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Concentrer
Communiqué no 9
Somewhere under the world
Somewhere under the world
J’espère que tout le monde a bien compris qu’il ne
s’agissait en aucune façon de « justice », encore moins
de « vengeance ».
Le Diable est froid – a dit fort
justement l’un de vos plus grands poètes. Il est pire que ça, en
fait, il est ultra-froid : son
point de vitalité minimal se situe au niveau du zéro absolu, là où
commence son véritable biotope. L’Enfer n’est qu’un point de
condensation et de retournement dialectique infini de cette
froideur totalitaire, ce qui pour nous revient très exactement au
même.
La dialectique, mon Frère et moi, c’est
particulièrement notre truc.
Justice, vengeance, impliqueraient un quelconque
« rapport » entre le « crime » et le
« châtiment ». Mais avec le Diable, il ne peut exister de
tels rapports puisqu’il n’y a ni crime ni châtiment pour nous, ou
plus exactement : ils ne font qu’un. Plus précisément encore,
ne m’en veuillez pas pour cette manie du détail qui m’est
ontologiquement attachée je vous l’ai dit : chacun est un moment de l’autre.
Il ne s’agit donc pas de justice ni de vengeance,
comme je vous l’expliquais, amis lecteurs, parce que le Diable se
contrefiche complètement de vos notions d’harmonie, de probité, de
loyauté, il se fout encore plus de vos ridicules sentiments
humains. Nous, le Diable, nous sommes bien trop humains, précisément, pour nous laisser
arrêter par une éventuelle émotion de passage.
Notre logique est sa propre inversion intensifiée,
pas même l’absurde, mais la logique totalisée, et simplement
invertie terme à terme.
Plus le délit sera véniel, plus notre punition
risque d’être exemplaire, mais encore une fois, comprenez-le du
mieux que vous pouvez : nous n’obéissons à aucun système
préétabli, puisque c’est nous, justement, qui préétablissons tous
les systèmes.
Ainsi, la réplique concentrationnaire de l’autre
jour, si elle vous paraît disproportionnée en regard du crime
unique, quoique machiavélique, commis par le Temple et son alliée
judiciaire, eh bien, permettez-moi de vous dire que vous avez tout
à fait raison. C’est cette disproportion même qui crée toute la
beauté infernale de l’acte, j’ose me dire que vous l’avez compris.
Car elle est ce qui se fait de mieux en matière de cohérence
esthétique absolue : cette disproportion reflète, de sa façon
monstrueuse, qui est Nôtre, la disproportion entre l’existence de
cette femme et ce que vous lui avez fait subir. D’une fissure, nous
faisons un abysse.
Vous l’avez fait interner sans qu’elle soit folle.
Moi j’ai rendu folle la juge qui l’avait condamnée. Elle s’est
suicidée dans la solitude la plus totale, vous êtes morts en
groupe, dans une désolation pire encore.
Nous sommes le Diable, il ne faut pas trop nous
chercher, car c’est la seule chose dont vous pouvez être certains,
nous sommes comme ce que disait Remy de Gourmont de la
vérité : si on la cherche, malheureusement, on est sûr de la
trouver.
Tous ces gens qui forment le troupeau de nos
brebis, si nombreuses aujourd’hui, commettent très souvent des
erreurs d’appréciation que, bien sûr, nous leur insufflons. Il ne
manquerait plus que ces hypocrites humanitaires reçoivent, même du
Diable, le moindre milligramme de la Vérité !
Ainsi pensent-ils que le Christ, que nous leur
avons offert en Holocauste, est venu pour rassembler les hommes de
son Verbe.
Et ainsi pensent-ils, conséquemment, que c’est le
Diable qui vient apporter la division !
C’est parce que nous les avons dûment détournés
des textes que nous ne voulons plus qu’ils lisent, qu’ils pensent
ainsi. Ils n’ont pas encore compris que notre travail, à mon Grand
Frère et à moi, c’est au contraire d’assembler, d’organiser,
de concentrer même, si possible, et au
maximum d’intensité.
Le Christ savait qu’il provoquait une fissure
éternelle dans le corps terrestre de l’homme, nous, mon Frère et
moi – le Diable est toujours dual, quoi qu’il
arrive – nous avons établi notre commerce sur
l’obstruction de cette béance infinie par laquelle les âmes peuvent
entrevoir la lumière.
C’est nous qui rassemblons les foules, les
politiques de masse, c’est nous qui remplissons les stades, les
gymnases, les arènes de sport, les salles de meeting, les concerts
géants, c’est nous qui établissons les statistiques démographiques,
les propagandes publicitaires, les idéologies fanatiques, les
comptabilités mortuaires, c’est nous qui sommes du côté des nombres
et de l’agglomération générale des corps et des esprits.
Le Christ, que vous avez si bien sacrifié, grâce à
nos précieux conseils, divisait tout, parce que indivisible il
pouvait accorder une authentique singularité à chaque homme vivant
dans ce monde que nous avons fait nôtre.
Nous, le Diable, nous anéantissons vos
singularités afin qu’elles rejoignent le « Grand Tout »,
soit le « Grand Zéro » formé des stocks empilés de toutes
les croyances de substitution que nous vous avons si facilement
revendues, comme autant de ponts de Brooklyn.
Mais, et c’est là que tout se corse et
généralement vous perd, nous ne rassemblons que pour mieux isoler,
alors que celui qui est Notre Ennemi Mortel ne divise que pour
mieux unifier.
C’est pourquoi le Diable aime les grandes machines
bureaucratiques et impersonnelles, si possible mondiales, il aime
les administrations où tous les hommes se dévouent à une seule
tâche : travailler pour lui sans le savoir et en se
satisfaisant de cette ignorance.
C’est pour cette même raison qu’il aime toutes les
déviances sectaires, quelle que soit la forme qu’elles prennent,
puisqu’elles ne font que reproduire à une échelle quelconque la
pathologie que le Diable inocule à tous ceux qui ne croient plus en
Celui que nous avons fait crucifier et qui tentent de le remplacer
par un jouet de leur/notre invention. Comme l’a dit fort
pertinemment un de vos grands auteurs catholiques, de ceux que nous
vous avons fait oublier : Lorsqu’on ne
croit plus en Dieu, on ne croit pas en rien, on croit en n’importe
quoi.
Et ce n’importe quoi idolâtre, ce chaos du sens,
cette occlusion de toute Révélation, c’est la marchandise de choix
dont mon Frère et moi sommes les universels pourvoyeurs.
Ainsi le Diable apprécie-t-il les vastes
organisations légales comme celle que j’ai exterminée l’autre jour,
la juge Faurissette doit en ce moment même continuer de hurler nuit
et jour, à moins qu’elle ne soit définitivement emmurée dans le
mutisme absolu, au plus profond d’une institution psychiatrique,
dans l’un ou l’autre cas elle ne vous sera pas d’une grande utilité
avant longtemps, chers amis lecteurs des corps policiers du
Canada.
Mais avec toute la technicité requise, le Diable,
la gémellité infernale que nous formons, mon Frère et moi, peut
tout autant animer les frétillements de micro-groupes de crétins
haineux encore plus dangereux, tout du moins se croient-ils
tels.
Là où, réellement, nous sommes très forts, c’est
lorsque nous parvenons à parfaitement faire s’assembler, et se
ressembler, deux haines totalement réciproques.
Bien sûr, vous devez comprendre le sens des mots
« ressembler » et « assembler » selon
l’acception du Diable.
Le Diable, ce grand joueur. Cet entertainer de toutes les fins du monde sans cesse
recommencées.
La vie est un jeu ! Le Monde est une
fête !
Bienvenue dans le Souterrain des
Lumières !
Communiqué no 10
Ah, désolé, amis lecteurs, il m’a fallu un peu de
temps pour tout mettre en place. Vous constatez d’abord que vous ne
voyez presque rien dans l’objectif de la caméra. Tout paraît très
sombre, n’est-ce pas ?
C’est normal, ces « Lumières » que nous
vous avons fait projeter sur votre propre humanité, ce sont les
nôtres et donc, bien sûr, elles obscurcissent !
Mais voyez comme nous ne pouvons tout de même pas
résister à je ne sais quelle sarcastique compassion venue du cœur
de notre enfer. Pour que l’obscurité soit visible, il lui faut un
résidu de lumière, un reliquat d’espoir est toujours plus terrible,
parce que fragile, que plus d’espoir du tout. Un espoir fragile
vous fait vivre, afin qu’il ne meure pas. Un espoir fragile vous
conduira à croire en lui parce que vous ferez tout pour le
protéger. Et votre désespoir sera alors sans limite quand nous
aurons fait en sorte qu’au bout du compte il se brise.
Cette lumière n’est certes pas celle du jour.
C’est la lumière du Souterrain. C’est la lumière de notre Monde,
qui est aussi le vôtre, c’est la lumière du feu.
Elle n’est pas éternelle mais elle peut durer très
longtemps, lorsqu’il s’agit de brûler les chairs.
Elle n’est pas éternelle et peut se montrer très
courte s’il s’agit uniquement de permettre à l’homme de croire un
peu en un espoir qui, inéluctablement, va s’éteindre.
N’oubliez pas de nous ajouter à vos
favoris :
www.welcometohell.world.
Comme je vous le disais précédemment, mon Frère et
moi sommes avant tout des psychologues.
Je vous ai ainsi démontré comment on passait de
l’orbite de la peur à celle, bien plus somptueuse, de la
Terreur.
Un sentiment voisin s’est exprimé dans les grands
champs de neige qui bordaient la propriété de la Secte. Ce
sentiment se nomme la panique.
Comme la peur il se divise en degrés, que mon
Frère et moi avons parfaitement identifiés et notés comme tels sur
notre thermomètre infernal.
Il y a la panique purement physique, instinctuelle, celle de devoir courir
sans le pouvoir vraiment, avec une mort directe lâchée à vos
trousses. C’est un étage encore relativement rationnel, où deux
forces contraires jouent leur « politique de la bascule »
sur le territoire d’un homme. Multipliée par presque deux cent
cinquante, plus une juge qu’on a transformée en ce qu’elle est, une
kapo, on ne peut nier l’intérêt de
l’expérience.
Mais comme la peur, la panique peut se dévisser
jusqu’à une orbite supérieure. C’est la
panique au carré.
La panique purement cérébrale. Cette panique-là ne
provient pas d’une quelconque impuissance physique, que la
souffrance résout, au moins partiellement. Elle surgit d’une énigme
irrésoluble, qui tient à ce que ce qui nous rassemble précisément
nous oppose, c’est une des multiples réussites de notre entreprise
en ce Monde, qui est le nôtre.
Et c’est surtout la panique qui surgit devant le
fait que l’on est soi-même la cause directe de sa propre mort, en
même temps que l’on est sa seule chance de survie, et que les deux
sont inextricablement liés.
C’est une panique indicible. D’ailleurs, elle n’a
pas de nom.
Et si elle en avait un, nous le lui retirerions
immédiatement.
Les poisons mentaux que mon Frère a conçus ces
derniers siècles sont à proprement parler de véritables
chefs-d’œuvre. Ils condamnent cette humanité au pire martyre que
nous avons connu dans ce Cosmos dont nous avons été finalement
bannis.
Mais ici, chez nous, sur cette Terre, jamais nous
ne nous sommes sentis aussi à l’aise, comme je vous le disais,
l’humain de cette planète est le matériau le plus flexible que nous
ayons à ce jour expérimenté.
Comme ces deux spécimens particuliers.
Ces deux hommes dans le souterrain.
Vous les voyez maintenant. J’ai disposé un système
avec micro-caméra et fibre optique, très discret, doté d’une vision
infrarouge, pour lorsqu’il sera temps. Voilà, ça y est, la lampe au
tungstène s’est allumée à plein rendement.
Les hommes sont face à leur propre énigme. Cette
énigme dont le sphinx est cette liste qui défile sur un petit écran
accroché au mur, juste au-dessus de la lampe. Elle est accompagnée
de sa lecture à voix haute, par votre serviteur, si je puis
dire.
Nous allons suivre pas à pas le résultat de trois
cents années au moins de labeur acharné effectué par mon
Frère.
Bienvenue dans le Souterrain des Lumières.
Bienvenue dans le Monde moderne !
Voici ce que dit la liste, en fond sonore le
deuxième mouvement, scherzo, de la Neuvième
Symphonie de Beethoven, l’« Ode à la joie » m’a
paru un peu trop évident :
1) Bonjour, messieurs, vous êtes présentement
enfermés dans un bunker souterrain situé à environ douze mètres
sous terre. Ancienne installation militaire prototype du NORAD.
Très efficiente. Je n’ai eu qu’à légèrement l’améliorer.
2) Vous êtes deux. Il n’y a qu’un seul moyen de
sortir. Dans le coffret placé au centre de la pièce, vous disposez
de deux litres d’eau, de quelques pains, d’un peu de viande, d’un
couteau suisse et d’une bible. Vous comprendrez l’usage de tout
cela très rapidement.
3) La lampe au tungstène qui vous permet de voir
dans ce souterrain possède une durée de vie limitée. Un petit
cadran digital situé juste au-dessous vous permettra de savoir avec
exactitude, par compte à rebours, quand la lumière s’éteindra
définitivement.
4) Étant assez doué pour tout ce qui concerne la
couture, y compris chirurgicale, je me suis permis de placer à
l’intérieur de chacun de vos organismes le plan détaillé des lieux
et la petite clé magnétique permettant d’ouvrir le sas, par
ailleurs invisible de l’intérieur, conduisant à la sortie. Je les
ai greffés très méticuleusement sur un point très proche d’un de
vos organes les plus vitaux, vous trouverez très rapidement la
cicatrice, aussi, quelle que soit la procédure suivie par l’un ou
l’autre, sur l’un ou l’autre, pour les extraire, il devra être
extrêmement précautionneux. À dire vrai, il lui faudra l’expertise
d’un chirurgien. Comme vous êtes des bouchers accomplis, vous
parviendrez peut-être à quelque résultat.
5) Vous savez chacun qui est l’autre, vous avez de
nombreux points communs, et nous savons que c’est cela précisément
qui vous tuera. Vous comprendrez très vite, avant même que la
lumière s’éteigne.
6) Dernier détail, la lampe au tungstène est
réglable en intensité, vous pourrez sans doute faire quelques
économies d’énergie et accroître un peu la durée de vie de la
flamme. Nous vous le conseillons amicalement, en vous signalant que
la combustion du tungstène dans l’atmosphère consomme une quantité
substantielle d’oxygène.
7) Vous pourrez néanmoins compter sur la Sainte
Bible et ses propres Lumières, elle est là pour ça.
Dieu a créé le monde en sept Jours, disons en sept
Mots de Son Verbe. Nous, nous pouvons détruire n’importe quel
nombre d’hommes, décidé par notre souveraine perversité, en sept
paragraphes.
L’avant-dernier point est probablement le plus
important de tous, il synthétise la « politique de la
bascule » purement cérébrale qui caractérise la panique au
carré.
Si vous laissez la lampe allumée, l’oxygène
disparaît peu à peu, et vous vous acheminez vers une asphyxie plus
rapide encore que celle provoquée par vos propres poumons, dont
vous ne pouvez guère régler la consommation.
Si vous l’éteignez, vous vous condamnez à
l’emmurement total, à l’isolation sensorielle, à la folie, et sans
doute à celle de votre acolyte. Et donc, potentiellement, à votre
mort. On tue à la fois plus difficilement et plus sûrement dans le
noir.
Il faut donc trouver la meilleure intensité
moyenne possible, cela mettra leurs cerveaux obsédés à rude
épreuve, je n’en doute pas.
Cependant la bascule ne cesse d’osciller :
c’est sa beauté permanente à elle. Tant que la lumière est là, il
reste une chance de sortir. Mais pour atteindre cette sortie, il
faut soit s’opérer soi-même avec un couteau suisse, soit opérer son
acolyte, avec ou sans sa permission. Et le constat s’impose, après
quelques recherches : là où la clé de sortie est cachée, se
trouvent les attributs de leur masculinité. Un demi-centimètre
au-dessus, pour être précis. Car il faudra l’être.
La question qui se pose est : qui pourra se
saisir du couteau le premier ? L’obscurité peut parfois être
un avantage, n’est-ce pas ?
Mais la bascule poursuit son mouvement : il
est impératif que l’un d’entre eux puisse se servir du tire-bouchon
incorporé au couteau, afin d’ouvrir l’unique bouteille d’eau, de
deux litres exactement, que j’ai très convenablement scellée d’un
bouchon de liège et d’un capuchon de cire. La nourriture, ils vont
pouvoir la départager entre eux deux.
L’eau, il leur faudra constamment la partager tout en la mettant en
commun, comme l’acier du couteau, c’est-à-dire en devant accorder
une part de confiance en l’autre, pour que l’action réciproque ait
une chance de s’effectuer, mais sans jamais le perdre de vue une
microseconde. Le temps de sommeil de chacun risque d’être
compté.
Et moi, j’adore les nombres.
La Bible sera là pour leur rappeler le sens du mot
« communion », et au final nous savons à l’avance ce
qu’ils en feront, pour s’achever en toute beauté.
Les plans, c’est nous qui les
préétablissons.
Il va donc falloir qu’ils se concertent avant
chaque décision, en tirant à la courte paille, s’il le faut,
quoiqu’il n’existe aucune forme de vie végétale à l’intérieur du
bunker.
La bascule oscille sans cesse entre ces deux
hommes que tout rassemble et tout sépare en même temps, ou, plus
exactement, ces deux hommes rassemblés par ce qui les sépare,
séparés par ce qui les rassemble. Les esclaves types de mon
Frère.
Détaillons un peu, chers amis du web, l’identité
de ces hommes. Ces hommes qui maintenant se font face et
reconnaissent le visage de l’autre.
Car ils sont connus dans leurs domaines
respectifs. Et s’ils se reconnaissent instinctivement, c’est qu’en
fait ils se sont partagé en deux parcelles voisines très exactement
le même « domaine ».
Alan William McIntyre. Surprématiste nazi
originaire de l’Ontario. A dirigé pendant un temps l’aile
canadienne du Parti national-socialiste américain avant de fonder
son propre groupe, la White Supremacy Revolutionnary Army.
Responsable de plusieurs attentats et de quelques meurtres de
Noirs, d’Hispaniques et d’hindous, sans compter divers délits de
cambriolage, menaces de mort, coups et blessures, agressions
armées, etc., qui vont généralement de pair.
Babrak Johnson Maktatadi. Afro-Canadien d’origine
mixte nigériane et américaine. Né au Québec, mais a vécu
pratiquement toute sa vie à Vancouver. Afrocentriste négationniste,
il créé sa Revue de l’Africanité
combattante en langue française et une Holocaust Mythologies International Review pour les
anglophones, avant de mettre en place son mouvement politique
raciste antiblanc et antisémite, nommé African American Coalition
for Immediate Justice, ayant tué au moins trois personnes de
confession juive, un diacre d’une église catholique, un vieux
dissident ex-soviétique et un homme saoul dans un bar, qui se
vantait de ses ascendances irlando-écossaises.
Il n’existe aucune « preuve » assez
solide pour que les divers corps policiers en charge des enquêtes
les envoient devant un tribunal, sauf pour les délits plus
véniels.
Évidemment, puisqu’ils sont les créatures de mon
Frère !
Mais pour nous, il n’y a pas de cas véniels. Il
n’y a pas de peine humaine à notre mesure.
Pour nous, mon Frère et moi, il n’existe aucun
rapport autre que notre logique
insensée, entre les crimes et les châtiments, les criminels
et les fautifs.
Comme ces deux pauvres victimes de nos mensonges
venimeux, de nos délires toxiques, et de leurs aveuglements
volontaires.
L’un hait les Noirs. L’autre hait les Blancs. Mais
pour la même « raison ». Par la cause du même poison
idéologique que mon Frère a su si bien leur inoculer.
Ils sont mortels l’un pour l’autre. Deux
pestiférés, même contaminés par deux souches différentes, ne
peuvent guère s’entraider.
Ils doivent pourtant y parvenir s’ils veulent
conserver une chance de revoir le jour.
Mais entre eux il y a un mur, et ce mur ce n’est
pas la haine éprouvée l’un pour l’autre.
Ce mur c’est ce qu’ils ont en commun.
Certes ils partagent cette haine, et cette
stupidité qui lui est concomitante, mais cette haine pourtant
semblable les divise, et se divise elle-même en deux parties,
chacune focalisée l’une contre l’autre de manière dialectique, ce
qu’ils possèdent donc véritablement en commun c’est le retournement
matériel de ce mixage intellectuel abject que mon Frère a su leur
prodiguer, ce qu’ils ont en commun c’est cette Bible, et ce petit
couteau suisse, qui sont placés entre eux.
Ce qu’ils ont en commun, chacun à l’intérieur de
son propre corps, c’est le moyen de sortir du Souterrain.
S’ils ne sont pas trop idiots ils comprendront
rapidement le rapport avec le couteau.
La Bible est à la fois une question-mystère et la
réponse à leur présence en ces lieux.
Elle est non seulement en rapport avec tout le
reste, elle est le rapport avec tout le
reste, elle est le rapport de tout le reste avec lui-même.
Ah, amis lecteurs, amis de la grande fraternité du
web, vous ne mesurez pas votre chance de pouvoir assister à tout
cela en direct.
C’est pour cette raison, vu qu’ils sont les
assassins sans cesse recommencés de Celui que nous leur avons
offert en sacrifice, qu’ils possèdent ici pour survivre, tous les
deux, les marques mêmes des miracles qu’ils ne verront pas. Une
bouteille de deux fois un litre, l’unité de mesure universelle, remplie d’eau pure venant du lac de
Tibériade, où mon Frère avait pu observer les prodiges de Celui qui
nous vaincrait à la Fin des Temps, j’y ai rajouté deux grands pains
et quatre poissons crus. Signe de la multiplication drastiquement
rationnée dont nous sommes les fervents défenseurs.
Il y a aussi le couteau suisse.
C’est très pratique, un couteau suisse. Lui aussi
est d’un usage universel, c’est un mot
que ces deux idiots vont devoir apprendre par eux-mêmes, juste
avant de mourir.
Quant à la King James Bible, que les deux sont en
mesure de lire, son usage est, je vous le disais, par nature
mystérieux, il résume à lui seul tout
ce qui sépare les serfs de mon Frère de la véritable lumière, celle
qu’ils ont sacrifiée à leurs illuminations de troisième zone, que
mon Frère vend littéralement en discount de masse à tous ces
pauvres diables amateurs.
Observons tout cela de plus près, voilà, je vais
opérer un léger zoom avant, nous serons avec eux, de part et
d’autre du coffret, de la lampe au tungstène et du mur de
démarcation invisible qui les sépare tout en les rassemblant.
Ici, tout est concentré, tout est amalgamé, tout
est atrocement logique.
Deux hommes dans un bunker, dont la clé de sortie
est implantée à l’intérieur de chacun, voici l’exemple type d’une
situation bien plus « concentrationnaire » que l’abattage
de masse auquel je me suis livré l’autre jour.
Soyez plus attentifs aux paradoxes polysémiques
des mots, vous tomberez moins facilement dans nos panneaux.
Communiqué no 11
Afin de garder captif notre Audimat visiblement de
plus en plus nombreux (si j’en crois le nombre de clics sur la page
d’accueil, vous êtes déjà des centaines de milliers à vous être
connectés, et j’ai l’impression que la courbe amorce une montée en
puissance), il me faut reconnaître que je me suis permis de changer
quelque peu les règles du jeu, pour cette fois, afin de faire durer
un peu le « suspense ». Il faut bien innover, et ne pas
avoir peur d’« avoir du fun ». La vie est un jeu !
Le Monde est une fête !
Oui. C’est ainsi que j’ai laissé passer quatre
jours. C’est le temps qu’il m’a fallu pour effectuer un montage,
vingt-quatre heures par vingt-quatre heures.
Je devais aller au bout de ma logique
concentrationnaire. J’allais vous laisser voir quelques
« flashes » de direct chaque jour, juste assez pour vous
mettre l’eau à la bouche, mais j’ai coupé tout le reste à la
diffusion et je me suis occupé de mon montage en parallèle.
La Nuit.
Chaque matin je commençais par regarder ce qui
s’était produit la veille alors que s’enregistraient en direct les
images qui me parvenaient du bunker.
De temps en temps je branchais le routeur, et je
vous faisais participer à l’évolution de la situation, uniquement
par bribes.
Le Brouillard.
Vous savez pourquoi, du moins vous le devinez.
Oui, c’est ça : pour que vous combliez les trous par votre
imagination. Si les hommes enfermés dans le souterrain sont face à
la panique au carré, c’est à votre tour d’être confrontés à
l’horreur au carré, et c’est à cela que sert l’imagination quand
elle est entre nos mains. Nos mains libres, et expertes en
mécanique générale. Ne croyez pas que nous rejoindre sera pour vous
une partie de plaisir, l’idée, amis lecteurs, c’est que vous
souffriez au moins autant que mes proies, l’idée c’est que cela
déclenche le geste de protection animale primordial : que vous
veniez vers nous, faire allégeance, afin de vous placer du côté des
bourreaux plutôt que des victimes.
Sage précaution.
Mais tout dépend de la police d’assurance. Et
surtout de l’assureur.
Le montage final que j’ai effectué vous dira si
vous avez eu raison.
Voilà pourquoi je vous ai conseillé de vous réunir
à votre tour, et de prendre des paris, sur une étape ou une autre
du processus à l’œuvre.
Car ces hommes sont dans un processus. Ils ne sont
même plus que cela. Un flux, un flux parfaitement déterministe,
vous savez que leur destin est scellé, je peux une fois de plus
vous l’assurer, mais vous ne savez pas quelle tournure diabolique
le piège va prendre pour se refermer sur eux.
Sur leur tombeau.
Jusqu’à ce que je diffuse le film.
Jusqu’à aujourd’hui, jusqu’à maintenant, amis
lecteurs du monde entier, tous branchés sur le site du diable,
restez connectés à l’Enfer qui se trouve en vous-même, restez en
ligne sur www.welcometohell.world.
Je ne suis que son petit frère, le petit frère du
Fils de Pute, mais j’en suis un moi aussi.
Si vous avez cru un seul instant que mon montage
consisterait à vous livrer la continuité des événements, tels
qu’ils se sont produits dans le bunker, c’est franchement que vous
n’avez toujours rien compris à cette expérience précise. Celle-ci
consiste à éprouver votre imagination, je vous l’ai dit. Mon
montage sera donc isomorphique aux vagues extraits que je vous ai
laissé voir les jours précédents.
La seule différence, c’est que je les aurai
sélectionnés avec grand soin. Je les aurai extraits de la
continuité du flux parce qu’ils en forment des points de
cristallisation. Je vais vous montrer le résultat final de chaque
étape cruciale. Sans rien d’autre.
Ce sera une fois de plus à vous de combler les
trous, vous aurez votre imagination et les quelques images
entraperçues ces derniers jours. Un peu de Nuit et de
Brouillard.
Nous aimerions que vous soyez le plus créatifs
possible.
Je vous ai laissé voir des bribes, souvent
insignifiantes : vous avez ainsi pu assister au débouchage de
la bouteille, après de longues négociations, c’est le raciste blanc
qui l’a ouverte, avant de reposer le couteau dans son
coffret. Ils se sont ensuite partagé l’eau et l’acier comme
prévu.
Je vous ai montré comment ils ont discuté pour
savoir à quel niveau d’intensité il fallait régler la lumière. Ils
ont fait plusieurs fois le tour de la pièce, en tâtant les murs, et
en se tenant à une bonne distance l’un de l’autre.
Je vous ai fait voir quelques extraits de leurs
rares discussions. Puis je vous ai montré le moment où, nourriture
épuisée et eau sévèrement rationnée, ils ont dû faire face à la
première baisse non contrôlée de la luminosité de la lampe. C’est
le moment où ils ont vraiment commencé à se regarder différemment.
Je vous ai juste laissé le temps de le comprendre.
Je vous ai également montré la première discussion
au sujet de la présence de la Bible. Ce dialogue :
– Pourquoi il a mis cette foutue Bible ici,
ce fils de pute ?
– Regarde donc, petit blanc, un peu d’eau,
des pains, des poissons, il se prend pour Jésus, il nous joue les
miracles de la multiplication.
– Pfouah !
Le raciste blanc vient d’envoyer un énorme crachat
sur la Bible.
– Cette saleté de juiverie ! Et on ne
peut même pas la bouffer, elle nous sert à que dalle,
évidemment !
– Tu te trompes encore une fois, petit
blanc.
– Tu comptes prier, négro ? Tu vas nous
chanter des gospels ? Tu crois que ce Dieu juif va nous sortir
de là, peut-être ?
– Non, mais c’est une putain de grosse Bible.
Avec texte en anglais et en
latin.
– Latin ! Oui, une putain de saleté de
juiverie engrossée à terme.
– Calme-toi donc, leucoderme : regarde
la quantité de papier et de carton que cela représente, un, on va
pouvoir faire cuire la viande pour éviter qu’elle pourrisse et
deux, on va pouvoir économiser encore plus sur le tungstène,
baisser la luminosité au minimum et fabriquer des torches, on va
s’éclairer avec le papier de cette foutue religion de petits blancs
colonialistes. C’est d’ailleurs ce que ce fils de pute a écrit en
toutes lettres sur son « mode d’emploi ».
– Pour une fois, bamboula, t’as raison sur un
point. Le feu, un autodafé dans les règles ! Voilà ce que
mérite cette merde infâme, je reconnais qu’au moins il nous sera
utile, le youpin crucifié. Tu vois, les youtres c’est comme les
autres races d’esclaves, négro, on finit toujours par leur trouver
un usage, les nazis en ont fait du savon et de la fibre, nous on va
améliorer un peu notre confort.
C’est là où j’ai coupé. Après quelques secondes
d’un silence qui allait durer des heures. Car se retrouver sur
l’essentiel c’est bien, obtenir un surplus de lumière et de viande
non faisandée, c’est encore mieux.
Mais pour quoi faire ?
Lorsque toute la nourriture aura été consommée et
que la lumière sera en train de faiblir pour de bon, ils feront
face au même dilemme qu’au départ : le moyen de sortir se
trouve implanté dans leur organisme, juste au-dessus du canal de
l’urètre, avec des ligaments minutieusement placés.
Pour y accéder, inévitablement, il faut se
castrer.
Ou castrer l’autre.
C’est pourquoi la dernière chose que vous avez
vue, c’est le moment où, devant l’inéluctable fin de la lumière, il
faut se décider à agir. C’est le moment où l’on commence à penser
vraiment à un plan. C’est le moment où l’on regarde l’autre
différemment. Parce qu’il est le
plan.
Et cette fois-ci, au sens propre.
Alors maintenant, flashes en cascade séparés par
les noirs-coupure ultraviolents, sans aucune sorte de signal
avant-coureur, c’est le film des résultats finaux, le film résumant
les conséquences des actes, sans les actes, après celui des actes,
sans les conséquences.
C’est le film d’un Médecin du Diable, le film d’un
Médecin d’un Camp de la Mort digitale.
Quelle dramaturgie ! Je suis bon pour le
Festival de Cannes, où je croiserai tant de mes amis.
Un des tout premiers dialogues :
– Il veut qu’on s’étripe l’un l’autre, dit le
Noir.
– Il peut toujours s’accrocher.
Un silence.
– Il va bien falloir qu’on le fasse, reprend
le Noir.
– Qu’on fasse quoi ? Et qui ?
– Si on veut sortir, il faudra extraire cette
saleté de clé magnétique de nos corps.
– Oui, et ce qu’il veut c’est que l’un
d’entre nous réussisse à tuer l’autre pour lui ouvrir le bide et
prendre le truc. Je suis d’accord avec toi sur ce point-là. Mais je
ne marche pas dans la combine.
– Non ? Même sans s’entretuer il faudra
bien qu’on récupère une clé. Tu as une autre solution ?
– Gagner du temps, réfléchir.
– Moi j’appelle ça perdre du temps, petit blanc, il va falloir prendre
une décision.
– Et tu veux qu’on fasse quoi, moricaud,
qu’on tire à la courte paille ?
– S’il le faut. Ça nous éviterait justement
d’avoir à nous entretuer.
Un autre silence.
– Mais il y a peut-être une autre solution,
reprend le Noir.
– Une solution à quoi ?
– Une solution pour sortir d’ici, pauvre con,
une solution pour sortir ces machins qu’on a dans le corps.
– Et qu’est-ce qui te prouve qu’on les a, ces
« machins » dans le corps ? Hein ? gueule le
Blanc.
– Parce qu’il aime jouer, et qu’on est
recousus juste au-dessus de la bite, brother, tu ferais bien de te
calmer.
– Je suis calme et je ne suis pas ton frère.
C’est quoi ta solution ?
– Ma solution c’est la méthode
japonaise.
– La quoi ?
– La méthode japonaise. On le fait ensemble,
sur nous-mêmes, le premier qui trouve le truc demande à l’autre de
l’aider à le sortir.
– Tu me parles de ces conneries de
gnakwés ? Qu’on se fasse hara-kiri ? C’est ça ta putain de
solution ?
– Les Japs disent seppuku. Mais oui, c’est ça, sinon ça finira comme
il s’y attend. Et ça, tu sais comme moi ce que ça veut dire.
Ils savent en effet tous deux ce que ça veut
dire.
Car tout ici est fait pour le leur rappeler.
Un des principes de base de l’Enfer c’est qu’on ne
peut jamais en sortir, on ne peut jamais oublier qu’on y est, même
la nuit est analogue au jour, puisque les rêves sont totalement
imprégnés, telles des éponges, du cauchemar bien réel de la
veille.
Le silence qui scelle ce dialogue est lourd de
sens parce qu’il s’agit d’un des tout premiers et des plus longs.
Il indique parfaitement en quoi ces hommes ne sont plus que de
simples processus agencés par nos soins. Des flux entièrement
déterminables, entièrement déterminés.
Déjà, à cette étape, on comprend qu’il est très
probable qu’un seul des deux s’en sortira, quoiqu’on ne puisse en
être certain tout à fait : une forme de coopération
peut-elle prendre place ici, en Enfer ? Ou s’entretueront-ils
pour de bon, avec un couteau suisse et une bouteille ?
Observons ces deux objets qui luisent dans la
lumière des torches improvisées avec le papier bible. Observons les
regards des deux hommes. Reculons pour bien les situer à
l’intérieur du bunker. La lumière au tungstène semble avoir encore
baissé d’un cran, c’est le moment idéal pour une coupure au
noir.
Alors voici le processus à son comble, et bientôt
à son terme, voici le flux déterministe de leurs vies.
Voici ce qui ne pouvait faire aucun doute.
Des mouvements, des cris, des souffles forts et
rauques, des cavalcades, des coups, des bruits de métal, de verre
brisé, des chocs, des ombres qui passent devant l’objectif,
découpant en éclairs stroboscopiques la lumière violacée sur les
murs et les flammes qui consument deux torches confectionnées avec
le papier de la King James Bible.
Le feu, la nuit, deux hommes.
Un couteau.
Une bouteille.
Un livre.
Et la clé.
La clé qu’ils sont chacun l’un pour l’autre.
Des coups. Les souffles entremêlés. Les chocs. Les
cris.
Le cri.
Un long meuglement qui s’étrangle dans un étrange
gargouillis.
Puis le silence.
Ici, le silence est visible. Rien n’est invisible,
tout est donné à voir, même ce que l’on ne peut pas regarder.
Contemplez ce silence cubique, bétonné,
implacable, ce silence violet sur les murs, ce silence orangé au
bout des torches, ce silence qui coule sur le plancher de béton,
autour des silhouettes des deux hommes aux membres emmêlés,
immobilisés l’un sur l’autre.
C’est ici que j’ai placé le dernier fade-to-black. Enfin, le dernier contrôlable par
mon logiciel de montage. Le vrai dernier, l’ultime fondu au noir, c’est le bunker lui-même qui s’en
est chargé.
Cette coupure intervient juste au moment où vous
aperceviez un des deux corps se mouvoir un peu sans pouvoir deviner
duquel il s’agissait.
Vous le saurez bien assez vite, car vous verrez
que ce qui compte ici-bas, ce n’est pas du tout qui a tué l’autre.
Puisque les deux sont des assassins.
Ce qui compte, c’est savoir si ce meurtre a sauvé
la vie à cet homme, quel qu’il soit.
Alors maintenant, observons attentivement la
dernière scène :
Dans la pénombre où la luminosité du papier
enroulé en torche fait jaillir des ombres mouvantes sur les murs du
bunker, dans le clair-obscur de la lampe au tungstène vivant
probablement ses dernières minutes, nous pouvons voir Babrak
Maktatadi extraire sans ménagement un objet oblong d’une ouverture
de chair frémissante couverte de sang, celui du bas-ventre ouvert
de son acolyte, le « petit blanc », dont une main semble
crispée à jamais sur un morceau de bouteille fracassée. C’est donc
lui l’homme qui va disposer de la clé. C’est lui le vainqueur,
c’est lui qui aura eu raison de l’autre.
Mais n’a-t-il pas eu raison de
lui-même ?
Il est parvenu à se saisir du couteau, vous ne
saurez jamais comment, pour le planter dans la gorge de son
adversaire, il a poursuivi le mouvement jusqu’à la trachée-artère.
Celui-ci n’est plus vraiment conscient mais un réflexe le fait
réagir au moment où la lame farfouille dans son bas-ventre, son
corps est pris d’un tressaillement frénétique et son inspiration, à
cet instant, ressemble à un meuglement étouffé.
L’objet oblong. L’ouverture contenue dans leurs
opacités corporelles encloses dans le Souterrain aux Lumières.
C’est la porte de sortie, brother.
Oui, voilà, ouvre-le, approche ta torche de papier
afin de mieux voir, extrais la clé magnétique, de forme
parallélépipédique, dotée d’un bulbe-aimant à son extrémité. Voilà,
ne la perds surtout pas, elle est le seul objet qui permet à la
porte secrète de s’ouvrir.
Où est la porte ? Où est la serrure ?
Comment se servir de la clé ?
Toutes les réponses sont indiquées sur le plan,
bien sûr.
C’est cela, Babrak, sors-le du tube, il est
enroulé très strictement sur lui-même, déplie-le, allume vite une
autre torche afin de voir au mieux ce qui y est inscrit.
Un plan, très simple, du bunker. Mais sans la
moindre indication ni détail révélateur.
Un simple plan.
Et un texte :
– Bonjour, qui que vous soyez. Je suis le
Plan. Je ne suis pas ce qui nomme, je suis ce qui explique, je suis
ce qui dénombre.
– Le bunker est ce qui vous révèle à
vous-même. Si vous prenez la peine d’observer attentivement les
murs, vous découvrirez qu’ils sont recouverts d’un très fin
quadrillage implanté dans le béton même, formant des cases de dix
centimètres de côté. Ce grid, formé par
du câble coaxial de dernière génération, sert de moteur magnétique
à l’ensemble du fonctionnement du bunker. Dont son ouverture.
– La clé fonctionne très simplement :
une fois la « case » active repérée, il suffit
d’appliquer le bulbe au centre de celle-ci, le champ magnétique
déclenchera alors l’ouverture d’une porte d’un mètre vingt de haut
et de soixante centimètres de large, conduisant à un sas à
ouverture manuelle puis à une échelle menant à l’air libre.
– Chers amis, ou cher ami, je suis le Plan,
je suis ce qui explique, je ne suis pas ce qui nomme, je vous l’ai
dit.
– L’objet qui contient l’ensemble des données
permettant de reconnaître la case active parmi toutes les autres
est un livre codé très simplement par surlignage des mots et des
chiffres-clés, c’est un livre que vous avez côtoyé pendant des
jours, et voyez comme rien décidément ne peut nous surprendre, ce
sont ses dernières pages qui se consument entre vos mains.
– C’est un livre qui nomme. Toujours. Et il
n’y avait qu’un seul Livre qui puisse nommer les choses de cet
univers, même ici dans le bunker. Surtout ici.
– Il vous reste une chance, cependant,
cher(s) monsieur ou messieurs, quel que soit l’état de l’un ou de
l’autre : la surface intérieure du bunker et de son
grid n’est couverte que de cent
cinquante mille cases, plafond compris, où la serrure peut se
trouver tout autant qu’ailleurs. Votre camarade, si vous l’avez
tué, aurait pu vous aider à vous hisser à cette hauteur. Il vous
faudra espérer très fort qu’elle ne s’y trouve pas.
– Cent cinquante mille cases, il vous reste
en effet encore une chance. Sur cent cinquante mille. Certes, dans
le noir le plus total, c’est plus compliqué : très vite, on ne
sait plus du tout où l’on est, et l’on repasse plusieurs fois en
boucle sur le même endroit.
– Comprenez bien la démonstration que le Plan
vous offre, tout à fait gratuitement : le livre que vous
haïssiez tant aurait pu vous apporter les vraies lumières vous
permettant de revoir la radieuse clarté du jour. Vous avez préféré
le brûler pour la lueur de vos flambeaux dérisoires et vos feux de
cuisine.
– Ne perdez pas trop de temps, cent cinquante
mille cases si vous comptez bien, ce n’est jamais que cent
cinquante mille secondes mais c’est donc à peu près cinquante mille
respirations. Prenez bien votre souffle.
Voyez l’« homme » maintenant, l’homme
qui vient d’égorger, d’éventrer et de castrer son frère ennemi,
voyez l’homme glapir, frénétiquement, tandis qu’il passe en revue
toutes les cases possibles de la pièce, la clé magnétique tremblant
dans sa main, s’entrechoquant contre le mur, alors que la lumière
s’affaiblit avec constance, que seules des étincelles éphémères et
des flammèches se consument encore au bout de quelques morceaux de
la Bible carbonisée, dont le tortillon noirci qu’il tient entre ses
doigts, que la lampe au tungstène vire vers un violet très sombre,
que l’homme pleure, s’étouffe de rage et de désespoir, qu’il fait
plusieurs fois le tour de la pièce, pris d’une frénésie croissante,
agissant dans le plus grand désordre, puis, au moment même où la
dernière goutte de tungstène s’évapore, que les ultimes éclats du
papier enflammé s’éteignent, que l’obscurité la plus impénétrable
tombe sur le bunker et sur lui, son long hurlement d’animal blessé
se fait entendre, entrecoupé de sanglots d’enfant appelant une mère
invisible à laquelle il n’a jamais cru.
C’est un hurlement qui dure encore, croyez-moi. Il
durera toute l’éternité.
Il n’y a que nous ici. Mon Frère et moi.
Il n’y a que nous, les Fils de Pute.
Communiqué no 12
Tout cela n’est encore qu’un début, amis
connectés, amis lecteurs, amis flics, amis tueurs.
Amis humains.
Imaginez le rire de mon Frère dès qu’il apprendra
le sort que j’ai réservé à ses anciens « alliés ». Je
suis sûr, pour le moins, qu’il décidera de prolonger un peu son
temps de loisir.
Ce qui accroîtra d’autant mon temps de
travail, au sens étymologique, qui plus
est.
Et vos souffrances avec.
Nous sommes encore, pour ainsi dire, dans une
phase d’entraînement, je ne m’en prends qu’à des
« singularités », disons des « phénomènes »
humains incarnant les crimes de masse que mon Frère ne cesse
d’inspirer.
Ces deux hommes enfermés à jamais dans un endroit
qui ne sera découvert que dans quelques milliers d’années, par je
ne sais quels archéologues, s’il en subsiste, ces deux hommes ont
eu leur chance.
Certes, en cette matière mon Frère et moi
privilégions plutôt la rareté et le coût qui l’accompagne que les
grandes soldes avant liquidation générale dont nous sommes
coutumiers.
Néanmoins cette chance ils l’ont eue entre les
mains, si je puis dire, chaque fois qu’ils déchiraient une page
pour faire cuire un peu de leur poisson pourrissant, ou lorsqu’il a
fallu suppléer la lampe qui s’éteignait lentement par des torches
de papier enflammé.
Mais c’est cette Bible qui aurait pu les sauver,
cette Bible sur laquelle l’un d’entre eux avait craché, et que
l’autre avait effeuillée en premier, cette Bible, qui était comme
le point focal de leurs deux haines à la fois antinomiques et
isomorphes, oui c’est cette Bible qui contenait le langage qui
aurait pu les ramener au jour, c’est en détruisant cette Bible
qu’ils se sont condamnés à ne jamais pouvoir sortir.
Je suis le Diable, d’accord, je suis son petit
Frère, mais je peux faire ce que je veux des objets, dont je suis
le maître. Jamais je n’oserai, comme tant de ces « fils de
pute » pauvrement « humains », ouvrir le Saint Livre
qui sans doute me condamnerait à la non-existence pure et simple
dans l’instant, mais ce n’est pas le contenu de la Bible en soi qui
m’intéressait dans cette expérience, c’est le fait que ces hommes,
tout comme moi, n’ont vu en elle qu’un objet.
Ils ont parfaitement suivi les plans préétablis.
C’est pour cette raison qu’ils ont été punis.
Par eux-mêmes.
Maintenant il est temps de revenir à la pure
brutalité, je veux dire au fait brut, celui que nous affectionnons
tant, mon Frère et moi. Il existe en ce monde des
« humains » qui se prennent pour des prédateurs, et
agissent comme tels.
Ils sont des prédateurs, en effet.
Pour des gamines de douze ou seize ans
peut-être.
Ils sont parmi les proies de prédilection de mon
Frère.
Attendez-vous à une nouvelle disproportion.
Attendez-vous au pire.
Attendez-vous à la purification – du mot pyros, dans cette langue que nous vous avons fait
bannir de vos écoles.
Pyros. Celui qui
purifie, mort ou vif.
Attendez-vous au feu.