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Le printemps fou

Cui ! Cui ! Les oiseaux ! Le printemps ! Jamais, depuis que le monde est monde, il n’y a eu un printemps semblable. Je ne marche plus, je vole, je plane et je n’atterris jamais… sauf au milieu de certains cours ou pour manger à la maison. J’atterris, je me dépose doucement, sans me casser la gueule. Pourtant j’ai un œil au beurre noir. Un œil au beurre noir mais je m’en fous. Même qu’à le voir devenir jaunâtre et disparaître, ça me donne mal au cœur.

Parce que cet œil-là a marqué un point tournant. Il a été le signe d’une grande victoire pour moi. Mon œuf de Pâques !

La fin de semaine de Pâques, dans un club de tennis de Boucherville, se déroulait le championnat de tennis en salle du Québec. Je savais qu’Anik y participait, elle en avait tellement parlé. J’ai emprunté la Lincoln d’Omer.

— Pour aller où ? m’a-t-il demandé.

— À Boucherville.

— Et qu’est-ce qu’il y a d’extraordinaire à Boucherville ?

— Je vais te le dire, Omer. Une fille.

Je lui aurais offert une super-bouteille de gin, le plus beau cadeau de sa vie, qu’il ne m’aurait pas souri autant.

Il s’est mis à me questionner sur l’inconnue. Je suis resté vague. Je savais que rien n’était sûr, mais je faisais un pas, un grand pas. J’en avais le trac. Le seul fait de me rendre au tournoi d’Anik devenait un aveu. En me voyant là, elle comprendrait. Rien ne m’attirait à ce tournoi de tennis sinon l’envie folle de l’applaudir elle et elle seule.

Il y avait l’obstacle Patrick Ferland, je le savais. Mais je l’avais entendu raconter à Ti-Pic Ratelle, son grand copain, comment il avait séduit une autre fille de sa classe. Ou bien il mentait effrontément, ou bien il se moquait d’Anik. De toute manière, il ne la méritait pas.

C’était le vendredi, Vendredi saint, jour triste selon la tradition. Le soleil pétait quand même. J’étais assez fier de mon chandail jaune, couleur audacieuse pour un timide de mon espèce. Et je portais un jean presque trop propre. Je m’étais aussi fait couper les cheveux si courts qu’ils retroussaient un peu sur mon crâne, me donnant un air parfaitement à la mode.

En entrant, j’ai entendu le bruit des balles que l’on frappait d’aplomb, ce que je n’arriverais certainement jamais à faire. J’étais encore plus nerveux qu’Anik elle-même. Je me suis rendu vers le grand tableau et j’ai pu constater que, la veille, Anik Vincent avait remporté ses deux matchs. Il était deux heures trois. Et elle devait jouer son match de troisième ronde à deux heures sur le court numéro un, qui se trouvait juste devant moi.

Anik échangeait des balles de réchauffement avec son adversaire qui me semblait immense. C’était une femme de vingt-deux ou vingt-trois ans et qui ahanait chaque fois qu’elle frappait la balle. Il n’y avait pas d’estrades, seulement deux rangées de bancs disposés le long du mur de blocs de ciment, à une distance respectable du court. L’air absent, je me suis glissé derrière les bancs pour m’adosser au mur, comme l’aurait fait n’importe quelle vedette de cinéma.

Assis sur un banc de la première rangée, Patrick Ferland suivait les gestes des deux filles en se récurant légèrement le nez. Il ne pouvait pas me voir puisque j’étais derrière lui. Par contre Anik m’a aperçu. Elle m’a souri. Je me suis senti devenir rouge. J’ai tout de suite regardé Patrick. Il n’avait rien remarqué. Le match a commencé.

Peu à peu, des spectateurs ont pris place sur les bancs. Ils n’étaient pas très nombreux. Le match ne leur semblait pas important. Visiblement, c’étaient des connaisseurs venus là pour encourager l’adversaire d’Anik. Ils manifestaient bruyamment chaque fois que la grande fille marquait un point.

En prêtant l’oreille à ce que l’on chuchotait autour de moi, j’ai compris qu’Anik faisait face à la favorite du tournoi, la meilleure joueuse du Québec. Moi qui croyais venir assister à une victoire, je me trompais. Anik était constamment débordée. Elle frappait beaucoup moins fort que l’autre.

Après avoir perdu les trois premières parties, Anik a changé complètement de tactique. Au lieu de remettre simplement la balle en jeu en restant dans le fond du court, elle s’est mise à monter au filet à chaque jeu. La championne a paru décontenancée par ce changement d’attitude. Anik a même réussi à briser deux fois son service, si bien qu’elle a remporté les quatre parties suivantes. Les spectateurs commençaient à murmurer et la championne à contester certaines décisions de l’arbitre. La femme, sur sa haute chaise, en a été ébranlée. Anik aussi. Et le rythme a encore changé.

Bientôt, la championne a repris sa vitesse de croisière en s’injuriant chaque fois qu’elle perdait un point. À mon grand désespoir, elle a finalement arraché le premier set 7 à 5.

Le deuxième set a pris l’allure d’une formalité. Quand Anik restait au fond du court, la grande rousse montait au filet et finissait le point. Quand Anik montait à son tour, la favorite sortait un coup extraordinaire et la passait.

Depuis son sourire du début, Anik ne m’avait pas regardé. Elle se concentrait uniquement sur la balle et devenait de plus en plus nerveuse. Patrick Ferland manifestait son impatience en hochant souvent la tête. Moi, je ne regardais qu’Anik. Si j’avais pu lui communiquer de la force ou du courage, je l’aurais fait volontiers. Mais je n’ai pas réussi. Elle a perdu 6 à 0.

Ce n’est qu’en revenant vers sa serviette qu’elle a encore levé les yeux vers moi. Je lui ai souri. Les défaites, je connaissais ça. Je pouvais partager !

— Qu’est-ce que tu fais ici, Woody ?

Je savais que Patrick Ferland finirait par m’apercevoir.

— Je suis venu voir jouer Anik.

— T’es pas tombé le bon jour.

— C’était pas si mal comme match…

— Qu’est-ce que tu connais là-dedans ?

Je n’ai rien trouvé de brillant à balbutier. Jamais un événement sportif ne m’avait autant énervé que ces cinquante minutes de tennis.

Anik avait soif. Je suis allé lui chercher un jus d’orange au bar. Je m’en suis rapporté un. Comme le tournoi était commandité par Ricard, les fabricants de la boisson à l’anis, Ferland s’est pris un verre de punch.

Anik n’avait pas mangé, elle a décidé de commander un club sandwich. Patrick a rencontré des gars qu’il connaissait et il ne nous a pas rejoints tout de suite. Il a encore avalé deux ou trois autres verres de punch tout en papotant. Je le soupçonnais de faire exprès pour nous laisser seuls. Anik m’a offert une pointe de son sandwich que j’ai acceptée avec empressement même si je n’avais nullement faim. Elle avait trop soif et j’ai été ravi de la voir finir mon jus d’orange.

Je ne savais pas tellement quoi dire. J’aurais voulu analyser le match, je pataugeais et cherchais mes mots.

— Tu sais, me dit Anik avec douceur, c’est pas plus grave que ça. Y a pas que le tennis dans la vie.

— J’espère bien. Sans ça, je serais vraiment pas choyé.

Elle a ri. Je lui ai dit que le soleil était magnifique. On avait du mal à s’entendre, les gens qui nous entouraient parlaient trop fort. Je n’osais pas crier.

Puis Patrick Ferland est revenu. Il avait trois verres de punch. Anik n’a pas voulu en prendre. Je l’ai imitée.

— Tant pis pour vous autres !

Là, il a enfilé un verre d’un trait. Il était pompette. Il a commencé à dire à Anik qu’elle n’avait pas suivi son plan de match. Je ne sais pas pourquoi il sentait ainsi le besoin de l’humilier devant moi. On aurait dit qu’il voulait me démontrer comment agir avec elle. Au bout d’un moment, j’en ai eu assez.

— Tu peux pas parler d’autre chose, Patrick ?

— De quoi tu te mêles, Woody ?

— Il me semble qu’y a pas que le tennis dans la vie !

Au lieu de me répondre, il a regardé Anik en pleine figure.

— Viens-t’en, on s’en va !

Il aurait aimé l’hypnotiser. Mais elle résistait.

— J’ai pas d’ordre à recevoir de toi.

— Moi, j’m’en vais ! Tu viens ou tu sèches !

Comme un chevalier servant de la vieille tradition, je me suis entendu répliquer :

— Je vais aller la reconduire.

Patrick Ferland m’a fixé droit dans les yeux. S’il avait pu m’étriper, il l’aurait fait. Il a simplement laissé couler un « tabarnak » entre ses dents, il a fait demi-tour et est sorti.

— Tu avais pas besoin de lui parler comme ça. Je suis capable de me défendre toute seule.

Anik me souriait. Elle n’avait jamais été aussi belle.

— J’ai mes raisons.

Elle s’est levée, a ramassé son sac, sa serviette, et m’a encore souri.

— Je reviens. Garde mes raquettes.

Dix minutes plus tard, elle revenait du vestiaire, les cheveux mouillés et fous, sans maquillage à l’exception de ses lèvres orange. Elle avait changé de vêtements. J’ai voulu transporter son sac. Elle a refusé. Je l’ai suivie, ses trois raquettes sous le bras.

Dehors, nous nous sommes dirigés vers la Lincoln Continentale noire. Patrick Ferland était dans son auto. Il a ouvert sa portière comme nous passions devant lui. Il a crié à Anik :

— Viens !

— Fous-lui la paix !

C’était sorti de ma bouche sans que je m’en rende compte. Patrick Ferland a fait trois pas dans ma direction. Il m’a donné une claque du revers de la main en pleine figure. J’ai échappé les raquettes d’Anik. Mes lunettes ont bondi sous une auto. Et puis je n’ai jamais vu venir son poing. Je me souviens des étoiles et de mon œil qui a soudainement pris des proportions incroyables. J’ai aussi entendu le cri d’Anik :

— Arrête, imbécile !

Quand j’ai pu articuler une phrase convenable, le sourire d’Anik était tout embrouillé au-dessus de moi. Je lui ai murmuré :

— Je t’aime.

Son visage est devenu moins flou. Elle avait approché sa figure de la mienne et m’a embrassé. Ses lèvres étaient chaudes. Je n’avais plus mal nulle part. J’ai dit :

— Excuse pour tes raquettes.

— Elles ont rien. C’est tes lunettes qui…

J’ai dit :

— J’ai l’air raisin, hein ?

— Pas du tout ! Mais tu as une méchante prune qui te pousse là.

Ses lèvres orange sur ma prune auraient pu me faire tomber dans les pommes.

 

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Le printemps est fou. Merveilleux ! Je n’ai plus de temps pour rien. En classe, sans même étudier, je suis redevenu la bolle que j’étais. Et puis, à la ligue d’improvisation, on me traite de vedette. Je n’ai pas eu le temps de faire réparer mes lunettes. Elles me tiennent tant bien que mal sur le nez grâce à des boules de scotch-tape. Et mon nez, puisqu’il est question de lui, n’est plus le terrain propice des boutons nerveux. Est-ce que je devrais m’inquiéter ?

— Toi, on peut dire que tu as changé.

C’est Andréa Paradis qui devient psychologue. Et elle a raison. Il me semble que le monde entier a changé. Depuis que, ma main dans la main d’Anik – ou ma main sur la taille d’Anik –, je traverse lentement le village, j’ai l’impression de me métamorphoser à vue d’œil. Et que tout le monde le remarque.

De son côté, ma grand-mère n’est pas fière que je me sois fait une « petite amie », selon son expression. Ma mère non plus. Elle voudrait que mon père me parle « entre hommes ». Il est encore trop fragile, trop obsédé par sa défaite politique pour s’attarder à des banalités.

Par chance, l’enthousiasme d’Omer l’emporte. Il me compare à une fleur qui vient enfin d’éclore. Quand il parle de fleurs, un entrepreneur de pompes funèbres sait de quoi il parle.

Le monde entier a changé. La seule chose qui reste pareille, c’est la moto de Luc. Il a réussi, avec l’aide d’un voisin qui possède quelques notions de mécanique, à la remonter. Pour la forme, ça va. Mais elle conserve ses pannes chroniques. Luc est en train d’inventer une série de nouveaux sacres qui pourraient faire école. Il voudrait bien la revendre sans perdre d’argent. Dans le coin, personne n’ignore ses misères. Pas facile, la vie d’un Hells Angel amateur !

Et puis il y a eu le vendredi 1er mai, jour que je n’oublierai jamais de ma vie.

J’étais imperméable aux groupes rock. Comme tout le monde, j’entendais leurs musiques. Il aurait fallu que je sois sourd ou ermite pour les manquer. Mais je ne savais pas différencier le heavy métal du hard rock ou Paula Abdul de Madonna. D’accord, j’exagère. Disons simplement que je n’étais jamais allé à un spectacle au Forum. Malgré mes préférences pour Amadeus, Jean-Sébastien et Antonio, j’ai su me plier à mes amours. Un matin, Luc est arrivé tout excité. Ses parents venaient de s’acheter un minibus et il a promis de nous amener à Montréal à son bord.

— Le 1er mai, il y a le spectacle des Pink Floyd au Forum.

— Yéééé !!!

J’ai dit « Yéééé !!! » comme les autres.

Un bon samedi, Andréa et Luc se sont rendus au Forum à cinq heures du matin. Assis sur le trottoir, enveloppés d’un sac de couchage, ils ont attendu que les portes du célèbre édifice ouvrent. Ils voulaient nous obtenir de bons billets. Les Pink Floyd n’auraient qu’à ouvrir l’œil de temps en temps pour nous reconnaître.

Ils ont eu de bons billets. Nous étions fous. Et puis, le vendredi matin, Luc nous a annoncé qu’il ne pouvait pas avoir le minibus. Son père avait décidé n’importe quoi. De toute façon, il avait refusé, point. C’était le découragement. J’ai dit :

— Je vais arranger ça.

J’aurais voulu emprunter la Lincoln d’Omer. Mais il était parti. Alors je n’ai rien dit et j’ai pris le corbillard.

Un corbillard, ce n’est pas un autobus, d’accord ! Mais pour aller au Forum, c’est mieux que rien. Luc, Andréa, Stéphanie Lachapelle et même Caroline Corbeil – qui fait maintenant mine de m’ignorer – ont accepté de monter à bord de mon véhicule… un peu à reculons, c’est vrai. On essaie toujours de retarder son premier tour de corbillard.

Le printemps était fou, la soirée aussi. Au fond, je me foutais éperdument des célèbres Pink Floyd. Au rythme de leurs chansons, j’attrapais souvent la main d’Anik et je l’embrassais à l’intérieur du poignet. Elle sentait bon. Nous avions chaud, mais elle sentait bon. Elle avait maintenant les cheveux de trois nouvelles couleurs. Le rouge l’emportait sur toutes les autres. J’avais les yeux en feu.

À la fin de la soirée, après nos rires au McDonald de la rue Sainte-Catherine, j’ai reconduit tout le monde. À deux heures du matin, il ne restait plus qu’Anik et moi à bord du corbillard. J’ai emprunté doucement un petit chemin de terre.

— Tu te trompes, m’a reproché Anik.

— Je le sais.

— Ah bon !

Elle m’a embrassé sans résister plus longuement. Une fois stationné, j’ai fouillé dans son cou de la pointe du museau. Mes lunettes me fatiguaient. Je les ai posées sur le tableau de bord. Puis j’ai trouvé les petits seins qui me hantaient depuis tant de temps. Ils étaient libres sous son chandail. Dès que ma main les a effleurés, ils ont durci et j’ai senti un grand frisson me parcourir.

Dans ma tête, je me répétais :

— Est-ce que ça se peut ? Est-ce que c’est vrai qu’un grand raisin comme moi soit rendu là ?

Je ne savais plus si le corbillard se trouvait dans un fossé ou dans l’entrée d’une propriété privée. Je ne savais plus où j’étais. Chaque geste que je posais était trop réfléchi, trop attendu. Nous étions gauches. Nous apprenions à nous toucher.

Deux jours plus tôt, nous avions amorcé quelques caresses. J’avais été incapable de faire quoi que ce soit. Comme si cet incroyable mélange de peur et d’émotion, ces tremblements, cette galopade du cœur m’avaient noué les membres. Cette nuit-là, c’était tout le contraire. Même si la banquette avant du corbillard n’était pas très confortable… même si le volant inutile me harcelait la hanche… même si j’étais en train d’attraper une crampe dans la cuisse… malgré tout, nous fêtions notre amour.

Il y avait la lune, notre seul témoin, avec sa lumière et ses ombres. Anik avait les yeux fermés. J’ai fermé les miens et je me suis perdu dans son odeur. Nous n’aurions jamais eu l’audace de nous étendre dans la partie arrière du corbillard. Nous étions trop vivants pour ça.

J’aurais voulu que notre étreinte dure une éternité ou deux. J’étais tellement bien. Jamais de ma vie je n’aurais imaginé une telle drogue. Anik m’a dit :

— Je suis comme dans de la guimauve.

J’ai répondu :

— Moi aussi.

Et puis elle a ri. Je me demandais ce qui lui prenait.

— Je savais pas que tu avais des culottes « Coup de cœur ».

— C’est… c’est un fétiche.

— Wow ! Des culottes roses avec des éléphants ! C’est super !

En revenant vers sa maison, si nous avions croisé une auto de patrouille, je suis certain que le policier se serait cru dans un rêve. J’avais les yeux ronds, un sourire aux lèvres et la tête d’Anik contre mon épaule. Un chauffeur à deux têtes au volant d’un corbillard, il aurait eu de quoi se frotter les yeux. J’aurais dû ouvrir les miens. Je n’ai jamais vu la mouffette qui traversait le chemin. Nous avons seulement ressenti un choc un peu mou et ensuite… l’odeur.

Anik s’est mise à rire. J’ai fait de même. Puis je l’ai déposée devant chez elle. Elle est sortie en se pinçant le nez. J’ai attendu qu’elle soit entrée avant de revenir stationner le corbillard dans la cour arrière du salon mortuaire. Il était trois heures du matin du jour le plus heureux de ma vie.

Je n’avais pas sommeil. J’ai marché, marché et marché jusqu’à cinq heures. Ensuite je suis rentré sans faire de bruit. Ma mère m’attendait évidemment.

— Qu’est-ce que tu as fait ?

— Rien. Je me promenais.

— Jusqu’à cinq heures du matin ? Est-ce que ça a de l’allure ?

— Non. Mais je suis tellement bien.

Je me suis enfermé dans ma chambre. Je n’aurais jamais pu dormir aussi excité. Je me suis installé à ma table et j’ai rédigé le dernier chapitre de cette chronique.

Moins-Cinq nous a demandé d’écrire une nouvelle, je crois que la mienne sera un peu trop longue. Elle ressemble à un petit roman. Et puis je ne sais pas si je lui remettrai ces pages. Elles me semblent trop personnelles. À moins que je change les noms de tous les personnages ? À moins que je leur dessine des masques, que je leur invente des actions éclatantes, une aventure policière ou… Est-ce que je sais quoi encore ? Après tout, chère Anik, c’est pour toi que j’ai écrit cette histoire. Je te la donne. Dis-moi ce que tu en penses. Et, crois-moi, je n’aurais jamais cru qu’elle finirait aussi bien.

J’ai plein de Mozart dans les écouteurs de mon baladeur. Le jour est levé depuis longtemps. Je n’ai pas encore sommeil.

Ce matin, il y a un enterrement. J’observe Omer. Il dirige les funérailles, raide comme il sait l’être en de telles circonstances. Les porteurs du cercueil grimacent quand ils approchent le corbillard. Orner lève les yeux, m’aperçoit. S’il le pouvait, il me montrerait le poing. C’est sûr. Il ne le fait pas. Il sait rester digne.

Moi, je lui souris même si je sais que ça ne se fait pas, que c’est carrément déplacé quand une famille pleure un mort, quand la cérémonie se déroule, quand le corbillard empeste la mouffette. Je sais que ça ne se fait pas, mais je veux qu’Omer, mon grand-père dont j’ai le nez, je veux qu’il sache que je t’aime comme un fou, comme Mozart perdu dans sa musique ou Beethoven dans son Hymne à la joie.