CHAPITRE XIII











Jans boucla son sac sur le dos et tira la boussole de sa poche. Il chercha l’est, tendit la main dans cette direction, et soupira :

— En route. Nous avons pas mal de chemin à parcourir.

Ils avaient décidé, à l’unanimité, de rejoindre Kassel, bien qu’il en coûtât à Jans d’abandonner une créature aussi intéressante qu’Hooa. Mais des impératifs de sécurité exigeaient qu’ils s’éloignassent de la falaise, cet antre des Ksiss où ils avaient bien failli périr.

Ils avaient retrouvé, à l’extérieur, leurs bagages et leur matériel. Ils s’enfoncèrent donc dans le désert, sous l’implacable soleil, regrettant la fraîcheur relative, mais appréciable, de l’océan.

Edward songeait aux derniers événements. Il marchait, le front soucieux. Divers problèmes le préoccupaient. Plus que l’existence des Ksiss ou des Fargs, celle des Zonds lui apparaissait nettement plus importante. Comment atteindre ces créatures civilisées qui vivaient sur les six autres continents de la planète Borh ?

Jans, Helen et Klin passèrent plusieurs nuits dans le désert. Ils absorbèrent l’eau des cactus, cette même eau, cette même substance que les Fargs extrayaient pour alimenter les Ksiss. Puis, un matin, ils arrivèrent en vue de l’amas rocheux, constituant l’abri de Kassel.

Ils s’étonnèrent que personne n’accourût vers eux. Ils pressentirent le pire. Mac, John Phil, Clara Leen… Auraient-ils subi le sort de Torn ?

Le premier, Klin arriva en courant à la grotte. Il pénétra dans la caverne et aperçut Charles Torn, toujours allongé sur sa couchette. L’avocat semblait endormi. Il avait même tout l’air d’un mort et il restait parfaitement immobile. On surprenait difficilement sa respiration, extrêmement ralentie. Quant à son pouls, il battait à moins de trente pulsations à la minute.

— Eh bien ? dit Edward, rejoignant le jeune comédien new-yorkais.

— Personne, expliqua Philip. Ou plutôt, si : Torn, tout seul.

Le regard d’Helen tomba sur un papier, exposé bien en évidence sur l’un des lits de camp, vide. Son auteur avait eu la précaution de le maintenir avec un caillou, pour que le vent ne l’emportât pas.

— Attendez…, fit l’étudiante en dépliant la note. C’est signé de Kassel. Devant notre absence prolongée, ils ont décidé de partir à notre recherche, en suivant la route que nous avions tracée. Ils se sont donc enfoncés vers l’ouest.

— Nous ne les avons pas rencontrés, constata amèrement Klin.

— Bah ! Le désert est vaste. Même avec une boussole, nos routes respectives ont divergé. C’est ennuyeux. Nous nous sommes manqués, dit Jans. Ils atteindront probablement l’océan. Pourvu qu’ils ne deviennent pas à leur tour la proie des Ksiss !

Helen dissipa cette inquiétude :

— Hooa saura différencier Kassel, Phil et Clara avec les Zonds. Il n’ordonnera pas aux Fargs d’attaquer nos amis.

Philip hocha la tête. Il ne paraissait pas convaincu de la bonne volonté d’Hooa. Il désigna Torn.

— Pourquoi celui qui gouverne les Ksiss n’a-t-il rien fait pour notre malheureux compagnon ?

— Ça viendra, assura l’étudiante, encourageante. Les Fargs ne sont pas venus encore jusqu’ici. Or, vous savez qu’eux seuls…

Le médecin lisait le papier écrit par Kassel. Un post-scriptum expliquait que John Phil s’était rendu auprès d’Hokness, comme l’avait demandé Jans, et qu’il avait trouvé l’industriel dans le même état léthargique. Il vivait toujours « au ralenti ».

Vers le soir, la première, Helen ressentit une grande fatigue. Ses jambes ne la soutenaient plus. Elle s’allongea, inquiète. Ses symptômes lui rappelaient ceux qu’elle avait connus dans la grotte des Ksiss.

Son inquiétude empira lorsque Jans et Klin éprouvèrent aussi la même impression. Une lassitude intense, comme si, d’un seul coup, leurs corps se chargeaient de kilos de plomb.

Edward diagnostiqua très vite ces symptômes. Il crut devoir ne pas cacher la situation à ses compagnons. Sa voix s’enroua.

— Notre amélioration n’a été que passagère. Nous retombons dans l’état léthargique que nous connaissons. Cela, très rapidement. Je ne m’explique pas pourquoi Hooa nous a fourni cette rémission. Sans doute désirait-il notre retour ici.

— Sans Kassel, qu’allons-nous devenir ? gémit Klin. Etes-vous sûr, docteur, que… que les substance inoculées par les Fargs agissent à nouveau ? Ne s’agit-il pas d’une autre maladie ? Nous avons peiné pour traverser le désert. Une fatigue momentanée…

— Ne nous illusionnons pas. Hooa défend son continent. Mais il n’avait rien à redouter de nous. Je n’ai pas eu le temps de le convaincre. Peut-être aurais-je gagné sa confiance. Mais tant d’autres questions se pressaient à mes lèvres lors de notre conversation télépathique !

Le plus morne découragement envahit nos amis. Helen pleura. La récidive était encore plus terrible que le début insidieux de la maladie. Lentement, tous trois sombrèrent dans le sommeil de l’inconscience totale, le néant.



*

* *



A’Nko appuya sur la touche du magnétophone qui enregistrait scrupuleusement les conversations des Terriens. Il écouta une seconde fois, attentivement, les propos tenus par Jans, Klin et Helen Cadwcll, à leur sortie de la falaise. Il disséqua littéralement les paroles.

Quand il eut terminé, il arrêta le magnéto et hocha la tête. La surprise burinait ses traits.

— Un embryon de civilisation, dont nous ignorions jusqu’à aujourd’hui l’existence s’est développé sur le septième continent. Les témoignages des humains sont précieux, probants. Ils parlent des Ksiss, des Fargs, d’Hooa. Bien entendu, il nous faudrait des précisions.

C’Lha, qui connaissait bien son collègue, sourit.

— Vous avez sûrement une idée.

— Oui. Jans constitue un excellent sujet et, d’après ce qu’il a raconté à ses compagnons, il serait entré en contact avec un Ksiss Des trois humains, c’est probablement lui le plus qualifié pour nous fournir les renseignements qui nous manquent.

— Vous comptez l’interroger ?

A’Nko dissimula sa satisfaction. C’était une créature qui n’extériorisait pas ses sentiments.

— L’interroger ? Non. Je n’ai pas envie, pour le moment, d’entrer en contact avec lui. Mais nous possédons des appareils pour fouiller la pensée.

— Je vois, dit C’Lha. Les initiatives ne vous font pas défaut. Vous ignorez pourtant que nous avons cessé les impulsions électriques et que Jans, Klin et Helen Cadwell sont retombés dans un état léthargique.

— Je sais. Cela n’empêche rien. Je vais profiter de l’absence de Kassel et des autres.

Un coup d’œil à un écran montra Kassel, Phil et Clara en bordure de l’océan. A tout moment, lorsqu’ils le souhaitaient, les Zonds pouvaient contacter les humains, soit visuellement, soit phonétiquement.

A’Nko prépara un véhicule volant et, quelques heures plus tard, il se posait à proximité de l’amas rocheux, sous lequel dormaient Jans et ses amis. C’Lha l’accompagnait. Tous deux, équipés de combinaisons protectrices, quittèrent le véhicule et entrèrent dans la grotte centrale.

Ni Edward, ni Klin, ni Helen ne remuèrent et ne s’aperçurent de la présence des Zonds. Ils étaient figés sur leurs couchettes, à côté de Torn. Quatre cadavres n’auraient pas présenté un autre aspect.

— Nous n’avons même pas besoin d’utiliser notre rayonnement hynotique, dit A’Nko.

Ils s’emparèrent de Jans et le transportèrent jusqu’à leur engin. Puis ils regagnèrent le troisième continent, où ils avaient leurs laboratoires. Avec précaution, ils se débarrassèrent de leurs combinaisons qu’ils passèrent dans un stérilisateur.

Ils installèrent Edward sur un siège, le coiffèrent d’un casque à électrodes, et sondèrent sa pensée. Ils durent stimuler le cerveau du médecin pour obtenir les renseignements exigés. Tous les détails enregistrés dans la mémoire de Jans défilèrent sur des cartes perforées que des ordinateurs électroniques transposèrent ensuite en langage compréhensible.

Pendant plusieurs jours, les Zonds explorèrent ainsi le cerveau du docteur, sans que celui-ci ne s’en rendît compte, toujours sous l’effet des substances inoculées par les Fargs.

— Heureusement, constata C’Lha, que le « fading » produit par l’écho des voûtes situées sous la falaise n’a pas persisté. Quand les humains sont revenus à l’air libre, l’écoute, et la vision, sont redevenues normales. Nous avons pu, ainsi, apprendre l’existence des Ksiss, des Fargs.

— C’est passionnant, dit A’Nko, dépouillant les cartes perforées. Jans est entré en contact télépathique avec Hooa, grand maître des Ksiss. Or, Hooa veut nous interdire l’accès du septième continent.

— Comment lutterons-nous contre lui ? s’inquiéta C’Lha. Les Fargs constituent des adversaires dangereux, plus que les Ksiss.

— J’ai une vague idée, avoua A’Nko, mystérieux. Nous mettrons au point notre plan. De plus en plus, le moment où nous prendrons possession du septième continent approche.

Il désigna Edward, allongé sur une couchette surmontée d’un casque à électrodes.

— Ramenons-le auprès de ses compagnons.

— Hum ! fit C’Lha. Pendant que Jans était ici, Kassel, Phil et Clara Leen ont regagné l’intérieur du désert. Ils se sont aperçus de la disparition de leur camarade.

— Bah ! Qu’importe. Il nous a fallu plusieurs jours pour capter, trier, dépouiller, ce que la mémoire de Jans contenait d’intéressant. Nous en savons maintenant autant que lui sur la civilisation des Ksiss et des Fargs. Jamais, Kassel et les autres, n’imagineront la vérité. Car, eux, ils ignorent encore tout des hôtes étranges du septième continent.