7. CHAMBRE STÉRILE

Aucun agent de CHERUB n’avait perdu la vie en opération depuis vingt-cinq ans. Après seulement dix mois de carrière à la tête de CHERUB, Zara Asker devait faire face à l’une des crises les plus graves jamais traversées par l’organisation.

Lorsqu’elle reçut le coup de téléphone l’informant de l’agression dont Gabrielle O’Brien avait été victime, elle se trouvait au chevet de son fils Joshua, dans une chambre de l’hôpital le plus proche du campus. La veille, le petit garçon s’était cassé le bras en sautant du toboggan de la maternelle. La fracture ayant été jugée complexe, les chirurgiens l’avaient opéré sous anesthésie générale pour lui poser une broche, puis avaient exigé qu’il passe la nuit en observation. Depuis, il ne cessait de pleurer, et rien ne semblait pouvoir l’apaiser. En dépit de ses supplications, Zara, la mort dans l’âme, dut se résoudre à l’abandonner. À en croire les informations qu’elle avait reçues, Gabrielle se trouvait dans un état critique.

Au mépris des radars automatiques alignés le long de l’autoroute, elle roula à tombeau ouvert vers le centre hospitalier de Luton. Un motard la força à se ranger sur la bande d’arrêt d’urgence. Dès qu’il eut jeté un œil à son badge haute accréditation, il remonta sur son véhicule et l’escorta sirène hurlante jusqu’à l’hôpital.

Outre l’anxiété que lui causait l’état de Gabrielle, Zara craignait les répercussions politiques du drame qui venait de se produire. Seuls le Premier Ministre et le ministre des Services secrets connaissaient l’existence de CHERUB. Ils avaient toujours reçu l’assurance que le travail de supervision des contrôleurs de mission mettait les agents à l’abri de tout péril physique. Lorsqu’ils découvriraient que l’un d’eux avait été gravement blessé par arme blanche lors d’une bataille rangée entre gangs rivaux de trafiquants de drogue, elle serait inévitablement mise sur le gril en tant que directrice de l’organisation.

Elle salua les deux policiers postés par précaution devant l’unité de soins intensifs et pénétra dans la salle d’attente. La contrôleuse de mission Chloé Blake et son assistante Maureen Evans la prirent tour à tour dans leurs bras.

Chloé avait été nommée contrôleuse depuis moins d’un an. Maureen était un ancien agent originaire de Trinidad qui avait rejoint CHERUB au mois d’octobre, à sa sortie de l’université.

Zara respectait ses deux subordonnées, mais elle craignait d’avoir commis une erreur en confiant une mission à haut risque à une équipe aussi inexpérimentée.

Michael, les yeux rougis par les larmes, était posté devant une fenêtre donnant sur le jardin. Zara l’embrassa sur la joue et lui frotta affectueusement le dos. Elle se souvenait de l’avoir promené en poussette dans les parcs du campus, lorsqu’il avait été accueilli à CHERUB, à l’âge de trois ans, afin de ne pas être séparé de ses grandes sœurs.

— Comment va Gabrielle ? demanda Zara.

— Elle est en chambre stérile pour prévenir les infections, expliqua Chloé. Elle a été placée sous sédatif et sous assistance respiratoire. Elle a aussi reçu des agents coagulants pour combattre l’hémorragie.

— Qu’est-ce que disent les médecins ?

— Son état est critique, mais stable. Ils vérifient ses constantes toutes les demi-heures. Ils ont réduit la plupart des hémorragies externes, mais ils préfèrent attendre pour retirer la lame. Ils ne pourront se prononcer qu’à l’issue de l’opération. En attendant, les cinq Runts qui ont été blessés défilent au bloc.

— La police craint que des hommes de Major Dee ne débarquent ici pour terminer le travail.

— Ils n’en sont pas à leur coup d’essai, expliqua Maureen. En 2005, un témoin qui avait accepté de témoigner contre Dee dans une affaire de tentative de meurtre a été abattu sur son lit d’hôpital.

Zara secoua la tête avec incrédulité.

— J’ignorais que la situation était aussi tendue. Le comité d’éthique n’aurait jamais dû donner son feu vert.

— C’est moi qui ai rédigé la note de synthèse concernant les risques, bredouilla Chloé. Si tu le souhaites, je suis prête à te remettre ma démission.

— Tu es une excellente contrôleuse de mission. Je suis certaine qu’il ne sera pas nécessaire d’en arriver là.

— Les Runts ont déclaré la guerre aux Slasher Boys, dit Michael. Personne ne pouvait le prévoir. Chloé n’y est pour rien.

Michael n’avait que quinze ans, mais il était plus grand que les trois femmes et il s’exprimait avec autorité.

— Tu ne vas pas interrompre la mission ? ajouta-t-il.

Zara répondit d’une voix hésitante :

— Compte tenu des circonstances, je ne vois pas comment je…

— Tu ne peux pas faire ça, interrompit Michael. On a travaillé dur pendant deux mois pour gagner la confiance de Major Dee. Après ce qui s’est passé aujourd’hui, il est hors de question que je retourne au campus avant d’avoir démantelé ces gangs.

— Parle moins fort, Michael, chuchota Chloé en jetant un œil inquiet aux policiers postés à l’entrée.

— Pardon, chuchota Michael. Je ne sais plus très bien où j’en suis.

— C’est parfaitement normal, dit Zara. Tu as passé une journée épouvantable. Mais je ne veux pas te mener en bateau. Gabrielle est très gravement blessée. Nous ne savons pas si elle survivra. Je vais devoir m’entretenir avec le comité d’éthique et le ministre des Services secrets. Je ne pense pas qu’ils approuveront la poursuite de la mission.

— Mais on est des agents, gronda Michael. On est surentraînés. Quand on part en mission, on a parfaitement conscience des risques. Et on les accepte.

Zara poussa un profond soupir. Tous les agents estimaient que le danger faisait partie de leur existence, mais les adultes refusaient que des enfants puissent mettre leur vie en péril, quelle que fût la justesse de leur cause. Si Gabrielle perdait la vie, le gouvernement pourrait remettre en question l’existence même de CHERUB…