dix-neuf
Le projecteur s’est rallumé, tandis que Satchel pianotait comme un forcené sur son clavier d’ordinateur. En deux temps trois mouvements, on s’est retrouvés parachutés au beau milieu d’une fête foraine, une sorte de grande foire d’un autre temps.
Une foire avec des clowns, des barbes à papa et des stands de jeux idiots où l’on remporte des lots de pacotille, mais où la partie ne coûte qu’un penny.
En baissant les yeux, j’ai été surprise par ma tenue : une jupe en coton qui m’arrivait aux mollets, brodée d’un caniche sur le devant ; des mocassins rétro noir et blanc aux pieds, et un ensemble débardeur et cardigan bien ajusté, assorti à un foulard dans les mêmes tons. On aurait dit un personnage de sitcom des années 1950.
Satchel, lui, portait toujours sa chemise blanche, son pantalon noir avec une ceinture vernie et des souliers noirs. Il avait déjà ses cheveux gras plaqués en arrière et son teint cireux. Même à l’époque, il faisait tache. Comparé aux autres garçons de son âge avec leurs jeans roulottés aux chevilles, leurs tee-shirts blancs moulants et leur peau dorée par le soleil, il dénotait à mort. Il se distinguait dans la foule, un peu comme un sinistre entrepreneur de pompes funèbres.
Me tenant à l’écart, un nuage de barbe à papa en équilibre dans une main, je le regardais avancer à grands pas au côté de ses parents. Je dois dire qu’à la seconde où je les ai vus, les choses m’ont déjà paru plus claires.
Et quand son père s’est mis à parler, elles sont devenues presque limpides. J’ai enfin compris d’où venait cette fameuse voix.
Marchant à quelques mètres derrière eux en prenant soin de me fondre dans la masse et de passer inaperçue, je m’efforçais de capter des bribes de leur conversation.
Silencieuse, la mère affichait un visage triste, empreint d’un air distrait et lointain, tandis que le père, d’une voix froide et autoritaire, expliquait toutes les bonnes raisons pour lesquelles son fils avait interdiction de monter sur le moindre manège.
De la barbe à papa dans la bouche, j’ai froncé les sourcils à ces mots, tandis que les pépites de sucre glace fondaient sur ma langue. Pourquoi donc s’était-il donné la peine d’emmener son gamin à la fête foraine, si ce dernier n’avait pas le droit de s’amuser un peu ?
Cela dit, je n’ai pas tardé à m’apercevoir que Satchel n’avait personne d’autre pour l’y accompagner.
Satchel n’avait pas d’amis.
Sa vie tout entière tournait autour de ses parents, de ses devoirs d’école, et de leurs trois rendez-vous hebdomadaires à l’église. Et quand il était sage, mais alors vraiment très sage, ils l’autorisaient parfois à aller voir un film pour enfants – sortie que Satchel chérissait plus que tout. Ces moments passés dans une salle obscure à regarder une histoire prendre vie sur grand écran étaient les seuls petits plaisirs qu’on lui accordait. On ne pouvait pas en dire autant de ses parents, dont l’existence semblait dépourvue du moindre grain de folie.
Sa mère passait de longues heures devant sa planche à repasser, à amidonner les cols et les manches des chemises blanches rigides que son fils portait à l’école et son époux au bureau. Ce dernier se levait à l’aube chaque matin, se douchait, s’habillait et avalait rapidement un morceau avant de partir travailler. Satchel ne savait pas trop en quoi consistait son métier, excepté qu’il avait un rapport avec les chiffres : « Les chiffres sont fiables… Avec eux, les risques sont minimes, disait toujours son paternel. Si tu sais les manier, ils finissent toujours par faire le compte. »
La fête foraine avait pris ses quartiers en ville pour une petite semaine, et le sujet était sur les lèvres de tous les écoliers. Bien sûr, aucun n’en avait directement parlé à Satchel, mais il les avait entendus dans la cour de récré.
Il était trop bizarre, trop flippant et issu d’une famille bien trop tordue : voilà le prétexte le plus fréquent qu’utilisaient ses camarades pour l’éviter.
Cependant, dès l’instant où Satchel avait aperçu l’extrémité de la grande roue lors d’une sortie exceptionnelle en ville, il n’avait plus eu qu’une idée en tête : l’admirer de plus près, ne serait-ce que pour la comparer à celle qu’il avait vue un jour dans un film.
Conscient qu’il n’aurait pas le droit d’y monter seul (il n’avait le droit d’aller nulle part tout seul, excepté à l’école, à l’église, et de temps en temps au cinéma ; et encore, uniquement en journée, tout autre endroit étant jugé bien trop dangereux pour un garçon de treize ans), il avait passé un accord avec ses parents. Il avait promis que s’ils acceptaient de l’accompagner, alors il ne monterait sur aucun manège, ne mangerait aucune confiserie et ne dépenserait aucun des sous durement gagnés par son père à des jeux que ce dernier soupçonnait de toute façon d’être truqués.
Promesse qu’il avait pleinement l’intention de tenir… jusqu’à ce qu’il la voie.
Mary Angel O’Conner.
La fille qui était assise devant lui en classe, quelques rangs plus loin, et dont la magnifique crinière rousse se répandait sur le dossier de sa chaise comme une traînée de braises. Sous les rayons du soleil de midi qui se glissaient par la fenêtre, ses mèches rougeoyantes paraissaient alors si brillantes, si attrayantes, que Satchel imaginait les toucher, aussi doux que de la soie entre ses mains.
Contrairement à tous les autres élèves, Mary Angel lui avait, à plus d’une occasion, adressé quelque mot gentil. Ces moments-là, il ne les oublierait jamais. Des moments qu’il se repassait mentalement, encore et encore, comme son film fétiche.
Et voilà qu’elle était à présent là devant lui, entourée de toute une bande d’amies, même si par un simple coup d’œil à Satchel on comprenait qu’il n’avait d’yeux que pour elle.
J’ai lancé un regard nerveux vers sa mère d’abord, puis vers son père. J’espérais qu’ils n’aient pas remarqué ce qui avait attiré l’attention de leur fils, sachant qu’ils la considéreraient d’emblée comme une menace et essaieraient de l’effrayer. Déjà, je commençais à éprouver énormément de peine pour lui.
Toutefois, ses parents n’avaient rien vu, trop occupés à discuter de tous les dangers qui les entouraient, inconscients de l’embryon d’idée qui venait de germer dans l’esprit de Satchel. Idée qui se serait soldée par un départ précipité vers la sortie, s’ils l’avaient vue un tant soit peu venir.
Il faut que j’éloigne mes parents, se disait-il. Il faut à tout prix que je me débarrasse d’eux. Que je parte loin, très loin, ne serait-ce que pour quelques secondes.
Il a tiré sur les poignets de sa chemise, puis tapoté ses cheveux d’une main, ses habituels tics nerveux. Faire illusion n’était vraiment pas une seconde nature chez lui.
Emmenant prudemment ses parents à l’écart, à l’opposé de l’endroit où se trouvait Mary Angel et ses amies, il a d’abord jeté un coup d’œil à sa mère et à son père, avant de se lancer :
– Je crois que je viens d’apercevoir une camarade. Est-ce que vous m’autorisez à aller lui dire bonjour ?
Restant à distance, j’ai englouti les derniers brins poisseux de ma barbe à papa pendant que ses parents échangeaient un regard inquiet. Sa mère était à çà de lui répondre d’office « Non », le mot le plus courant de son vocabulaire – pour ne pas dire le seul, diraient sans doute certains. On les voyait presque gravées sur ses lèvres, ces trois petites lettres estampillées en permanence à la place d’un potentiel, voire légitime sourire maternel.
De son côté, le père de Satchel a dévisagé son fils d’un air inquisiteur.
– Qui est-ce ? Quelle est cette personne que tu connais ?
Conscient que la vérité ne lui attirerait au mieux que des ennuis, au pire un retour forcé à la maison, Satchel a dégluti nerveusement et croisé les doigts dans son dos comme pour tenter d’atténuer la douleur cuisante du mensonge.
– C’est juste… l’une de mes enseignantes. J’aimerais lui poser une petite question rapidement, au sujet du devoir pour lundi, c’est tout.
Reportant de nouveau mon regard sur les parents tandis qu’ils se concertaient, je les ai écoutés peser le pour et le contre, débattre des éventuels avantages ainsi que des risques bien réels, s’ils l’autorisaient à s’éloigner tout seul. Et alors que sa mère s’apprêtait à répondre « Non » pour de bon, son père a acquiescé, hochant la tête vers son fils.
– Nous t’attendons ici. Tu as trois minutes.
Il a consulté sa montre à gousset pour vérifier l’heure.
– Si tu n’es pas revenu d’ici là, nous viendrons te chercher.
À sa place, j’aurais filé comme une flèche, de peur de gâcher une seule seconde de ce délai ridiculement court. Mais Satchel et moi sommes très différents. Autrement dit, il n’est pas parti en courant. Ça ne lui est même pas venu à l’idée. Courir pouvait être synonyme de tomber, et tomber c’était terrible – une rengaine qu’on lui répétait depuis le jour de ses premiers pas.
Le cœur battant et les mains moites, il s’est dirigé vers Mary Angel ; sans avoir la moindre idée de ce qu’il dirait une fois devant elle, et se doutant que ses amies allaient très certainement se moquer de lui. Peu importe, il devait aller jusqu’au bout. Il ne pouvait pas laisser filer cette occasion. Il était à la fête foraine, comme tous les gosses de la ville, comme n’importe quel gosse normal – et il avait envie de le faire savoir à Mary Angel.
Il avait envie qu’elle le voie, comme lui la voyait.
Le temps qu’il arrive à sa hauteur, la petite bande s’était avancée dans la file de la grande roue, attendant son tour de monter à bord.
Je me tenais à côté de lui, on avait tous les deux le nez levé vers la plus haute nacelle, à peine visible dans le ciel. Et même si j’ai toujours adoré les grandes roues, et les fêtes foraines aussi d’ailleurs, avec Satchel j’ai vu les choses d’un nouvel œil.
Les fêtes foraines étaient des endroits dangereux et crasseux, exploités par des forains louches au passé encore plus louche ; et bien que chaque manège comportât des risques qui lui étaient propres, la grande roue en était le summum, le plus dangereux de tous. Son père l’en avait convaincu durant le trajet en voiture, soutenu par son épouse assise à côté de lui, qui acquiesçait en hochant religieusement la tête à tous ses dires.
J’ai lancé un regard nerveux à Satchel. Il n’était plus qu’à quelques centimètres de Mary Angel et je redoutais d’avance la manœuvre qu’il allait peut-être entreprendre. Il se trouvait en territoire inconnu, c’était le moins qu’on puisse dire.
Mary Angel s’est retournée, souriant d’une façon qui a illuminé son visage, et bien que son sourire ne s’adressât en aucun cas à Satchel – elle riait simplement de quelque chose qu’une amie venait de lui dire –, Satchel était trop couvé, trop candide et trop mal à l’aise en société pour l’interpréter correctement.
Mais, alors qu’il avait décidé de se servir de ce sourire comme d’un prétexte pour l’aborder, il s’est arrêté tout net quand un garçon, Jimmy McIntyre, surnommé Jimmy Mac ou parfois juste Mac, a posé une main possessive dans le dos de la jeune fille, glissant ses doigts dans sa crinière de feu tout en la poussant gentiment vers la nacelle qui venait de se libérer devant eux.
– Salut, Satchel ! Tu montes avec nous ? a lancé Mary Angel en l’apercevant à la dernière minute, tandis qu’elle se glissait sur la banquette.
Il avait capté son attention ! C’était la raison principale, pour ne pas dire la seule, de mentir à ses parents et de s’exposer à leur colère s’ils venaient à le démasquer ; malgré tout, maintenant qu’elle le regardait, il se retrouvait brusquement abasourdi, sans voix et suant à grosses gouttes de la tête aux pieds.
Jimmy Mac a répondu à sa place :
– Satchel, monter dans ce truc ? Laisse-moi rire ! Ce mec est une telle mauviette qu’il est dispensé à l’année de cours d’éducation physique. Il n’a pas le droit de courir ! Tu le crois, toi ? C’est prétendument trop dangereux !
Et il a secoué la tête en levant au ciel ses yeux noisette.
– C’est le truc le plus dingue que j’aie jamais entendu, et je te donne ma parole que c’est vrai !
Mary Angel a lancé un regard timide et plein de regret à Satchel, tandis que Jimmy Mac s’octroyait la place juste à côté d’elle, frôlant de l’épaule celle, revêtue d’angora, de la jeune fille. Satchel en a eu le tournis.
La gorge serrée, il est resté bouche bée, parfaitement conscient des secondes qui s’écoulaient, effaçant ce qu’il restait des trois minutes autorisées. Et parfaitement conscient des problèmes monstrueux qui l’attendaient s’il était surpris à traîner à proximité de la grande roue.
– Bon, alors tu montes, oui ou non ? lui a demandé le forain au visage taillé à la serpe et tout crevassé – preuve d’un mode de vie imprudent, aurait dit le père.
Même si en réalité Satchel se serait bien gardé de poser la question, il se demanda toutefois comment il pourrait expliquer que sa mère, qui n’avait pourtant pas une vie bien trépidante, affichait un air constamment triste et épuisé.
– Allez, faites démarrer ce machin ! a crié Jimmy Mac. Satchel le taré, oups, je voulais dire le Troisième, va rester en rade. C’est la plus grande poule mouillée du monde !
– Décide-toi, p’tit. J’ai pas toute la journée !
Le forain a tellement plissé les yeux qu’ils ont été engloutis sous ses paupières tombantes, bouffies et cireuses, conséquences d’un excès de soleil et de nuits blanches, contre lequel visiblement personne ne l’avait mis en garde.
Satchel était sur le point de tourner les talons pour repartir, se doutant que ses parents devaient déjà le chercher, peut-être même déjà fulminer, quand Mary Angel l’a interpellé :
– Ne l’écoute pas, Satchel. Allez, monte… la grande roue, c’est génial !
Elle insistait pour qu’il vienne !
Mary Angel, la fille à la chevelure flamboyante et au sourire ravissant, posait sur lui un regard différent de tous les autres.
J’ai regardé Satchel renoncer à toute prudence et s’avancer vers la nacelle. Les doigts noués, cramponnés les uns aux autres de trac, je l’adjurais intérieurement d’avancer, de ne pas s’arrêter et de se dépêcher d’embarquer avant que ses parents ne se pointent.
Il s’est glissé dans la nacelle qui suivait celle de Mary Angel, jetant un rapide coup d’œil à la main qu’elle agitait dans sa direction, à son visage souriant et à ses jambes qui battaient l’air au-dessus de lui. Son cœur cognait si fort qu’il était persuadé qu’il allait finir par lui perforer la poitrine et atterrir sur ses genoux. Ses doigts étaient si moites de sueur qu’ils ont glissé en essayant d’attraper l’arceau de sécurité pour l’abaisser, mais par chance le vieux forain au visage anguleux qui passait devant lui d’un pas allègre s’en est chargé pour lui.
Deux secondes plus tard, il commençait son ascension, transporté dans le ciel.
Jamais il n’était monté si haut.
Jamais il n’aurait cru cela possible.
Jamais ses parents ne l’y auraient autorisé.
Mais au lieu d’avoir peur, d’être impressionné par le danger imminent, il se sentait euphorique.
Libre.
Et pour la première fois de sa vie, il contempla la terre sans plus du tout la voir comme un labyrinthe de dangers, mais plutôt comme le théâtre de merveilleuses perspectives.
Ses parents étaient quelque part en bas, très probablement lancés à sa recherche. Mais pour l’instant, ça lui était égal. Il s’en fichait. Refusait de penser à eux. Préférait se concentrer sur son ascension vertigineuse, sur le plaisir enivrant de ce voyage en tandem avec les nuages. Les yeux rivés sur le fond de la nacelle rouge au-dessus de lui, il savourait l’idée qu’au même instant Mary Angel éprouvait les mêmes sensations.
Il redoutait chaque descente où la réalité risquait de le rattraper, et attendait avec impatience que la roue décrive de nouveau un cercle dans le ciel, où tout était si paisible et rassurant.
Du moins, jusqu’à ce que Jimmy Mac se mette à faire osciller violemment sa nacelle, arrachant alors un hurlement à Mary Angel, bien que très vite son cri ait laissé place à des gloussements, et ces gloussements à un fou rire interminable.
Mourant d’envie d’entendre ce joli rire mélodieux à son adresse, ou plutôt d’accomplir quelque chose pour le déclencher, Satchel se mit alors à secouer lui aussi sa nacelle. Cramponné aux bords, il se balançait de toutes ses forces. Mais au lieu de rire en se penchant pour le voir, Mary Angel lui a décoché un regard curieux, inquiet.
Jimmy Mac a mis ses mains en porte-voix :
– Ouah, Blaise ! Tu as une de ces forces ! a-t-il raillé.
Cette vanne suivie de deux ou trois autres qui m’ont échappé ont visiblement rendu Jimmy si hilare qu’il se tordait de rire.
Mais ce dernier n’avait pas encore tout vu. Satchel venait de goûter à la liberté pour la première fois, et il était ivre de l’adrénaline qu’elle lui procurait. Il aimait tellement ça qu’il aurait donné n’importe quoi pour en avoir une réserve permanente à disposition toute sa vie.
Ces treize années passées à être couvé, cruellement surprotégé et à craindre le monde extérieur avaient engendré treize années d’une exubérance contenue qui ne demandait qu’à s’exprimer.
Il a secoué de nouveau la nacelle.
Plus fort.
Et encore plus fort.
Tout ça sous les sifflets de Jimmy Mac, qui l’incitait à continuer, tandis que Mary Angel le fixait en fronçant les sourcils, l’air de plus en plus anxieux.
Cette expression l’a fait enrager. Satchel avait été élevé à coups de froncements de sourcils, il en avait souffert toute sa vie.
Lui, ce qu’il voulait, c’était qu’elle lui sourie.
Il voulait qu’elle rie comme avec Jimmy Mac.
De nouveau, il a secoué la nacelle, beaucoup plus fort que toutes les fois précédentes, si bien que Mary Angel s’est mise à crier, à lui hurler quelque chose à propos de l’arceau de sécurité.
Mais Satchel ne l’écoutait pas. Elle pouvait toujours le montrer du doigt, le supplier d’arrêter, la vue de son visage angoissé ne faisait que l’encourager davantage.
Pourquoi Jimmy Mac aurait le droit de secouer la nacelle et pas lui ?
Est-ce qu’elle pensait comme tous les autres qu’il n’était qu’une pauvre chochotte cinglée ?
Qu’il ne savait pas s’amuser et prendre des risques ?
Eh bien, elle allait voir ce qu’elle allait voir.
Quoi qu’il arrive, il finirait par le lui arracher, ce sourire !
Il a continué de secouer violemment la nacelle, en ignorant ses grincements de protestation.
Mais il a eu beau se balancer comme un fou, le sourire tant espéré n’est jamais venu.
Ses doigts cramponnés aux bords ont glissé. Et la nacelle s’est dérobée. Oscillant dans tous les sens, puis basculant à l’envers, jusqu’à ce que l’arceau de sécurité cède et le largue dans le vide.
La chute de trente mètres de haut s’est produite beaucoup plus vite que je ne l’aurais pensé. Satchel a dégringolé comme un sac de plomb, ses bras et ses jambes battant l’air et sa tête se fracassant sur plusieurs nacelles successives jusqu’à l’impact final, où tout s’est figé.
Tout, sauf le cri perçant de Mary Angel.
Une bande sonore qui a continué de résonner longtemps après l’arrêt du projecteur, après l’extinction de l’écran, et après que Satchel s’est planté devant moi, le crâne défoncé de tous côtés, surtout au sommet. Sa clavicule dépassait, perforant sa peau à travers l’énorme trou béant de sa chemise blanche ensanglantée, ses habits éventrés, parsemés de bouts de cervelle, tel qu’on l’avait retrouvé par terre.
Son œil valide m’a fixée avec véhémence :
– Alors, Riley, c’est ça que tu voulais voir ?