4
 
Le coup de soleil

La grosse misère, c’est de ressembler à Luc Robert un beau matin de fin juillet. Il marche complètement à côté de ses running shoes. Il est tout ce que, dans ses pires cauchemars, il n’aurait jamais voulu être : un motard sans moto, un maître nageur sans emploi, un macho sans l’ombre d’une blonde. La piscine de Mont-Bon-Pasteur, qu’il dominait du haut de sa chaise de sauveteur, lui semble à l’autre bout du monde. Le bras toujours en écharpe, il a évité de justesse le bistouri tant sa fracture était mauvaise. Chanceux dans sa malchance, Luc Robert trouve encore le moyen de se plaindre. Il pourrait être mort et il ne profite pas de la vie. Dès qu’elle a appris la nouvelle de son accident, ma mère a déclaré, non sans une certaine fierté :

— Je l’avais prédit. Les motos mènent directement à la tombe.

Un million au loto ne l’aurait pas davantage rassasiée. Il reste que Luc n’est pas beau à voir. Il passe le plus clair de son temps à se laisser pousser une moustache. C’est loin d’être excitant. Luc est à peu près aussi poilu que Wayne Gretzky.

Depuis son accident, Luc Robert est l’être le plus déprimant de l’été. Il pourrait remporter n’importe quel concours de déprime. Rien ne l’enchante. Il ne sourit plus, ne fait pas de blagues, ne se moque plus de personne. Pour lui, les motos n’ont plus de goût, la musique rock a l’air de se répéter comme si elle s’accrochait toujours dans le même sillon, le soleil lui donne chaud et le fait transpirer… Et plus il transpire, plus son bras lui pique sous le plâtre. Il n’ose même pas parler de l’argent. Je lui offrirais volontiers son emploi de l’été dernier, si je le pouvais, mais des hot-dogs, ça se prépare mal avec un bras en moins. Il mettrait de la moutarde partout. Et les filles… les filles…

Qu’est-ce qu’un grand gars comme Luc Robert pourrait bien faire le long de ses grands après-midi ? Pas grand-chose sinon regarder tous les vidéos qui existent. Mais voilà ! Pour louer des vidéos, il faut se rendre au vidéoclub. Et, depuis deux semaines, Andréa ne vend plus de billets au cinéma de Sainte-Angèle. De concert avec Caroline Corbeil, elle loue des films au vidéoclub. Luc ne tient pas à recevoir une cassette vidéo derrière la tête. Il me répète qu’Andréa lui en veut beaucoup. Il dit que les filles, c’est comme ça. Tout à coup, au sujet des filles, Luc Robert a l’air d’un vieux de la vieille qui aurait tout connu, tout vu, tout entendu, tout vécu. Pourtant les filles ne sont jamais tombées dans les pommes en le voyant, aucune ne lui a arraché les culottes en public et il n’a jamais eu les bras débordants d’invitations à souper et même plus. Il ne faut pas philosopher sur les filles. Mais ce n’est pas ça qui l’empêche de jouer le grand séducteur déçu.

— Tu peux pas savoir, Woody. Les filles, c’est parfait quand tout va bien. Mais dès qu’il t’arrive le moindre malheur, ça te laisse tomber comme si tu étais un vieux débouche-toilette.

— T’exagères pas un peu, quand même ?

— Pas du tout. Pour le moment, toi, t’es en amour par-dessus la tête. Tu peux pas comprendre ce que je te dis. Mais attends… attends un peu…

Je ne suis quand même pas pour lui dire que je ne vois presque plus Anik. Je piétine au centre d’un cercle vicieux. Pour sortir avec ma blonde, il faut que je gagne des sous… et pendant que je gagne mes sous, je ne la vois plus. Et elle m’échappe. Je le sens. Je ne suis pas doté d’un tel nez pour rien.

— En tout cas, ajoute Luc, moi, j’ai peut-être perdu ma moto, mais j’aime mieux être à ma place qu’à la place de Patrick Ferland. Lui, il a pris toute une débarque. Imagine, il roulait la grosse bagnole et paf ! du jour au lendemain, il s’est ramassé à pied. Ça doit pas être drôle. Pu d’char, pu d’fille, hein ! Et puis pu d’argent de poche. Son père est chien. Lui qui avait les filles de même, ça doit pas être facile.

J’aimerais le croire, l’approuver les yeux fermés. Je mentirais. Patrick Ferland n’est pas à prendre en pitié. Il n’a pas l’air de se débrouiller si mal depuis que son père lui a coupé les vivres.

 

img4.png  img4.png  img4.png

 

J’ai donc décidé de ne plus aller voir Luc Robert. Il devait se reprendre en mains et je ne pouvais pas l’aider. Même que, en l’écoutant se plaindre, je risquais de l’encourager dans sa déprime. Et puis, je n’avais que les avant-midi de libres. Depuis une quinzaine de jours, un soleil presque sadique avait remplacé la pluie. Le bonhomme Grimard était revenu sur le sujet de mes journées de congé.

— Accumule-les, m’avait-il dit. Note les journées que je te dois et, à un moment donné, on va faire nos comptes.

Il avait donné du clin d’œil pour conclure :

— Tu vas voir, tu le regretteras pas.

Depuis, je notais mes congés manqués, mes congés de poutines et de hot-dogs, mes congés flottants qui coulaient un à un.

Mais, en éliminant Luc, je ne savais plus quoi faire de mes avant-midi.

— Tu lis plus, m’a dit ma mère.

J’ai dit c’est vrai. Je mentais. Je n’avais tout simplement pas le goût de lui raconter mes insomnies, de lui parler d’Anik qui me tracassait. Elle n’y aurait rien compris. Dès qu’elle dormait, elle devait encore s’imaginer que le cœur du monde s’arrêtait de battre. Pourtant, j’étais là, dans la même maison qu’elle. Je traversais de longs pans de nuits, les oreilles dans mes écouteurs branchés sur Mozart, Bach, Mahler et les autres, à relire du Prévert, les romans de Ludlum qui ne réussissaient pas à m’assommer et, surtout, à écrire cette histoire, la mienne. Une histoire sans grande importance mais qui me donnait l’illusion d’être moins seul pendant que certains dormaient sur leurs deux oreilles et que d’autres, en vacances, se démenaient dans les discothèques.

La phrase de ma mère m’a quand même fait penser à Moins-Cinq qui m’avait conseillé le Salut Galarneau ! de Jacques Godbout. Un matin, assez tôt, sur une chaise longue dans la cour, je me suis mis à lire ce roman hot-dog. Mais Galarneau, c’est le soleil, du moins le nom qu’on lui donne. Alors le soleil, qui était étourdissant, et la chaleur sur la chaise longue au coussin jaune de ma mère ont eu raison de moi. J’ai sombré, le livre sur la poitrine. Je me suis endormi comme on ne s’endort plus, comme si le réveil n’existait plus sinon au loin, très loin, une chandelle au fin bout d’un tunnel. Finalement, c’est ma mère qui m’a secoué en catastrophe.

— Qu’est-ce que tu fais, François ?

J’aurais voulu dire :

— Je lis…

Mais je dormais et le temps avait passé… et le soleil avait cogné. J’avais le nez en compote, rouge comme les petites tomates qui vous éclatent dans la bouche et qui aspergent vos voisins quand vous les croquez. Mais, en plus, c’était M. Grimard qui était au téléphone. Un Grimard en délire qui me demandait comment il se faisait que je dormais encore à onze heures.

— J’étais réveillé, mais je me suis rendormi.

— Laisse faire tes folies, viens vite, ti-gars. Il fait beau, on va avoir du monde à midi.

J’ai sauté dans mon pantalon et j’ai presque tout de suite atterri entre les poêles, dans la chaleur de la graisse de frites, dans la vapeur des hot-dogs… et près d’un Grimard soulagé qui a pu retrouver son journal et refourrer ses doigts dans son nez en attendant les affamés. Ce n’est qu’à ce moment que j’ai cru que mon nez était devenu une tranche de bacon tortillé. Le maudit nez des Gougeon, il avait cuit. Il n’était pas mort, mais il me faisait mal. Ce n’était plus un nez, c’était une boursouflure. Et quelle boursouflure ! Sébastien Grimard a ri tout son soûl avant de s’enfuir avec un de ses copains. Il travaille de moins en moins. Son père s’en plaint, moi pas du tout. Il laisse des yeux gros comme ça sur les patates et les clients se plaignent.

 

img4.png  img4.png  img4.png

 

Un autre avant-midi, j’ai voulu échapper au soleil. Je me suis rendu à la caisse populaire. Il faut bien déposer son argent, quand on en gagne. C’est une démarche normale. Mon petit compte grossit d’ailleurs à vue d’œil. Je travaille comme un cave… en fait, je travaille tellement que je n’ai même pas le temps de dépenser. Ma mère qui, au début de l’été, chialait contre mon emploi commence à lui trouver du bon. Je l’ai entendue dire à ma grand-mère :

— En tout cas, quand il travaille, il a pas le temps d’avoir des mauvaises pensées.

Elle a dit cela sérieusement, en chuchotant. Maudit cliché ! Il me sort par les oreilles ! Même M. Grimard me l’a servi l’autre soir. Je lui aurais foutu mon poing dans son gros ventre. Mais je sais qu’il est plus fort que moi. Il a les mains larges comme des pelles, les doigts gros comme des bigoudis. Je me demande même comment ils peuvent s’introduire avec autant de facilité dans son nez. Bon, je devrais oublier son nez et me concentrer sur ce que je raconte. Je le dis : j’aimerais avoir des mauvaises pensées. J’en ai d’ailleurs. En faisant mes frites et mes hot-dogs, je n’ai que ça. Mais je voudrais les dépasser. Ne pas avoir que des mauvaises pensées, les réaliser. Voilà ! Réaliser toutes les mauvaises pensées qui me torturent l’esprit pour me libérer. Mais je travaille, je travaille et je travaille. C’est la misère noire, sauf pour mon livret de caisse qui gonfle, ce qui n’impressionne pas la caissière qui n’est pas tellement belle et qui se permet quand même d’être bête comme ses deux pieds.

De toute façon, tout cela n’a aucune importance. Ce qui en a davantage, c’est que, juste devant moi, au guichet, ce matin-là, il y avait Patrick Ferland, les cuisses bronzées, les bras bronzés, le cou bronzé, les cheveux blondis par le soleil. Comment se fait-il qu’il n’attrape pas de coups de soleil, lui ? Pourquoi le soleil réserve-t-il ses malheurs aux pauvres cornichons de mon espèce ? Bon, on répétera tant qu’on le voudra que son père lui a coupé les vivres. N’empêche qu’il retire un salaire de Mont-Bon-Pasteur et qu’il a l’allure d’un don Juan de la plus belle espèce. Comme moi, il était venu faire son petit dépôt. On a échangé des banalités. Puis, par la grande vitrine de la caisse, je l’ai vu monter sur son vélo. Il s’en allait jouer au tennis.

J’ai déposé mon chèque et, presque sans hésiter, j’ai emprunté le même chemin que lui. Je n’aurais pas dû. Mon idée était trop bête. J’aurais dû l’éliminer à grands coups de pied dans le derrière. Je suis un être civilisé… pas toujours. Mine de rien, sur ma bicyclette, j’ai roulé vers Mont-Bon-Pasteur. Arrivé à destination, j’ai mis mon vélo sur les supports et j’ai fait un long détour par la montagne. Je devais ressembler à n’importe quel touriste qui décide de profiter d’une marche de santé pour visiter les hauteurs. J’ai donc grimpé, protégé par les arbres. J’étais sous les chaises, là où l’on fait du ski en saison. Quand j’ai su que j’aurais une bonne vue sur les terrains de tennis, je me suis appuyé contre un pylône des monte-pentes et j’ai regardé.

Sous le soleil éclatant, Patrick Ferland et Anik échangeaient des balles avec une vigueur peu commune. Ils se déplaçaient avec grâce. J’entendais le son franc de chaque balle qui bondissait au centre de leurs raquettes comme s’il y avait eu là un aimant. Des visiteurs, rivés à la clôture de métal, les regardaient. Ils devaient échanger des commentaires, se répéter comme ils étaient bons, merveilleux, habiles, etc.

Quant à moi, j’avais l’air du plus imbécile des espions. C’est ce qu’une mouche à chevreuil a dû sentir puisqu’elle s’est mise à tourner autour de moi. J’ai voulu me défendre, j’ai gesticulé bêtement. Elle a poursuivi son manège. Je n’étais plus tranquille, je ne pouvais plus regarder Anik. Je chavirais. La mouche m’a piqué dans le cou et, pour me punir davantage, j’ai fait un faux mouvement. Je me suis entaillé le mollet contre un boulon de métal. Rien de grave, juste du sang qui fait peur.

En bas, sans se douter de rien, Anik et Patrick ont arrêté leur exercice. J’étais mort de douleur. Patrick a mis un baiser sur sa main et l’a collé dans le cou d’Anik qui a ri.

Un groupe d’apprentis joueurs de tennis s’est approché. C’étaient des petits garçons et des petites filles de huit ou neuf ans. Ils venaient apprendre à jouer et leur professeur, Anik, était là. Ils ne pensaient qu’à jouer, ils ne savaient pas que le tennis pouvait faire aussi mal.

Je suis descendu. J’ai boité vers ma bicyclette. Mon mollet me faisait souffrir, son écorchure chauffait. En me sauvant, j’ai entendu mon nom. J’ai foncé droit devant moi, sans me retourner. C’était la voix d’Anik. Elle m’avait aperçu… mais je savais qu’elle ne pouvait pas me rejoindre. Elle était occupée avec ses élèves. Moi, je roulais vers un peu de solitude pour me cacher, pour me soigner. J’avais beaucoup de choses à soigner.

À la maison, j’aurais voulu me réfugier dans mes écouteurs et écouter le Trio opus 100 de Schubert. Je n’avais pas le temps… à peine celui de prendre ma douche.

Une douche, c’est intéressant parce que ça lave. Ça fait du bien. Mais, quand on en ressort, on n’est pas nécessairement parfaitement propre. Je me sentais encore collé… surtout en dedans. J’aurais aimé téléphoner à M. Grimard et laisser tomber les hot-dogs aujourd’hui. C’était impossible.

 

img4.png  img4.png  img4.png

 

Vers quatre heures, ce jour-là, j’essayais sans succès de ne penser à rien. Je commençais à ressentir un certain mal de cœur quand j’entendais prononcer les mots « un steamé relish-moutarde-chou » ou « une poutine pis deux hot-dogs all dressed ». Mais ce n’est jamais facile de ne penser à rien quand votre amour est en train de s’écrabouiller. Je n’avais jamais eu de blonde avant le mois de mai. Je ne connaissais rien des misères que ça pouvait entraîner. Maintenant, je le savais. La déprime de Luc-le-bras-cassé, c’était de la petite bière à côté de la mienne. Je rongeais ainsi mon frein quand Anik est arrivée.

Elle a laissé sa bicyclette contre le lampadaire qui, le soir, attire tous les maringouins du coin. Puis elle est venue vers le comptoir. Si j’avais pu me cacher, je l’aurais fait volontiers. J’aurais tant aimé qu’une longue file se presse devant la fenêtre du Fou du hot-dog. Mais, à l’exception du frère jumeau de l’homme invisible, il n’y avait personne, personne et personne. Impossible de me cacher, de faire le mort ou de m’inventer une crise cardiaque. Anik m’avait vu et elle ne déviait pas. Pas besoin d’être un génie pour comprendre qu’elle n’avait nullement l’intention de me commander une poutine. Elle voulait me parler.

M. Grimard a levé le nez de son journal.

— Tiens ! C’est ta blonde !

— J’ai des lunettes, c’est pas pour rien, aurais-je pu lui répondre si j’avais eu les couilles à la bonne place. Mais je me suis fermé la gueule bien dur.

En fait, c’est une façon de parler. J’ai plutôt ouvert la gueule en un sourire qui demandait pardon. Mes ondes positives n’ont cependant pas dû être assez fortes. Anik m’a regardé en pleine face. Elle ne souriait pas, elle.

M. Grimard n’a rien remarqué. Il n’est pas assez subtil pour distinguer les étincelles qui éclatent quand les êtres se regardent. Si le phénomène était décrit dans son journal, il le croirait. Mais tant qu’un événement n’est pas rapporté dans le journal ou à la télévision, il n’existe pas. Voilà, c’est là que se situe la majeure partie des opinions de mon patron. Comme ça, la vie n’est pas compliquée et on ne s’en fait pas trop avec le temps qui déboule, la valeur nutritive des hot-dogs et la santé des maringouins. Alors M. Grimard a dit :

— Prends un break d’une dizaine de minutes, ti-gars. Va t’asseoir avec ta blonde. J’lui paye le Coke.

Il a ajouté en riant :

— Pis toi, au salaire que j’te paye, tu payeras le tien.

J’ai décapsulé un Seven Up pour Anik et je n’ai rien pris. Je n’avais pas soif.

Anik n’est pas du genre à niaiser dans les préambules.

— Qu’est-ce qui t’est passé par la tête, ce matin ?

Moi, je n’ai pas eu le courage de mentir ou de jouer l’hypocrite.

— Je vous avais vus.

— Qui est-ce que tu as vus ?

— Vous deux. Vous jouiez au tennis.

Anik a lentement avalé une longue gorgée de Seven Up. Je m’attendais à une mauvaise nouvelle et j’ai cru qu’elle prenait ainsi son temps pour me ménager.

— J’ai décidé de me remettre à l’entraînement.

— Tu m’avais dit que les tournois t’intéressaient plus, lui ai-je répondu.

Je savais très bien que c’était là une réplique pour tourner autour du pot, une manière d’éviter le vrai problème.

— J’ai pas envie de courir les tournois, François. Je voudrais seulement participer à celui qui va se dérouler à Mont-Bon-Pasteur à la fin août. Les meilleures joueuses du Québec vont venir, j’ai le droit de voir c’que j’peux faire contre elles.

Je hochais la tête. Elle a poursuivi.

— Mais c’est pas ça, le vrai problème. Le malheur, c’est que tu es jaloux.

— Moi, jaloux ?

Bien sûr que j’étais jaloux. Jaloux comme ça ne se dit pas. Jaloux comme j’avais honte de l’être. Alors, je me suis débattu courageusement.

— Je suis pas jaloux pour cinq cents. Mais si tu veux reprendre tes amours avec Patrick, t’as juste à me le dire.

— Tu sautes tout de suite aux grandes conclusions, hein, François.

M. Grimard nous regardait avec un sourire totalement imbécile au milieu de sa grosse face de lune. Pour ne pas qu’il se rende compte que nous nous chicanions, je me suis plaqué un sourire en dessous du nez. La situation était complètement ridicule.

— T’apprendras, François, que Patrick a accepté de m’entraîner. C’est moi qui le lui ai demandé.

— Ah bon ! souriais-je.

— Et puis, tu sais aussi bien que moi que Patrick vit une période difficile. Ses parents se sont séparés. Il est beaucoup plus doux qu’avant. Je pense que cela lui a ouvert les yeux.

— Ah bon ! ai-je encore souri.

— Patrick, c’est pas le macho que tu imagines. Il m’a déjà aidée… Maintenant, je pense qu’en toute amitié je peux l’aider à mon tour.

— Ah bon ! ai-je toujours souri.

C’était une fois de trop. Anik a bondi.

— Tu commences à me fatiguer avec tes « Ah bon ! ». Quand tu auras autre chose à dire, tu me téléphoneras. Au moins, au téléphone, je pourrai pas voir ton sourire que t’as pris je sais pas où et qui me tape sur les nerfs.

Elle a exécuté un demi-tour parfait et s’est dirigée d’un pas rapide vers sa bicyclette. Je la regardais aller, la bouche ouverte. Le temps de chercher un bon mot et de ne pas le trouver, elle roulait sur la 117. Je me suis retourné. M. Grimard la regardait, la bouche également grande ouverte.

— Si c’est à ça que je ressemble, ai-je pensé, Anik a bien raison de sacrer son camp.

Je suis revenu derrière le comptoir. L’heure du souper approchait. J’ai remis mon calot ridicule sur ma tête en pagaille. M. Grimard m’a simplement dit :

— Elle a un maudit caractère, ta blonde !

Je n’ai pas eu le temps de me justifier, il avait déjà fui dans les toilettes. Il y a des coups de soleil qui vous cognent d’aplomb.