2. VISITE AU ZOO

Durant l’été 2004, une opération d’infiltration menée par CHERUB a permis l’arrestation du trafiquant de drogue Keith Moore et de son organisation criminelle connue sous le nom de GKM. Pendant des années, ce gang avait régné sur un territoire s’étendant des faubourgs nord de Londres à la région d’Oxford.

Si GKM tirait l’essentiel de ses profits du trafic de cocaïne, il était parvenu à se diversifier dans un large éventail d’activités illégales, des raves clandestines aux braquages à main armée. Depuis l’arrestation des dirigeants de l’organisation, les bandes locales se livrent une guerre sans merci pour s’emparer de l’empire de Keith Moore.

Cinq gangs se disputent l’ancien territoire de GKM. Si aucun d’entre eux n’est parvenu à occuper une position dominante, les Slasher Boys, organisation connue pour ses méthodes extrêmement brutales, regroupe environ quatre-vingts membres originaires des Caraïbes, dont les nombreux contacts en Jamaïque permettent l’acheminement d’importantes quantités de cocaïne produite en Amérique du Sud.

Deux agents de CHERUB d’origine afro-caraïbe seront chargés d’infiltrer les Slasher Boys.

Cette opération est classée RISQUE ELEVE.

 

(Extrait de l’ordre de mission de Gabrielle O’Brien et Michael Hendry, janvier 2007.)

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Le foyer de réinsertion du Bedfordshire était situé à proximité du centre de Luton. Tout le monde l’appelait le Zoo. Inauguré en 1980, l’immeuble avait été tagué et vandalisé par plusieurs générations de jeunes délinquants placés dans l’établissement après avoir purgé leur peine de prison.

Le Zoo jouissait d’une réputation exécrable. Il explosait toutes les statistiques en matière d’overdoses et de grossesses adolescentes. Plusieurs résidents avaient été poignardés dans les douches communes. Deux filles ivres mortes avaient tué un cycliste en lançant un parpaing depuis le toit de l’établissement.

Les nuisances engendrées par les occupants du foyer avaient fait baisser de moitié le prix des habitations environnantes. Seule la crainte de voir ses résidents s’éparpiller dans la ville tout entière avait dissuadé le conseil municipal de prononcer sa fermeture définitive.

Malgré les deux mois passés dans l’atmosphère cauchemardesque du Zoo, Gabrielle O’Brien trouvait la vie merveilleuse : elle avait fêté ses quinze ans à Noël et sortait avec Michael Hendry depuis six mois. Au début de leur relation, ils avaient imité les autres amoureux du campus de CHERUB : ils s’étaient contentés d’aller au bowling, au cinéma et au centre commercial, et d’échanger de longs câlins dans leur chambre.

En dépit de cette routine, leur relation était progressivement devenue plus intense et ils étaient désormais l’un des couples d’agents les plus solides. Leurs amis se sentaient délaissés, mais Gabrielle et Michael s’en moquaient éperdument. Le temps passé en mission loin du campus avait renforcé leur amour.

En ce jeudi matin, dix heures, les pensionnaires du Zoo étaient censés se trouver au lycée, mais la moitié des occupants du troisième étage étaient restés dans leur chambre, suspendus, exclus, ou tout simplement incapables de quitter leur lit.

Tisha, la camarade de chambre de Gabrielle, faisait partie des rares pensionnaires à s’être levés aux aurores pour se rendre au lycée. Dès son départ, Michael avait rejoint sa petite amie sous la couette, et ils avaient passé deux heures à se bécoter.

— Ne réponds pas, supplia-t-il lorsque le téléphone de Gabrielle se mit à sonner.

Mais la jeune fille saisit le portable posé sur le lino pour lire le nom affiché à l’écran.

— C’est Major Dee.

— Bizarre, fit observer Michael. D’habitude, il n’est jamais d’attaque avant midi.

— Major ? dit Gabrielle avec un accent jamaïcain extrêmement prononcé.

— Salut, ma chérie. De quelle couleur est ta culotte, ce matin ?

Major Dee était le leader des Slasher Boys, un colosse à la mâchoire garnie de dents en or. À ses yeux, les femmes n’étaient bonnes qu’à rester à la maison pour préparer les repas et pondre des enfants. Contrairement à Michael, Gabrielle avait dû travailler dur pour prouver sa valeur, mais Dee continuait à la traiter avec un manque total de respect. Si un garçon du campus s’était avisé de lui parler de la sorte, elle l’aurait aussitôt envoyé à l’infirmerie.

— La couleur de ma culotte, ça me regarde, gloussa-t-elle. Qu’est-ce qui te prend de m’appeler à cette heure ? J’espère que c’est important.

— Il y a cinquante livres à la clé, dit Major. Michael est près de toi ?

— Tout près, si tu veux tout savoir.

— Un client vient de me commander un kilo. Allez chercher la marchandise à la planque et livrez-la au Green Pepper.

Gabrielle fronça les sourcils. De notoriété publique, le Green Pepper café, rendez-vous des petits revendeurs, était placé sous surveillance policière. Les caïds comme Major Dee traitaient leurs affaires dans des lieux plus discrets. Ils ne fréquentaient l’établissement que pour rencontrer des amis et déguster la meilleure nourriture jamaïcaine de Luton.

— Tu veux vraiment qu’on livre un kilo de coke au Green Pepper ? Tu es défoncé ou quoi ?

Dee observa quelques secondes de silence puis laissa éclater sa colère.

— Fais ce que je te dis, espèce de merdeuse ! Non mais, tu te prends pour qui ? Si tu veux te faire du fric, obéis et arrête de me soûler avec tes questions.

— Très bien, on ira chercher le matos, dit Gabrielle. Mais je ne comprends pas pourquoi on prend de tels risques.

— Je sais. C’est pour ça que je veux qu’une fille s’occupe de la livraison. Les flics n’ont pas grand-chose au rayon neurones. Ils ne te soupçonneront pas.

— À quoi ressemble le client ?

— Quel client ?

Gabrielle poussa un soupir exaspéré. À l’évidence, Dee avait une fois de plus abusé des stupéfiants.

— Le type que je dois rencontrer. Tu préfères que je remette le paquet au premier venu ?

— Contente-toi de livrer le matos au Green Pepper. Quelqu’un t’y attendra.

Sur ces mots, il mit un terme à la conversation.

— On a du boulot ? demanda Michael.

— Il veut que je me pointe au Green Pepper avec un sac plein de cocaïne.

— C’est de la folie !

— Il pense que les flics ne s’intéresseront pas à moi, sous prétexte que je suis une fille. Je crois qu’il se trompe lourdement.

— Il est encore dans le cirage. Il a dû fumer des centaines de pétards. Je parie qu’il ne s’est pas encore couché.

— Si je suis arrêtée, ce sera la fin de la mission.

Gabrielle enfila un T-shirt.

— Voilà ce qu’on va faire, expliqua Michael. On va chercher la coke dans le parc, puis on passe un coup de téléphone à Major Dee pour l’informer qu’un véhicule de police tourne autour du Green Pepper. Il a beau être défoncé, il ne voudra pas prendre le risque de perdre un kilo de poudre.

— Ton plan m’a l’air carré, dit Gabrielle en déposant un baiser sur l’épaule de son petit ami. Mais il n’empêche que cette histoire sent le coup fourré à des kilomètres.