— Alors, tu pars demain ? répéta-t-elle. Elle était allongée tout habillée sur le lit de Gilles, l’air rêveur. Il lui avait tout raconté dès son arrivée, assez heureux en somme de jouer à ses yeux le rôle de l’ambitieux vainqueur, rôle qui le changeait agréablement de celui de neurasthénique. Emporté, il lui avait même décrit avec un certain lyrisme l’importance de sa nouvelle tâche, la responsabilité morale qu’elle incluait vis-à-vis des lecteurs, l’intérêt passionnant de la politique étrangère, bref il avait été pris devant elle d’un enthousiasme qu’il aurait dû avoir au téléphone avec Jean. Peut-être était-ce le remords d’avoir déçu ce dernier qui le poussait à éblouir ainsi sa maîtresse, se disait-il avec un peu d’ironie. Mais elle semblait tout, sauf éblouie. Simplement un peu atone.
— Je pars une semaine, dit-il. Une semaine ou deux. Et je reviens. Je ne commencerai qu’en octobre, tu sais.
— Comme les écoliers, dit-elle distraitement.
Il s’agaçait un peu. A force d’en parler, il finissait par croire à l’importance, à l’intérêt de ce poste, il finissait par s’en vouloir, par «lui » en vouloir, d’avoir pris, pour un après-midi passé avec elle, le risque de le manquer. Mais cela, quand même, il n’osait pas le lui dire. Ce fut elle qui lui en parla :
— Si c’est si important, pourquoi n’as-tu pas pris le train cet après-midi ?
— Nous avions rendez-vous.
Il avait l’impression de parler faux et pourtant c’était strictement vrai. Elle le fixa :
— Peut-être pensais-tu simplement que l’on ne peut quitter une femme, même si on ne la connaît que depuis quinze jours, en lui laissant un petit mot ?
Elle parlait tranquillement et il se surprenait à secouer la tête, à rougir presque, comme quelqu’un qui ment. Peut-être avait-elle raison après tout, peut-être ne reviendrait-il jamais ? Paris le reprendrait, l’été, les amis, la mer, les voyages, peut-être n’aurait-elle été que quinze jours d’un début d’été, en Limousin.
Brusquement, dans le regard de cette femme, il se voyait libre, décidé, à nouveau léger et fort comme il l’avait été toute sa vie. Une grande tendresse l’envahit dont il ne savait si c’était reconnaissance de retrouver chez quelqu’un ce reflet gai, oublié, de lui-même ou simplement pitié anticipée au cas où il ne reviendrait pas. Il se pencha vers elle :
— Si je ne revenais pas, que ferais-tu ?
– Je viendrais te chercher, dit-elle paisiblement. Embrasse-moi.
Il l’embrassa, oublia tout de suite Paris et la politique. Il pensa d’abord grossièrement qu’en tout cas elle lui manquerait comme maîtresse puis oublia cela aussi et resta immobile ensuite, un long moment, sur son épaule, effrayé à l’idée de la quitter même une semaine. Elle lui caressait les cheveux, la nuque, sans dire un mot. Le soleil couchant inondait la chambre et il pensa tout à coup qu’il n’oublierait jamais cet instant-là. Quoi qu’il arrive.
— Je te mènerai à la gare demain, dit-elle. Pas à Limoges, à Vierzon. Et je viendrai te chercher, quand tu rentreras.
Il y avait dans sa voix une curieuse tranquillité, presque désespérée.