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Choisir
Communiqué no 13
Everywhere in hell
Chers amis lecteurs, quelle n’est pas ma joie de voir le pays tout entier trembler à l’idée que je suis de retour parmi vous. Il y a pourtant là une légère confusion que je me dois de rectifier : je ne suis pas de retour, puisque je ne suis jamais parti, que j’ai toujours été là, très près de vous, au contraire « je » suis en vacances, rappelez-vous. C’est par la manœuvre apophatique de mon Grand Frère que d’un seul coup tout se retourne et qu’enfin il s’actualise dans le monde humain, par mon corps, qu’il conduira au sacrifice, évidemment.
Je ne me berce pas d’illusions romantiques, moi.
Mon Grand Frère et moi ne formons qu’un, même si nous sommes toujours deux, et tout à fait au centre du zéro.
Il existe une autre confusion que nous enseignons aux hommes, avec toute la pédagogie dont nous sommes capables : nous leur faisons croire qu’un acte diabolique peut être dicté sous le coup de la colère, que celle-ci ferait partie des panoplies de nos humaines inventions.
C’est une totale erreur, bien sûr. Dieu en personne a fait connaître à de multiples reprises son courroux à cette humanité de cancrelats, qui nous préfère à Celui qu’Il lui avait envoyé.
La colère est une réaction, une contre-action de l’être envers l’injustifiable, c’est-à-dire nous, et donc vous-mêmes.
C’est la raison pour laquelle aucun de ces meurtres abominables, filmés et diffusés pour une bonne part en direct, n’a pu être perpétré par moi sous le coup de la colère, ou de tout sentiment voisin.
Voyons ! En quoi l’injustifiable, l’abominable, la perversité absolue pourraient-ils provoquer quelque ire de ma part ? Ce sont mes instruments de prédilection. Mieux, ils sont ce que je suis. Le Diable n’est en aucune façon suicidaire, c’est lui qui pousse les hommes au suicide, de quelque façon que ce soit, souvent tout au long de leur vie.
Tout ce que j’accomplis, osez me croire, c’est avec le sang le plus froid qu’on puisse trouver dans cet univers. Comme je vous l’ai dit, mon frère et moi commençons notre réelle existence à partir du zéro absolu.
C’est parce que nous sommes si froids que nous sommes les spécialistes des brasiers.


Cette femme s’appelle Olga, cela fait des jours que je la suis. Olga. Son nom ?
Pour moi, elle n’a pas de nom, c’est un matricule comme les autres.
Je pense que c’est la première « Olga » que je vais tuer, on peut donc la tatouer de son numéro et l’appeler Olga numéro Un. Miss Olga suffira, vous l’avouerez, c’est déjà un bien grand honneur que je lui fais de ne pas lui apposer d’office un matricule tiré au hasard.
Car après tout, on peut dire que c’est ce qu’elle faisait, tirer des numéros au hasard. Elle les tirait pour son mari.
Son mari était un joueur, lui aussi, c’est mon frère qui lui inspirait ses amusements.
Olga aimait bien participer à ses amusements.
Elle ne savait pas que si son mari s’amusait si bien c’est parce qu’il avait pris comme compagnon le plus grand Joueur de l’Univers.
Et ni l’un ni l’autre ne se doutaient que bientôt, ce seraient eux qui deviendraient des jouets entre ses mains.
Plus exactement : entre les miennes.
Qui sont de plus en plus libres.
De plus en plus libres d’entraver, de meurtrir, de tuer. De plus en plus humaines.
Bien sûr, durant ces journées de poursuites et de repérages, je ne me suis servi de ma caméra que pour mon usage personnel. Nos amis lecteurs des forces de police auraient immédiatement reconnu Olga, et ma mission se serait vue contrevenue, mais je vous en fais la promesse, vous tous qui êtes branchés sur mon site web, je diffuserai l’intégralité de ces images le jour venu. En attendant, vous allez vous fier à ma parole, comme vous l’avez fait depuis le Jour de votre Chute.


Durant les années quatre-vingt-dix, Olga et son compagnon, qui deviendrait son mari, s’amusèrent beaucoup. Son mari, dont nous avons retiré le nom de nos livres afin de le condamner au néant le plus total, son mari, je vous l’ai dit, aimait jouer avec de très jeunes filles. Je n’indique pas par là qu’il jouait avec elles à un jeu, mais qu’il jouait avec elles à son jeu.
Et son jeu c’était elles, justement.
Grâce à Olga, qui servait de rabatteuse aux allures innocentes, les gamines, fugueuses, semi-putes, « décrocheuses » de lycée, toxicomanes amateures, paumées de diverses natures et origines, se retrouvaient enfermées dans une maison très sécurisée de la banlieue de Toronto. Elles devenaient les esclaves sexuelles du mari qui les forçait chaque jour à des actes infâmes, les violait à répétition pour commencer, les nourrissait de leur urine et de leurs excréments, les frappait avec des lanières de cuir incrustées de petites aiguilles d’acier, les brûlait à la cigarette ou au fer à repasser, les photographiait dans des positions obscènes avec ses animaux de compagnie, deux gros labradors et un rottweiler, ou soumises à ses tortures, ou mortes. Il les suspendait des journées entières dans sa « salle de jeux », jusqu’à la mort s’il en avait décidé ainsi, il obligea l’une d’entre elles à tuer une de ses victimes précédentes, trop amochée pour lui servir plus longtemps.
Ils enterraient ensuite les corps dans la forêt, au cœur de tourbes humides, difficiles d’accès, après avoir séparé le tronc de la tête, des bras, des jambes et les avoir parfois enclavés dans des bloc de ciment qu’ils éparpillaient dans la nature.
J’ai appris par mon frère qu’ils avaient brûlé vive une de leurs plus jeunes martyres, après l’avoir badigeonnée de je ne sais plus quel enduit industriel chimique particulièrement inflammable, c’est Olga à ce que je sais qui s’occupa de la partie peinture, c’est son mari, bien sûr, qui prit en charge l’allumage de l’œuvre d’art vivante.
Ils s’amusèrent beaucoup pendant près de huit ans.
Puis une de leurs victimes parvint, on ne sait trop comment, à s’échapper de leur prison.
Mon Grand Frère, le Fils de Pute, avait rompu son contrat sans le moindre préavis, comme d’habitude.
Mais si mon Grand Frère peut ainsi, par retrait, œuvrer de manière indirecte pour l’apparition d’une certaine forme de justice immanente, comme la fuite de cette jeune fille jusqu’au poste de police le plus proche, il apparaît clairement à nos yeux que la Justice Officielle, que nous avons peu ou prou inspirée aux habitants de ce globuscule, continue de fonctionner, par inertie, selon les règles inflexibles que nous avons fixées par nos décrets invisibles.
Ainsi, de par la loi canadienne, le mari écopa-t-il d’une condamnation à perpétuité, sans possibilité de libération conditionnelle. Dans un pays civilisé comme les États-Unis, dans le meilleur des cas il se prenait une « life without parole » par victime, si ce n’était autant de condamnations à mort.
Mais le Canada est un pays plus « cool », bien plus « cool », bien plus proche de notre zéro absolu.
Le mari fut donc remisé pour sa perpétuité terrestre, dans l’attente de celle dont mon Frère sera le vicaire, et Olga, comme complice, fut condamnée à douze ans de prison. Elle demanda à changer deux fois de pénitencier, ce qui lui fut à chaque fois accordé et, en cumulant détention préventive et remise de peine automatique elle sortit au bout d’un peu plus de six ans.
Six ans.
Combien en avaient-ils torturées et assassinées, déjà ? Treize, oui, treize victimes. Dix victimes identifiées et trois corps qui ne furent jamais retrouvés mais que l’on pouvait relier, grâce à des traces ADN, à la voiture et à la maison d’Olga et de son mari. Treize victimes reconnues comme telles et que le Procureur de la Couronne pouvait sans coup férir leur imputer.
Mon Grand Frère m’a dit un jour qu’il estimait le nombre réel de meurtres à plus du double, mais nous avons fait nôtres, bien sûr, les lois que vous avez édictées, sous notre influence.
Disons donc treize.
Treize gamines dont l’âge s’échelonnait de douze à seize ans.
C’est un bon chiffre, treize, c’est sans doute un des nôtres en tout cas, je crois que même dans les couloirs de la mort il n’y a pas de cellule numéro treize.
Maintenant pour Olga, avec moi à ses trousses, c’est le monde entier qui est la cellule numéro treize.
La cellule qui n’existe pas.
La cellule où elle n’a pas purgé sa peine.
Mais où notre peine va la purger.


Mon Grand Frère aurait pu s’occuper du mari, avant de prendre ses vacances, mais il a préféré partir à la plage et me laisser Olga.
N’oubliez jamais notre logique insensée. N’oubliez jamais que nous préférerons toujours punir un « complice » que l’agent principal, parce que le complice est par nature un suiveur, il est plus faible, plus lâche, plus « humain » en quelque sorte, il vit les atrocités de son partenaire par procuration, en mettant tout juste la main à la pâte, non par compassion ou sensiblerie ni même par peur d’être arrêté par les forces de police, mais en raison de la frayeur ontologique qu’il ressent à l’idée d’être vraiment lui-même. L’agent principal, le « chef », le maître d’œuvre, lui sert dès lors de vecteur compensatoire, il peut franchir la ligne sans la franchir réellement, il peut torturer sans user de ses mains, tout au plus de sa tête, il peut tuer sans commettre aucun meurtre.
Il est un « complice ».
Il est un « Olga ».
Il est un « homme libre » qui a « payé sa dette envers la société ».
C’est possible, nous pouvons l’admettre, à la rigueur.
Mais il n’a pas payé sa dette envers nous.
Et nous, mon Frère et moi, le moins que l’on puisse dire, c’est que nous ne sommes pas une société.


Un des aspects les plus intéressants de la personnalité de notre amie Olga est qu’en tant que telle, elle correspond très exactement à notre définition de l’innocent-coupable. C’est comme si mon Frère avait voulu faire d’elle une synthèse accomplie de la chose : lors de leur arrestation, pour kidnapping, tentative de viol et de meurtre – sur la petite qui avait réussi à s’échapper –, et sur la base d’un autre meurtre auquel on avait pu les relier après perquisition, Olga négocia un accord avec les forces de police. En échange d’une sanction allégée elle passa aux aveux complets, chargea comme il se devait son mari, le trahissant jusqu’au moindre détail, souvent atroce ou obscène, tous décrits avec une précision chirurgicale. Elle aida à la découverte de dix corps par les équipes de forensic analysts et à relier son mari à deux disparitions suspectes supplémentaires. Elle expliqua au procès qu’elle vivait « dans la terreur », que son mari la frappait souvent et qu’il la forçait sous la menace à être sa complice.
Ah, Olga, comme mon Frère a eu raison de te placer entre mes mains. Tu vas comprendre ce que c’est que « vivre dans la terreur », tu vas comprendre qu’aucun coup ne fait aussi mal que la solitude et le désespoir, tu vas comprendre le véritable sens du mot « complice », quand la mort deviendra la meilleure de tes amies.
Je lis depuis quelques jours dans la presse canadienne les comptes rendus enjoués des forces de police québécoises qui ont – enfin ! – pu mettre un nom sur l’homme qu’ils recherchent. Ils ont trouvé une identité, des comptes bancaires, un logement, une hypothèque, des crédits. Ils ont trouvé des données comptables et fiscales, des métiers, un passé, une scolarité, une naissance, mais de tout cela je ne me suis jamais caché ! Au contraire, puisqu’il s’agissait de ma cachette, je veux dire de mon leurre, autant dire de ma fiction, mon autofiction performative, ce faux secret qui se doit d’être juste assez visible pour être découvert, n’oubliez pas : je suis le roi de la mécanique générale, je suis le frère du Prince de ce Monde, je suis le Médecin du Diable, je suis surtout son Ingénieur en chef, je suis donc le maître des Pièges, et, par conséquent, je suis le maître des Machines, j’étais dans cet homme avant même sa conception, et cet homme a su me reconnaître, moi qui étais lui, lui qui était moi.
Il était mon Piège. Je suis sa Machine.
Oui, je sais, je ne suis que l’incarnation provisoire de mon aîné lors de sa période de vacances, je suis Son paradoxal moment apophatique à Lui, qui provient du Néant, mais je reste donc le Frère du Grand Fils de Pute, celui qui vient montrer son vrai visage à l’humanité, celui qui va faire suer longtemps les forces de police canadiennes et les autres, celui qui va faire suer le monde entier, car je vais sérieusement commencer à élever la température ambiante, vous allez voir.
Communiqué no 14
Toute machine, étymologiquement, et ontologiquement, est un piège, un stratagème. Une arme secrète.
Tout piège est un choix.
Faire ceci ou faire cela ? Agir ou ne pas agir ? Prendre cette direction ou celle-ci ? Avancer ou reculer ? Marcher ou rester sur place ? Faire entrer ou ne pas faire entrer le cheval dans la ville de Troie ?
Le choix n’est pas toujours visible, mais c’est la force du vrai piège que de ne pas s’intéresser à ces considérations somme toute vulgaires. Le vrai piège, c’est celui qui propose un choix entre deux solutions aussi mauvaises l’une que l’autre.
Le piège absolu, c’est le moment où la machine devient le monde.
Le moment où la dualité conduit à sa terrible inversion, non pas l’Un, mais le Zéro.
Olga aimait beaucoup procurer de jeunes victimes femelles à son mari, rencontrées au hasard de ses pérégrinations urbaines et nocturnes. En fait, quoiqu’elle l’ait caché, y compris à son avocat durant tout le temps du procès, elle se servait de quelques tarots et autres jeux divinatoires pour choisir les dates, ses lieux de chasse et la typologie des victimes.
Il faut bien se trouver un but dans la vie.
Olga se servait donc de jeux de « hasard » pour sélectionner puis conduire ces jeunes filles jusque dans l’antre de son mari, perverti à souhait par les poisons de mon Frère.
Puisque je suis venu ici non pour faire acte de justice, officielle ou pas, mais pour pousser l’injustice à son terme sur le corps même des bourreaux-victimes, des innocents-coupables, je vais offrir à Olga la version invertie de son jeu divinatoire.
Un déterminisme absolu.
Je vais lui offrir une machine.
Ou plutôt, je vais l’offrir à une machine.
À un vrai piège, dont les deux sorties sont aussi mortelles l’une que l’autre.
Un jeu, un stratagème, conçu pour que vous ne puissiez choisir qu’entre différentes façons de perdre. Une sorte de casino. Une authentique inversion d’un quelconque « jeu de hasard ». Au casino vous jouez pour gagner, mais vous gagnez pour perdre.
C’est donc bien une machine, une machine qui vous tue parce qu’elle est programmée dans ce but, comme à peu près toutes les formes de vie.
C’est la beauté de la dualité contenue dans tout dia-bolein, étymologiquement : double mouvement, et par conséquent, dédoublement, séparation.
Mon Frère et moi sommes les experts de ces réversions infinies, nous sommes les experts de la dialectique, nous sommes tout ce qui sépare pour amalgamer, vous allez voir comment, vous allez voir en quoi toute machine est toujours potentiellement à notre service.


Tant qu’à concevoir un piège mortel, autant qu’il s’agisse du piège absolu.
Ou de sa forme le plus proche possible.
Qu’est-ce qu’un piège mortel ? Je vous l’ai dit : un piège où chaque solution est aussi mauvaise l’une que l’autre.
Mais qu’est-ce que le piège mortel absolu ?
C’est le piège configuré à l’image de moi et de mon Frère, les deux Fils de Pute, cette Grosse Mère Prostituée qui nous a enfantés sans nous avoir jamais conçus, et encore moins reconnus.
Et notre image, je vous l’ai dit, c’est que nous sommes deux, ne formons qu’un et nous tenons au centre du néant. Nous sommes bien l’inversion totale de toute Trinité, c’est pour cela que la dualité n’a aucun secret pour nous.
Nous sommes les Maîtres des Choix, les Antipapes de l’Alternative.
Aussi le piège fatal absolu fait-il en sorte que les deux « solutions » soient en fait la même, ou plutôt deux images inverties se faisant face, tels deux miroirs.
Le piège mortel absolu c’est quand s’opère le choix entre deux options, reliées au même phénomène physique, terriblement concret, létal, fatal, l’alternative ne formant en fin de compte qu’un seul tunnel conduisant au zéro absolu, là où nous, nous commençons à vivre.
Et à tuer.
Le piège mortel ultime est là.
Devant elle.
Je lui ai bien tout expliqué. Chaque détail. Elle connaît les moindres paramètres de sa mort.
Elle est toute nue, il fait encore assez froid pour un début avril, même au Canada, elle frissonne, mais je dénote des tressaillements réflexes, liés à la peur. À cette physiologie virale qui s’installe en votre corps, à sa place, sans que vous n’y puissiez rien.
La peur, dont je suis le maître.
Cette peur absolue se lit déjà dans son regard. C’est une assez jolie blonde, un peu corpulente peut-être. Ses yeux verts sont emplis d’une glace qui a tout congelé à l’intérieur d’elle bien plus que les basses températures n’ont blanchi son épiderme.
– Je vous en prie, je ferai tout ce que vous voudrez.
Vous avez déjà vu le Diable sourire ?
Non, bien sûr, car vous ne seriez pas là pour le raconter.
C’est le sourire que je lui ai offert :
– Ça ne fait strictement aucun doute, ma chère Olga, vous allez faire très exactement tout ce que je veux, vous allez voir. Car tout est déjà programmé, Olga. Et en fait vous ferez tout ce qu’elle veut, elle.
Et je montre d’un geste très calme la machine qui l’attend, sous le doux soleil printanier.
Elle pleure, son corps est secoué de tremblements incontrôlables, ses mains attachées derrière le dos s’entremêlent nerveusement.
– Je vous en prie, par pitié, ne faites pas ça.
Je la dirige sans brutalité excessive vers le lieu de son supplice. J’ai tout bien arrangé comme il faut. Le piège brille de toute sa terrible évidence.
Elle répète non, non, non, je-vous-en-prie, non, non, non.
Je trouve son vocabulaire plutôt limité pour quelqu’un qui a donné tant d’entrevues à la presse depuis sa cellule, mais c’est son jour de chance, je ne vais pas tarder à le restreindre encore plus.
Je ferai tout ce que vous voulez non-non-non je ferai tout ce que vous voulez non-non-non je vous en prie…
Ça devient lassant à la longue, c’est d’un répétitif ! Je lui ai pourtant tout expliqué jusqu’au moindre détail.
Je sors un couteau de bricolage très affûté de son étui de cuir, acier au carbone avec alliage de titane-tungstène, de quoi découper un parpaing de béton ou une chaussure de ski comme un vulgaire morceau de viande, imaginez un peu avec un morceau de viande, et je fais miroiter son tranchant devant ses yeux qui fixent, hypnotisés, la lame étincelante.
– Ne me compliquez pas la tâche, Olga, je ne voudrais pas être dans la pénible obligation d’avoir à vous couper les nichons pour accroître votre stimulation.
Elle pousse un petit cri animal, voûte les épaules, sanglote de plus belle.
Je lui ai dit ça depuis mon territoire du Zéro Absolu, notre monde ultrafroid, elle a tout de suite su que je me contentais de lui exposer les faits, rien que les faits.
Les faits bruts.
Je suis sûr que vous vous mettez à trembler, à votre tour.
Quoique vous, vous ne sachiez précisément pourquoi, alors qu’elle est parfaitement au courant de tout.
Vous aussi, vous allez bientôt tout comprendre.
Vous tremblerez probablement alors autant qu’elle.
Communiqué no 15
Le piège est dual, évidemment, amis lecteurs. On pourrait dire – d’une certaine manière – qu’il est conçu sur le choix entre l’eau et le feu.
Mais c’est une vision quelque peu raccourcie de la chose, qui ne fait pas vraiment honneur à sa perfection, dont je suis le Pygmalion.
Le choix s’articule plus précisément sur l’eau du feu, contre le feu de l’eau, disons d’une manière plus proche de votre vocabulaire matérialiste : le liquide-feu, contre le feu-liquide.
Quelle que soit l’option qu’elle choisira elle mourra, bien sûr, mais elle mourra de manière absolument opposée avec pourtant très exactement le même principe actif !
Et, évidemment, elle le sait, puisqu’elle sait tout.
C’est pour cette raison qu’Olga a si peur, et qu’elle serait sans doute prête à se faire trancher les seins plutôt que d’avoir à endurer ça.
Mais ce choix-là n’existe pas, ce n’est pas un choix, c’est un stimulus incitatif, il ne fait pas partie de la cellule numéro treize, il ne fait pas partie du piège, il ne fait pas partie de la machine. La machine dont elle est une pièce, une partie, un rouage, un simple mécanisme parmi tant d’autres.
Un mécanisme enchaîné à de multiples mécanismes, sans la présence de la moindre chaîne concrète. Une pure physique de l’Invisible.
La Physique du Fils de Pute, la Physique que je peux manipuler en toute liberté.
Tout le contraire d’un jeu divinatoire, tout le contraire d’un tarot.
Avec elle, le hasard conduisait à l’esclavage et à la mort, ici c’est le déterminisme absolu qui, par la mort, fera de la liberté un moment de l’esclavage.
Nul ne pourra contester la beauté de cette invention.
Elle hurle, maintenant, mais ses cris s’apaiseront d’eux-mêmes, d’épuisement.
Puis ils reprendront. Au-delà de l’épuisement, au-delà de toute fatigue.
Cette fois, ils reprendront pour ne plus s’arrêter.
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Alors détaillons le piège, détaillons chacun de ses mécanismes, et commençons par la pièce centrale de la machine : la victime.
À ce stade la victime n’a déjà plus de nom, elle est bien devenue le dispositif central de la machine, elle est une fonction intégrée à d’autres fonctions, ou plutôt la fonction intégrante de toutes les autres, en tant que pièce centrale elle est aussi le télos de la petite usine de mort que j’ai mise en place ici, au milieu des forêts du Nord-Québec, dispositif ultime, pièce centrale, processus intégrant, programmation dernière, mécanisme premier, on pourrait la désigner par chacun de ces termes, à la rigueur.
La pièce centrale pleure et parfois pousse un long appel à l’aide, quoique l’épuisement qui la gagne rende sa voix plus faible à chaque hurlement.
La caméra est placée juste au-dessus d’elle.
Que voyons-nous, tous ensemble ? Le visage d’une femme pointé vers l’objectif. En avant-plan se distinguent ses deux mains qui parcourent en frémissant un ensemble de tuyauteries, de robinetteries industrielles, de manettes, de tubes divers. Tout particulièrement ce gros levier autour duquel ses doigts tremblent encore plus fort.
Autour d’elle, le blanc sale et oxydé d’un cylindre de métal dans lequel la lumière du jour tombe du haut, par un minuscule vasistas grillagé où j’ai installé ma caméra DV.
Ainsi, pour recevoir un peu de lumière, la pièce centrale doit-elle se dresser et relever la tête en direction de l’objectif du Caméscope. Ainsi, elle doit relever les yeux vers vous tous, amis lecteurs. Elle ne vous verra pas, mais pourtant elle vous regardera. Vous n’aurez même pas besoin de vraiment la regarder pour la voir.
Vous n’aurez nul besoin d’écouter pour l’entendre.


J’ai peur de me répéter, tant pis : je ne suis que le petit frère du Diable, je suis sa réversion intensifiée, condensée en ce monde, dans un corps, un « individu singulier ».
Aussi, je renverse tout, moi aussi, et surtout l’ordre que mon Frère avait mis en place, car il a droit à des vacances bien méritées, il a droit à ce qu’on fasse un peu se mouvoir les hommes à sa place.
Ainsi, première inversion, première tendance lourde : punir plus fort les moins coupables, être plus cruel envers les criminels-victimes de seconde main qu’envers les grands maîtres d’œuvre dont mon Frère s’occupera de toute façon, le jour venu.
Première intensification : à la bestialité humaine j’oppose la glaciation mécanique, à la brutalité et la violence je réponds par le calcul et le déterminisme des lois physiques.
C’est très exactement ce qu’est en train de vivre cette femme.
Car, je vous l’ai dit, je lui ai absolument tout expliqué, et je n’ai omis aucun détail.
Pour une fois, amis lecteurs, amis téléspectateurs du web, un événement en saura plus sur sa propre occurrence que les analystes spécialisés qui chercheront à le recomposer, ou même qui auraient pu y assister en direct.
Elle offrait de faux rêves de liberté pour que ses proies se retrouvent encagées dans la prison de son mari.
Je ne lui laisse aucun rêve, je me suis contenté de lui faire lire une liste, la liste qui anéantit tout rêve, la liste qui fait de vous un mort avant d’être mort.
La liste.
La liste de ses libertés bien réelles.
La liste des phénomènes qui vont irrémissiblement s’enchaîner.
Elle est un processus à son tour, elle n’est plus que cela, la liste a servi de programme, la machine fera le reste : elle va très vite lui ressembler, elle va très vite devenir à plein rendement son dispositif central, elle va très vite expérimenter devant vous les règles inflexibles du monde physique.


Ma seconde inversion-intensification est une poursuite de la première.
Un, elle n’a laissé aucun choix sinon des illusions de liberté aux victimes de son mari.
Dans la machine, le dispositif central, vous l’avez remarqué, est parfaitement libre de ses mouvements, aucune entrave, d’aucune sorte, au contraire, c’est sa liberté qui va la tuer, et elle le sait au plus profond de son être. Elle aura toujours le choix entre deux options, mais sans aucune illusion quant aux libertés qu’elles offrent.
Deux, c’est l’aboutissement de mon piège, elle mourra de toute façon, elle le sait, elle va devoir choisir, elle va devoir choisir, comme je vous l’ai dit, amis lecteurs, entre le feu de l’eau, et l’eau du feu.
C’est pour cette raison qu’elle supplie maintenant, que les appels à l’aide, les coups martelés contre l’acier du cylindre et les cris d’impuissance rageuse font place aux pleurs et aux sanglots du désespoir.
Car observez bien, observez attentivement ce qui se passe tout en bas du cylindre, là où le dispositif central est comme vissé au plancher de métal, observez cette masse visqueuse, un peu violette, qui s’écoule d’un orifice situé à la base du cylindre et que ses pieds tentent d’éviter d’instinct. Cela s’écoule assez vite pour que tout le plancher en soit recouvert en quelques secondes et qu’aucune manœuvre d’évitement n’y puisse rien.
Mais elle est libre de ses mouvements, dans le monde que je lui ai construit. Je ne l’ai ni entravée ni battue comme les victimes de son mari, elle se hisse donc le long des tuyauteries jusqu’au plus haut qu’elle peut.
Je me contente d’animer ici-bas le sens de l’inventivité technique dont mon Frère et moi sommes les experts patentés.
Voilà, vous voyez mieux maintenant, le plancher est inondé et le liquide monte inexorablement le long des parois et des jambes du dispositif central.
Oui. C’est liquide.
C’est liquide et c’est gras.
C’est liquide et cela remplit calmement, à un rythme très étudié, le réservoir dans lequel le dispositif central se débat en poussant de petits gémissements étouffés par l’effort.
Vous voyez son visage au centre de l’écran, ce visage qui vous regarde, qui vous implore, qui s’adresse en silence à vous tous, donc à moi.
Moi, je ne peux rien pour elle, je lui ai construit son monde mais je n’en suis plus le maître, comme toute machine ce monde est l’unique maître de lui-même, de la même façon qu’elle choisissait ses victimes au hasard et n’en était plus responsable une fois arrivée à la demeure familiale, le monde de son mari.
Vous, amis lecteurs, amis de ce monde, vous n’avez jamais été en mesure de faire quoi que ce soit, pour vous-mêmes ni pour les autres. Ce n’est certes pas sur vous qu’elle va pouvoir compter.
Elle est libre. Elle est donc seule.
Oui, bien sûr, je vais jeter un coup d’œil sur mon écran de contrôle de temps en temps, m’assurer que tout fonctionne comme prévu, sans le moindre incident mécanique, mais je sais pertinemment que vous, vous ne pourrez plus décrocher les yeux de votre écran, ces images vous hanteront pour le restant de vos jours et c’est pour cette raison que vous voudrez les voir à tout prix. Je sais déjà qu’on rapporte des cas d’addiction très puissante aux communiqués vidéo que je diffuse sur le web, des hommes, femmes, enfants, ne dorment plus, ne se nourrissent plus, ne sortent plus de chez eux, branchés pour toujours sur le monde que j’instaure à l’intérieur du monde.
Faites comme eux, rejoignez la communauté du Monde de ce Prince, connectez-vous à : www.welcometohell.world.
Communiqué no 16
Ça y est, l’heure de la liberté salvatrice approche, amis lecteurs, très chers camarades de la zone noire du Réseau. Le dispositif central est dans l’état nécessaire et suffisant pour qu’il choisisse, en totale connaissance de cause et en toute liberté – la connaissance que la fréquentation de mon Frère lui a prodiguée, la liberté que je lui ai octroyée en retour.
Ah, amis lecteurs, contemplez donc le visage du dispositif, cerné par ce liquide violet aux reflets pourpres et orange.
Le liquide a désormais atteint la hauteur de son cou, et continue de monter, la pièce centrale « Olga » tend la tête au maximum vers le haut du cylindre, elle s’accroche aux solides tuyauteries, tente de coller sa bouche au minuscule vasistas de la concavité supérieure, nous pourrions compter le nombre de dents qu’il lui reste alors qu’un peu de buée vient se déposer sur l’objectif de la caméra, elle aspire l’air comme si cela allait lui donner le pouvoir de s’extirper du cylindre, elle fait vraiment tout ce qui est en son pouvoir pour échapper à ce monde.
Mais ce monde, précisément, c’est celui dont on ne s’échappe que par la toute dernière des libertés.
Observez bien, amis lecteurs, la détresse qui se lit dans les yeux du dispositif central. Le liquide lui arrive maintenant à la base du menton, et jusqu’aux oreilles.
Ce liquide dans lequel elle va être immergée, ce liquide aux couleurs changeantes, ce liquide visqueux, vous le voyez nettement désormais, vous en distinguez les nuances, les textures, les propriétés, vous pourriez presque sentir son odeur caractéristique.
Oui.
Bien sûr.
De l’essence.
Le dispositif central mérite ce qui se fait de mieux. Ultramar Octane Suprême 90.
Voilà : c’est à cette minute que le libre choix du dispositif Olga va s’actualiser. C’est à cette minute que la pièce centrale de la machine demande, la voix basse, brisée, hors d’atteinte : aidez-moi, je vous en prie, aidez-moi, arrêtez ça.
Mais qui pourrait l’aider ? Qui pourrait arrêter un monde ?
Ni vous, ni moi, amis lecteurs, amis téléspectateurs du web.
Elle seule va pouvoir s’aider.
S’aider à choisir.
À choisir entre deux morts abominables, chacune faisant office de miroir pour l’autre.
J’espère que le dispositif central apprécie la beauté intrinsèque de ce Piège, ce Piège que j’ai nommé « liberté ».


Car pendant que le réservoir se remplit, et menace de noyade notre dispositif central, vous n’avez toujours aucune idée de ce qu’il y a au-dehors de ce piège, au-dehors de cette machine, au-dehors de ce monde.
Le réservoir, le cylindre de métal dans lequel le dispositif central est huilé de bas en haut par le flot d’essence, le réservoir n’est que le système final de tout un engrenage parfaitement déterministe, qui débouche sur l’alternative On/Off, cette liberté infinie qu’offre toute machine.
Le dispositif Olga sait déjà tout ce que je vais vous expliquer, il sait d’avance tout ce qui va lui arriver.
C’est le secret de toute la technicité du Mal. Je ne réserve aucune surprise. Je ne fais pas ça pour mon plaisir.
Je suis un professionnel.
Je suis un pédagogue.
C’est pour cette raison que la machine est si parfaite, alors qu’elle n’utilise que des techniques qui existaient déjà au Moyen Âge. La technique n’est qu’un moyen, surtout pour nous qui en sommes les maîtres, surtout pour nous qui savons la rendre maître de tout.
Le dispositif Olga sait fort bien qu’il dispose d’un moyen pour arrêter le flot d’essence et éviter la noyade.
C’est ce gros levier autour duquel ses doigts ont frémi à plusieurs reprises.
Cette manette commande le clapet d’ouverture d’une vanne située à la base du cylindre et qui déversera l’essence au-dehors. Oui. En dehors de la machine.
Mais la manette ne peut être activée qu’à partir du moment où le niveau du liquide aura atteint son maximum, je l’ai modifiée de telle sorte qu’elle soit un single-action remote, une fois enclenchée on ne peut revenir en arrière, et en l’actionnant on ferme conséquemment le conduit d’arrivée de l’essence. Je suis un gars prudent, il ne fallait pas qu’Olga soit tentée d’interrompre l’expérience dès son commencement. Elle ne pourra donc l’interrompre qu’à la fin. Qui marquera pour elle un nouveau commencement.
Je viens de découper l’écran en deux. Dedans/Dehors. Sur sa moitié droite, observez attentivement où se trouve situé le réservoir :
Un cube de rondins lui sert de base, l’ancien silo de bois a été renforcé par de solides étais et l’espace vide en son centre a été comblé par une haute pyramide de fagots.
Oui, c’est un bûcher. Mais il n’est pas allumé.
Il ne s’allumera que si le dispositif Olga choisit, en toute liberté, d’ouvrir la vanne qui videra l’essence sur les fagots, les rondins, les étais.
Et les minuscules brandons que j’ai disposés tout autour de la base du silo, lucioles en attente de l’enfer liquide.
Ça y est, le visage du dispositif Olga vient d’être englouti par le liquide visqueux, il a presque disparu, à l’exception de sa paire d’yeux exorbités et de ses lèvres qui s’agitent en émettant de longues séries de bulles spongieuses.
Elle ressemble un peu à un poisson piégé par une marée noire, il faudrait sans doute penser à lui envoyer une escouade de Greenpeace.
Les yeux deviennent vitreux, les bulles s’échappent par à-coups violents, sphères mousseuses flottant plusieurs secondes à la surface.
Elle est libre.
Ses mains s’agrippent au levier. On sent une hésitation, mais les bulles se font plus nombreuses encore.
Voilà.
Ça y est, l’acte libérateur : les deux mains se sont accrochées au levier et l’ont violemment tiré vers le bas.
Une sorte de beuglement hérissé d’expectorations, de crachats, de vomissements a pris possession de tout l’espace sonore.
Son visage est recouvert d’une matière gluante, sombre, des filets d’une bave violacée s’écoulent de sa bouche, ses cheveux forment une masse collante, spongieuse, grasse.
Le niveau de l’essence baisse, aussi vite qu’il est monté.
Elle est libre, encore plus libre, toujours plus libre.
Maintenant elle est libre d’attendre.
Elle est libre d’attendre l’autre face de la liberté, celle de son anéantissement par elle-même.
Rien n’est plus fragile que la liberté, le dispositif Olga en fait un apprentissage direct, une simple manette, on/off, et la liberté est alors réduite à celle de l’attente.


Je lui ai tout bien expliqué en l’installant dans le cylindre, sur la liste il y avait un plan, elle connaîtrait tout de son choix, elle connaîtrait tout de sa nouvelle liberté, elle connaîtrait tout du monde que j’ai créé pour elle.
Les brandons sont disposés en cercle autour de la structure, ce sont de simples cubes de charbon de bois que j’ai portés au rouge dans un brasero situé non loin de là et que j’ai placés de telle façon que le jet d’essence en provenance du réservoir ne puisse les atteindre directement.
Le retour de flamme serait trop brusque, le feu remonterait à toute vitesse jusqu’à son origine, le cylindre, et ferait tout s’embraser en une seule et dévastatrice explosion.
Ce n’est pas du tout ce qui est planifié dans le processus dont notre dispositif central Olga est la pièce maîtresse.
Ce qui importe maintenant, c’est de la laisser goûter à sa liberté retrouvée.
En sachant qu’à un moment ou un autre, un filet ou une simple goutte d’essence parviendra jusqu’à une braise, allumant instantanément la presque totalité du bûcher.
Mais sans savoir quand, ni comment, cette ignition fatale va se produire. Ici, tout est mécanique, tout est déterminé, tout est calculé, tout est absolument imprévisible.
La vanne s’est maintenant hermétiquement refermée tout comme le conduit qui déversait le combustible. Le contenant est isolé de ce qui fut son contenu.
Mais les parois internes du cylindre sont encore recouvertes de larges plaques huileuses, tout comme le corps dénudé du dispositif Olga.
C’est ce que je lui ai expliqué avec toute la précision requise : la chaleur va monter, progressivement, puis de plus en vite, thermodynamique élémentaire. Le cylindre va devenir un four. La base du réservoir deviendra très vite incandescente, n’offrant aux pieds qu’une plaque de fer rouge pour se reposer, autant dire une surface de douleur pure. Ses orteils noirciront, son talon se creusera d’un cratère aussitôt cautérisé, ses ongles fondront, la peau de la voûte plantaire tombera en flammèches et en lambeaux de cendres. L’élévation de la température finira par enflammer les parois intérieures du réservoir, et la surface épidermique de tout le dispositif Olga. Elle cuira comme un canard laqué, ses cheveux prendront feu, sa peau se craquellera tel un plastique graisseux et sa bouche elle-même s’enflammera, bien avant le premier organe vital. Le dispositif Olga se consumera très vite à l’extérieur, beaucoup plus lentement à l’intérieur. Elle restera consciente assez longtemps pour comprendre que ses voies respiratoires se carbonisent centimètre par centimètre et que ce qu’elle recrache, noircis, ce sont des morceaux d’elle-même.
Ce ne sera que le début de la fin.
Ou plutôt, ce sera le début sans fin.
Le début de son hurlement. Son hurlement né dans les flammes qu’elle aura allumées elle-même, et poursuivant son Éternité de supplices dans les immenses camps-machines dont mon Frère a la charge, entre deux rarissimes périodes de vacances.
Ce hurlement sera un long tunnel de dénégation, un « noooon » qui sera jeté en vain à la face intangible du Cosmos et de ses lois.
Celles que j’ai adoubées comme les instruments de la punition injustifiable. Regardez-la, dispositif Olga, le visage tourné vers un ciel qu’elle ne peut voir qu’à travers un minuscule orifice grillagé, ce ciel qui est formé de l’objectif de ma mini-caméra, c’est-à-dire de vous tous.
Elle attend, comme vous attendez. Elle attend que le bûcher dont elle a libéré la force combustible prenne feu. Vous le saurez bien avant elle, mais vous ne pourrez rien faire.
Elle le saura bien après vous, et elle ne pourra faire qu’une seule chose, mais en toute liberté.
Elle pourra hurler sans fin, tout en regrettant de ne pas avoir choisi l’alternative que je lui offrais.
Observez bien l’image en provenance de l’intérieur du cylindre : elle attend que cette liberté que je lui ai confectionnée, cette magnifique machine conçue sur mesure, se mette en marche. Elle attend, prostrée contre la paroi de métal, marmonnant des sons inintelligibles entrecoupés de sanglots et de hoquets de suffocation angoissée, elle attend, désormais confondue avec la machine-à-choisir, de cuire comme de la volaille laquée dans un four de cuisine.
Elle attend.
Comme vous.
Vous attendez, je le sais. Vous ne vous êtes pas débranchés. Vous avez bien fait. Vous ne serez pas déçus.
N’oubliez pas, vous êtes sur :
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