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— Je t’ai déjà dit de ne pas m’appeler avec cette antiquité ! cracha Orrin dans le comlink.

Penchant la tête en arrière, il regarda le landspeeder d’un air qu’il espérait désinvolte. Le vieil homme ne l’avait pas entendu. Wyle Ulbreck, toujours installé dans l’USV-5, jouissait du luxe de l’air conditionné.

Encore que le vieux grigou ne devait rien apprécier hormis compter son argent, mais peu importe. Orrin ne s’était pas porté au secours du fermier par amitié, ni même par altruisme. Il était venu pour affaires. Et Veeka qui l’interrompait en divaguant au sujet d’émeutes à la Concession, de dégâts infligés à son fils et au magasin, et d’autres absurdités concernant le héros de Rallie !

— Je me fiche bien de l’identité des responsables, répondit-il d’un ton exaspéré.

S’il y avait quelque chose qu’il voulait éviter, c’était une querelle avec Annileen. Une fois, elle avait refusé l’entrée du restaurant à tous ses employés. Après une semaine de régime sandwich, Orrin avait une mutinerie sur les bras.

Il n’existait qu’une réaction possible.

— Vous allez nettoyer, présenter vos excuses à Annie et rappliquer pour terminer votre travail !

Il désactiva le comlink.

Debout aux soleils, Orrin se retourna pour gratifie son passager d’un pâle sourire. Ulbreck ne lui prêtai toujours aucune attention. Le vieillard avait plus de poil au menton que de cheveux sur le crâne et… mais oui, il avait emprunté le peigne d’Orrin pour se lisser la barbe Charmant, pensa ce dernier en refermant le capot du camion répulseur de son client. Le ST-101 délabré parviendrait à la Concession grâce au liquide de refroidissement qu’Orrin avait apporté. Il fallait maintenant s’assurer qu’Ulbreck lui renvoie l’ascenseur.

— Et voilà, maître Ulbreck, annonça-t-il en ouvrant la portière de son landspeeder côté passager. Désolé pour ce retard, j’ai reçu un appel.

Le vieil homme grogna et Orrin lui adressa un sourire pincé.

— De petits ennuis à la maison. Vous euh… vous envisagez d’avoir des enfants, Wyle ?

— J’ai soixante-quinze ans.

— Croyez-moi, fit Orrin en grimaçant, abstenez-vous. C’est plus sûr.

Il tendit la main pour aider Ulbreck à se lever, mais celui-ci l’ignora.

Le vieillard gardait la forme malgré son âge. Il avait récemment renoncé à l’alcool, suite à un événement dont Orrin ne savait presque rien. Mais selon lui, Ulbreck devait sa santé à l’armée d’ouvriers auxquels il avait délégué le travail dans son immense ranch et qui lui évitait de s’échiner au soleil. Débordant au sud et à l’est du domaine d’Orrin, la propriété du vieillard était presque deux fois plus grande, et il n’avait probablement pas examiné un seul de ses vaporateurs en personne depuis une décennie. Ce qui n’entamait nullement leur productivité. Ulbreck roulait sur un or qu’il ne dépensait jamais.

Raison de plus pour le protéger.

— Et en parlant de sécurité, enchaîna Orrin, conscient de la maladresse de cette transition, je me demandais si vous envisagiez de contribuer à la Caisse du tocsin.

— Nous y revoilà, rétorqua Ulbreck sans masquer l’ironie qui pointait dans sa voix rauque. Je savais bien que vous me feriez pas cadeau de ce liquide.

Il jeta le peigne d’Orrin dans le landspeeder.

— Je n’essaie pas de vous vendre quoi que ce soit, dit Orrin. La Caisse aide la communauté à protéger ses membres. Des fermiers, comme vous…

— J’ai déjà ce qu’y faut, fit Ulbreck en se dirigeant péniblement vers son véhicule. J’ai pas besoin de payer vos gars pour se tourner les pouces et se saouler.

— Ce ne sont pas les miens, se défendit Orrin. La Caisse appartient à l’oasis tout entière. Je ne fais que la gérer.

Il referma sa portière et suivit Ulbreck.

— Écoutez, vous dirigez une entreprise, ce sont les résultats qui vous importent. Et à moi aussi. Je respecte ça. Si vous voulez un exemple d’efficacité, pensez à ce qui est arrivé l’autre jour chez les Bezzard…

— Je vois surtout que vous en avez pas sauvé la moitié !

Orrin recula.

— Vous êtes injuste, Wyle. Ces gens sont morts avant que le tocsin n’ait été activé. Quant au fermier, à son épouse et à son enfant, nous les avons sauvés.

Il opta pour une autre tactique.

— Écoutez, votre domaine est le plus vaste du coin qui ne contribue pas à la Caisse. Avec votre participation, nous pourrions améliorer notre équipement. Peut-être même lever des patrouilles pour protéger vos terres, ainsi que quelques autres. Prendre les devants, en quelque sorte.

Le vieux fermier s’arrêta devant la porte ouverte de son camion répulseur et tourna la tête. Orrin s’approcha, plein d’espoir, mais son interlocuteur se contenta de cracher dans le sable.

— Les autres m’intéressent pas, dit Ulbreck. C’est mes gars qui surveillent mes terres. Si Œil-Broché s’y pointe, vous verrez comment danse un Tusken.

Le vieillard grimpa dans la cabine du grand véhicule. En démarrant, il jeta un coup d’œil à Orrin comme si l’idée venait de lui traverser l’esprit.

— Et merci pour le liquide de refroidissement, hein !

Orrin secoua la tête. Il y a des gens qui refusaient qu’on les aide.

Après le départ du camion, Orrin donna un coup de pied dans son bidon vide. Il avait réussi à rallier la plupart des fermiers réticents. Mais pas Ulbreck. Le vieillard savait bien que sa contribution à la Caisse dépendrait de la superficie protégée. Et par principe, il rechignait à dépenser plus que les autres.

Il finira bien par comprendre… un jour, pensa Orrin.

Il allait devoir consulter sa carte pour repérer d’autres membres potentiels à recruter. Orrin ouvrit le landspeeder dont le moteur tournait toujours, soufflant de l’air froid. Il se glissa aux commandes, mais sentit le peigne huileux sous ses fesses. Écœuré, il le balança par la fenêtre…

… et distingua au sommet d’une crête les deux silhouettes qui s’approchaient. Il dégaina ses électro jumelles pour les observer.

— Ça alors ! s’exclama-t-il. Un de perdu, dix de retrouvés.

Il démarra son glisseur.

 

L’USV-5 s’arrêta devant les nouveaux arrivants. Maigre caravane, pensa Orrin : un homme encapuchonné qui cheminait aux côtés d’un eopie lourdement chargé. Aucun ne réagit lorsqu’il déclencha le mode décapotable de son appareil.

— Salut ! dit-il en souriant.

— Bonjour, répondit l’homme.

— En voilà un lourd fardeau.

Le nomade aux cheveux couleur sable le considéra, vigilant.

— Je ne l’ai pas volé, si c’est ce que vous vous demandez. Je reviens du magasin.

Orrin gloussa.

— Oh, je sais. Vous ne portez pas la tenue tusken de rigueur.

Le fermier coupa le moteur et descendit.

— Je me présente, Orrin Gault. Ce sont mes terres, ici…

— Toutes mes excuses, dit le voyageur en faisant volte-face. Peut-on se rendre au magasin Calwell sans passer par le domaine Gault ?

— Pas vraiment, non, répondit Orrin en souriant de plus belle. Je crois vous connaître. Vous êtes ce Ben dont on m’a tant parlé.

Ben prit la main qu’il lui tendait et la serra, hésitant.

— On vous a parlé… de moi ?

— Kallie Calwell. Les Calwell et les Gault… nous sommes très proches. Et je vous dois des remerciements. On dirait bien que vous lui avez évité de se tuer.

Ben baissa les yeux.

— Kallie aura sans doute enjolivé l’histoire. Je passais par là, j’ai donné un coup de main. N’importe qui aurait fait pareil.

Orrin appréciait ce qu’il entendait.

— C’est juste, dit-il. Mais laissez-moi vous offrir un verre.

Il se retourna vers le landspeeder.

— Le prochain débit de boisson n’est pas tout près, fit Ben, interloqué.

— Mais la boisson, si.

Orrin sortit une étincelante flasque d’argent et la lui tendit.

— Régalez-vous.

Ben hocha la tête et déboucha la fiole. Il but une gorgée… et enchaîna immédiatement sur une autre. Le souffle coupé, il arrondit les lèvres dans une exclamation muette.

— Et encore, elle est tiède, commenta Orrin en souriant jusqu’aux oreilles.

Il donna une claque sur la verrière du landspeeder.

— Je sais que vous étiez en route. Ben, mais le moins que je puisse faire consiste à vous montrer les environs. Pour accueillir un nouveau voisin.

Ben leva des yeux circonspects.

— Comment… savez-vous que je suis un voisin ? Orrin éclata de rire. La moitié des nouveaux venus sur Tatooine se prenaient pour des espions dès qu’ils enfilaient un capuchon.

— Je doute que vous fassiez les courses pour les Jawas. Ils sont partis dans l’autre sens, du reste.

Il désigna le landspeeder.

— Allez, ça ne prendra que quelques minutes. Vous empiétez sur mes terres, vous avez droit à la visite. Considérez ça comme votre punition.