15. DOSSIER PERSONNEL

Lauren se glissa silencieusement dans la chambre de Rat, s’accroupit près de la table de chevet, puis plaça les lèvres à quelques centimètres de son oreille.

— DEBOUT LES MORTS ! hurla-t-elle à pleins poumons.

Saisi d’effroi, Rat se dressa d’un bond, se frotta les yeux et lui adressa un regard halluciné.

— Tu ne pouvais pas faire ça en douceur ?

— Tu aurais vu ta tête, gloussa Lauren. J’aurais dû filmer la scène sur mon portable.

— Il est quelle heure ?

— Presque sept heures. Allez, lève-toi. J’ai un cours à huit heures et demie, et je ne veux pas sauter le petit déjeuner.

Rat enfila un pantalon et un T-shirt gris, puis glissa ses pieds dans ses rangers.

— Je suis prêt, annonça-t-il.

— Tu ne te brosses même pas les dents ?

— J’ai la flemme, lança le garçon en attachant sa montre à son poignet. Allons-y.

— Dis-moi, c’est comme ça tous les matins ? l’interrogea Lauren en s’engageant dans le couloir.

— Des fois, je prends une douche, mais aujourd’hui, j’ai karaté à neuf heures et demie. Je vais finir en sueur, alors à quoi bon ?

— Mon Dieu, tu es vraiment un mec.

— Si ça te dérange, je peux retourner sous la couette.

— Tu étais plus enthousiaste à l’idée de te venger de Large, hier soir.

Ils prirent place à bord de l’ascenseur.

— Je suis toujours partant, bâilla Rat. Mais je déteste me lever tôt, alors il vaut mieux ne pas trop me chercher.

Lauren enfonça le bouton du premier sous-sol. Le bâtiment principal du campus avait été construit trente ans plus tôt. Les bureaux et les chambres avaient été régulièrement rénovés, mais l’aménagement des archives n’avait pas changé depuis les années 1970. Les portes de l’ascenseur s’ouvrirent sur un vestibule meublé de placards vert olive. La moquette grise était usée jusqu’à la corde.

Rat s’approcha d’une porte vitrée et contempla les hautes armoires métalliques où tournaient les bandes de sauvegarde du système informatique.

— On se croirait dans un vieux film de science-fiction. Tu crois que ces trucs fonctionnent encore ?

— J’en doute, répondit Lauren en sortant un pass magnétique de son pantalon. Arrête de baver devant ces antiquités, espèce de geek. J’ai besoin de toi pour surveiller nos arrières.

Elle passa la carte dans le lecteur, puis poussa la porte.

— Je me demande comment Kyle a réussi à se la procurer, s’interrogea Rat.

Lauren haussa les épaules.

— Je suppose qu’il l’a échangée contre une pile de DVD pirates.

La salle empestait le dépoussiérant pour meubles. Comme prévu, l’employée n’avait pas encore pris son poste au bureau d’accueil.

Lauren s’assit devant le vieux PC IBM à affichage monochrome. Elle chercha vainement une souris, puis utilisa les touches directionnelles pour sélectionner la case RECHERCHER de l’application.

Dès qu’elle eut tapé NORMAN LARGE, une longue liste apparut à l’écran. Elle fit glisser le curseur jusqu’à la ligne Dossier personnel 1996-2007, nota la référence sur un Post-It, puis enfonça à plusieurs reprises le bouton esc pour éliminer toute trace de sa recherche.

Rat considéra les cinquante mètres de rayonnages métalliques et d’armoires de classement.

— Qu’est-ce qu’il y a là-dedans ?

— Les dossiers de toutes les missions antérieures à 1992, avant la mise en place du système de numérisation. La paperasse concernant les demandes d’accréditation, des vétérans de CHERUB au technicien venu ici une seule fois, il y a vingt-cinq ans, pour remplacer le filtre de la piscine. Des contrats, des plans, des livres de comptes…

— Je suppose que nos dossiers personnels s’y trouvent aussi ?

— Non, les dossiers des agents en activité sont rassemblés au centre de contrôle. Ils sont scannés et numérisés au bout de cinq ans.

— C’est bête. J’y aurais bien jeté un œil, histoire de rigoler un coup.

— FGS-271C, dit Lauren. Ce doit être par là…

Elle s’engagea dans une allée, déplaça l’escabeau devant un rayonnage, se hissa jusqu’au troisième niveau et s’empara d’une boîte en carton.

Elle la posa sur la moquette, souleva le couvercle et commença à en étudier le contenu. Elle contempla avec amusement une photo de Norman Large à l’âge de vingt ans. Il portait le cheveu court sur le dessus, long dans la nuque, et tenait une pancarte où figurait l’inscription : l’Union des étudiants de la London School of Economies appelle au boycott des produits sud-africains.

Elle poursuivit son inspection et découvrit une chemise beige portant la mention Filiation.

— C’est flippant de penser qu’ils conservent toutes ces informations, dit Rat.

— Je suppose que c’est un moyen de s’assurer que personne ne révélera l’existence de CHERUB. J’ai entendu dire qu’il existait une unité constituée d’ex-agents chargés de régler les problèmes de fuite.

— Cool. Tu crois qu’ils liquident les témoins gênants ? Imagine un peu que quelqu’un menace de publier un livre sur l’organisation et qu’il n’y ait pas d’autre moyen de l’en empêcher…

Lauren haussa les épaules.

— Je ne sais pas, Rat. C’est juste une rumeur.

Elle ouvrit le dossier et déchiffra la première page :

 

Norman Large

Descendants – 1

Nom – Hayley June Large-Brooks

Date de naissance – 16 mai 1991

Parents – inconnus

 

NOTE – Hayley est la fille adoptive de Norman Large

et de son partenaire Gareth Brooks.

 

— Tout est là, dit Lauren en consultant les fiches rassemblées dans la chemise. Photos de classe, dossier dentaire, profil ADN, parcours scolaire. Il y a même des détails sur ses activités en dehors du lycée et sur ses camarades de classe les plus proches.

Les deux agents se dirigèrent vers le photocopieur. Rat posa la pile de documents dans le bac de chargement automatique et appuya sur le bouton copie.

Soudain, ils entendirent s’ouvrir les portes de l’ascenseur. Aussitôt, Lauren plongea sous le bureau. Rat se glissa entre le mur et le copieur. Craignant que le bruit caractéristique produit par l’appareil n’attire l’attention sur sa cachette, il débrancha la prise d’un coup sec.

Lauren jeta un coup d’œil au vestibule et reconnut aussitôt le costume marron et la tête chauve du contrôleur de mission John Jones. Elle avait travaillé sous ses ordres au cours de deux opérations et ils s’étaient entendus à merveille. Cependant, elle doutait qu’il serait disposé à passer l’éponge s’il la trouvait en train de fouiller dans les archives sans autorisation.

John marcha droit vers le bureau, se planta devant l’ordinateur et pianota sur le clavier. Lauren se recroquevilla tant qu’elle put, mais l’espace dont elle disposait était extrêmement réduit.

Excédé par la lenteur du vieil IBM, le contrôleur de mission poussa un juron, frappa du poing sur le clavier et se laissa tomber sur la chaise, les genoux à quelques centimètres du visage de la jeune fille.

Après quinze interminables secondes, John se leva, décrocha le vieux téléphone à cadran rotatif et composa le numéro de poste de son assistant.

— Chris, c’est moi. Je suis aux archives. J’ai dû laisser une note de synthèse sur mon bureau… Voilà, c’est ça. Est-ce que tu pourrais m’indiquer la date du…

Il observa une pause puis s’exclama.

— Ah bon ? Tu es venu chercher le dossier hier soir ? Je ne sais pas ce que je ferais sans toi. Je te remercie. On se voit au briefing de cet après-midi.

John raccrocha et regagna le vestibule. Lorsqu’elle entendit son pas résonner dans l’escalier de secours, Lauren bondit de sa cachette et rejoignit Bat près du photocopieur.

— Il était moins une, soupira-t-elle.

Son camarade rebrancha la machine.

— On n’est pas sortis des ronces, maugréa-t-il en désignant le panneau de contrôle où clignotaient une multitude de voyants d’alerte.

— Tu crois que tu peux la réparer ? demanda Lauren.

Rat s’accroupit pour soulever le capot de plastique.

— Ce n’est qu’un bourrage papier, dit-il. Au moins, les années passées à travailler dans les bureaux de l’Arche des Survivants m’auront servi à quelque chose.

Il abaissa un levier, fit tourner une roue crantée, puis extirpa du chariot deux feuilles froissées.

Il referma la trappe. Lauren constata avec soulagement que le panneau de contrôle affichait l’inscription Prêt à la copie.

— Va surveiller le vestibule, dit Rat. Il ne reste que six pages. Dès que ce sera terminé, je remettrai le dossier à sa place et on ira éplucher toutes ces informations dans la chambre de Kyle…