— J’ai toujours su que tu me conduirais jusqu’à
l’argent, Harry.
La tête vide, elle leva les yeux. Dillon se tenait
devant elle, un pistolet à la main.
— Dommage que tu ne m’aies pas tout raconté,
reprit-il d’une voix douce. J’attendais, mais tu ne voulais rien me
dire.
Quand elle essaya de s’asseoir, un élancement
douloureux lui traversa les épaules, et elle retomba sur le
sol.
— On aurait pu former une équipe, tu sais,
ajouta-t-il. Chercher le magot tous les deux…
Il était habillé tout en noir, comme lors de leur
première rencontre, et sur ses lèvres flottait son petit sourire
habituel.
— Je ne comprends pas, murmura-t-elle.
— Je crois que si, répliqua-t-il en la
visant.
Comme hypnotisée, Harry contempla le pistolet.
Elle n’en avait encore jamais vu en vrai.
La situation lui paraissait complètement irréelle.
C’était Dillon, bon sang ! Son béguin d’adolescente. Son
patron. Son amant… Soudain, elle aperçut ses bagages près de lui
– le gros sac de son père et la valise noire de la Rosenstock.
Celle-ci était ouverte, révélant les billets violets à
l’intérieur.
Dillon, qui avait suivi la direction de son
regard, recula d’un pas, se baissa et en retira trois épaisses
liasses. Il les porta à ses
narines comme pour en renifler l’odeur puis les remit en place et
referma le couvercle.
— Tu aurais dû transférer l’argent, comme je te
l’avais demandé. Ça nous aurait épargné bien des soucis…
De toutes ses forces, il expédia un coup de pied
dans le sac de voyage. Harry tressaillit. Dillon s’acharna sur le
bagage, dont la toile se déchira au niveau des coutures, libérant
une partie de son contenu : la robe de soie crème, la mallette
de poker…
Le blond alla ramasser la robe, qu’il approcha de
son visage. Un instant plus tard, il imitait Dillon et assenait à
Harry un terrible coup de pied dans le ventre. Elle hurla de
douleur et se roula en boule. Ils allaient vraiment la tuer,
comprit-elle en un éclair. Elle se recroquevilla un peu plus sur
elle-même dans l’attente d’une nouvelle attaque, mais Dillon s’en
prit cette fois à la mallette, qu’il envoya valdinguer quelques
mètres plus loin. Malgré son désespoir, Harry serra les poings.
Elle n’allait pas se laisser faire sans résister.
— Le Prophète travaillait bien chez JX Warner,
non ? lança-t-elle. Alors, c’était toi ?
Quand le blond voulut la frapper encore une fois,
Dillon l’arrêta d’un geste.
— Oui, ma belle. J’étais au sommet de la pyramide.
J’ai dirigé leur service de sécurité des systèmes pendant deux ans.
J’avais accès à plus d’informations confidentielles que tous les
banquiers du groupe.
Il sourit en s’essuyant le front avec sa manche.
Derrière lui, à travers le brouillard, Harry distingua le drapeau
triangulaire rouge qui marquait l’entrée du labyrinthe. Il n’était
qu’à une dizaine de mètres d’elle mais il aurait pu tout aussi bien
se trouver à des kilomètres.
— C’est Leon Ritch qui m’a soufflé l’idée, reprit
Dillon, même s’il ne s’en est jamais douté. Il s’est fait virer de
chez JX Warner pour avoir effectué des transactions douteuses.
J’avais moi-même rassemblé toutes les preuves contre lui,
d’ailleurs, en récupérant ses e-mails et des tas de documents
compromettants. Après son départ, j’ai gardé un œil sur lui. J’avais besoin d’un
collaborateur à la moralité élastique.
— Et mon père, alors ? Quand l’as-tu
recruté ?
Discrètement, Harry examina les haies autour
d’elle. Elles faisaient bien trois mètres de haut et semblaient
plus infranchissables que des murs de béton.
— Là encore, c’est Leon qui m’a suggéré de passer
à la vitesse supérieure, répondit Dillon. En diversifiant nos
sources, on augmentait les possibilités de profits. On a d’abord
convaincu Ashford, ensuite Spencer et enfin ton père.
— Et Jude Tiernan ?
— Monsieur Propre ? Non, aucune chance. Il
nous aurait tous dénoncés.
Stupéfaite, Harry repensa à Jude Tiernan en train
de scruter la foule à l’aéroport. Donc, il était venu pour l’aider,
pas pour la tuer…
Dillon s’interposa soudain entre elle et l’entrée
du labyrinthe. Si elle avait pu courir, elle n’aurait eu d’autre
solution que de s’enfoncer dans les profondeurs du dédale.
Il se baissait, la main tendue comme pour lui
caresser le visage, lorsqu’il parut se raviser.
— Imagine ce que j’ai ressenti en découvrant
qu’une des sources de Leon n’était autre que le père de la petite
Pirata… murmura-t-il.
— Si tu m’as engagée chez Lúbra Security, c’était
uniquement pour pouvoir mettre la main sur l’argent ?
— Au début, oui. Je me disais que si j’arrivais à
te faire suffisamment peur, tu tenterais de convaincre ton père de
lâcher ses millions.
— Oh, ça, pour m’avoir fait peur… J’ai bien failli
mourir écrasée par ces trains !
Elle jeta un coup d’œil par-dessus son épaule.
Derrière elle, le sentier étroit partait dans trois directions.
L’une d’elles devait bien mener à la sortie, mais
laquelle ?
— Cameron s’est montré un peu trop zélé, cette
fois-là, admit Dillon. A propos, je ne crois pas t’avoir
présenté mon frère ?
Harry tourna
la tête vers l’homme au teint pâle et aux épaules tombantes, qui
regardait Dillon comme un chien attendant les ordres de son maître.
Et soudain, toutes les pièces du puzzle s’assemblèrent. Dillon lui
avait confié qu’il avait été adopté. Ainsi, c’était le jeune frère
délaissé qui avait fait de la prison…
Un frisson la secoua.
— Et quelles instructions lui avais-tu données le
jour où il nous a attaqués devant Arbour Hill ? Il devait me
tuer, c’est ça ?
Dillon s’écarta d’elle.
— Bah, toutes nos tentatives pour te faire peur
avaient échoué. Sal s’accrochait toujours à ses millions.
Franchement, quel genre de père faut-il être pour refuser d’aider
sa propre fille ?
Harry aurait voulu défendre son père mais c’était
au-dessus de ses forces. Submergée par un sentiment d’impuissance,
elle posa sa joue par terre. Presque malgré elle, son esprit
cherchait désespérément un moyen de sortir du dédale. Des mots se
bousculaient dans sa tête : labyrinthe classique et règle de
la main gauche ; Minotaure, monstre amateur de chair humaine,
mi-homme, mi-taureau…
— Je devais envoyer un avertissement à Sal, pour
lui forcer la main…
Dillon, qui lui tournait toujours le dos, se
voûta.
— J’ai voulu lui montrer que j’étais capable de
détruire une personne chère à son cœur, ajouta-t-il.
— Sauf que ça ne s’est pas passé comme prévu,
répliqua Harry. C’est lui qui a fini à l’hôpital, pas moi.
Durant quelques instants, Dillon garda le silence.
Quand il reprit la parole, ce fut d’une voix plus
douce :
— Et je m’en suis réjoui.
Il considéra le pistolet dans sa main avant de le
pointer sur elle. Harry se crispa. Non ! Fais-le encore
parler. Demande-lui quelque chose. N’importe quoi.
— Et Leon Ritch ? Tu comptes lui verser sa
part ?
— Il n’est
plus en état de la réclamer. Il a fait une grosse erreur quand il a
lancé ce privé sur ma piste.
De la tête, il indiqua son frère.
— Cameron s’est occupé de lui.
— Il… il l’a tué ?
— Bah, Leon n’était qu’un minable, qui faisait un
coupable tout désigné en cas de problème. Je me suis assuré qu’il
laissait derrière lui suffisamment de traces pour qu’on puisse
l’incriminer.
Harry repensa à l’adresse de Leon Ritch
enregistrée dans son propre dossier à la Sheridan ; au relevé
qu’il avait reçu chez lui ; à Quinney, le détective qu’il
avait engagé pour la filer.
— Alors c’est toi qui as trafiqué mon compte…
murmura-t-elle.
Il sourit.
— Pour le coup, je me suis bien amusé. Surtout
quand tu m’as promis de me donner l’argent et que je l’ai fait
disparaître.
Elle eut alors une révélation : Dillon
l’avait piégée en la chargeant d’effectuer le test de pénétration
au sein de la Sheridan. Il savait qu’elle y avait un compte ;
forcément, c’était lui qui payait son salaire. Et il savait aussi
qu’elle avait pour habitude de laisser une carte de visite après
son passage dans les systèmes dont elle forçait l’accès, sous la
forme d’un petit programme capable de déverrouiller une porte
dérobée au besoin. Il avait dû s’en servir pour s’introduire dans
son compte et en modifier les données.
Alors qu’il se rapprochait d’elle, lui pointant le
canon de son arme au milieu du front, Harry remarqua autour de ses
yeux de petites rides auxquelles elle n’avait jamais prêté
attention jusque-là. Le cœur serré, elle se remémora le jeune homme
de vingt et un ans qui lui avait fait de grands discours sur la
quête de la vérité.
— Qu’est-ce qui s’est passé ? demanda-t-elle.
Ça ne t’a pas suffi de t’enrichir grâce à la bulle
Internet ?
Une grimace déforma les traits de Dillon, dont le
regard se perdit dans le vague.
— La bulle
Internet, hein ? Tu parles d’une connerie… Quand j’étais
gosse, j’étais toujours le meilleur. Le premier. J’étais plus doué
que les autres. J’aurais dû avoir une carrière fulgurante, j’avais
tout pour devenir un génie de l’informatique payé à prix d’or.
Alors, pourquoi est-ce qu’il a fallu que je sois le grand
perdant ? Tu comprends ça, toi, Harry ?
— Alors, l’histoire de la bulle Internet n’était
qu’une façade…
— Exact. Tout comme Lúbra Security, d’ailleurs.
Oh, bien sûr, au départ, c’était une société tout ce qu’il y a de
plus légal. Mais tu peux me dire comment j’aurais pu faire des
bénéfices après l’éclatement de cette foutue bulle Internet ?
J’ai failli déposer le bilan l’année dernière… C’est à ce moment-là
que je me suis souvenu de l’opération Sorohan et de tout ce fric
dont Sal m’avait privé. J’y avais droit, il fallait que je le
récupère.
En croisant le regard de Harry, il esquissa un
léger sourire qui adoucit son expression. Quand il lui glissa ses
doigts sous le menton pour l’obliger à lever la tête, elle frémit
de dégoût au souvenir de la nuit qu’ils avaient passée
ensemble.
— Il n’est pas trop tard pour nous deux, Harry,
chuchota-t-il, les yeux brillant d’une lueur enfiévrée. N’est-ce
pas ?
Souris, s’ordonna-t-elle. Fais semblant. Elle
ouvrit la bouche pour répondre, mais son hésitation dut la trahir
car il lui repoussa violemment la tête.
— Ne t’avise jamais de me mentir !
gronda-t-il.
Il s’approcha de Cameron puis, tenant son arme à
deux mains, il visa Harry.
— Mets-la debout.
— Mais t’avais dit que je pourrais m’amuser avec
elle, protesta son frère.
— Pas tout de suite. Enlève-lui les
menottes.
Lorsque Cameron la prit par les aisselles pour la
soulever, Harry eut du mal à assurer son équilibre tant elle se
sentait faible. Malgré le sang qui battait à ses tempes, il lui sembla soudain percevoir un
vrombissement lointain. Enfin, Cameron lui ôta les bracelets
métalliques, et elle put enfin ramener ses bras devant elle.
— Merci, dit-elle en se frottant les
poignets.
— Je ne l’ai pas fait pour toi, rétorqua Dillon,
le regard glacial. C’est juste que la présence de menottes sur les
lieux d’un accident pourrait paraître bizarre.
— Contrairement à celle d’un cadavre arrosé
d’essence ? rétorqua-t-elle.
Elle coula un regard furtif en direction du
sentier derrière elle. Sans doute pourrait-elle atteindre
l’intersection en quelques enjambées seulement. Mais combien de
temps faudrait-il à Dillon pour appuyer sur la détente ?
— Aucune importance, répondit-il avec un
haussement d’épaules. De toute façon, personne ne pensera à venir
te chercher ici.
Le vrombissement, qui semblait provenir du ciel,
s’intensifiait peu à peu. Harry leva les yeux mais elle ne
distingua rien à travers le brouillard.
— Les accidents, c’est la spécialité de Cameron,
reprit Dillon. Depuis qu’il a poussé maman dans l’escalier. Je l’ai
trouvé assis sur une marche, complètement shooté. Comme il était
incapable de réagir, j’ai dû l’aider à tout mettre en scène.
Depuis, il me rembourse sa dette. Pas vrai, Cameron ?
Sans un mot, celui-ci plaqua le bidon d’essence
contre sa poitrine. Au même moment, un brusque coup de vent secoua
la végétation et souleva des nuages de poussière.
Un hélicoptère venait de surgir de la brume juste
au-dessus d’eux. Harry fut plaquée à terre par les rafales tandis
que les conifères autour d’elle ployaient. Dillon jura en levant un
bras pour se protéger le visage. Un instant plus tard, il braquait
de nouveau l’arme sur le visage de Harry. L’appareil piqua alors
vers eux ; une corde pendait d’un côté, et en reconnaissant la
silhouette de Jude Tiernan dans le poste de pilotage, Harry sentit
l’espoir renaître.
Elle le vit
arracher son casque et lui crier quelque chose, mais le vacarme des
pales noya ses paroles. Puis, tout en indiquant la corde, il
inclina l’hélicoptère.
Harry lança un coup d’œil en direction de Dillon.
Il la menaçait toujours de son arme. Sans doute n’hésiterait-il pas
à l’abattre avant qu’elle n’ait pu faire un pas vers son
salut…
Soudain, il se détourna pour ouvrir le feu sur
l’hélicoptère. Ses balles percèrent le cockpit, qui pencha vers le
sol. Dillon tira de nouveau. L’appareil tangua, libérant par
l’arrière des traînées de fumée noire. Enfin, il vira sur la gauche
et survola le labyrinthe, effleurant la cime des conifères.
Lorsque Dillon brandit encore une fois son arme,
Harry n’attendit pas qu’il ait atteint sa cible. Elle courut
jusqu’à l’intersection et s’engagea sur le chemin de gauche. Le
crépitement des balles résonna derrière elle, et soudain la turbine
de l’hélicoptère s’étouffa. L’appareil partit sur le côté tandis
que ses pales décapitaient le sommet des haies. Bientôt, elles
s’empêtrèrent dans la végétation et se brisèrent, projetant des
éclats de métal vers le ciel. Dans un fracas de tôles froissées,
l’hélicoptère s’écrasa au milieu du labyrinthe.
Durant quelques secondes, un silence irréel
s’abattit sur les lieux. Harry continua d’avancer malgré sa
panique. Quelques secondes plus tard, une explosion se produisit,
aussitôt suivie par le grondement caractéristique des flammes. Mon
Dieu ! Si Jude était mort, ce serait à cause d’elle…
Alors qu’elle progressait à l’aveuglette, Harry
heurta de plein fouet un mur végétal. Bon sang, encore un
croisement ! Quelle direction devait-elle prendre ?
Rappelle-toi, applique la règle de la main gauche… Le bruit d’une
course précipitée résonna derrière elle, l’incitant à réagir. Elle
plaça sa paume sur la haie à sa gauche et s’élança. Le chemin
devenait de plus en plus étroit, lui sembla-t-il, au point que les
conifères de chaque côté se rejoignaient presque. Elle accéléra
encore l’allure, tournant toujours à gauche, enfilant les tunnels de verdure les uns
après les autres jusqu’à en avoir le vertige.
Enfin, le sentier s’élargit, lui révélant une
ouverture signalée par un drapeau bleu. Elle s’y précipita, avant
de s’arrêter net.
Elle se trouvait à la lisière d’une vaste étendue
circulaire dégagée. Jude gisait un peu plus loin, immobile, éclairé
par son hélicoptère en feu. Des traces de sang souillaient l’herbe
jusqu’à l’endroit où il s’était traîné. A côté de l’appareil
se dressait une immense statue qui représentait un guerrier noir
aux épaules larges, armé d’une épée. Son cou épais était surmonté
d’une tête de taureau.
Harry le reconnut aussitôt. C’était le Minotaure
dont lui avait parlé Dillon.
— C’est fini, Harry. Laisse tomber.
Dillon venait d’émerger d’une ouverture sur sa
droite. Il tenait toujours son arme. Cameron le suivait de près, le
bidon d’essence dans une main, la poignée de la valise noire dans
l’autre. Pour s’éloigner d’eux, Harry dut passer près du corps de
Jude. Sans hésiter, Cameron se dirigea vers elle.
La chaleur des flammes affola Harry. Elle n’était
qu’à quelques mètres de l’hélicoptère en feu et ses vêtements
imprégnés d’essence risquaient de s’embraser… Elle recula jusqu’au
moment où elle sentit dans son dos la surface fraîche du piédestal
de la statue. Cameron avançait toujours. Lorsqu’il fut tout près
d’elle, il écarta la valise et entreprit de déboucher le bidon
d’essence.
— Cameron !
La voix de Dillon avait claqué comme un coup de
fouet.
— Attention à l’argent ! Lance-moi d’abord la
valise.
Mais son frère ne parut pas l’entendre. Le regard
animé par une lueur de folie, il sortit un briquet de sa
poche.
— Cameron ! répéta Dillon en braquant son
arme sur lui. Ecoute-moi !
Son frère alluma le briquet avant de l’approcher
du visage de Harry, qui se réfugia sur le côté du piédestal. Elle vit Jude remuer, tenter de se
mettre à genoux. Sa chemise était trempée de sang et son bras
gauche pendait le long de son flanc.
— Ne bougez pas ou je tire ! le menaça
Dillon.
Aussitôt, Jude se figea. Cameron lui jeta un
rapide coup d’œil. Au même instant, Harry plongea vers la valise,
qu’elle ramena vers elle.
Cameron, qui apparemment n’avait rien remarqué,
souleva son bidon pour l’asperger d’essence, inondant aussi la
valise. Puis il ralluma le briquet.
Un coup de feu déchira l’air. Harry sursauta, le
souffle coupé. Elle entendit Jude hurler. Cameron parut
surpris.
— Tu sais, Harry, la mort de maman était
réellement accidentelle, lança Dillon. En fait, mon frère n’y était
pour rien.
Les sourcils froncés, Cameron oscilla.
— Je lui ai fait croire qu’il l’avait tuée,
poursuivit Dillon. Ça n’a pas été difficile : il était
tellement défoncé qu’il ne se souvenait plus de rien.
Le regard de Cameron survola Harry pour se fixer
sur un point derrière elle. Un léger tressaillement agitait sa
paupière gauche.
— Après, j’aurais pu lui demander n’importe quoi,
conclut Dillon.
Brusquement, Cameron s’effondra sur Harry qui,
sous le choc, lâcha la valise. Il l’entraîna dans sa chute et
s’affala sur elle. Rassemblant ses forces, elle parvint à se
dégager. Le blond gisait près d’elle, à plat ventre dans l’herbe.
Avec horreur, elle vit une tache de sang s’élargir dans son
dos.
— Donne-moi l’argent, Harry, on sera
quittes.
Elle inclina la tête. Le piédestal l’empêchait de
voir Dillon. Elle jeta un coup d’œil à la valise puis au bidon
d’essence que Cameron n’avait pas lâché.
— Harry ?
A sa voix, elle se rendit compte qu’il se
rapprochait. Sans perdre une seconde, elle récupéra le bidon,
ouvrit la valise et versa l’essence sur les billets. Il lui sembla
que le liquide mettait une
éternité à s’écouler. Enfin, elle rabattit le couvercle du bagage.
Quand elle leva les yeux, ce fut pour découvrir le canon du
pistolet de Dillon pointé sur elle.
— Donne-moi l’argent, répéta-t-il.
La sueur ruisselait sur son visage. Son regard se
porta vers le corps de son frère, pour se détourner aussitôt. Juste
derrière lui, des gerbes d’étincelles jaillissaient de
l’hélicoptère embrasé.
Harry se mit debout et agrippa à deux mains la
poignée de la valise, qui lui parut encore plus lourde. Du coin de
l’œil, elle vit Jude l’observer d’un air interloqué. Elle reporta
son attention sur Dillon, livide.
— T’es bien emmerdé, hein ? s’écria-t-elle.
D’habitude, ce sont les autres qui font le sale boulot à ta
place !
— DONNE-MOI CETTE PUTAIN DE VALISE !
Au lieu de quoi, elle rassembla ses forces pour la
lancer vers l’appareil en feu.
Sur le coup, Dillon ne réagit pas. Puis, poussant
un hurlement de rage, il se précipita dans les flammes. Aussitôt,
Harry se tourna vers Tiernan.
— Courez ! lui cria-t-elle.
Il se redressa tant bien que mal en serrant contre
lui son bras gauche inerte. Harry le rejoignit, et tous deux
plongèrent vers l’ouverture la plus proche tandis qu’un grondement
assourdissant s’élevait derrière eux. Ils roulaient sur le sol de
l’autre côté de la haie quand le grondement monta encore en
puissance, jusqu’à culminer en une déflagration qui secoua les
conifères autour d’eux. Une boule de feu illumina le labyrinthe
tandis que des branches s’enflammaient un peu partout. Galvanisée
par la pensée de ses vêtements trempés d’essence, Harry se releva
et aida Jude à se mettre debout. La main gauche plaquée sur la
haie, elle l’entraîna à sa suite en titubant sur le sentier baigné
par les lueurs orange de l’incendie. Elle ne laissa retomber sa
main qu’en voyant le sac de son père et le drapeau rouge qui
marquait l’entrée du labyrinthe.