44

Orrin ne distingua aucune couleur aux alentours en dehors de celle du landspeeder. Même le lustre de la machine d’exposition avait disparu sous la poussière. Veeka s’agenouilla à côté pour examiner le châssis, malmené par sa fracassante ascension.

— Il pourra redémarrer ? s’enquit Orrin sans lâcher Annileen.

Veeka secoua la tête.

— Les stabilisateurs sont morts, répondit-elle. Tu peux le piloter, mais il ira où bon lui semble.

— Il n’y a nulle part où aller, fit Mullen en examinant prudemment le camp abandonné. Comment peut-on vivre dans un endroit pareil ?

— Je n’appelle pas ça vivre, répliqua Orrin avec un rictus méprisant. Tiens-la, ajouta-t-il en poussant Annileen vers son fils.

Il scruta le pied des piliers rocheux autour d’eux. Une fois décidé, il vérifia son gilet pare-balles et son blaster.

— Veeka, laisse tomber le speeder et cherche d’éventuels tireurs embusqués. Je vais tenter quelque chose.

Il se dirigea prudemment vers le centre de cette clairière au milieu des troncs de roc. Un puits misérable s’y trouvait, simple trou inégal bordé de vieilles gamelles en fer-blanc. Il fit volte-face.

— Kenobi ! mugit-il.

Seul l’écho lui répondit.

Et Annileen.

— Il est trop malin pour toi, déclara-t-elle.

— La ferme, rétorqua Orrin, hargneux.

Il reporta son attention sur le pourtour du camp. Quelque chose bougeait là-bas, des deux côtés. Il l’entendait. Mais dès qu’il se tournait dans une direction, le bruit cessait.

Ça ne me dit rien qui vaille, pensa Orrin. Il considéra le chemin qui les avait amenés ici, regrettant de ne pas savoir comment se déroulait la bataille en bas. En ramenant le cadavre de Kenobi avec les gosses, pourrait-il rejeter la faute sur lui ? Ou fallait-il poursuivre leur route, au risque de ne trouver la liberté que de l’autre côté du Jundland ? Il arpenta le tour du puits, renversant un seau du bout du pied.

Un reptile de cinquante centimètres de long et au dos hérissé de piquants surgit de derrière un rocher. Un massiff ! La créature aux yeux noirs et à la gueule énorme chargea droit sur Orrin, qui braqua aussitôt son blaster et tira. Touchée par le trait d’énergie orange, la bête s’effondra dans un râle.

Orrin se retourna vers Mullen et Veeka.

— Merci pour votre aide, dit-il sèchement.

— On surveille le gros gibier, rétorqua Mullen.

Maintenant Annileen d’une main, il tenait toujours son blaster dans l’autre et ne cessait de fouiller les environs du regard.

En considérant le corps fumant de la créature, une idée vint à Orrin. Après avoir vérifié que ses enfants le couvraient, il rengaina son arme et s’approcha du massiff ensanglanté. Il souleva la carcasse.

— Si on redécorait un peu, dit-il tout haut.

Arrivé au puits, il brandit le cadavre dégoulinant au-dessus de l’orifice dans un geste théâtral.

— Bon voyage…

— Non ! fit Ben à bonne distance.

Orrin souleva le massiff par les pattes et scruta les environs.

— Quoi ? fit-il. Tu ne veux pas qu’on empoisonne le puits de tes petits copains ?

— Je parlais à A’Yark, répondit Ben d’une voix puissante. Celle que vous surnommez Œil-Broché. Parce qu’elle est sur le point de vous abattre et que vous pourriez lâcher accidentellement la bête.

Orrin entendit le déclic du cran de sécurité d’une arme. Il hocha la tête. Les Tuskens écoutaient donc bel et bien Kenobi.

— Ravi d’avoir attiré ton attention, dit-il.

— Rebroussez chemin, maintenant, répéta Ben.

Cette fois, Orrin comprit que la voix provenait de la forêt de piliers, à l’ouest.

— Je n’en ai pas envie, déclara-t-il en lâchant le cadavre flasque dans le trou.

Le corps rebondit à deux reprises contre les parois avant de toucher le fond avec un bruit sourd. Le puits était à sec.

Orrin observa les alentours. Personne ne lui avait tiré dessus. Ben voulait protéger la vie d’Annileen et les Tuskens lui obéissaient. Mais il pouvait changer d’avis d’un instant à l’autre, et Orrin ne le laisserait pas lâcher ses Tuskies contre lui.

Dégainant son arme, le fermier se dirigea prudemment vers une ouverture entre les roches, à l’ouest. Il adressa un regard appuyé à Mullen et Veeka en prononçant un ordre muet : attendez-moi.

Orrin se faufila parmi les mégalithes. Il n’avait jamais vu formation rocheuse plus bizarre sur Tatooine, comme si la nature elle-même avait voulu former un labyrinthe. Le vent des montagnes sifflait entre les tours de roc, assez hautes pour cacher les soleils de midi. Au moins, il ne manquerait pas d’abris où se réfugier ici. Quant à bénéficier d’une bonne ligne de mire, ce serait une autre affaire.

— Je sais que tu es là, Kenobi ! beugla-t-il.

— Rebroussez chemin maintenant, répondit la voix de Ben qui se répercuta sur les parois, plus proche.

Orrin pivota et tira. Il y eut d’autres mouvements. Des pas légers et rapides. Le fermier pressa encore la détente, visant dans un long couloir.

Rien. Quelque part, un enfant tusken se mit à pleurer. Orrin poussa un grognement d’impatience.

— Arrête ce petit jeu, Kenobi !

— D’accord, répondit la voix de Ben, qui venait désormais d’un autre côté. Alors, rebroussez chemin.

— Non !

Les yeux d’Orrin le brûlaient. De la main gauche, il dégaina son second blaster. Puis il leva ses deux armes et tira sans discontinuer, en pivotant dans toutes les directions. Il voyait des mouvements et des nuages de poussière. Il lui suffisait d’un coup de chance. Un seul !

 

Les bruits de tirs issus du labyrinthe résonnèrent dans la clairière.

— Ben, attention ! cria de nouveau Annileen.

Affranchi des ordres de son père, Mullen la poussa en avant. Annileen trébucha sur les pierres inégales et tomba. Gisant à terre, elle se retourna et découvrit que le jeune homme pointait son blaster sur clic.

— Je n’ai jamais pu encaisser ces prétentiards de Calwell, déclara-t-il, la paupière agitée de tics, tandis qu’il s’approchait d’elle.

Le fusil à la main, Veeka regarda son frère.

— Papa n’a pas dit de la tuer.

— Est-ce qu’on a besoin d’elle, maintenant ? fit Mullen.

— On n’en a jamais eu besoin.

— Alors, qu’est-ce que t’eu as à faire ?

— Pas grand-chose, dit Veeka.

 

Orrin continua à mitrailler en marchant. Les bras écartés, il tirait de part et d’autre des couloirs rocheux, puis devant et derrière lui. Des cris lui parvinrent de plusieurs endroits, les gémissements pathétiques des jeunes Tuskens. Simple bonus. Toute la frustration des derniers mois, toute l’inquiétude des derniers jours se déversaient dans son corps et alimentaient les armes dans ses mains.

— Montre-toi !

Il entendit un craquement au-dessus de lui. Instinctivement, il pointa ses blasters vers le ciel. Kenobi lui avait déjà sauté dessus… mais il ne le prendrait plus par surprise.

Sauf que les piliers rocheux étaient trop grands pour que quiconque les escalade. Soudain, un autre bruit sec et menaçant se fit entendre tandis qu’une roche en forme de couteau, en équilibre depuis une éternité, se détachait pour lui tomber dessus.

Orrin bondit juste à temps pour éviter l’énorme bloc qui s’écrasa là où il s’était trouvé une seconde plus tôt. Au-dessus, une nouvelle fissure apparut sur une tour de pierre. Puis une deuxième. Orrin leva des yeux terrifiés vers les longues rangées de colonnes rocheuses. Il ne s’agissait plus d’un tremblement de terre façon bantha, mais d’un phénomène surréaliste… comme si une main invisible poussait les piliers !

Il se rua en avant, serrant encore ses blasters, le visage protégé de la pluie de poussière par ses bras. Des cailloux se mirent à tomber, puis de gros blocs s’abattirent tout autour de lui.

Orrin toussa lorsqu’une grêle de pierres lui bombarda le dos. Un énorme rocher s’effondra juste devant lui, puis un autre derrière.

— Qu’est-ce qui se passe ? cria-t-il.

Puis il leva les yeux au moment où une ombre s’abattait sur lui.

 

Un bruit de tonnerre provenait des rochers à l’ouest. Mullen adressa un regard courroucé à sa sœur.

— Bon sang, mais qu’est-ce qui…

Avant qu’il termine sa phrase. Annileen lui jeta une poignée de sable à la figure. Mullen tituba, aveuglé, tandis qu’Annileen lui saisissait la cheville, l’attirait vers elle et la mordait férocement.

En entendant son frère hurler. Veeka braqua son arme sur Annileen. Elle tira, mais son épaule blessée la fit dévier sur la gauche et elle manqua sa cible. Mue par un instinct animal, Annileen plongea vers les jambes de Mullen et le renversa. Elle tenta de le maîtriser pour empêcher Veeka de viser, mais son adversaire se révéla trop fort. Il la plaqua aussi en lui pointant son blaster sur le visage.

Ce fut alors que Veeka hurla.

A’Yark chargea depuis son refuge, à l’ouest, en poussant un cri de guerre tusken. Avant que Veeka puisse la mettre en joue, le gaderffii d’A’Yark lui arracha son fusil. D’un revers de son arme, la Tusken lui laboura le flanc.

Ivre de douleur, Veeka plaqua ses mains sur sa blessure, trébucha et tenta de s’enfuir. A’Yark bondit vers Annileen et Mullen. Surpris, ce dernier écarta son blaster de sa captive pour viser la guerrière tusken.

Annileen repoussa son robuste adversaire de toutes ses forces et le fit rouler de côté. L’arme lâcha un trait de feu au-dessus de la tête de la Tusken, qui ne s’arrêta pas. A’Yark fit un moulinet avec son arme et enfonça profondément la pointe dans l’abdomen de Mullen. Annileen s’écarta vivement tandis qu’A’Yark lardait le corps de son ennemi de coups de gaderffii.

— Milice tue, dit la Tusken en basic. Milice meurt !

 

Au milieu des nuages de poussière, Orrin tenta de ramper hors des gravats. Le moindre geste lui faisait mal. En entendant le cri de Veeka, il se redressa instinctivement… et sentit les os se déplacer dans sa jambe gauche.

Il s’écroula aux pieds de Ben.

Dans les ombres, la silhouette encapuchonnée s’agenouilla auprès d’Orrin.

— Je vous avais bien dit de rebrousser chemin, déclara Ben.

Loin d’eux, Mullen se mit à hurler. Ben leva les yeux un instant… et fit un triste signe de tête. Orrin ignorait ce qui se passait, mais le fait qu’Annileen fût en sécurité semblait suffire à Ben. L’homme n’était pas pressé de partir.

Orrin cracha une salive amère mêlée de poussière.

— Je ne pouvais… pas rebrousser chemin. Les sbires de Jabba…

Ben secoua la tête.

— Ce n’est pas ce que je voulais dire. Votre peur est responsable de ce qui s’est produit… de tout. La peur de perdre ce que vous possédiez. Elle vous a entraîné sur le chemin de la souffrance.

Ben regarda derrière lui. Étendu à terre, Orrin vit un gamin tusken craintif émerger d’un pilier rocheux pour observer les deux humains. Ben adressa un sourire rassurant à la minuscule silhouette masquée avant de se retourner vers Orrin.

— Je sais où ce chemin vous mènera, dit l’homme encapuchonné. Mais il est encore temps de faire marche arrière. Acceptez la responsabilité de vos actes. Vous ne serez pas quittes avec les Tuskens, mais il s’agira du premier pas vers la rédemption.

Orrin se redressa en position assise et cligna des paupières pour en chasser le sable.

— Je perdrai tout.

Ben inspira profondément.

— Parfois, il faut tout perdre pour trouver sa véritable voie.

Il s’apprêta à se mettre debout, mais leva soudain la tête, à l’affût. À l’ouest, un monolithe qui soutenait un bloc triangulaire céda subitement sous son propre poids. D’énormes rochers s’effondrèrent. Le petit Tusken courut s’abriter auprès de Ben. De nouvelles pierres se détachèrent et s’abattirent sur le sol.

Orrin entendit d’autres enfants tuskens gémir dans le dédale pendant la pluie de rocs. Mais ce fut la réaction de Ben qui l’intéressa. Ce dernier n’avait paru éprouver aucune crainte vis-à-vis du phénomène auparavant, comme s’il l’avait orchestré lui-même. À présent, alors qu’il agrippait d’une main le jeune Tusken, Ben semblait inquiet.

— Il y a quelque chose qui cloche, dit Ben d’une voix à peine audible. Ça, ça ne venait pas de moi…

 

A’Yark abattit le gaderffii à maintes reprises. En essayant de se remettre sur pied. Annileen vit Veeka prostrée non loin de là. Affaissée, le visage cendreux, la fille d’Orrin regarda son frère lutter, gesticuler et finalement s’immobiliser sous les coups d’A’Yark. Puis elle se retourna et s’enfuit par le passage du nord, le long du sentier qui descendait au pied du plateau.

A’Yark leva son arme ensanglantée et jeta un coup d’œil à la fuyarde. Avant qu’elle puisse se lancer à ses trousses, les petits Tuskens surgirent de leurs cachettes à l’ouest pour se rassembler autour d’elle, la séparant d’Annileen.

Cette dernière se retourna pour les suivre, mais A’Yark la surprit en criant : « Ben ! »

Annileen regarda en arrière. Une meute de gamins agrippés à sa robe, A’Yark baissa son gaderffii et scruta l’ouest. Une nappe de poussière grise s’élevait au-dessus des pierres dressées. A’Yark, prise d’une rage meurtrière un instant plus tôt, paraissait envoûtée. Elle parla aux enfants dans leur langue… avant de se tourner vers Annileen en lui traduisant ce qu’elle venait de dire.

— Regarde, Ann-hi-leen. Regarde Ben.

Annileen contemplait, ahurie, le nuage qui s’élevait. Elle savait qu’elle se trouvait en plein territoire tusken, et qu’elle aurait dû rejoindre la milice et la sécurité. Mais Ben était encore là, comme Orrin… et quelque chose de terrible venait de se produire.

— C’était une avalanche ? demanda-t-elle tandis que la poussière s’envolait. Ben a des ennuis ?

— Pas ennuis, dit doucement A’Yark, qui acquiesça et se tourna encore vers l’ouest. Pas avalanche. J’avais raison.

Annileen s’apprêta à bouger de nouveau, mais les enfants se mirent à jacasser en tirant sur la tenue d’A’Yark. La guerrière leur parla précipitamment, inquiète des informations que les gamins excités lui transmettaient. Un autre fracas assourdissant leur parvint de l’ouest, ébranlant les piliers autour d’eux.

— Et ça, ce sont des ennuis ? demanda Annileen à A’Yark.

La Tusken paraissait moins redoutable désormais, entourée de cette marmaille frénétique.

— Ennuis, oui, répondit A’Yark.

Le son qui succéda au vacarme glaça Annileen jusqu’aux os.

— Ayooooo-eh-EH-EHH !

Elle l’avait déjà entendu à de nombreuses reprises, et sut aussitôt qu’il ne s’agissait pas d’un enregistrement.

— Un dragon krayt, murmura-t-elle.

— Réveillé par bruits, ajouta A’Yark.

La Tusken s’efforça de soulever deux enfants en toute hâte sans lâcher son arme sanglante. D’autres gamins surgirent des piliers, à l’ouest, pour se ruer vers la zone dégagée.

— Je dois cacher les uli-ah, dit la guerrière.

Agissant à l’instinct, Annileen s’avança et prit la main gantée d’un jeune Tusken.

— Je vais vous aider.