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QG de la Net Force,

 Quantico

 

 

 

Michaels parcourut un certain nombre de fichiers sur sa tablette-écran tout en traversant le hall pour aller manger un morceau. Une autre fois, il se serait changé pour enfiler cuissard et maillot, avant de prendre son tricycle allongé pour se rendre au chinois ou au thaï, en brûlant quelques calories au passage. Mais pas aujourd’hui. La météo prévoyait des températures dépassant les trente-cinq degrés avec un taux d’humidité tout aussi élevé. Une journée comme celle-ci, la cafétéria climatisée ne semblait pas un si mauvais choix. De toute manière, le tricycle était à la maison pour Toni, si elle voulait s’en servir.

Et puis, on n’y mangeait pas si mal.

Il vit John Howard juste devant lui, qui se dirigeait également vers la cafét’.

« John, l’appela Michaels.

– Commandant. » Howard ralentit pour qu’il le rattrape.

« Vous avez vu le nouvel EHPA/HEL de la DARPA ? » Howard hocha la tête. « Non, j’avoue… » Michaels lui passa sa tablette-écran. « Tenez, jetez-y un coup d’œil. »

EHPA signifiait Exoskeletons for Human Performance Augmentation ; HEL était le Human Engineering Labo-ratory – laboratoire d’ingénierie humaine – de l’université de Californie à Berkeley. Quant à la DARPA, c’était le Defense Advanced Research Projects Agency, l’Agence de projets et de recherche avancée pour la défense, qui finançait la bête. Le projet était en gestation depuis dix ou douze ans, et il avait enfin atteint le stade où ils avaient obtenu un prototype grandeur nature qu’ils envisageaient de tester sur le terrain.

Howard regarda l’écran. Il montrait un soldat en tenue camouflée équipé de l’exosquelette expérimental. L’homme tenait au-dessus de la tête une barre d’haltères lestée de plusieurs disques.

Michaels n’avait eu que le temps de parcourir l’article, mais il connaissait déjà un peu le projet. L’unité de base était un composite de fibres de carbone finement tressées, de soie d’araignée et de métaux légers, solidement harnaché aux membres du soldat. La tenue était dotée d’articulations à joints de titane et d’aluminium aviation aux épaules, aux coudes, aux poignets, aux mains, à la taille, aux hanches, aux genoux et aux chevilles. Le tout était accompagné de bottes spéciales et de demi-« gants » métalliques.

Une série de pistons hydrauliques à double effet étaient fixés aux articulations. L’essentiel du travail était effectué par les révolutionnaires actuateurs en métal à mémoire de forme produits par Nanomuscle, comme ceux qu’on trouvait désormais dans les voitures et les bateaux. Ces « muscles » à mémoire de forme étaient complétés par de classiques moteurs électriques fixés à l’armature. Le tout était alimenté par un peut réservoir dorsal d’hydrogène fournissant une pile à combustible et les manœuvres étaient coordonnées par une puce informatique embarquée dotée d’un système de sécurité intégré.

Grâce à des capteurs qui détectaient les mouvements musculaires normaux, capteurs développés à l’origine par des prothésistes pour les membres artificiels destinés aux amputés, l’exosquelette accroissait énormément les capacités de son opérateur. Un fantassin capable de lever cent kilos en développé couché sans l’appareillage en lèverait deux cent cinquante avec. Tous les mouvements permis par l’armature étaient amplifiés dans les mêmes proportions. Un homme qui se tenait l’instant d’avant au repos pouvait l’instant d’après s’accroupir et soulever l’arrière d’une voiture, l’exosquelette se chargeant de l’essentiel du travail. L’équipement n’était pas adapté pour courir plus vite, mais il permettait de grimper plus haut, de travailler plus dur ; on pouvait même le verrouiller pour rester debout immobile pendant des heures ; il vous permettait même de dormir debout.

Avec l’exosquelette, une frêle jeune femme devenait plus costaud que n’importe quel homme. Un homme serait presque aussi fort qu’un gorille.

« On peut en obtenir un pour des tests, si vous voulez l’essayer, dit Michaels. La Garde nationale en a six à sa disposition, et j’ai assez d’influence pour nous en procurer un. »

Le général arbora un grand sourire étincelant. « Ce serait intéressant. Sans compter que ça serait sympa d’avoir un truc pour surprendre le lieutenant Fernandez. Pour changer. » Il rendit la tablette-écran à Michaels.

« Je vais déposer une demande, dit Alex.

– Merci, commandant. »

Michaels hocha la tête. « Toni me fait vous dire qu’elle travaille toujours sur vos plaques de crosse », indiqua-t-il, changeant de sujet.

Toni, qui faisait du scrimshaw – de la gravure sur ivoire par poinçonnage -, avait décidé de réaliser un jeu de plaques de crosse en faux ivoire pour l’arme de poing du général : le logo de la Net Force d’un côté et – sans qu’il le sache – un portrait de sa femme, de l’autre.

« Elle n’a pas besoin de faire ça, protesta Howard.

– Elle en a envie. Elle aura un petit peu de temps pour s’y consacrer, comme elle va devoir rester à la maison quelques jours.

– Des problèmes ? »

Ils avaient atteint la cafétéria, pris plateaux et couverts, et faisaient maintenant la queue.

« Pas pour nous, dit Michaels. Mais l’arrière-petit-fils de Gourou est malade, à Phœnix ou je ne sais où, et elle est parue lui rendre visite.

– Rien de grave, j’espère ?

– Une pneumonie, quand même, mais, d’après elle, les toubibs ne sont pas trop inquiets. Toujours est-il qu’on se retrouve sans baby-sitter jusqu’à son retour.

– Vous en cherchez un ? Un baby-sitter ? »

Michaels arriva devant le poulet frit. Il en prit deux morceaux, puis, réflexion faite, en ajouta un troisième.

« Vous avez quelqu’un en tête ?

– Eh bien, mon fils Tyrone pourrait s’employer utilement. Il n’a pas pu prendre un boulot régulier parce qu’il y avait des cours qu’il voulait suivre cet été. Il essaie de décrocher son diplôme au plus vite. Mais je suis à peu près sûr qu’il ne verrait pas d’inconvénient à garder Alex. Il fait du baby-sitting depuis un an à peu près, en général chez des voisins, et puis aussi pour le petit Hoo, le fils du lieutenant Fernandez.

– Vraiment ?

– Bien sûr. Dieu seul sait pourquoi, mais il aime bien les mômes. Si Toni voulait travailler à mi-temps, par exemple, je suis sûr qu’il serait partant. Il y a plein de nouveau matériel informatique qui lui fait envie et je lui ai dit que je lui en paierais la moitié mais qu’il devait se financer le reste… »

Howard dédaigna le poulet frit pour se choisir un hamburger.

« Eh bien, ça nous aiderait bien. Je m’en vais demander à Toni. Je vous tiens au courant. »