. Beaucoup de
pèlerins étaient allés à Santiago avec des ânes. Pascal le Nantais,
garçon plutôt citadin, se mit à la recherche d’un âne sur le net.
Aucune location ne semblait envisageable sur une telle distance, et
la vente pas donnée : six cents, huit cents, parfois plus de
mille euros !
Le seul âne qui ne grèverait pas son
budget et n’habitait pas trop loin était en Vendée. Pompon. Pascal
alla lui rendre visite, le trouva maigre et
poussiéreux mais constata, en le faisant évoluer parmi des
tracteurs, qu’il n’avait pas peur ; il topa là. « Je l’ai
trouvé moche, mais sympathique », dit-il. Un pèlerin, grand
ami des ânes, lui fournit un bât, quelques conseils, et son numéro
de téléphone en cas de problèmes. Sur ses papiers, obligatoires
pour circuler à travers la France, le vétérinaire avait
écrit : « âne d’origine incontrôlée »... Pompon
n’avait « aucun signe particulier », et même son âge,
« environ trois ans », était flou.
Le lendemain, avant notre départ pour
Nieul-le-Virouil, je donnai un coup de brosse à Pompon et
montrai à Pascal comment lui curer les sabots en lui agrippant la
queue, pour éviter les ruades. Réflexes de Saumuroise : je ne
suis pas une brillante cavalière, mais un excellent palefrenier.
Avant de le bâter, il me fit remarquer la croix que Pompon, comme
tous les ânes, portait sur les épaules ; elle était si
discrète que je ne l’avais pas vue... Et nous voilà partis. Pascal
était un grand costaud fort sympathique, mais il n’avait aucune
autorité sur son âne. Ni même l’idée qu’il dût en exercer une. Nous
marchions au rythme de Pompon, qui n’arrêtait pas de bouffer. Trois
pas rapides et hop ! un arrêt brusque pour arracher de l’herbe
ou siffler une goulée de glands au passage. On aurait dit une sorte
d’aspirateur fou. Pour lui, le paysage, entièrement comestible,
devait ressembler à une énorme pâtisserie ; il vivait à chaque
instant les émois de Charlie dans la chocolaterie... Et nous le
suivions, d’accélérations en ralentissements.
En fin de matinée, Pascal m’a laissée le
conduire ; je crois que ça le soulageait un peu. Je dis à
Pompon : « Pompon, on ne va pas s’en
sortir comme ça. Tu n’es pas un âne américain. Tu ne dois pas
marcher et manger à la fois. Ou tu marches ou tu manges !
Maintenant tu marches, et on s’arrêtera toutes les heures cinq
minutes pour te laisser manger. En avant ! » Je tirai sur
sa corde et dressai mon bourdon en l’air. Pompon fit un pas de
travers et essaya d’attraper un épi de maïs en douce. Même pas
peur. Alors qu’il suffit d’agiter l’ombre d’une chambrière devant
les yeux d’un cheval pour l’affoler, mon bâton levé ne suscitait
aucun émoi chez l’âne... Il ne semblait pas davantage sensible au
son de ma voix. Pascal suivait la scène avec intérêt. Comme je suis
aussi têtue qu’une bourrique, je réussis, après quelques
rebuffades, en lui tirant le nez avec sa longe, et en appliquant le
plat de mon bourdon derrière ses fesses, à le maintenir à notre
allure et à le faire trotter droit. Mais c’était un effort de tous
les instants ; Pompon m’avait à l’œil. Dix minutes plus tard,
il se mit à boiter ostensiblement : pure comédie ! Et qui
aurait pu réussir, si je n’avais pas lu quelque part que c’était
une ruse commune chez ses congénères... Pascal éclata de
rire : Quel talent, ce Pompon !
La fille de l’écuyer en chef était donc
devenue dresseuse d’âne : quel destin ! Mais qui avait
ses limites : si Pompon se mit à trottiner avec régularité,
s’arrêtant net à chaque heure pour sa collation comme s’il avait
une horloge dans l’estomac, il continua cependant à nous imposer
son train pour le cours de la journée : lent au départ, et de
plus en plus rapide jusqu’au soir, quand il sentait l’étape
arriver. Je le traînais le matin et il me traînait l’après-midi. Il
hérita donc de mon sac. Ça le lestait dans ses désirs de foncer, et
moi, ça me délestait. Le rythme s’installa,
alternant marche et alimentation, plus une bonne heure de pause
pour le déjeuner, où il était débâté. Car une de ses spécialités,
m’apprit Pascal, qui appelait ça des « pomponeries »,
était de se rouler par terre sans égard pour son éventuel
chargement, et de préférence avec. Signe avant-coureur : il
grattait le sol du sabot pour trouver du sable... Autre facétie, un
soir, sur une place de village : il s’écroula par terre, et
resta couché, immobile, pattes en rond, son barda sur le dos.
Impossible de le faire relever. Une vraie bûche. Après un coup de
fil à son pèlerin conseiller en ânes, Pascal, tout sourire, trouva
la solution... Il s’en fut remplir ma gourde à la fontaine et, sans
dire un mot, la vida sur le crâne buté du bourricot, de toute sa
hauteur, juste entre les deux oreilles. Pompon bondit illico sur
ses pieds, comme s’il était monté sur des ressorts !
En réalité, je n’étais pas son maître.
Car, comme les chiens, les ânes ont un maître, et Pascal était le
maître de Pompon. Impossible de l’ignorer : dès qu’il le
voyait arriver à l’aube ou s’éloigner dans la journée, Pompon
poussait des braiements à fendre l’âme, que seule l’ingestion de
pain ou de carottes pouvait contenir. C’était très commode pour
faire les courses. Et surtout très discret, quand Pascal essayait
d’aller acheter des cartes postales en me laissant boire un verre
en terrasse, où je donnais l’effet d’être une tortionnaire à côté
de mon inconsolable en larmes... Pompon n’obéissait pas davantage à
Pascal qu’à moi, mais il l’aimait — et il me supportait.
Il n’est pas dans la nature des ânes de se laisser dresser ;
ils sont beaucoup trop malins pour ça. Mon père m’a toujours dit
que si les chevaux étaient intelligents, ils n’auraient jamais
accepté que des hommes leur montent sur le dos.
Le gabarit des ânes ne leur laisse pas un tel choix, mais ils ont
développé des siècles de bruyant libre arbitre, et leur dos reste
marqué d’une croix en souvenir, dit-on, de l’ânesse que réclama
Jésus pour le porter en triomphe dans Jérusalem. Si le cheval est
la plus noble conquête de l’homme, l’âne est l’humble choix de
Dieu. Il ne marche qu’à l’amour.
Même silencieuse, la présence de Pompon
suffisait à déclencher des attroupements dès que nous traversions
une agglomération. Notre trio avait des allures de cirque ambulant.
Dès le premier jour, de grosses Anglaises nous photographièrent en
nous parlant du livre de Stevenson sur sa traversée des Cévennes
avec un âne, et un couple de Gitans me proposa de l’argent en
échange de prières à Compostelle... Pompon attirait en priorité les
vieilles dames et les enfants ; j’en vis une se priver pour
lui du pain brioché qu’elle destinait à sa sœur, exactement comme
les petits lui offraient spontanément leurs goûters. Le mieux fut
un dimanche de pluie où nous étions réfugiés sous un abribus pour
casser la croûte. Une voiture passa dans un sens, puis repassa dans
l’autre, et finit par s’arrêter. « Est-ce que ma fille peut
caresser l’âne ? » demanda la conductrice, un peu
méfiante, en ajoutant : « Vous êtes des vrais ? Des
gens comme vous, on n’en voit qu’à la télévision ! » Je
montrai à sa fille comment donner du pain à l’âne, en mettant la
main bien à plat, pour ne pas se faire mordre. Elle me demanda si
Pompon parlait, comme Shrek, dans le dessin animé. Pas encore, mais
ça ne manquerait pas, si on l’embêtait trop. Car dans la Bible
aussi, l’ânesse du devin Balaam se mettait à parler. Pour engueuler
son maître, et lui reprocher de l’avoir frappée alors qu’elle essayait simplement d’éviter l’ange qui leur barrait
la route avec son épée — et qu’il était trop nul pour
avoir vu, ce prétendu voyant...
Sans l’ombre de la moindre maltraitance,
mais tout au contraire brossé, caressé et gavé, Pompon devenait de
plus en plus beau et prospère. Resplendissant. Il finit même par
développer une sorte de coquetterie qui le faisait piler net quand
son bât n’était pas arrimé de façon assez équilibrée sur ses
flancs, ou que son imperméable de plastique bleu pendouillait, et
redresser la tête dès que nous croisions des juments. Curieusement,
car il était castré, les juments (et pas seulement les
ânesses !) se précipitaient sur son passage, et il s’arrêtait
alors de longues minutes pour leur renifler les naseaux, de l’autre
côté de la clôture, en une espèce de flirt charmant que nous
n’osions trop interrompre. Ensuite, elles escortaient ses pas,
tendres et tremblantes, jusqu’aux limites de leurs tristes
barbelés. Décidément, en amour, la taille ne compte pas, nous
disions-nous, en regardant notre Don Juan avec une fierté imbécile
de parents méditerranéens. Inutile de rêver : nous n’aurions
jamais tout une marmaille de petits mulets...
Le seul élément dont l’intrépide Pompon
avait peur, c’était l’eau. Pascal et lui avaient déjà eu l’occasion
de terminer ensemble, les quatre fers en l’air, le passage d’un
ruisseau dans la flotte. Lui faire traverser un pont était toute
une affaire ; il fallait le mettre au beau milieu de la
chaussée, le plus loin possible des bords, en lui bouchant toute
vue sur les côtés. Cette phobie tombait particulièrement bien car
nous avions au programme le franchissement du plus grand estuaire
de l’Europe ! Rien de moins. Depuis le Moyen Âge, les pèlerins
de Compostelle traversent la Gironde à Blaye sur
des embarcations instables où la tradition rapporte qu’ils se
faisaient rançonner quand ils avaient eu la chance d’échapper à la
noyade. De nos jours, il y a un bac, mais le fleuve est toujours
aussi large... Nous avions bu pour nous donner du courage, et
habilement glissé entre deux véhicules, Pompon se retrouva à fond
de cale, rangé parmi les voitures, les camping-cars et les vélos,
sans aucune vue sur une eau plutôt marronnasse. D’autorité, un
employé tendit à Pascal une pelle et un seau, qui se révélèrent
utiles pour recueillir l’expression concrète, mais finalement
modeste, de sa frayeur...
Grand cœur, Pompon était taillé pour
l’exploit ; il supportait mieux les grandes rivières que les
petits ruisseaux.
*
De l’autre côté de l’estuaire, une dame de
la mairie acceptait de loger Pompon dans son jardin, où Pascal
camperait. J’espérais qu’elle m’offrirait un lit ou un canapé, mais
elle n’était pas là quand nous sommes arrivés, et Pascal me proposa
de partager sa tente igloo format SDF de l’association Don
Quichotte dans le terrain qu’elle nous allouait. Même si nous
n’avions jamais fait chambre à part depuis notre rencontre, de
dortoirs en salle de réunion, nous n’avions jamais couché aussi
près ! Néanmoins sa proposition semblait sans arrière-pensées,
et je n’avais pas le choix. Les nuits ne sont pas aussi chaudes que
les jours, fin septembre.
Je n’avais pas dormi sous la tente depuis
les scouts... Pascal n’avait jamais campé de sa vie avant le
pèlerinage, et les quelques nuits qu’il avait
déjà passées sous la toile l’avaient frigorifié. Normal,
pensais-je : il ignorait le principe selon lequel il faut se
préserver autant de l’humidité qui monte la nuit que de celle qui
descend le matin, et s’isoler du sol comme du ciel, en étalant la
couverture de survie par terre. Ce que je fis. Nous achetâmes une
bouteille de bordeaux, une voisine nous offrit des tomates, et,
après quelques agapes, nous dormîmes dans une commune chasteté
monacale, habillés de pied en cap dans nos sacs de couchage,
chaussettes et polaires comprises. J’avais juste oublié de mettre
un bonnet, et mes cheveux étaient transformés en serpillière quand
je me réveillai, vers trois heures du matin, au son étrange et
familier des mâchoires de Pompon : il bouffait, l’animal, même
au milieu de la nuit ! Le sol bien dur me remontait dans la
peau de toutes ses aspérités ; j’entendais le bruit de
l’autoroute au loin ; nous étions dans une espèce d’ancienne
campagne en construction, cernée par des maisons inachevées, mais
déjà habitées. Pompon mangeait parce qu’il ne faisait pas vraiment
noir : la pollution lumineuse orangée de l’éclairage routier
grignotait le champs des étoiles comme ces maisons la nature.
Au matin, nous étions tout poisseux, et
Pascal aussi frigorifié que d’habitude... Mme Sanchez, de retour,
nous offrit une douche et un petit déjeuner ; elle ne voulait
pas d’argent, juste une carte de Compostelle. Son mari nous montra
la route sur une carte d’état-major.
Car en prenant le bac, nous avions quitté
les Charentes et leurs grosses bornes pour retrouver guides, plans
et énigmes : le chemin n’était plus tout tracé...
Le Bordelais était en pleines vendanges,
mais nous ne fîmes pas goûter de raisin à Pompon, de peur
qu’il apprécie trop. Quant à nous, fort
instruits, grâce à Pascal, des traitements pesticides, nous ne
cueillions des grappes que si elles nous tombaient du ciel, leurs
vrilles enroulées aux buissons ou aux branches des arbres, par une
bizarrerie de la nature qui les avait fait essaimer dans les bois,
et rendues à l’état sauvage. Sur les collines, les vendangeuses
mécaniques taillaient la vigne comme un buis versaillais, donnant
aux collines l’aspect géométrique et rayé d’un crâne natté
d’écolière africaine. Entre deux châteaux, la campagne continuait à
se construire, et, parmi les terrains vagues, futurs jardins, se
dressaient déjà, solitaires et biscornus, des portails tarabiscotés
où s’affichait la prétention des propriétaires à rivaliser de
laideur ostentatoire avant même l’existence d’une clôture à fermer.
Le portail, ultime refuge de la vanité humaine... La région
semblait prise d’une telle frénésie de maçonnerie que nous avions
lu dans un village, à l’entrée du cimetière, une pancarte
interdisant de prendre l’eau des morts pour la mettre dans sa
bétonnière...
Toujours hantée par mes rêves de solitude
inspirée, que nourrissaient aussi les désirs plus matériels d’un
nouveau pantalon et d’une épilation en institut, je pensais laisser
Pascal pour traverser Bordeaux, où je trouverais ces
indispensables, et que Pompon l’obligeait à contourner. Mais nous
avions encore deux étapes en commun et son guidage m’enlevait bien
du tracas.
Nous formions un drôle de couple... Pascal
était gentil, bavard, courtois et, comme souvent les gens qui ont
été longtemps malades, patient. Il passait des heures au téléphone
pour organiser des étapes que la compagnie de Pompon compliquait.
Tous les propriétaires des gîtes ruraux
n’étaient pas prêts à accepter qu’on boulottât leur potager, et
toutes les mairies n’avaient pas d’enclos... Père de trois garçons,
et séparé de leur mère qui élevait du jurançon près de Pau, alors
qu’il gérait des histoires très complexes de transports de poulets
pour les hypermarchés bretons, Pascal était habitué, par les
nombreux week-ends qu’il passait seul avec ses enfants, aux
locations. Les balais, les serpillières et les produits ménagers
n’avaient aucun secret pour lui. En revanche, quoique très
gourmand, il mangeait n’importe comment. Sa seule idée en la
matière était qu’il fallait faire un repas chaud par jour.
Comme le bât de Pompon nous autorisait à
transporter plus de courses que ne le font d’habitude les pèlerins,
je me mis à gérer les provisions et organiser les repas en bonne
ménagère, talent dont je suis généralement dépourvue. À ma grande
surprise, je me retrouvais en train de creuser des tomates pour les
remplir de macédoine de légumes, et à mettre la table avec les
moyens du bord, tandis que l’homme allait nourrir la bête et
brancher l’électricité. J’avais l’impression de jouer dans La
Petite Maison dans la prairie. Pascal était très bon public
pour ma cuisine, et touché aussi que je m’occupe de ses ampoules,
alors que j’ai toujours aimé soigner les bobos, depuis mes quatorze
ans, l’époque des scouts, où j’ai passé mon brevet de secouriste à
la Croix-Rouge. Nous formions un drôle de couple, mais je n’ai pas
l’habitude de former un couple, et cette espèce de féminité
retrouvée, d’infirmière cuisinière, pour inattendue qu’elle soit,
était assez plaisante à vivre. C’était une autre surprise du
chemin, et je compris qu’il fallait que je la vive comme telle au
lieu de vouloir toujours me carapater. Après
moult hésitations, je finissais, chaque soir, par repousser notre
séparation.
*
Deux nuits de suite, nous fûmes hébergés
par un clergé hors d’âge. D’abord par des religieuses à la
retraite, au Plan-Médoc, puis par un vieux curé méfiant qui
ressemblait au rat musqué de Kipling. Chez les bonnes sœurs, nous
fîmes chambre à part pour la première fois dans de vrais lits aux
vrais draps, tandis que Pompon grignotait leurs acacias. Les
vieilles bonnes sœurs réparèrent mon fond de pantalon troué avec un
autocollant rustique, et nous nourrirent d’omelette aux pommes de
terre sous le portrait du pape, au cours de leur dîner dans des
odeurs de soupe et de cire. Elles étaient huit, et j’avais
l’impression d’être chez Blanche-Neige. Enfin, à l’envers... L’une
d’elles, Espagnole, fit remarquer que l’omelette n’était pas très
bonne, et que ce n’était guère étonnant vu l’antiquité qui l’avait
fait cuire et venait de s’éclipser... La supérieure, un peu plus
jeune que les autres, lui répondit gentiment : « Il ne
faut pas enlever aux vieux ce qu’ils font moins bien, ça les
humilie davantage. » Pas mal. Elle nous avait déjà annoncé,
enchantée, la victoire au rugby de la France contre l’Écosse :
« C’est bon pour le moral : le jeu et la
météo ! » Pour nos deux chambres, les repas et la grande
prairie de Pompon, les religieuses ne nous demandèrent pas
d’argent, mais acceptèrent sans problème celui qu’on leur donnait.
C’est le système catholique : tout est gratuit, mais on fait
la quête à la fin...
L’autre curé, guère plus jeune, le
lendemain, grinçait à nous accueillir : les
pèlerins de Compostelle étaient une habitude de son
prédécesseur ! Un peu trop folklorique pour lui plaire, et
avec un âne en plus ! Il n’exprima pas la cause de ses
nombreuses réticences, mais finit, à reculons, par nous prêter une
salle de catéchisme pour y dormir en repoussant les tables, avant
de partir célébrer sa messe du samedi soir en mobylette, sans nous
proposer de l’accompagner. Au cours du dîner au restaurant chinois
(au milieu de nulle part, dans la banlieue de Bordeaux !) où
le vin de table s’appelait subtilement Shin Hoa mais où les
gens avaient enfin l’accent du Midi, j’expliquai à Pascal que
c’était un curé moderne, et lui prédit qu’il nous vanterait
l’action des laïcs dans l’Église en réponse au manque de prêtres et
son inquiétude face aux intégristes. Ça n’a pas manqué le lendemain
au petit déjeuner, et j’ai gagné facilement une réputation
d’extralucide. Pourtant ce n’était pas difficile à deviner. Avec
notre âne et notre pèlerinage, il nous avait pris pour des
traditionalistes... Après tout, n’avais-je pas moi-même soupçonné
Pascal, à première vue, d’en être un ? Et qu’est-ce que ça
aurait eu de si terrible ? Autrefois, quand les catholiques
étaient nombreux, ils cherchaient à convertir la terre entière.
Aujourd’hui, quand il n’y a plus que 4,5% de Français qui vont
à la messe chaque dimanche, les catholiques pratiquants sont
devenus un groupuscule si groupusculaire qu’il développe cette
suicidaire logique commune aux groupuscules : l’exclusion de
ses propres membres... C’est malin ! Et cela fait un moment
que ça dure.
D’ailleurs, Pascal aussi en a été victime.
Petit, quand il a voulu apprendre l’harmonium pour jouer à
l’église, la titulaire lui a dit : « Montre tes
mains ! » et puis : « Ce n’est pas la peine, elles sont trop petites ! »,
m’a-t-il confié en étalant ses longs doigts sous mes yeux. Et quand
plus tard, il a proposé son aide au prêtre pour servir la messe du
matin à sept heures, le curé lui a répondu : « Non, ça me
compliquerait la vie. » Voilà comment on encourage les
vocations ! Cette génération de modernes en voulant ouvrir
l’Église aux autres l’a fermée aux siens, et s’étonne de ne plus
trouver comme jeunes prêtres que les fils de ceux dont elle ne
voulait plus, trop typés, et qui ont attendu que ça passe dans leur
coin, agrippés à leurs chapelets en famille, les fesses bien
serrées. Ou les Africains et les Asiatiques, petits-enfants des
missionnaires, qui n’ont guère l’esprit plus large, malgré leurs
belles couleurs. Les prêtres modernes n’ont encouragé personne à
devenir prêtre, comme s’ils voulaient être les derniers des
Mohicans. Pascal dit : L’Église devrait avoir autre chose à
proposer... Certes ! Déjà une veine qu’il ne soit pas devenu
bouddhiste ! Nous en avons tous eu la tentation, un jour ou
l’autre, et nous cherchons sur le chemin à la fois une forme de
spiritualité agreste inventée là par les pèlerins de jadis, loin de
leurs querelles de clochers, et les traces d’une enfance où nous
avions la foi.
J’aime les prêtres qui croient en Dieu,
comme le père Antoine ou le frère Matthieu. Et je commençais à
aimer saint Théophane, dont je continuais à lire les lettres :
il était en train d’apprendre à fumer le cigare avec les autres
missionnaires sur le bateau pour l’Indochine... À l’époque, c’était
obligatoire : la fumée servait à chasser les moustiques !
J’y vis une caution à mes propres clopes, bien entendu...
*
Il pleuvait parfois quelques heures. Sous
nos grandes capes, la pluie n’était pas désespérante, comme je
l’avais craint, et mon poncho rouge me donnait toute satisfaction.
Simplement, il ne fallait pas marcher trop près de la grand-route,
si l’on ne voulait pas se faire happer par des camions ; ils
avaient déjà emporté mon chapeau et chaque année, surtout en
Espagne, des pèlerins périssaient ainsi... Pascal aussi avait un
poncho rouge, mais dans une matière moins perfectionnée, et nous
avions les mêmes chaussettes synthétiques, orange et gris, les
mêmes tee-shirts « à fond la forme » à six euros, qui
cousinaient le soir sur mon indispensable fil à linge, façon Laurel
et Hardy, entre deux arbres. Dans un surplus américain, je nous
avais trouvé des chaussettes noires qui séchaient vite pour la
nuit. J’ai regretté de n’avoir pas pris pour Pascal un sac de
couchage — 10° puisque le sien ne lui tenait pas chaud.
Je ne l’avais pas acheté parce qu’il était gros : réflexe de
pèlerine sans âne... C’était idiot.
Au Barp, nous avons retrouvé la pèlerine
coincée. Nous l’avions déjà croisée, peu causante et fermée, à la
sortie de quelque monument historique ; elle nous lançait
toujours des regards furieux. Partie de Paris, elle suivait la voie
de Tours, et visitait tout ce qu’il fallait visiter selon le guide.
Je pensais qu’elle nous prenait pour des ilotes incultes (le mot
ilote montre une boursouflure d’ostentation culturelle digne d’un
portail bordelais !) mais elle finit par m’avouer la cause de
son ire : Pompon. Nous étions des pèlerins hédonistes qui
avions loué un âne pour nous la couler douce en nous débarrassant de nos sacs à dos... J’ai eu beau lui expliquer
l’accident de Pascal, elle campa sur ses positions. Au refuge, elle
se fit cuire des pâtes sans assaisonnement (ah, le mythe des sucres
lents !) en refusant de partager avec nous melon, poulet,
camembert à la louche et pêches arrosés d’un excellent bordeaux,
menu qui ne fit rien pour améliorer notre réputation. Le chemin est
assez dur pour qu’on n’ait pas besoin d’en rajouter ! Et le
maniement de Pompon largement aussi usant que le port d’un sac à
dos...
Le plus joli endroit où nous logeâmes fut
le refuge de Saint-Pierre-de-Mons, près de Belin-Beluet, un gîte
médiéval avec le confort moderne, pour nous tout seuls, sur une
pelouse vert clair entourée de pins. Le sable des Landes était si
doux sous la mousse, que je descendis pieds nus me baigner les yeux
à une fontaine miraculeuse dans un décor de conte de fées. La
vieille église était fermée ; entourée d’un cimetière plein de
plaques de faïence aux dessins naïfs représentant les multiples
chasseurs de palombes et autres pêcheurs qui reposaient ici, en
pleine nature, elle comportait un côté séparé pour les lépreux et
les excommuniés. « La sacristie du XVe est sans
intérêt » prévenait un panneau signé par les historiens
locaux — et sans doute destiné aux cambrioleurs...
Pompon, débâté, se roulait de bonheur dans le sable. Mon ânier, ce
soir-là, me tint des propos délicats mais un peu trop affectueux,
et l’envie de reprendre mon indépendance, qui ne m’avait jamais
quittée, y trouva un bon prétexte. Le chemin de Compostelle ne
pouvait se transformer en voyage de noces avec un âne, d’autant que
Pascal prévoyait pour le lendemain une étape de quarante kilomètres
dont je me sentais incapable, avec tendinite
assurée. Il devait s’arrêter à Saint-Jean-Pied-de-Port, à la
frontière, mais je devais tenir jusqu’au bout. Sans moi, ils
iraient beaucoup plus vite, avec leurs six pattes, et je pourrais
loger à mi-chemin dans une maison d’hôtes qui n’accueillait pas les
animaux.
Plus lente, je partis donc plus tôt le
lendemain, et quand Pascal me rattrapa, à un café, il me dit que
Pompon avait exécuté une série de ruades festives en constatant mon
absence. Je lui avais laissé, en évidence au milieu du chemin,
quelques carottes des sables tombées des camions et qui
constituaient pour lui autant de cadeaux du ciel... Ensuite, ce fut
lui qui laissa la marque de ses sabots dans le sable, ou parfois
des traces plus odorantes, pour me guider...
*
Recouvrant ma liberté sans esquisser de
ruades, je retrouvais avec bonheur les deux mamelles de mon
existence : les églises et les PMU. Je commençais toujours par
l’église (« Dieu premier servi », selon Jeanne d’Arc) où
je mettais des cierges en présentant au ciel les prières nées de
mon épuisement quotidien, et ensuite le PMU, où je les trouvais
exaucées. La compagnie de Pompon, dont la sirène se déclenchait dès
qu’on le laissait garé à l’extérieur, m’avait un temps éloignée de
ces lieux fraternels qui conservaient des bulles de mon enfance
dans la poussière muséale de leurs vieilles réclames. Souvent tenus
par des femmes énergiques, capables de maîtriser une clientèle
masculine possiblement imbibée, les PMU sont teintés du rêve
obstiné qu’entretiennent les chevaux et l’alcool dans la cervelle
des hommes. J’y trouvai à manger, à boire,
quelquefois des journaux, et même un chapeau de pluie, à Pissos,
pour remplacer le mien, envolé sur la route. Un vrai chapeau
imperméable de Mémé....
Je retrouvai aussi la bonne cuisine des
chambres d’hôtes (bien meilleure que la mienne !) et traversai
la forêt des Landes. « C’est le pays le plus ennuyeux du
monde », écrit un pèlerin du XVIIIe siècle,
Guillaume Manier, avant, il est vrai, que les pins fussent plantés.
J’en avais conservé un souvenir tout aussi ennuyeux, en voiture,
avec les pins, au siècle dernier, déjà... Mais à pied, sur de
souples chemins de sable, c’était somptueux. L’automne semait à
profusion ses ors et ses pourpres sur des mers de fougères mauves,
laissant apparaître, sur des plages de prairies, de charmantes
maisons de poupée en bois, à peine posées sur l’herbe. Bien sûr, il
y avait toujours une route pour me ramener vers l’autoroute, une
route brutale, efficace, dure, et qui n’était pas la bonne. Au
café, la veille, on m’avait dit : C’est inutile de faire le
détour par Pissos. Sauf que c’était par là, les belles Landes
désertes, et qu’il fallait bien qu’un pèlerin y passe pour
contempler le monde et en avoir le cœur ébloui. À quoi ça sert,
sinon, que le Bon Dieu se décarcasse ? Et où aurais-je trouvé
ailleurs un chapeau imperméable ?
Pascal fit de trop longues étapes
« au compas de ses longues jambes », comme un héros de
Dumas, et attrapa vite une tendinite. (Je l’avais prévenu !
maugrée la mégère en moi.) Il en avait même deux, le malheureux,
quand je le retrouvai à Ostabat, au Pays basque, une semaine plus
tard, à une étape de son but. Il avait laissé Pompon en pension
dans une ferme de Saint-Palais, où il y avait déjà des ânes, ce qui
était très important, car les ânes, me dit-il,
ne supportent pas la solitude. Pompon devait rester là jusqu’à ce
que Pascal trouve le temps de venir le rechercher en camionnette.
Saint-Palais était décidément un pays plein de ressources... Je n’y
avais pas dormi, mais aussi trouvé une merveille : une
esthéticienne ! Et qui m’avait prise tout de suite, sans
rendez-vous ! Ça, c’était un vrai miracle ! Je m’étais
contentée de demander à la marchande de légumes, à qui j’achetais
mes bananes quotidiennes (faciles à trimballer dans leur emballage
bio dégradable), où il y avait un salon de beauté. Mais juste dans
la rue derrière ! Et, chose à peine croyable, la fille avait
le temps de s’occuper sur-le-champ de mes mollets barbus... Ce
n’est pas parce qu’on se transforme en épouvantail à ânes qu’on
doit virer Madame Cro-Magnon ! Merci Seigneur ! Je ne
racontai pas cet épisode mystique à Pascal, qui poursuivait le
récit des aventures de Pompon : comme il ne pourrait pas le
loger ensuite dans son appartement nantais, il lui cherchait un
hébergement dans un établissement pour enfants handicapés de la
région, qui avait déjà quelques animaux et pourrait bénéficier de
sa bonne humeur. Ainsi, me dit-il, Pompon poursuivrait-il sa
mission d’âne humanitaire...
*
À Ostabat les trois chemins venant de
Tours, du Puy et de Vézelay se rejoignent, et nous étions plus
nombreux pour dîner à l’auberge. Le patron ressemblait à Jean
Yanne. Un barbu, le béret vissé sur le crâne. Il nous raconta qu’à
Lourdes, l’eau miraculeuse était approvisionnée par la Lyonnaise
des Eaux qui la livrait avec des
camions-citernes, et que c’était un gros business. Que les cierges
étaient vendus et revendus plusieurs fois avant d’être allumés...
Cela ne réussit pas à nous dégoûter de son fromage de brebis qu’il
dut aller planquer à la cave, pour le soustraire à notre voracité.
Sa mauvaise foi venait-elle d’une rivalité entre vallées
pyrénéennes ? Tant qu’à apparaître dans la région, pourquoi la
Sainte Vierge avait-elle choisi la Bigorre ? Plutôt vexant
pour les voisins... À la fin du repas, il ajouta que les vrais
pèlerins étaient ceux qui venaient de loin à pied, pas en autobus,
et dont le regard était entré en eux-mêmes. Aucun doute, nous
étions dans ce cas-là... D’ailleurs il apposa un mot gentil, en
basque, comme un certificat d’authenticité, à côté du tampon, sur
ma crédentiale.
Le lendemain, Pascal avait tellement mal
qu’il en était devenu silencieux. C’était nouveau. Il lui en
fallait beaucoup. Sa douleur ne le quittait que s’il s’asseyait, et
nous marchions à petits pas de petits vieux pour rejoindre
Saint-Jean-Pied-de-Port, en nous posant souvent sur des meules de
foins enrubannées de film plastique destinées à devenir la
nourriture des vaches en hiver, une sorte de choucroute assez
malodorante, dont il m’avait appris l’existence. Je le gavai de
Voltarène et de bananes, en lui racontant, pour le faire rire, mes
aventures avec mon deuxième mari, que j’avais surnommé, dès le
lendemain de notre rencontre, et de façon fort peu charitable,
Pénine zi Ass (écriture phonétique de l’anglo-américain
« pain in the ass », signifiant mal au cul)...
La nature ayant horreur du vide, disais-je
donc à Pascal, il était sans doute écrit, depuis le commencement
des siècles, qu’ayant abandonné mon premier mari, l’ânier, le ciel
m’en fournirait un autre. À Labouheyre, où il y
avait un vrai refuge, avec des cordes à linge, tenu par de vrais
pèlerins, et où j’avais fait d’ailleurs d’abord une confusion
étrange... Dans l’église, où j’étais allée mettre mes cierges,
j’avais vu un sac à dos, sous le porche, et un pèlerin barbu qui
remplissait le livre d’or. En voilà un vrai, m’étais-je dit, un qui
va dans les églises. Son sac était très gros et il avait des
baskets, ce qui n’est guère recommandé. Je lui dis bonjour, et lui
indiquai le refuge. Mais il m’en recommanda chaudement un autre, au
Barp, que lui avait signalé le curé. Pourtant Le Barp était dans le
mauvais sens pour aller à Saint-Jacques ! Il sourit : il
n’était pas pèlerin, mais SDF, et avait cru que je l’étais aussi...
Qu’est-ce qui nous distinguait ? De moins gros sacs, de
meilleures chaussures, et surtout un but... La liberté. La
condition de pèlerin est luxueuse, quand on y songe.
Bref, les hospitaliers de Labouheyre
m’offraient une sangria d’accueil quand déboula un nouveau pèlerin.
Il portait un nom d’archange, une chemise de polo, et une sorte
d’énorme bourdon malcommode et verni d’antiquaire, comme j’en avais
vu au curé rougeaud de mon premier voyage. D’emblée, il raconta son
départ de chez lui, et son arrivée aux urgences trois jours plus
tard, tellement il avait d’ampoules : il avait marché sur la
chaussée... On l’avait rapatrié, soigné, et raccompagné juste à
l’endroit où il était déjà arrivé, une semaine après, pour un
nouveau départ. Venant de prendre sa retraite, il vanta les
nombreuses responsabilités qu’il avait exercées dans sa vie
professionnelle, son affreux bourdon, un cadeau, et sa carte
européenne d’assurance-maladie. Comment n’en avais-je pas
une ? C’était indispensable ! Il nous expliqua ensuite la
bonne manière d’aborder le chemin de
Saint-Jacques, en mêlant marche et culture. Il avait tout calculé,
tout prévu sur son itinéraire... Ni le couple d’hospitaliers ni moi
ne disions rien ; nous avions tous les trois déjà fait le
chemin, et nous nous tapions, dans un silence héroïque, les
enseignements d’un néophyte dont le seul fait de gloire était
d’avoir atterri à l’hôpital au bout de trois jours !
Décidément, il y a ceux qui font le chemin, et ceux que le chemin a
faits, soupirais-je in petto...
Quand j’allai me coucher, le dortoir
empestait le camphre : il s’était tartiné de Baume du tigre,
profitant de l’absence de sa femme qui, me dit-il, avait horreur de
ça. (Et moi ? Rien à cirer !) Après quoi il coupa
l’électricité, et se mit vite à ronfler comme un sonneur. Je
sifflais en vain... Comme ses ronflements m’empêchaient de fermer
l’œil, j’entendis la pluie tomber et allai rentrer le linge. Au
matin, après avoir fait sonner son réveil, il avait allumé la radio
à pleins tuyaux et parlait toujours... Enchanté de lui-même, au
milieu du vacarme, il se félicitait d’avoir la chance que ses
sous-vêtements, en je ne sais quel poil de zébu femelle hors de
prix, soient secs. Je lui répondis qu’ils auraient été trempés si
une andouille de bonne femme, réveillée par sa nuisance sonore,
n’avait eu la présence d’esprit de les mettre à l’abri. Il ne
s’agissait pas de chance mais de logique. Son intarissable
logorrhée ne comprenait pas, apparemment, l’usage du mot merci.
Aucune excuse non plus pour les ronflements... Dieu soit loué, le
maître du monde prenait un autre chemin que moi, en suivant la
route, et devait passer la nuit suivante chez des personnes de sa
famille. Je partis tandis qu’il écrivait des phrases immortelles
dans le livre d’or, où j’avais lu le nom de la
pèlerine coincée, passée la veille. Elle avait désormais un jour
d’avance sur moi.
Je croyais en avoir fini avec les
casse-pieds.
Et je m’occupais des miens, qui
jouissaient désormais, telles des fesses de bébé, d’une fine couche
de talc pour prévenir les ampoules ; ils s’en portaient fort
bien. J’avais trouvé un nouveau carnet que je circoncis de sa
couverture pour l’alléger. Je mangeais des bananes et traversais
allègrement des océans de fougères. Le silence s’installait en moi.
Plus on marche, plus on se tait en soi-même.
À Onesse, Pascal et Pompon avaient été
accueillis par un couple de décorateurs homos dont il m’avait
laissé le numéro sur mon portable, mais je doutais, femme sans âne,
de présenter autant de charme à leurs yeux... Après quelques
cierges, j’appris à la mairie que le camping réservait des
bungalows pour les pèlerins. Le gardien, en vadrouille, devait
revenir vers sept heures et demie. Je m’installai donc au bar d’une
ancienne auberge pour l’attendre avec délices : un magazine,
des cartes postales et une bière. Ce bistrot n’était pas un PMU,
mais il y avait de l’ambiance ; la patronne m’annonça que de
la neige tombait déjà sur les Pyrénées, et que je ne pourrais
jamais traverser le col de Roncevaux. Il valait mieux, d’ailleurs,
ajouta un client, car les femmes seules se faisaient violer dans
les refuges espagnols, c’était connu. Étais-je bien raisonnable de
me balader ainsi sans accompagnement ? Et alors que j’étais en
train de vanter à l’assemblée les usages défensifs d’un bourdon
ferré appliqué sur certain endroit de l’anatomie masculine et les
immenses joies de la solitude arriva...
« Pénine zi Ass ! »
répondit Pascal, qui suivait toujours.
Lui-même ! C’est à ce moment-là que
mon for intérieur le baptisa ainsi. Spontanément. Les membres de sa
famille, qui devaient le recevoir, n’étaient pas là, ou n’avaient
pas voulu le loger... Je ne pouvais pas les en blâmer. Il ne savait
plus où trouver un toit. Son splendide sens de l’organisation
n’était pas allé non plus jusqu’à prévoir d’acheter des provisions
avant la fermeture imminente de l’unique épicerie... En
l’entraînant faire des courses, je lui proposai de l’emmener avec
moi au camping, à la condition que nous ne partagerions pas le même
bungalow, car je tenais à fermer l’œil... Le gardien arriva à la
nuit close. Ancien videur de boîte de nuit, anneau dans l’oreille
et gueule d’ange, il tint à nous offrir un verre avant de nous
installer dans nos mobile homes. Il ne connaissait rien au chemin
de Saint-Jacques et voulait tout savoir... Heureusement, avec
Pénine zi Ass, il tombait sur un vrai spécialiste !
Quelques tournées plus tard, j’héritais du mobile home avec
douches, et PZA de celui avec la télé. Il déboula donc se laver
chez moi, avant moi, évidemment, vers dix heures du soir... Je dois
reconnaître qu’il avait une grande qualité : il réussit à
allumer le chauffe-eau ! Et partit ronfler loin de mes
tympans. Ma caravane me faisait penser au décor de Freaks.
En boule sur le canapé du salon, je dormis d’un sommeil entrecoupé,
en faisant tourner mon linge autour de la broche de mon bourdon
devant l’unique radiateur, chaque fois que je me
réveillais...
Au matin, PZA repartit le long des routes
droites attraper de nouvelles ampoules, tandis que je continuais à
voguer à travers des mers de fougères dorées, où je voyais sur le sable des traces de Pompon, dans une
solitude délicieuse... Sur ces sentiers des Landes en sable, divins
pour les pieds, la marche se transformait en sport de glisse ;
je faisais du ski ! Après un déjeuner en terrasse avec vue sur
une vieille église, je constatai, dans la douceur de l’automne
roux, que la bière était la seule preuve de l’existence de Dieu qui
obligeait à poser culottes dans les buissons...
Et qui m’attendait dans le refuge, une
jolie maisonnette en bois posée au milieu de la forêt ?
« Pénine zi
Ass ! »
Soi-même ! Pitié Seigneur ! Que
Vous ai-je fait ? Mais ce soir-là, il était en progrès. De
bonne humeur, parce qu’il était arrivé le premier, il a même
partagé ses boissons et sa bouffe avec moi. Il avait mal à un
pied ; ça le rendait moins arrogant. Il n’a pas pu s’empêcher
de faire une réflexion déplacée sur sa soupe à la vieille dame
charmante du refuge, mais quand plus tard, sans public, il m’a
raconté son enfance malheureuse, j’en étais presque attendrie... Le
lendemain, il m’a annoncé qu’il marcherait en pensant à un ami très
malade, à cause de sa douleur, et j’ai vraiment cru que ça
commençait à venir, qu’il était sur la voie de la rédemption... Que
la thérapie du chemin fonctionnait.
« Et alors ? » demanda
Pascal.
Un festival, le lendemain, à Dax ! À
croire qu’on y avait organisé secrètement le championnat du monde
de la muflerie... Nous logions dans une espèce de grand bazar,
mi-caserne mi-couvent, au bout de la ville, où l’on ne pouvait pas
nous servir à dîner. Sous prétexte que c’était sa fête, grande et
généreuse, je l’invitai donc au restaurant. Pour couper court, et
célébrer notre séparation, car son génial
planning prévoyait un arrêt de vingt-quatre heures sur place pour
assister à une grand-messe chantée en latin... La dame de l’accueil
proposa de nous emmener en voiture. En route, j’avais repéré une
laverie automatique, où nous fîmes une halte. Évidemment, nous
n’avions pas les bonnes pièces. Moralité : il vida sans
vergogne le porte-monnaie de notre conductrice, enfourna ses
vêtements sans s’occuper des miens, et hop ! Pendant ce
temps-là, j’essayai d’arrêter les voitures pour faire la quête,
sans aucun succès... Sur le chemin du restaurant, il fit de la
monnaie dans une boutique, et demi-tour pour sortir son linge et le
mettre à sécher. Je l’attendis donc une bonne heure, sur les tapis
d’Orient du « Marrakech », où il finit par arriver,
furieux : la machine lui avait bouffé son fric sans sécher ses
affaires ! Au moins les miennes n’étaient-elles pas
trempées... Enfin, je lui avais commandé la même chose qu’à moi,
brick et pastilla, vraiment délicieux, avec des confitures et du
gris de Boulaouane... Tandis que je me régalais, il entreprit de
faire mon éducation. Je me disais : C’est son dernier soir, il
faut savoir prendre son macho en patience...
Et il causait, et il causait, il
n’arrêtait pas, et saint Georges et saint Michel, et blabla, Simon
le Magicien et blabla, le troisième ciel, les vertus cardinales, et
blabla. Soudain il se redressa ; il tenait à me faire une
révélation : il était franc-maçon ! Il faisait le chemin
à cause des trente-trois degrés (en Espagne, il y a trente-trois
étapes, l’avais-je remarqué ?). Je lui répondis que c’était
l’âge du Christ à sa mort. Mais non, c’était les trente-trois
grades de je ne sais trop quel escalier dans le temple de
Salomon ! Il était tout content de lui. Je comprenais mieux
son mélange de bracelet bouddhiste et de messe
chantée le lendemain, quand il y avait de la musique ethnique...
D’ailleurs, d’après lui, l’Église catholique avait perdu son
mystère depuis qu’elle avait abandonné le latin... Il disait que
les francs-maçons avaient le droit de se dévoiler. Pas de dévoiler
les autres. Ça m’épatait, hein ? Et il commanda une deuxième
pastilla, ce qui est très discret quand on est invité.
Cela ne m’épatait pas : j’ai connu
une femme franc-maçon, au journal où je travaillais il y a vingt
ans ; elle voulait même m’enrôler. Elle était si bavarde, elle
aussi, que sa loge l’avait condamnée à un an de silence pour
paroles intempestives... Mais à l’époque déjà, son organisation me
paraissait dépassée : elle n’était même pas mixte ! Il me
confirma qu’il était dans une loge pas mixte non plus. Sans doute
pour ça qu’il prenait les femmes pour des bicyclettes. Et qu’il
allait être bientôt grand chef de tous les francs-maçons du
Sud-Ouest, de C... et de B... (les trois points sont de
moi !). Que c’était lui qui dirigeait la « planche »
des jeunes viticulteurs qui n’avaient pas fait d’études... Qu’un
grand bâtonnier très célèbre dont il tairait le nom était plus
impressionné quand il devait « plancher » que quand il
plaidait... Et aussi que les francs-maçons étaient des gens qui
écoutaient... Première nouvelle ! Lui n’écoutait rien, et moi,
je n’en pouvais plus de l’écouter.
Pourtant j’ai l’habitude de confesser les
gens. Derrière l’étalage de ce bric-à-brac d’informations
fantaisistes se cachaient sans doute la frustration d’un
autodidacte privé de collège (le latin n’a rien de mystérieux quand
on l’a étudié) et la panique d’un enfant abandonné qui s’était
trouvé enfin une famille digne de confiance : sans la moindre
femme ! Pauvre gars... Est-ce que le chemin
allait lui apprendre à pratiquer les vertus qu’il prônait ?
L’humilité ? La patience ? La foi ? Il lui avait
déjà distribué plein d’ampoules, et cassé tout le début de son beau
programme. Mais il n’avait pas encore compris... Quant à moi, il me
faisait perdre toute indulgence, sans parler de la plus élémentaire
charité chrétienne... Je payai l’addition avec joie, comme la
rançon de ma liberté. Adieu, Pénine, bonne
route !
*
Le lendemain, 30 septembre, le
paysage avait changé ; il était plus clair, plus gai et plus
accidenté. Ce jour-là, j’ai inventé le sandwich blanc de
poulet-banane avec ses deux variantes : poulet à l’extérieur
et poulet à l’intérieur, un grand moment de la gastronomie
internationale. Ces blancs de poulet, minces comme des tranches de
jambon, ont un goût d’eau salée. J’étais traversée par des idées de
confiance en Dieu, de la différence qu’il y avait entre connaître
la religion de l’extérieur, comme PZA, et la pratiquer de
l’intérieur... Et aussi de donner le prix Nobel à l’inventeur des
tampons hygiéniques, ce libérateur de la femme en marche... Ça se
mélangeait.
À deux heures de l’après-midi, j’aperçus
pour la première fois les Pyrénées toutes bleues, à l’horizon, avec
la joie des enfants qui voient enfin la mer. Et le soir, je dînai
avec Jean-Jacques, descendu de Bielle tout exprès. Heureusement
pour moi, né dans la patrie du rugby, c’était sans doute le seul
Béarnais qui ne s’intéressait pas à la Coupe du Monde, quand le
match contre la Géorgie avait scotché tout le pays l’après-midi
devant sa télé... Nous n’en avons pas parlé. Quelle différence avec
la veille ! Dieu merci, Jean-Jacques
n’avait jamais pensé devenir maître du monde, ou ses tentatives
avaient échoué, et je retrouvai un ami et un homme qui se posait
des questions — sans avoir toutes les réponses... Vrai,
intelligent et chaleureux. Il n’avait pas besoin de marcher pour
être déjà sur le chemin, et nos doutes partagés nous tinrent
éveillés tard.
À Garris, joli petit village, je fus la
seule cliente d’un charmant hôtel qui n’avait pas d’étoile. Au bar,
j’appris que le basque parlé à la télévision espagnole n’était pas
compris par les Basques français ; ce n’était pas le
même ! Comme le « breton chimique » de FR3, qui
faisait rigoler mes vieilles voisines de Kerdreux... Il plut toute
la nuit ; j’étais bien dans mes draps après plein de coups de
fil des amis.
Ça commença à grimper vraiment, pour la
première fois, à la sortie de Saint-Palais... Tout en haut d’une
montée assez rude, devant un panorama grandiose où tournaient deux
buses, était perchée une petite chapelle de la Vierge. Comme on
m’avait demandé au téléphone de faire une prière « pour les
pécheurs de La Garde-Freinet », j’ai ouvert le livre d’or, et,
au moment de l’écrire, je tombai sur ce cri du cœur :
« Priez pour la pauvre Marie ! » J’en fus
bouleversée : c’était le prénom de la pèlerine grincheuse, qui
avait escaladé le col la veille, quand il pleuvait. Elle avait dû
en baver...
*
Depuis Ostabat, de petit pas en petit pas,
d’histoire de Pénine zi Ass en histoire de Pénine zi
Ass, Pascal, n’étant ni un macho ni un puceau de la machine à
laver, et encore moins un donneur de leçons, se
tordait de rire malgré ses deux tendinites, et nous arrivâmes enfin
à Saint-Jean-Pied-de-Port, ville rouge, coupe-gorge à touristes,
luisante de pluie.
Les dames de l’Accueil du pèlerin, qui
font tourner les lessives en tricotant, me donnèrent une nouvelle
crédentiale, en mettant l’ultime sceau sur la première, et je filai
au magasin de sport acheter un pantalon : la réparation des
bonnes sœurs n’ayant pas tenu longtemps, une fenêtre s’était
ouverte sur ma fesse droite, offrant une vue imprenable sur ma
petite culotte... Le chemin m’avait dégraissée ; j’avais perdu
une taille.
Les vacances de Pascal se
terminaient ; il avait déjà accompli un exploit en venant de
Nantes jusqu’ici, bien plus de mille kilomètres, et je le
dissuadai, dans son état, et malgré son envie de franchir la
frontière, de monter jusqu’à Roncevaux, la plus dure et la plus
longue étape du chemin. Il reviendrait un jour avec Pompon. Nous
célébrâmes nos adieux, et passâmes une dernière nuit ensemble, chez
Mme Camino, la bien nommée, dans des lits de style Galeries Barbès.
Pour nous dire au revoir, nous nous fîmes la bise pour la première
fois — mais quatre fois, à la bretonne, sous la
pluie.
*
Le projet de Pascal pour Pompon réussit.
Accueilli dans la petite ménagerie d’un Institut médico-éducatif
près de Nantes, son âne au grand cœur fait la joie des enfants
handicapés, surtout à Noël quand il arrive, avec ses paniers pleins
de cadeaux, sous leurs applaudissements, pour inaugurer le
spectacle de fin d’année dont il est la vedette.
Aux dernières nouvelles, on lui a offert une selle, et il s’est mis
à l’équitation !
Mais plus encore que la joie des enfants,
Pompon a fait le bonheur de son maître, en lui présentant son idéal
féminin : sa vétérinaire...
Désormais, Pascal et Flo habitent une
petite ferme au bord de la Sèvre, où ils accueillent souvent des
pèlerins, demeurant ainsi, pour toujours, sur le chemin de
Saint-Jacques.