vingt-deux
Je n’avais
pas quitté la salle de tournage que déjà je brillais.
Carrément, même !
Du moins, c’était ce que je
ressentais intérieurement.
Même si j’avais échoué dans à
peu près tout ce que j’avais entrepris, même s’il restait un
créateur de rêves rebelle quelque part en liberté, au final j’avais
fait de mon mieux. Tant que le Conseil ne décidait pas de
m’assigner son cas, ce n’était pas à moi de résoudre le problème
Satchel.
Donc, voilà où j’en étais,
débordant d’une toute nouvelle assurance, fourmillant d’idées en
repensant à tout ce que j’avais appris… quand je suis tombée nez à
nez avec Caramel et Bodhi à la sortie de la salle.
Je suis tombée à genoux pour
faire un gros câlin à mon chien surexcité. À en juger par la façon
dont sa queue fouettait le sol et dont il me léchait la joue comme
un fou, il était très content de me voir.
Après quelques minutes,
consciente que je ne pourrais pas repousser ce moment
éternellement, j’ai relevé les yeux vers Bodhi. Son regard était
réservé, partagé, beaucoup plus difficile à déchiffrer que celui de
mon chien, même si j’étais pour le moins certaine qu’il n’éprouvait
pas le même enthousiasme.
Quelque chose me disait que le
léchage de joues était une pratique que Bodhi réservait
exclusivement à Jasmine, même si, rien que d’y penser, ça me
débectait un peu.
Je savais que je devais dire
quelque chose pour m’expliquer, mais il ne m’en a pas laissé le
temps.
– Alors, il paraît que tu
as tenté d’accomplir un nouveau miracle à la Riley Bloom,
là-dedans ?
Il y avait un je ne sais quoi
dans sa voix… C’était flagrant, mais je n’arrivais pas à
l’identifier. Du pouce, il m’a montré la vieille salle de tournage
délabrée, qui allait bientôt faire peau neuve.
Je n’ai pas réagi. Je me suis
simplement relevée et j’ai fait signe à Caramel de me suivre, en me
dirigeant vers la grille. Repensant à la dernière fois où j’avais
vu Bodhi, quand il m’avait surprise à les espionner alors qu’il
lisait des poèmes à Jasmine, j’ai soudain été prise de la même gêne
horrifiée à son égard.
Dire que je me sentais si bien
avant qu’il ne débarque ! Comment sa simple présence
pouvait-elle me détraquer aussi vite ?
– Tu sais, des tas de
personnes ont tenté de convaincre Satchel d’arrêter.
Bodhi marchait à côté de moi,
refusant d’observer le silence comme je m’efforçais de le
faire.
– On ne compte même plus
le nombre de fois où son guide a essayé… Et Balthazar lui rend
régulièrement visite depuis que les cauchemars ont commencé. Il a
essayé de lui faire entendre raison, l’a imploré de changer d’avis.
Mais pour finir, Satchel a toujours refusé de l’écouter. Tu ne dois
pas t’en vouloir, Riley. Satchel n’est pas prêt à tourner la page,
c’est tout.
– Si, justement, ai-je
marmonné entre mes dents, me souvenant à quel point j’étais près du
but avant qu’il ne s’enfuie à la dernière seconde.
Je vous rassure, je m’en étais
remise. Je m’engageai solennellement à laisser tomber et à ne pas
ressasser pendant des jours. N’empêche, j’avais quand même été à un
cheveu de le convaincre. Si Balthazar n’avait pas fait irruption,
j’aurais pu, une fois de plus, être celle qui avait réussi là où
tous les autres avaient échoué.
Me tournant vers Bodhi, je
l’ai vu m’observer en tapotant sa paille cabossée contre son menton
garni d’une barbe de plusieurs jours.
– Qu’est-ce qui t’a donné
l’idée de venir ici ? ai-je demandé, curieuse de savoir si le
Conseil l’avait alerté à mon sujet et si j’allais me faire sonner
les cloches.
Apparemment j’étais loin du
compte, car Bodhi s’est contenté de hausser les épaules et de
pointer Caramel du doigt ; mon chien a levé les yeux vers moi
en se léchant les bajoues et en remuant sa truffe rose.
– Inutile de te dire que
le Conseil va sans doute vouloir s’entretenir avec toi à ton
retour.
À son ton, je n’arrivais pas à
savoir s’il redoutait ou s’il savourait à l’avance ledit
entretien.
La bouche pincée, j’ai croisé
les bras avant de répondre.
– Dans ce cas, j’imagine
que ce ne sera pas une partie de plaisir pour toi. Alors, je m’en
excuse d’avance.
Le sourcil brusquement haussé,
il m’a toisée, et ce regard m’a tellement agacée que j’ai eu
l’impression que ma tête allait exploser et que j’allais
littéralement « péter les plombs ».
– D’ailleurs, tant qu’on
parle de fautes graves, ai-je ajouté en le regardant bien de haut,
n’oublie pas que tu m’as menti. Tu as dit que l’accès à la Fabrique
des rêves était interdit, or c’est faux.
J’ai hoché vigoureusement la
tête, incapable de me souvenir si le mensonge était un des sept
péchés capitaux ou juste fortement déconseillé, même si, n’importe
comment, je savais que c’était mal.
– Je n’ai fait que mon
devoir, a rétorqué Bodhi en me regardant d’un air parfaitement
tranquille. Désolé, Riley, mais je ne m’excuserai pas pour ça. Tu
sais, tu es loin d’être quelqu’un de facile. Je suis toujours
obligé d’en faire des tonnes pour que tu m’écoutes. Et comme tu
vois, ça ne marche même pas ! Quoique je te dise, tu n’en fais
qu’à ta tête.
Je me suis arrêtée pour lui
décocher un regard furieux.
– Eh oui ! Et
bizarrement, tu vois, il y a tout un tas de fantômes qui ont
franchi le pont !
L’air méprisant, je lui ai
asséné le pire regard-qui-tue de ma vie.
– Dis-moi, Bodhi, tu n’en
as pas marre que ce soit toujours moi qui réussisse à rapatrier
toutes ces âmes perdues ?
J’ai tapé du pied, tandis que
ses yeux se réduisaient à deux fentes vertes.
– Ça m’embête de te le
rappeler, mais je te signale que c’est moi qui ai reçu les
félicitations d’Aurore. Comme on le sait, c’est elle la présidente
du Conseil, la reine du bal… appelle-la comme tu veux. Bref, que ça
te plaise ou non, je suis bien partie pour te surpasser. Ce n’est
qu’une question de temps avant que tu ne te retrouves en plan, à
ronger ta paille, aveuglé par la poussière que je laisserai dans
mon sillage. Tu te demanderas comment tu as pu arriver à être
largué à ce point.
– Riley…
Il a levé la main, dans une
tentative dérisoire pour m’interrompre, mais il aurait mieux fait
de s’abstenir. Je n’en avais pas fini avec lui, oh que
non !
– Tu crois que tu es un
mec trop cool, trop…
Hésitante, je me suis
finalement forcée à poursuivre.
– Tu te prends pour le
roi du monde, pas vrai ? Mais je vais te dire, ce n’est pas
parce que tu as une jolie petite amie prénommée Jasmine, et que tu
as quatorze ans, que tu vaux mieux que moi ! Tiens-toi prêt,
car je vais avoir treize ans d’un instant à l’autre. Bien que tu
t’obstines à ne rien vouloir me dire depuis le début, à me laisser
coincée à l’âge que j’ai, je commence à comprendre comment tout
fonctionne. Et je te préviens, quand j’aurai treize ans…
Il ne m’écoutait plus. Au lieu
de ça, il a tendu le bras vers quelque chose qu’il tenait à me
montrer, et ses yeux se sont soudain emplis d’une telle tristesse
et d’une telle déception que c’est à peine s’il a osé me
regarder.
J’ai tourné brusquement la
tête dans la direction qu’il m’indiquait. Et là, je me suis figée
net.
Le bec cloué. Les yeux
exorbités. Tirant une tête de trois mètres de long.
La Fabrique des rêves tournait
de nouveau à plein régime, et au milieu de l’effervescence des
accessoiristes transportaient un grand miroir qui allait sans doute
servir pour une projection. Ils l’ont posé pile devant moi,
s’arrêtant en chemin pour discuter avec des collègues qui guidaient
dans la direction opposée un troupeau de chameaux, deux zèbres,
ainsi qu’un éléphant arborant des peintures élaborées.
Brillant de mille feux, le
miroir me renvoyait un reflet que je ne pouvais pas ignorer.
Je me suis rapprochée. Si près
qu’il s’est embué de petites taches quand j’ai soufflé dessus. Du
bout des doigts, j’ai suivi le contour de mon image, me demandant
ce qui s’était passé au juste pour que j’en arrive là.
J’avais survécu à une longue
nuit d’angoisse, non sans y laisser quelques plumes, mais ça
n’avait rien à voir.
C’était mon éclat qui me
laissait sans voix.
Il ne brillait pas plus
qu’avant, mais plutôt… à peine.
Il s’était terni.
Considérablement.
Alors qu’à côté de moi, Bodhi,
lui, rayonnait comme jamais. Son éclat vert habituel tirait sur le
bleu.
Soudain, ç’a fait tilt.
J’ai pigé.
J’ai compris le pourquoi de sa
barbe de plusieurs jours et de son auréole bleu-vert : il
avait pris du galon, m’avait dépassée.
Bodhi avait désormais quinze
ans, et moi toujours douze.
– C’est injuste !
ai-je hurlé, fondant en larmes, rouge de rage.
Dès que les accessoiristes
sont repartis, non sans m’avoir lancé un rapide coup d’œil inquiet,
mon reflet a disparu.
– C’est moi qui fais tout
le boulot ! Moi, au moins, j’ai essayé de convaincre
Satchel ! Je prends des risques, alors que toi…
Ça me coûtait de le dire, mais
tant pis.
– Alors que toi, tu
flemmardes dans un jardin à lire de la poésie à ta
dulcinée !
J’ai secoué la tête, la gorge
en feu et si nouée que j’ai dû faire un effort surhumain pour
terminer ma phrase :
– Alors explique-moi, ô,
guide tout-puissant, en quoi tout ça serait juste,
hein ?
Au lieu de répliquer tout de
suite, Bodhi a reculé, entraînant Caramel avec lui, pour me donner
un peu d’air. Puis, estimant que je m’étais assez calmée, il est
revenu sur ses pas en me contournant.
– Ton éclat ne dépend pas
uniquement de tes actes, Riley.
Son regard s’est posé sur moi,
sans que l’on puisse y déceler la moindre lueur de triomphe
– c’était déjà ça.
– Il ne s’agit pas de ce
que tu accomplis. Là n’a jamais été la question… Tu ne l’as
toujours pas compris ?
– Il s’agit de quoi,
alors ? ai-je répondu d’un ton que je voulais venimeux, mais
en fait faible et pathétique.
– Ce qui compte, ce sont
les leçons que tu tires de tes actions. Et je suis sincèrement
désolé de te le dire, mais tu es passée à côté de la plus
importante.
M’écroulant à genoux, j’ai
enfoui mon visage dans le cou de Caramel. Mortifiée, je regrettais
déjà amèrement de m’être emportée. Ma réaction avait été immature,
typique d’une gamine de dix ans et non de l’adolescente que je
rêvais d’être, et contraire à tout ce que Balthazar m’avait
enseigné.
Au lieu de calmer mes ardeurs,
de canaliser mon énergie et mon entêtement… j’y avais succombé.
J’avais laissé mes émotions prendre le dessus. Je suppose que
comprendre l’idée était une chose, et l’appliquer en était une
autre. Il était évident que je n’étais pas prête à avoir treize ans
ni digne de les avoir.
– Pour quelqu’un de si
préoccupé par les apparences – et n’essaie pas de le nier, car
tu sais très bien que tu juges constamment les gens à leur
tête –, comment tu m’appelais déjà, quand on s’est
rencontrés ?
Bodhi m’a dévisagée, cherchant
à tout prix à me faire cracher le morceau et réagir d’une façon ou
d’une autre. Il voulait que j’admette que, oui, en effet, il
m’était arrivé par le passé, et parfois encore aujourd’hui, de le
taxer de « ringard ». Mais j’ai tenu bon. Je n’avais pas
envie de jouer. Plutôt d’en finir. Que tout ce sermon humiliant
s’achève et que je puisse enfin m’en aller.
– Bref, je crois qu’on
sait tous les deux de quoi tu me traitais, l’essentiel étant
que…
À la façon dont il s’est
interrompu, j’ai compris que ce qui venait était capital et qu’il
voulait vraiment que j’y réfléchisse.
– Ce que tu dois
absolument comprendre, Riley, c’est que les apparences ne font
qu’illustrer la façon dont on se voit.
– Plaît-il ?
Je lui ai jeté un coup d’œil
furtif. Tout ouïe.
– La pensée est
créatrice, pas vrai ?
Il attendait un signe de ma
part, que j’approuve d’une façon ou d’une autre, alors j’ai
acquiescé.
– Sachant cela, l’idée
que tu te fais de toi a des conséquences directes sur ton devenir,
et sur la façon dont les autres te perçoivent.
J’ai plissé les yeux, pas bien
certaine de tout à fait comprendre.
– Prends Aurore, par
exemple. Elle ne se considère pas uniquement comme un individu,
mais comme partie intégrante de l’humanité. Pour elle, il n’existe
pas le moindre fossé, pas la moindre frontière entre elle et les
autres. C’est pour cette raison que tout te paraît sublime quand tu
la regardes. Son teint est un mélange de tous les teints, et c’est
pareil pour ses cheveux et la façon dont ils évoluent d’un bout à
l’autre du spectre de couleur. Mais toi, Riley, tu te focalises
tant sur l’idée d’avoir « douze ans pour l’éternité »,
pour reprendre tes termes, tu es si obnubilée par ta colère et si
déterminée à trouver un raccourci pour parvenir à tes fins qu’au
final tu ne fais que te condamner. À force d’être obsédée par ça,
tu fais du surplace. En réalité, si tu veux grandir, commence par
te considérer comme une adulte. Et ne le prends pas mal, mais pour
ça, il va d’abord falloir que tu te comportes en adulte. Autrement
dit, fini les crises de colère et les caprices. Conclusion, ton
seul adversaire, si tant est qu’il y en ait un, c’est toi,
Riley.
Aïe.
Dur.
Je ne vais pas vous mentir,
ses paroles m’ont fait un effet bœuf. Piquée au vif, je me suis
sentie gênée, mortifiée et honteuse. Et pour cause : difficile
d’ignorer la vérité toute nue, quand elle vous saute aux yeux et
joue des castagnettes sous votre nez.
– Tu ne peux pas forcer
les choses. Tu n’arriveras à rien de cette manière, Riley. À Ici et
Maintenant, les anniversaires n’existent pas, on mûrit quand on est
prêt.
J’ai soupiré. À quelques mots
près, c’était exactement ce qu’Ever m’avait dit dans son rêve.
Toutefois, je n’ai pas pu m’empêcher de protester mollement.
– Pourtant, un jour, tu
m’as dit que si je continuais à faire du bon boulot, je pourrais
dépasser le palier 1.5 en un rien de temps. Ça aussi, c’était un
mensonge ?
– Non, a-t-il assuré en
secouant la tête. Je ne t’ai pas menti. C’était vrai à cent pour
cent, et ça l’est toujours. Mais le fait est qu’à l’époque tu étais
attentive aux âmes que tu faisais passer de l’autre côté du pont.
Tu as eu beau prendre des risques, n’en faire qu’à ta tête malgré
tous mes avertissements, le Conseil était disposé à fermer les
yeux, car pour eux il était clair que tu te souciais réellement du
sort de ces pauvres âmes, c’était important pour toi qu’elles
tournent la page. Et même si je suis certain que tu t’étais
finalement attachée à Satchel, ne serait-ce que parce que son
histoire est sacrément triste, on sait tous les deux que si tu t’es
autant investie pour lui, c’était uniquement par intérêt. Et je
suis navré de te l’apprendre, mais l’égoïsme n’est jamais
récompensé.
Les yeux rivés sur mes pieds,
je me suis souvenue de ce qui avait tout déclenché : ne pas
avoir d’amis, le voir avec Jasmine. À première vue, ça n’avait rien
d’égoïste. Pourtant, dans le fond, Bodhi avait raison. Si j’avais
tenté d’aider Satchel, c’était uniquement dans l’espoir d’en tirer
profit.
– Alors, c’est pour ça
que mon éclat s’est terni ?
Je l’ai regardé, le visage
ouvert, délivrée de toute colère.
Bodhi a plongé les mains dans
ses poches.
– C’est comme pour avoir
treize ans. La question ne repose pas sur tes actes en eux-mêmes,
mais sur les leçons que tu en tires. Tu te considères toujours à
part, comme si tu étais seule contre le reste du monde, et que les
autres feraient bien d’ouvrir l’œil car tu as quelque chose à leur
prouver. Mais ici, personne n’agit en solo, Riley. On travaille en
équipe, en communauté. Communauté à laquelle tu n’as même pas
essayé de t’intégrer, car tu es trop absorbée par ta quête de
reconnaissance. Et même si le fait que ton éclat se soit terni
n’est pas une punition comme tu l’entends, en particulier parce que
le châtiment n’existe pas ici, je te confirme qu’en effet tes actes
sont à l’origine de cette régression. Pour autant, ça n’a rien
d’irréversible.
Malgré moi, mon corps a
commencé à trembler, et mes yeux à me piquer. Mais plutôt que de
pleurer comme un gros bébé, j’ai serré Caramel très fort contre
moi.
Puis je suis repartie en
direction de la grille, jusqu’à ce que Bodhi me rattrape et me
retienne doucement par le bras. Frissonnant au contact de ses
doigts, je me suis sentie toute bizarre, comme quand je l’avais
surpris en compagnie de Jasmine.
– Riley, attends… Il y a
autre chose dont on doit parler.
En tournant la tête, j’ai
compris à son regard le sujet insupportable qu’il voulait aborder,
ce qui m’a poussée à secouer la tête pour refuser la discussion
d’un geste.
Tu
rêves !
Pas
question qu’on parle de lui et Jasmine et de ce qu’ils
représentaient l’un pour l’autre !
C’était stupide. Stupide.
Idiot. Absurde.
Il venait d’avoir quinze ans.
J’en avais toujours douze.
Il n’y avait rien à
dire.
Je me suis remise en route, me
frayant un chemin jusqu’à la sortie, consciente que ce n’était sans
doute pas la réaction la plus adulte qui soit, mais, bon, ça valait
toujours mieux que de piquer une crise. Et au moins, c’était un
début.
J’avais bien compris qu’il me
restait encore beaucoup à apprendre. Mais j’étais tout aussi
persuadée que je finirais par y arriver. Et plus tôt que prévu,
c’était certain. J’avais enfin pigé comment ça fonctionnait.
Grâce à Balthazar, Ever et
Bodhi, j’avais reconstitué le puzzle dont ils m’avaient, chacun à
leur manière, donné une pièce.
Je devais canaliser mes
émotions, surveiller le feu qui m’animait pour éviter de
m’enflammer à tout bout de champ.
Je devais demander de l’aide
quand j’en éprouvais le besoin, gérer uniquement les missions que
l’on me confiait et, au lieu de me focaliser sur ce que je pourrais
gagner à convaincre les âmes perdues de rentrer au bercail,
m’intéresser plutôt à ce qu’elles y gagneraient.
Je devais arrêter d’être
obsédée par mon âge et mon image de gamine de douze ans plate comme
une planche à pain, me voir plutôt comme l’adolescente mûre et sûre
d’elle que je souhaitais devenir.
Je devais me montrer patiente,
une amie digne de ce nom, et heureuse d’être celle que je
suis.
Dressant une jolie petite
liste de tous ces points dans ma tête, je n’ai pas pu m’empêcher de
sourire, exaltée par l’idée d’avoir enfin une vraie feuille de
route à suivre.
J’ai continué de marcher d’un
bon pas, mais il était impossible de distancer Bodhi quand il était
d’humeur déterminée comme à cet instant.
Alors il m’a de nouveau
rattrapée, et agrippée par le coude.
– Bon, d’accord, Riley…
le reste peut attendre. Seulement, je dois savoir si oui ou non on
peut partir, ou s’il te reste d’abord une dernière chose à faire.
Quelqu’un que tu aimerais revoir, par exemple, avant qu’on ne
décolle ?
Je l’ai dévisagé, fixant ses
prunelles d’un vert intense.
– Comment ça ? Où
est-ce qu’on va ?
Se fendant d’un grand sourire,
Bodhi a ramassé un bâton qu’il a lancé haut dans les airs, et s’est
esclaffé en voyant Caramel s’élancer comme une flèche à sa
poursuite.
Puis il s’est tourné vers moi,
un vague sourire effleurant encore ses lèvres.
– J’ai parlé avec Aurore.
Le Conseil nous envoie en Italie. Apparemment, il y a un fantôme
têtu comme une mule qui hante le Colisée depuis des siècles. Et
comme ils savent que ce genre de défi te démange, ils se sont dit
que cette mission était faite pour toi.