CHAPITRE XII











A’Nko s’attarda vainement devant l’écran qui montrait la falaise et l’entrée des grottes. L’image le déçut amèrement.

— Voilà plusieurs jours que Jans, Klin et Helen Cadwell ont pénétré dans ces excavations. Pourquoi ne ressortent-ils pas ?

Un important « fading » brouillait les ondes sonores. Du haut-parleur s’échappaient des sons informes, incompréhensibles. A peine quelques mots cohérents se détachaient-ils de la rumeur.

— Les hertziennes sont perturbées, constata C’Lha. Un profond écho répercute les voix et explique ce trouble.

— Oui, approuva A’Nko. C’est la faute des cavernes rocheuses, doublement. D’abord, elles amplifient les sons, jusqu’à les déformer, les rendre inaudibles. Ensuite, elles forment écran aux ondes lumineuses des images télévisées. Nous ne pouvons pénétrer, visuellement, sous la falaise, à la suite des Terriens. En fait, ceux-ci échappent momentanément à notre contrôle.

— Partiellement, rectifia C’Lha. Regardez. Les électrodes logées dans le corps des humains et alimentées par des micro-piles, poursuivent leur mission d’informations.

Le Zond à lunettes et au crâne chauve observa des graphiques. Mais, brusquement, il fronça les sourcils.

— C’Lha ! cria-t-il. Vous avez remarqué ? Les électrodes fournissent des renseignements pessimistes. Cœur, poumons, toutes les grandes activités de l’organisme se réduisent. Comme…

Il s’interrompit, mais son collègue enchaîna :

— Comme si les humains étaient atteints par la maladie.

— Oui, dit sombrement A’Nko. Torn, Hokness… Regardez leurs graphiques. Ceux de Jans, de Klin et d’Helen Cadwell se modifient sans cesse et s’acheminent vers une même uniformité. J’ai peur que tous les Terriens ne succombent à la sclérose.

— Nous sommes impuissants, constata C’Lha.

Nous enregistrons les faits. Nous ne les améliorons pas. Inévitablement, les graphiques de Jans, de Klin et d’Helen Cadwell ressembleront à ceux de Torn et d’Hokness.

— Un état léthargique, qui exclut tout besoin de nourriture. Une vie « suspendue »… soliloqua A’Nko.

Soudain, il redressa le buste. Une étrange lueur fulgura dans ses prunelles. Sa voix haleta légèrement :

— Nous pouvons peut-être quelque chose. C’est une expérience à laquelle je pense depuis longtemps, depuis qu’Hokness, le premier, a été frappé par la maladie.

— Vous m’étonnez, fit C’Lha. Les chances des humains s’amenuisent et notre entrée sur le septième continent est compromise.

A’Nko s’obstina :

— Jans, Klin, les autres… Nous les avons dotés d’électrodes afin qu’elles nous renseignent sur leur état physique. Or, une électrode peut encaisser des impulsions électriques.

— Je vois. Vous voulez envoyer des stimulations aux divers organismes des Terriens.

— Oui. Avec prudence, progressivement. Les risques encourus ne sont pas pires que la maladie. Essayons-nous ?

— Comme vous voudrez, acquiesça C’Lha que l’initiative de son collègue n’emballait pas outre mesure. Cela exigera quelques modifications sur les appareils et l’adjonction d’un stimulateur. Dans une heure, tout sera prêt.

— Eh bien ! préparez le matériel. Nous commencerons par une stimulation très réduite, puis nous augmenterons la dose, progressivement, jusqu’à obtention d’un résultat.

— Si nous ne réussissons pas ?

— Vous êtes pessimiste, C’Lha. Nous avons la chance incroyable d’avoir des sujets porteurs d’électrodes internes. Devant la carence des autres méthodes, notre devoir consiste au moins à essayer celle-là.

Les deux Zonds s’affairèrent. Puis, lorsque tout fut mis au point, ils commencèrent leur tentative.



*

* *



Jans dormait lorsqu’il ressentit, au niveau du plexus solaire, une chaleur étrange. Sur le moment, il crut qu’Hooa renouait le contact télépathique avec lui. Mais il se ravisa très vite. Non, le Ksiss n’adhérait pas à sa peau. Il passa vainement sa main sur sa poitrine et ne rencontra pas le contact rugueux de la créature.

Dans les ténèbres toujours présentes, il regarda vers les alvéoles. Les Ksiss dormaient et ne bougeaient pas. Klin et Helen, aussi, sommeillaient, terrassés par la maladie.

Cette chaleur, au creux de l’estomac, se renouvela au bout de quelques minutes. Il ne la définit pas et n’expliqua pas son origine. C’était une sensation inconnue, qui, la fois suivante, s’irradia vers l’abdomen, le cerveau. Puis elle gagna les membres.

Edward s’étonna, s’inquiéta. Etait-ce un symptôme d’aggravation de la maladie ? Hooa aurait pu certainement le renseigner.

Il bougea un bras, une jambe, avec plus de facilité. Il éprouva des picotements sur tout le corps, mais il ne les attribua pas aux piqûres des Fargs. Mieux, il se dressa complètement et se remit debout. Cette prouesse le plongea dans la stupéfaction. Il y a quelques minutes encore, il se trouvait paralysé, du moins dans un état asthénique si intense que tout mouvement lui était interdit.

Il constata que Klin et Helen Cadwell remuaient à leur tour. Dans le noir, la main de Jans rencontra celle de Philip.

— Docteur, je…

— Taisez-vous, souffla le médecin. N’alertons pas les Ksiss.

— Bah ! Ils voient la nuit. Nous ne pouvons pas nous cacher.

— D’accord, mais ils dorment. Profitons de leur sommeil pour quitter cette grotte.

Il chuchota à l’oreille d’Helen :

— Ça va ?

— Oui. Je me sens capable de marcher.

C’était inespéré, inexplicable, peut-être passager. Les trois Américains se glissèrent vers la sortie. Dès qu’ils eurent franchi quelques mètres, plusieurs Ksiss voletèrent autour d’eux.

— Ils veillaient ! grommela Klin, expédiant des coups de poing dans le vide pour chasser les créatures volantes.

Il frappa un Ksiss et celui-ci, durement atteint, tomba sur le sol dans un grand fracas d’ailes. Dépourvu d’organe vocal, l’animal phosphorescent ne poussa pas un cri.

Ce succès encouragea les fugitifs. Leurs poings repoussèrent les oiseaux. Plusieurs Ksiss gisaient à terre, mais d’autres arrivaient. Les Fargs, non plus, ne tarderaient pas à entrer en action.

Jans désigna la lumière du jour qui dessinait un rond de clarté devant lui.

— Encore quelques mètres, et les Ksiss ne nous poursuivront plus.

Effectivement, les créatures des ténèbres renoncèrent à s’interposer devant les Terriens. La lumière était leur pire ennemi et elles refluèrent vers le fond de la caverne, dans leur antre. Hooa avait dû donner des ordres, télépathiquement, car les Fargs n’intervinrent pas.

Edward, Klin et Helen clignèrent vivement des paupières en retrouvant l’éblouissant soleil extérieur. Ils s’accoutumèrent très vite à ce retour à la clarté. Ils respirèrent profondément un air chaud, brûlant.

Hâtivement, ils s’éloignèrent de la falaise. Sur la plage, Philip se baigna dans l’océan. Helen s’y hasarda à son tour, mais Jans se contenta d’une brève toilette. Les hommes avaient une barbe de plusieurs jours.

— Vous y comprenez quelque chose, docteur ? demanda Klin. Sincèrement, j’ai cru que nous ne ressortirions pas vivants de ces cavernes.

— Moi aussi, opina Jans. Je n’attribue pas notre guérison à un miracle. Je suspecte Hooa.

— Hooa ? répéta Helen, dubitative.

— Oui, il m’a expliqué que, seuls, les Fargs possédaient les antidotes aux diverses substances qu’ils inoculent. Qui d’autres que les Fargs auraient pu neutraliser leur propre action ?

— En effet…, dit Klin, hochant la tête. Mais pourquoi suspectez-vous Hooa ?

— C’est lui qui gouverne, dirige les Fargs. C’est lui qui avait ordonné aux hémiptères de nous inoculer la maladie. C’est lui encore, probablement, qui a invité les Fargs à neutraliser notre état léthargique.

— Pourquoi aurait-il fait ça ?

— Parce qu’il a compris que nous n’étions pas un danger pour les Ksiss, mais les victimes des Zonds. Hooa aurait encore bien des choses à nous apprendre.

Helen devina le désir du médecin et s’y opposa catégoriquement.

— Non, docteur, non ! s’écria-t-elle. Nous ne retournerons pas chez les Ksiss, même si le désir vous tenaille. Klin m’approuvera.

— Totalement ! acquiesça le comédien. J’espère qu’Hooa aura aussi la bonne idée de demander à ses amis, les Fargs, la guérison de Torn et d’Hokness.

Un grand espoir anima les Terriens. Ils croyaient le cauchemar terminé et ils ignoraient qu’Hooa n’était pour rien dans l’amélioration de leur état. En fait, ils devaient cette pseudo-guérison aux stimulations électriques que les Zonds leur expédiaient régulièrement par le truchement des électrodes logées dans leurs organes.

A’Nko, comme C’Lha, savaient qu’ils n’avaient pas encore triomphé de la maladie, et que cette rémission n’était que passagère et s’achèverait avec la fin des stimulations. Pouvaient-ils, indéfiniment, stimuler électriquement un organisme ?

C’était un pis aller. La déception ne tarderait pas à accabler Jans et ses compagnons. Elle serait même terrible.