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Communiqué no 7
Somewhere inside Humanity
Somewhere inside Humanity
Comprenez-moi bien, je vous prie, braves gens qui
lisez mes communiqués sur le web, ou par extraits dans vos
quotidiens favoris. Tâchez de suivre le mouvement de ma
pensée : je suis votre frère humain, je suis simplement un peu
plus humain que vous ne pourrez jamais l’être. Je suis votre figure
révélée à elle-même. Si vous avez cru un instant que je ne
viendrais présenter la note qu’aux ordures de la politique, aux
révolutionnaires de pot de chambre et aux fanatiques du désert,
vous avez gravement mésestimé la force de la haine que je porte à
votre espèce. Cette haine est de ma seule responsabilité, elle est
le ciel de toutes vos rancunes obsessionnelles, toutes vos
pathétiques névroses, tout ce que vous êtes. Et pour tout dire, vu
que je suis, moi, l’adjoint de la haine, il faudra bien admettre
que mon nom est Mépris.
Détaillez, je vous prie, toute cette crasse
accumulée au fil des siècles, toutes ces rides de trahison, ces
escarres de fainéantise, ces marques de bassesse en furoncles
purulents, ce relâchement général accompagné d’un dessèchement
qui commence à faire craquer l’épiderme incrusté de lâcheté et
couvert de l’eczéma rutilant de la bêtise criminelle.
Ce n’est pas moi qui me présente ainsi, moi qui
suis l’éternelle et infernale jeunesse, je me contente de vous
tendre le miroir que vous m’avez acheté, j’espère sincèrement que
le résultat vous convient et que vous en avez pour votre argent,
qui n’est jamais que le mien que je vous prête au taux usuraire de
votre propre vie.
Il me semble que ce désolant spectacle que vous
offrez aux beautés du Cosmos, celui qui fut créé par la grandiose
lumière dont je suis une étincelle rebelle, et ennemie, doit être
quelque peu corrigé.
Comme le Diable dont on peut dire qu’il est mon
Grand Frère, je suis un esthète. Que l’humanité se noie dans ses
propres immondices, certes, nous l’espérons tous deux, mais nous
voudrions qu’il y ait au moins un chef opérateur à la hauteur pour
nous restituer le spectacle dans les règles de l’art. Le casting
aussi est essentiel.
C’est pour cela que je suis vraiment son Directeur
de Production.
Le gros 4 × 4 Hummer dont je me sers
maintenant pour me déplacer et apposer mon sceau infernal à chaque
endroit que je traverse est absolument non écologique, c’est bien
dommage, j’en suis fort peiné, en revanche c’est une formidable
ambulance, une ambulance de la mort cela va sans dire, mais tout y
est parfaitement rangé, stocké, classé. Largement supérieur à la
berline Chrysler 300 dont je me suis servi au début de mon
expédition. Le Diable aime les détails, on dit même qu’il y gît. La
mécanique est affaire de détails. Ce sont toujours les détails qui
tuent.
L’ensemble de mon petit laboratoire nomade y est à
sa place, je ne suis que le Prince adjoint de ce monde, mais
ici-bas, je suis le roi de la mécanique générale, je suis le maître
absolu de la technique, avec un rien je fais un tout, avec une
fleur je crée un poison, avec un stylo j’improvise une arme, avec
un arbre je monte une potence, avec une forêt je fabrique une fête
foraine, je veux dire : un camp d’extermination.
Ah, cette fois les hurlements que nous entendons,
quoique étouffés, sont un peu plus discernables que ceux de la
victime précédente, vous avez remarqué ? Je dois manquer de
concentration au moment de leur appliquer le bâillon. Et cette fois
ce sont des cris de femme, plus perçants. Elle vient probablement
de se réveiller, amis lecteurs, chers branchés du web, chers
prolétaires de la police et des médias aux ordres, et elle aussi
elle a peur, elle aussi elle fait face à l’inconnu.
Elle aussi, bientôt, va tout savoir de ce qui va
advenir inéluctablement, elle aussi elle va faire l’expérience de
la Terreur.
C’est une juge. Une juge qui a travaillé pour moi,
disons pour mon supérieur hiérarchique, pour mon Grand Frère.
Il attend de son adjoint qu’elle soit récompensée
à sa juste mesure.
Et pour cela, il a eu tout à fait raison de
compter sur moi.
Je suis le dieu des immolations innommables, je
suis l’idole qui absorbe toutes les âmes qui croient pouvoir se
servir d’elle, je suis plus implacable qu’un phénomène
physique.
Car je suis l’anti-physique absolue. C’est moi qui
commande secrètement en ce monde.
C’est moi qui ai pris possession de ces lieux, de
ces gens, de leur territoire et de leur existence.
J’avais d’excellentes raisons pour cela.
Ce sont ces raisons que la juge contemple, hébétée
par la Terreur qui court dans ses veines comme une crystal-meth que
j’aurais inventée ? D’ailleurs, je l’ai inventée.
Ces raisons elle les connaît, messieurs de la
police, messieurs des grands médias. Ces raisons elle les a
défendues, une armée contre une femme seule, qui en fut
complètement détruite. Mon Grand Frère s’en délecta, bien sûr, et à
vrai dire le sort de cette pauvre femme m’importe assez peu
finalement. Ce qui compte, encore une fois, ce sont les faits
bruts : le Diable aime les faits bruts car on ne peut rien
contre eux, on ne peut rien faire lorsqu’on est nu dans la neige,
les pieds et les mains attachés par du fil de fer barbelé.
Non, on ne peut rien faire, comme cette femme
seule n’avait rien pu faire contre tous ces gens, dont son mari qui
parvint à lui voler ses enfants et à la faire passer pour
folle.
Vous reconnaissez les lieux, j’en suis sûr,
messieurs les agents de la « force » publique.
Vous avez compris de quoi il s’agit. Vos
boîtes de rangement se sont mobilisées. Un peu plus vite que vos
boîtes crâniennes, comme d’habitude.
Oui, sauf que pour une fois textes et images sont
diffusés avec un différé de plus de vingt-quatre heures. Je suis
obligé de prendre quelques précautions, il m’arrive parfois d’avoir
besoin d’un délai supplémentaire, et je suis totalement en mesure
de vous le voler, en toute impunité.
Vingt-quatre heures, une pleine journée, c’est à
peu près le temps qu’il m’a fallu pour tuer une à une ces deux cent
quarante-six personnes, de tous les âges, de tous les sexes, de
toutes les origines. Au regard du siècle qui a tant épuisé mon
Supérieur, j’ai maintenu une moyenne horaire tout juste correcte,
même avec les enfants.
Je tiens à ce que cela soit dit : le Diable
est un démocrate, il est profondément attaché à l’égalité de tous
et de toutes devant la guillotine.
Communiqué no 8
Temple du créateur
suprême – vous voyez comme moi ce panneau dans
l’écran de ma caméra. À l’arrière-plan on aperçoit des arbres, de
la neige en vastes étendues étincelantes, un beau soleil, une vaste
maison de style néoclassique, datant du début du siècle dernier, et
d’autres bâtisses plus petites, moins jolies, plus modernes en un
mot, qui ont poussé tout autour. C’est une communauté.
Une communauté qui s’est inventé un Dieu.
Depuis que mon Frère a non seulement fait immoler
le Christ sur la Croix mais répété son geste durant tous ces
siècles écoulés, il s’est efforcé à chaque fois de venir combler le
manque ainsi créé par une croyance de son invention.
Et s’il est une qualité que nous possédons, Lui et
moi, c’est bien l’inventivité.
Pieds nus dans la neige ensanglantés par les
épines de fer incrustées dans la chair gelée.
Mains tordues par le métal et le froid.
L’épuisement, le désespoir, la solitude au milieu du nombre, au
milieu des siens.
C’est ce qu’a vécu la femme que cette secte a pu
littéralement détruire en s’alliant avec mon Grand Frère qui se
prélasse sur sa plage. Alors maintenant, c’est l’heure du petit
frangin, celui qui vient relever les compteurs, celui qui vient
encaisser le cash, celui qui vient livrer la marchandise
promise.
Vous croyez encore qu’il est impossible à un homme
seul de venir à bout de plus de deux cents personnes, dont une
bonne moitié d’adultes mâles, j’en suis sûr. C’est que vous manquez
de données historiques, et que vous avez oublié un peu vite qui je
suis vraiment.
La peur est solitude. La Terreur est masse. La
peur se communique. La Terreur est communication.
Gaz anesthésiants et innervants, grenades
incendiaires, avec ma combinaison noire de Spetsnaz et mon masque à
gaz je pénètre de force dans les bâtiments, le fusil à lunette M-40
en bandoulière inverse dans le dos, le Kalachnikov dernier modèle
bien en main, le laissant apparaître dans toute sa terrible, et
létale, perfection, il ne faut pas hésiter : quelques meurtres
préliminaires avant le réveil matinal ont permis d’établir la mise
en scène inhérente à toute terreur, qui est spectacle, regardez ces quelques pendus qui se
balancent dans les arbres et que les hommes et les femmes de cette
communauté ont découverts à leur réveil avant que mes gaz de combat
aient raison de la plupart d’entre eux en l’espace de quelques
minutes. Ensuite c’est extrêmement simple : destruction de
toute relation avec l’extérieur, application stricte de la violence
la plus abjecte, exécutions sommaires en guise de petit déjeuner
juste pour donner l’exemple, avec quelques bébés balancés au fond
d’un puits pour faire bonne mesure et très vite, la foule massive
n’est plus qu’un fluide visqueux prêt à se couler dans tous les
moules. Elle n’est plus solide, elle a changé d’état, elle se plie
aux lois de la gravité, elle prend la forme des ustensiles dans
lesquels on la jette, elle ressemble enfin à ce qu’elle est.
Tout le monde à genoux à poil dans la neige pour
commencer, toute exécution un peu trop lente de l’ordre est
immédiatement sanctionnée d’une balle dans la tête.
Puis, un à un, une à une, on autorise les
matricules à se relever. Et notre amie la juge entre alors en
scène.
Les pieds nus dans la neige, le fil de fer
barbelé, les mains dans le dos, la nudité totale, ne sont que des
préliminaires, vous devez quand même le savoir, dans la police
canadienne.
Vous avez vu au moins un épisode d’Holocauste, non ?
Évidemment, l’idée c’est que ces préliminaires
durent infiniment plus longtemps que la mise à mort
elle-même.
De tout cela il faut que la juge soit le témoin
vivant privilégié. Mais surtout, il faut que l’expérience reste
gravée en elle à jamais. Et pour cela, être un simple témoin ne
suffit pas. Être une victime en tant que telle non plus
d’ailleurs.
Le Diable, parlons de nous comme d’une seule
entité « familiale », possède des ressources souvent
insoupçonnées.
L’expérience totalement ineffable et donc
inoubliable c’est celle de l’horreur au
carré.
C’est celle où on est simultanément victime et
bourreau.
Puisque cette juge a capitulé devant les
absurdités d’une législation écrite pour des imbéciles heureux et
des pédophiles sado-anaux et qu’elle s’est par conséquent courbée
devant les oukases d’une secte d’illuminés comme l’époque que nous
avons forgée en fournit tant, elle doit dès lors se joindre à mes
côtés. L’expérience restera imprimée à jamais dans sa mémoire.
Dans son corps.
C’est elle qui a dû entraver les pieds et les
mains de toutes ces « personnes » qui n’en sont déjà
plus.
Elle va maintenant devoir tuer plusieurs dizaines
d’entre elles, et je ne lui ferai aucun cadeau quant aux éventuels
vieillards, enfants, bébés, si jamais il en survit aux heures
d’hypothermie préliminaires.
Sinon, elle sait ce qui l’attend. À elle aussi
j’ai fait lire une liste.
Peut-être certains de mes amis lecteurs ignorent
tout de cette affaire. Vous permettrez, messieurs les baronnets de
notre Monde, que je profite de ce temps
non réel que je vous ai dérobé, pour leur expliquer en quelques
mots de quoi il s’agit. Non pas que je tienne à une quelconque
précision anecdotique, mais il se pourrait bien que, grâce à cela,
j’enfonce un coin solide dans la charpente de leurs certitudes et
que le doute grandisse au point qu’ils soient tentés, eux aussi, un
jour, de prendre part à l’intérim. C’est pour ainsi dire un des
buts essentiels de ma mission, je dois susciter des
vocations.
Les gens croient souvent que pour faire un bon
tueur, c’est-à-dire un homme cruel mais totalement froid, il faut
une sorte de roc inflexible dès sa conception. C’est une grave
erreur. Nous connaissons bien, mon Frère et moi, la vraie recette
pour fabriquer un authentique tueur, car c’est ainsi que j’ai été
conçu :
Prenez un enfant innocent et répétez-lui que le
monde est beau et les gens sont sympas.
Répétez-lui jusqu’à plus soif, jusqu’à ce qu’il en
soit intimement convaincu.
Puis placez ce jeune poète en herbe au pied de la
Croix où mon Frère a poussé (si peu) l’homme à supplicier le
Christ.
Laissez-le assister au spectacle jusqu’au bout,
avec les crachats et les insultes de la foule.
Puis donnez-lui une fourchette.
Voilà ce que je suis, un petit garçon avec une
fourchette. Je suis ce que vous avez fait. Ce que vous avez défait.
Puis refait à nouveau. Je suis le petit garçon avec une fourchette,
une fourchette enfoncée dans l’œil d’un professeur de passage, d’un
camarade de classe, d’une petite amie, ou, en plusieurs étapes, de
la classe en son entier, puis de toute une foule.
On peut tuer toute une foule avec une seule
fourchette, car la foule n’est jamais que l’agrégat des peurs et
des lâchetés de chacun de ses atomes.
Mais sous le Règne de mon Frère, il faut dire que
la foule conserve toutes ses chances, et que le petit garçon à la
fourchette risque fort de se retrouver, d’une manière ou d’une
autre, cloué à son tour à une croix. Heureusement, mon Frère est
celui qui ne tue que les innocents.
Le Règne de mon Frère représenta la souveraineté
absolue des médiocrités pas même nulles sur toute âme susceptible
de briller ne serait-ce qu’un instant dans sa propre
singularité.
C’est pourquoi mon Frère distribue la liberté à
tout-va, gratuitement, afin qu’elle n’ait plus aucune valeur, c’est
pourquoi il fait construire tant d’églises pour des dieux de
supermarché, c’est pourquoi il fait croire à la foule qu’elle est
la voix de la vérité.
Ainsi les pauvres hippies lobotomisés du Temple du
Créateur Suprême, et son gourou, un abruti de Californien venu
s’exiler en Colombie-Britannique d’où il a conçu son business
religieux fort lucratif : en 1999, après six années de mariage
et trois enfants, dont un né en France, un couple mixte
franco-québécois fut attiré dans les filets de ces microcéphales de
la transcendance. La mère, française, sentit assez vite le piège et
tenta de faire machine arrière. Grâce au père, québécois, fervent
adepte du « prophète cosmique », le Temple put réagir
comme il se devait. Il parvint à séparer la mère de son mari
et de ses enfants, un divorce fut prononcé, puis grâce à mon Frère
et à son aide inestimable on put franchir allégrement un degré
supérieur : on s’efforça de la faire interner en hôpital
psychiatrique, à cause de son insistance répétée à avoir des
nouvelles de ses enfants, restés avec leur père à l’intérieur de la
secte, et d’un épisode de jeunesse qui avait mal tourné. Grâce à
madame la juge, la secte eut raison sur tous les points et obtint
qu’elle soit déchue de ses droits parentaux. Elle fut internée
plusieurs semaines, expulsée en France, et la presse québécoise se
déchaîna avec une telle férocité à son encontre que cela fait
partie des raisons qui m’ont poussé à carboniser tous les sièges
sociaux des crapuleries écrites de la ville de Montréal. Et puis,
je me suis offert un petit extra. Parmi ceux que j’ai forcé à se
dénuder dans la neige avant de les orner de fil de fer barbelé
comme des sapins de Noël industriels, il y a le journaliste Laurent
Tumbleton. C’est lui qui, tout au long de l’affaire, a
systématiquement sali la réputation de la mère et invoqué la
« liberté religieuse » contre le « fanatisme et
l’inculture ».
C’est pour cela que lui, en plus de le dénuder, je
lui ai coupé la langue avec ce qui se fait de mieux en matière
d’instruments chirurgicaux, avant de la lui recoudre en travers de
la bouche. Il pourra hurler, éventuellement, mais cela ressemblera
aux jappements qu’il m’a fait endurer chaque fois que je tombais
sur sa chronique.
Mon Frère et moi préférons mille fois un
tortionnaire accompli à l’une de ces petites blattes qui tuent par
procuration, grâce à des mots imprimés sur du papier
recyclable.
Car nous sommes encore plus humains que vous tous
réunis : nous ce sont nos mots qui tuent, directement.
Vous en avez la preuve sous les yeux. Observez
bien l’impact des balles de .223 Remington dans le corps des hommes
et des femmes nus dans la neige. Contemplez la parfaite adéquation
du rouge sanguin avec la blancheur immaculée du paysage. Vous ne
pourrez pas dire que nous ne faisons aucun effort sur le plan de
l’esthétique. Peut-être pourrions-nous espérer quelque subvention
d’un ministère de l’Inculture dont nous avons aidé à la
conception ? Un Festival de trash-porn ragga furieusement
anticapitaliste ?
Plutôt une « recomposition symbolique du
corps social et de son environnement écosystémique naturel »,
cela pourrait avoir une chance, ils font de la sociologie,
maintenant, grâce à nous, les prébendiers de la Culture
démocratique.
Avouez que nous savons faire de nos serviles
agents des performances d’art moderne qui dépassent tout ce qu’il
est possible d’imaginer même à New York, Paris ou en Californie,
les actionnistes des années soixante-dix sont très largement
dépassés ! La mort de tous ces gens « innocents » a
quand même plus de gueule qu’un vulgaire carambolage en autocar sur
la route des vacances, je suis sûr qu’au fond d’eux-mêmes ils nous
en sont reconnaissants, même si désormais leurs membres sont
entièrement bleuis par le froid et si tous les enfants en bas âge
sont morts.
J’avais suivi attentivement les détails de
l’affaire à l’époque, jusqu’au suicide, à Marseille, de la mère,
alors que mon Grand Frère secret observait les membres du Temple
fêter leur victoire judiciaire, et la juge se faire sauter par un
assistant du procureur, dans un motel près de Québec.
Mon Frère n’oublie jamais rien. La juge et les
« Créativistes » l’avaient servi à la perfection.
Ils seraient donc servis en retour avec la plus
grande des sollicitudes.
Et cette sollicitude c’est moi.
C’est moi les pieds nus dans la neige déchirés par
le fer barbelé, c’est moi qui tends le fusil à lunette à madame la
juge alors que je maintiens le canon d’un gros Desert Eagle chambré
en .44 magnum contre son front.
C’est moi qui lui souris. Je viens à nouveau de
lui détacher les mains, puisque c’est avec sa participation active
que j’ai entravé toutes ces chevilles et tous ces poignets avec les
rouleaux de barbelé que j’ai extirpés du Hummer. Lorsque je l’ai
dûment rattachée, après que toutes les cibles humaines furent bien
mises en place dans le champ de neige, je lui ai montré, sous forme
de tests à balles réelles sur les mannequins humains plantés dans
le fer et la glace, comment fonctionnait la culasse, très simple,
du M-40.
Ses pieds aussi sont cernés par la couronne de fer
des camps de concentration. Elle aussi elle est nue. Elle est
victime-et-bourreau. Elle pourra, elle devra faire feu, mais avec un fusil à simple
répétition, et elle ne pourra certes pas s’enfuir. Je lui ai bien
fait comprendre que je ne tolérerais aucune erreur de tir, disons
une, et une seule, c’est mon sens infini de la compassion, car le
Diable sait pertinemment que seul l’Infini est l’Un, même s’il s’en
contrefout royalement, au demeurant.
J’ai commencé la chasse pour qu’elle comprenne
jusqu’au moindre détail de quoi il s’agit.
On peut à peine marcher les pieds nus dans la
neige, maintenus par le fer barbelé. On peut encore plus
difficilement courir.
Pourtant, il le faut bien, quand claquent les
premiers coups de feu, et que s’affaissent les premiers corps
autour de soi.
Il faut courir, ou plus exactement essayer, il faut hurler de douleur alors que le fer
s’enfonce dans vos chairs et qu’autour de vous régulièrement tombe
un proche, un ami, un parent.
Il ne fallait pas faire mumuse avec mon Frère, je
dis à la juge alors qu’elle empoigne le fusil en tremblant. Elle
semble ne pas comprendre.
Dès qu’elle en aura abattu un, ou une, elle
commencera à se douter de qui je voulais parler.