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Plaquée contre un des Piliers, A’Yark contemplait les Colons en bas du dénivelé rocheux.
— Les gens du Hutt, dit-elle d’une voix pleine de dégoût. Nous les sent.
La Tusken scruta l’autre côté du couloir naturel.
— Toi nous dit : il n’y a que Colons.
Ben, accroupi près d’elle, tenait l’appareil vert d’Orrin et observait la scène en contrebas. Sous son capuchon, il avait dissimulé le bas de son visage sous une bande d’étoffe, par égard pour la sensibilité des Tuskens. Il la retroussa pour se gratter le menton. L’humain paraissait surpris par l’apparition du skiff.
— Ça ne faisait pas partie de mon plan…
La guerrière bouillonnait de rage.
— Toi nous dit…
— Je vous ai dit que je livrerais Orrin Gault à la justice. Et qu’il pouvait choisir entre celle de son peuple… et la vôtre.
Ben secoua la tête.
— Je croyais qu’il rebrousserait chemin.
A’Yark se moquait bien de ce que souhaitaient les Colons. Ben avait attiré l’ennemi aux portes des Tuskens, comme promis, mais en bien trop grand nombre pour que le clan les affronte. A’Yark avait posté ses rares guerriers aux autres points d’accès, mais si les Colons désiraient vraiment suivre Ben dans les Piliers, rien ne pourrait les en empêcher. Ils dévasteraient le camp.
Ben avait réagi rapidement en demandant aux femmes et aux enfants tuskens de pousser leurs précieux banthas dans les brèches. Nombre des bêtes avaient perdu leurs cavaliers lors du massacre de la gorge, et A’Yark s’était montrée ravie de leur voir exercer cette modeste vengeance. Les animaux avaient permis de gagner un temps inestimable, mais l’arrivée des sbires du Hutt compliquait la situation. Contrairement au reste des gens, les criminels ne redoutaient pas les Tuskens.
C’étaient les Hutts qui avaient tué Sharad Hett, des années auparavant.
A’Yark savait que Ben méritait la mort pour avoir attiré cette calamité sur eux. Elle la lui aurait donnée si elle en avait eu le pouvoir.
Mais à la lumière des soleils, il lui fallait avouer que leur déchéance avait commencé bien avant son arrivée.
— Les choses mal tourné, dit-elle sans savoir pourquoi elle parlait soudain. Nous sont si faibles… Tuskens sont si faibles… à cause ce qui arrive il y a plus de trois cycles.
Ben la regarda, curieux.
— Que s’est-il passé ?
— Autre massacre, répondit-elle. Un camp de puissants guerriers, exterminés. Femmes et enfants aussi.
Pour une raison qui lui échappait, ses mots semblèrent provoquer une réaction profonde chez Ben.
— Les enfants ont été tués aussi ? (Il déglutit.) Par un dragon krayt ? Un autre prédateur ?
A’Yark secoua la tête.
— Prédateur, oui. Mais la mort marchait sur deux jambes. Nous savons.
— Mais les enfants… Les Colons ne les tuent pas d’habitude, n’est-ce pas ?
— Colons font orphelins. Colons abandonnent, dit-elle. Mais c’est prédateur qui a massacré.
Ben marqua un temps, comme s’il rassemblait les pièces d’un ancien puzzle.
— Je me demande…
A’Yark vit son regard se fixer dans le vide, rempli d’effroi. Elle eut l’impression que Ben était parti ailleurs, et qu’il imaginait, ou revivait, une scène qui l’horrifiait.
— Quoi ? demanda-t-elle.
Ben se ressaisit.
— Un événement sur lequel je devrai me pencher plus tard, répondit-il. Je commence à soupçonner qu’il a fait d’autres victimes que la confiance en eux des hommes des sables.
— Pas important maintenant, dit-elle en s’écartant de leur point d’observation. Je dois cacher mon peuple.
— Je vous aiderai, déclara Ben en la suivant. Protéger les maisons est ma spécialité.
Sur ces mots, il se retourna pour monter la pente à sa suite.
Mullen tourna vers son père des yeux exorbités.
— Les hommes de Jabba ? C’est trop tôt. Il nous reste encore cinq heures !
Orrin contempla sans un mot les nouveaux venus. D’autres landspeeders chargés de bandits apparurent derrière le skiff. Mais pourquoi maintenant ? Et comment étaient-ils arrivés ici ?
Les Colons braquèrent leurs armes sur le premier appareil pour maintenir les criminels à distance. Les miliciens, déjà éprouvés par la charge des banthas et le discours de Ben, paraissaient complètement paniqués à présent. Les gros bras de Jabba voisinaient avec les Tuskens dans leur liste d’ennemis publics. Comme les hommes des sables, les bandits vivaient dans un monde à part, avec un code étrange… jusqu’à ce qu’ils viennent terroriser les honnêtes gens. Et voilà qu’ils coupaient les Colons du désert, tout comme ces derniers avaient piégé Ben.
Waller ouvrit des yeux ronds. Ses sourcils écarlates tressaillirent lorsqu’il regarda Orrin.
— Jabba ? Tu as traité avec Jabba ?
Avant qu’Orrin trouve une réponse, Mosep reprit la parole.
— On m’a fait savoir que vous emmeniez une armée… ou ce qui y ressemble… dans les collines. Pourquoi procéderiez-vous à une telle opération alors que vous devez nous rembourser aujourd’hui ?
Veeka se tourna vers son père, inquiète.
— On connaît la chanson, poursuivit le Nimbanel depuis le pont du skiff. Les gens refusent leurs responsabilités et essaient de fuir. Certains prennent les armes et tentent de lutter.
Un claquement de ses doigts velus, et Jorrk s’installa derrière le canon de l’appareil.
— Nous réduisons le délai, Orrin. Il faut payer sur-le-champ.
— Qu’est-ce que ça veut dire ? cria Orrin, angoissé. C’est toi qui les as rameutés, l’amateur de Tuskens ?
Ravi d’avoir trouvé une nouvelle tactique, il se retourna, ragaillardi.
— Je parie que Kenobi est aussi de mèche avec ces racailles !
— J’ignore ce que vous entendez par là, dit Mosep qui s’impatientait.
Derrière le skiff, un autre véhicule arrivait du nord.
— C’est un de vos voisins qui m’a appelé.
Un voisin ? Orrin déglutit, la gorge sèche. Il comptait quelques rivaux parmi les fermiers du coin. L’un d’entre eux savait-il quelque chose ? Orrin regarda autour de lui, choqué, en s’efforçant de faire bonne figure.
— C’est un coup monté par l’un d’entre vous ? Pour se payer ma tête avec ces absurdités ?
Le landspeeder en approche rapide se faufila parmi la rangée de véhicules des criminels. Les Colons levèrent leurs armes en direction de l’aéroglisseur qui les rejoignait… et les baissèrent en identifiant la conductrice.
Zigzaguant entre les engins renversés, Annileen arrêta son JG-8 rubis près d’un des sentiers montant vers le plateau. Elle en descendit à côté des Gault en brandissant un comlink rouge.
— C’est moi qui les ai appelés, déclara-t-elle.
À bord du skiff, Mosep tendit un appareil identique, celui qu’Orrin avait abandonné dans son antre. Il se fendit d’un immense sourire.
— Ravi de vous voir, maîtresse Calwell.
Orrin considéra Annileen, bouche bée.
— T… toi ?
— Oui.
Après avoir repris son souffle, elle se retourna vers les patrouilleurs.
— Ben est innocent. J’ai écouté le discours d’Orrin à la Concession. Mieux vaudrait que vous entendiez la vraie histoire.
Mullen s’approcha d’elle, menaçant.
— Femme, tu ferais bien de te taire !
Annileen se retourna et vit que Veeka s’apprêtait à la prendre en tenaille. La fille d’Orrin la saisit par le bras. Une lueur démente éclairait ses yeux.
— Pense à ton petit morveux ! dit Veeka.
Orrin put seulement jeter un regard implorant à Annileen.
Celle-ci se libéra de l’étreinte de Veeka. Les yeux braqués sur Orrin, elle parla avec cette assurance qu’il lui connaissait, celle qui lui avait fait dire qu’elle avait une sacrée poigne.
— Je ne te laisserai pas nuire à quelqu’un dont le seul crime a consisté à m’aider, déclara-t-elle. Ma famille compte énormément pour moi, en effet. Mais ce que vous avez fait est mal !
Ulbreck s’avança, le fusil à la main, manifestement troublé.
— Qu’est-ce que ça veut dire, tout ce ramdam ?
— Je crois comprendre, dit Waller qui secoua la tête en regardant Orrin. Nous te faisions confiance.
Autour de lui, les Colons détournèrent les armes qu’ils braquaient vers le skiff et sa flottille d’aéroglisseurs pour les pointer sur les Gault.
Orrin regarda à droite. Avisant l’USV-5 échoué un peu plus loin après la charge des banthas, il se mit à marcher dans sa direction…
… et son précieux appareil explosa dans une gerbe de flammes et de débris métalliques.
Vacillant sous l’onde de choc, Orrin se retourna et comprit. Sur le skiff, Mosep désigna le Klatooinien posté au canon.
— Jorrk est un rustre, mais avec une arme suffisamment imposante, même lui ne peut manquer sa cible, déclara le comptable. Nous ne pouvons vous livrer Gault tant que nous n’en avons pas terminé avec lui. Il nous doit de l’argent !
Ulbreck décocha un regard haineux au Nimbanel.
— Vous avez aucun droit ici, bande de pirates ! C’est les étendues !
Les compagnons du vieillard braquèrent leurs fusils.
— On rendra justice en premier ! ajouta un Colon.
Mosep leva les yeux vers les soleils et épongea la sueur sur son visage velu.
— Vous êtes vraiment pénibles, vous autres, dit-il. J’avais bien expliqué au responsable d’Orrin que proposer un crédit à n’importe lequel d’entre vous était une erreur.
Il orienta l’amplivox pour s’adresser à ses hommes de main.
— Essayez d’épargner l’humaine qui vient d’arriver. C’est elle qui nous a avertis. Ce ne serait pas très poli.
Il tripota sa minerve et se retourna vers les Colons.
— Vous m’en voyez navré, mais si vous insistez pour que nous recourions à la manière forte…
Une détonation retentit, suivie d’un craquement aigu près de Mosep. Surpris, celui-ci pivota pour voir ce qui s’était passé. Jorrk contemplait bêtement les restes fumants de son canon fracassé. Un autre tir et le Klatooinien tomba à la renverse, mort. Mosep examina les Colons.
— J’ai descendu une palanquée de Tuskens au magasin, cria Ulbreck, qui visait le skiff avec son fusil. C’est pas des gars comme vous qui vont m’faire peur !
En entendant le vieillard, tous les Colons aboutirent à la même conclusion. Comme un seul homme, ils se retournèrent et tirèrent sur les sbires de Jabba. La riposte ne tarda pas, et plusieurs plongèrent à couvert derrière les landspeeders renversés. Sur le skiff, Mosep se réfugia en hurlant derrière le Gamorréen le plus proche. Il se retrouva aussitôt écrasé sous son poids quand la brute reçut un tir de blaster entre les deux yeux.
À découvert, Orrin saisit Annileen et l’entraîna à l’écart de la fusillade. Elle le fixa une seconde, sans voix… puis il resserra la main sur son bras.
— Les enfants ! Filons d’ici ! hurla Orrin.
Surprise, Annileen tenta de se dégager, mais Mullen lui prit l’autre bras. Sous les tirs des malfrats qui pénétraient dans la dépression, Orrin la tira vers le JG-8.
Annileen hurla, mais au milieu du vacarme, seuls Waller et deux Colons qui s’étaient mis à couvert l’entendirent.
— Orrin, arrête ! cria Waller en se retournant.
De sa main libre, Orrin dégaina son pistolet et le colla contre la tempe d’Annileen.
— On fiche le camp, dit-il en la poussant vers son aéroglisseur.
Veeka lança un tas d’armes à l’avant du véhicule et se glissa aux commandes.
— On n’arrivera pas à traverser ! s’écria-t-elle en désignant la bataille qui faisait rage.
Orrin n’avait aucune intention d’emprunter ce chemin. Il montra le couloir pentu et rocheux que Ben avait pris pour gagner les hauteurs.
— Là ! Vas-y !
Sous le feu des hommes de Mosep, Waller ne put que regarder, impuissant, la fille d’Orrin manœuvrer le JG-8 sur ce terrain impraticable. L’appareil émit un chuintement de protestation en cahotant sur une route qu’il n’était pas conçu pour emprunter. Les rafales perdues s’abattirent tout autour. Une ailette de direction heurta un affleurement rocheux et fut arrachée. Et finalement, le landspeeder laissa le champ de bataille derrière lui…
A’Yark traversa le camp des hauteurs en courant, sa robe claquant au vent.
— Aux grottes ! hurla-t-elle en y poussant les vieillards et les animaux.
Les enfants et les massiffs aux allures de chiens écailleux s’enfuirent en couinant, abandonnant corvées et repas entamés près du puits sacré.
Le camp se trouvait au centre d’une sorte de plateau entouré de piliers rocheux, à un demi-kilomètre au-dessus du pied de la formation. Les ténèbres y régnaient la majeure partie du temps, mais à cette heure où les soleils atteignaient leur zénith, tout était exposé. À l’est et à l’ouest, des blocs effondrés s’entassaient contre les montagnes. D’ordinaire, ils offraient un refuge ombragé. Aujourd’hui, ils constituaient une cachette de dernier ressort. A’Yark colla des fusils blaster entre les mains de deux gardes d’enfants parties cacher leurs protégés. Elle se doutait que ces femmes ne sauraient pas se servir des armes. Elle avait trop tardé à leur en enseigner le maniement.
Un bruit mécanique parvint de la trouée au nord, le passage descendant qu’avaient surveillé A’Yark et Ben. Elle comprit aussitôt : un landspeeder. L’ascension aurait pourtant dû être impossible ! Elle jeta des regards désespérés de part et d’autre. Les rares guerriers se trouvaient à leurs postes d’observation, occupés à épier la fusillade. Pas moyen de les appeler. L’heure avait sonné.
En se retournant, elle vit Ben qui transportait deux bébés tuskens pour les mettre à l’abri. Le gaderffii à la main, elle se rua vers lui.
Ben tendit le deuxième enfant à une Tusken et regarda la vaste ouverture au sud, entre deux piliers gigantesques.
— Par là ? demanda-t-il.
— Mauvaise région, répondit A’Yark. Trop tard. Colons sont là. Vite !
A’Yark et Ben se glissèrent derrière un tas de roches granitiques. En regardant par-dessus, ils aperçurent le landspeeder rouge qui franchissait tant bien que mal l’entrée accidentée, au nord.
— Orrin, dit doucement Ben. Il ne rebroussera pas chemin.
A’Yark jeta un coup d’œil. Grand-Sourire n’était pas venu seul. Ses enfants occupaient les sièges avant et il maintenait Annileen à l’arrière sous la menace d’une arme. Au bout de quelques secondes, le landspeeder s’arrêta en cahotant sur les pierres, à quatre-vingts mètres de leur position. Les enfants d’Orrin en émergèrent et examinèrent les environs avec circonspection.
La guerrière reposa discrètement son gaderffii. Elle tendit une main gantée vers le fusil posé derrière elle, mais Ben l’effleura pour la retenir.
— Non, dit-il. Ils détiennent Annileen.
— Elle pas d’importance, murmura A’Yark.
— C’est à moi d’en décider.
A’Yark secoua la tête. Folie ! Les humains étaient en train de s’armer. Qu’adviendrait-il ensuite ?
Ceinturée par Orrin, Annileen poussa un cri.
— Ben ! Si vous êtes ici, restez à l’écart !
A’Yark n’entendit pas ce que répliquèrent les ravisseurs d’Annileen, mais ils ne faisaient manifestement rien pour l’empêcher de hurler.
— Ils veulent me débusquer, chuchota Ben.
Il effleura le sabre laser sous son manteau… mais retira sa main.
— Je ne peux pas mettre Annileen en danger.
— Alors j’attaque, fit A’Yark en lui saisissant le poignet. Toi aussi. Tu fais ton devoir.
— Ne craignez rien.
Ben jeta un coup d’œil derrière lui, où trois enfants se terraient sous un surplomb.
— Je vous l’ai déjà dit, je protégerai votre peuple si Orrin venait à…
— Pas ça.
A’Yark adressa un regard perplexe à Ben. Ignore-t-il donc ce que savent tous les Tuskens ?
Elle parla discrètement, mais sans tarder.
— Orringault a montré vrai visage. Tu le tues maintenant ou il poursuit toi pour toujours ! (Elle désigna les soleils.) C’est loi des frères célestes.
Ben la regarda, interdit.
— S’agit-il… d’une autre légende ?
— C’est la légende.
A’Yark observa Ben, qui réfléchit à cette histoire. Au bout d’un moment, il secoua la tête.
— Je ne laisserai pas les choses en plan. Mais je ne risquerai pas la vie d’Annileen non plus.
Il se tourna vers la gauche où la forêt de monolithes se dressait près du sommet occidental.
— Restez là, dit-il en rampant le long de leur abri. J’ai une idée !