CHAPITRE VI
Sur les trois écrans de contrôle, les Zonds observèrent les humains avec une certaine déception. Ils ne s’attendaient pas à une victoire immédiate, spectaculaire, à l’aplanissement définitif des difficultés.
Non, ils avaient amené les humains sur leur planète dans des circonstances bien précises, pour l’établissement de tests bien déterminés, qui conditionnaient toute l’existence future des Zonds.
Ils attachaient beaucoup d’importance à toutes les initiatives de Jans et de ses compagnons. Ils suivaient pas à pas leur adaptation sur un continent jugé inhabitable.
— Ils ont échoué, se lamentait C’Lha.
A’Nko refusait la défaite. C’était un obstiné. Il travaillait avec passion à l’opération actuellement en cours. Cela lui avait demandé des mois d’études, une mise au point minutieuse. Il avait appris un langage terrestre en s’immisçant dans la vie même des Hommes. Il était presque devenu un habitant de la Terre, si voisine par ses caractéristiques. Anatomiquement, rien ne différenciait un Zond d’un Terrien.
— Ne nous décourageons pas, dit A’Nko, utilisant la langue américaine qu’il parlait à la perfection, et que C’Lha aussi parlait. La maladie a frappé Hokness. Nous n’y pouvons rien. Elle a frappé également dans nos rangs. Je crois en l’initiative de Jans.
— A ces différences extrêmes de température ?
— Oui, il existe peut-être une possibilité de lutte, du moins une amorce de solution. Les résultats sont encourageants et méritent qu’on s’y attache. Bien entendu, il faudrait perfectionner les méthodes. L’ancienne médecine combattait les inflammations par les rafraîchissements. C’était le principe des contraires.
— N’empêche, constata C’Lha durement, Hokness est plongé dans un état cataleptique, dont aucun remède, aucune intervention chirurgicale ne peut le tirer. La preuve de cet échec, vous la voyez sous vos yeux, sur les écrans. Jans a abandonné la partie.
Il désignait les images reflétées par les verres biconvexes, retransmises par le satellite-relais. Trois hommes marchaient dans le désert et ils portaient tout un équipement sur leur dos. Cela signifiait qu’ils avaient entrepris une large exploration de leur domaine.
— Ils me cherchent, murmura A’Nko. Pourtant, je ne peux pas me montrer devant eux. J’afficherais mon impuissance. Je ne pourrais pas guérir Hokness.
— Vous croyez qu’en s’associant au second groupe les chances de Jans s’accroîtront ?
A’Nko hésita. Il ne savait pas. Il avait composé deux groupes justement pour multiplier les chances. De toute manière, l’irréversible situation aiguillait les événements vers leur destin. Rien ne s’y opposerait.
— Espérons que l’association sera salutaire.
— Que vont-ils penser en découvrant la seconde colonie ?
— Bah ! Ils seront d’abord étonnés. Puis ils mettront leurs forces en commun. Je les connais. Ils n’abdiqueront jamais. Psychiquement, ils ont retrouvé leur équilibre. Ils nous donneront d’autres preuves que le septième continent est habitable.
— Hum ! doute C’Lha. Habitable… C’est un bien grand mot. La maladie règne. Tant que nous ne l’aurons pas vaincue d’une façon absolue, définitive…
— Le septième continent est vivable, insista A’Nko, contrairement à ce que les spécialistes de la survie estimaient. Vivable climatologiquement. Nous fabriquerons du chaud ou du froid à volonté.
— Vous ne trouverez guère de Zonds qui voudront vous accompagner sur le septième continent. Une campagne a informé l’opinion publique et lui a ôté ses illusions. Les détracteurs foisonnent et trouvent facilement des arguments. Le septième continent représente l’Enfer. Jamais un Zond ne s’y hasardera. Ou alors, il faudra une révolution, ou quelque chose dans ce genre. Une loi de déportation, avec tous les risques que cela comporte.
— Nos ennuis ne prendront pas fin avec l’arrivée des Terriens, soupira A’Nko. Je n’espérais pas un miracle spontané, immédiat. A longue échéance, j’aurai peut-être raison.
Les deux Zonds eurent une recrudescence d’attention. Les écrans monopolisèrent leurs regards. Il s’y passait une scène étrange, nouvelle, inévitable.
*
* *
— Docteur ! Docteur ! hurla Klin, les traits défigurés sous le burnous protecteur. Venez vite !
Jans suspecta un malheur et il gravit rapidement la dune. Il était malaisé de courir dans le sable, un sable moins rougeâtre, à mesure que l’on s enfonçait vers l’ouest.
Il arriva, haletant, auprès du jeune comédien dont les yeux brillaient.
— Eh bien ?
Klin tendit les jumelles au médecin, et désigna un coin de l’horizon. Il tremblait. Ressentirait-il les premiers symptômes de la maladie ?
Jans porta les jumelles à hauteur de ses prunelles rougies par le soleil et la transpiration. Il poussa une exclamation, au bout de quelques secondes.
— Est-ce possible ? balbutia-t-il.
— Un homme, haleta Philip. Du moins une créature qui s’en approche.
Tous deux, avec Helen, quittèrent les sacs qu’ils portaient sur le dos et ils se précipitèrent. Leur cœur battait fortement dans leur poitrine. Leur langue sèche collait à leur palais. Mais ils ignoraient la chaleur implacable, brûlante, qui les assommait.
Ils arrivèrent auprès du corps allongé sur le sable. C’était un homme, comme eux, vêtu de guenilles qui, jadis, avaient été un pantalon et une chemise. Un chapeau de paille gisait à ses côtés.
Jans s’accroupit. Il souleva la tête de l’inconnu et celui-ci n’ouvrit pas les yeux. Il émit un gémissement, une plainte. Ses lèvres étaient enflées.
— Il est exténué, dit Edward. Passez-moi votre gourde, Klin.
Le médecin versa quelques gouttes d’eau sur les lèvres desséchées du malheureux. Cette eau provenait des cactus, et opéra le miracle. L’homme entrouvrit ses paupières. Il aperçut Jans, Klin, Helen. Puis la gourde. Alors, il trembla spasmodiquement, arracha la gourde des mains d’Edward et but avec avidité.
— Doucement, dit Jans. Buvez avec modération.
Il dut retirer d’autorité la gourde des mains crispées de l’inconnu. Enfin, celui-ci se trouva mieux. Il soupira.
— Merci, murmura-t-il d’une voix faible, dans la langue anglo-saxonne.
— Vous êtes américain ?
— Oui, de Los Angeles… Et vous ?
— Docteur Edward Jans, de New York. Comment vous trouvez-vous ici ?
— Oh ! C’est une longue histoire. Une espèce d’annonce dans un journal de Californie. Un attrape-nigaud. J’y ai cru. Cela m’a embarqué dans une aventure extraordinaire. Je ne sais pas si je suis mort, ou si je suis encore en vie.
Klin précisa, traquant la vérité :
— Vous avez eu affaire à un homme chauve, à lunettes, avec une barbe grise ? Vous avez subi un électro-encéphalogramme ?
— Oui…, balbutia l’inconnu, stupéfait. Comment le savez-vous ?
— Nous sommes embarqués dans la même aventure que vous.
— Je m’appelle John Phil. J’étais commerçant à Los Angeles. Un job intéressant, qui rapportait. J’ai eu des ennuis avec le fisc, et, pour comble de malheur, ma femme m’a plaqué. Alors j’en ai eu marre. J’ai voulu en terminer avec la vie.
Un candidat au suicide, un de plus. Savait-il, ou doutait-il qu’il se trouvait hors de la Terre ? Se croyait-il au Nevada, au Kalahari, ou au Sahara ? Nul doute, Phil avait répondu à une annonce analogue à celle du Sun. Mais cela s’était produit à des milliers de kilomètres de New York, dans une autre région également prospectée par les mystérieux annonceurs.
— Que faites-vous, en plein désert ? demanda Jans. Vous êtes seul ?
— Non, Torn m’accompagnait. Charles Torn, un avocat, mais le pauvre…
Phil s’interrompit. Il but encore une gorgée d’eau. Il paraissait insensible à la chaleur, à la fournaise. Pourtant, le sable brûlait comme un brasier et aucun nuage ne voilait le soleil.
— Torn, poursuivit-il, j’ai dû l’abandonner, malade. Il ne pouvait plus se traîner.
— Il tremblait… il avait des picotements sur tout le corps ? haleta Edward qui devinait le drame.
— Oui, c’est ça. Il m’a dit de continuer sans lui. J’obéissais au docteur Kassel. C’est Kassel qui nous a ordonné d’explorer le désert. Seulement, nos gourdes s’épuisèrent très vite.
— Torn, Kassel… Où sont-ils ?
John Phil tendit la main vers l’ouest.
— Torn…, je l’ai laissé à quelques heures de marche. Kassel, lui, se trouve beaucoup plus loin.
Il tira une boussole de sa poche. Ses lèvres, déjà moins tuméfiées, s’ouvrirent dans un rictus.
— Avec ça, je retrouverai mon chemin. Sans vous, j’étais fichu. Je n’avais plus une goutte d’eau. Je ne croyais pas qu’il faisait aussi chaud dans cette saloperie de pays. Vous connaissez le nom de ce désert ?
— Non, dit Klin, avalant sa salive, et cachant la vérité. Il faut s’en sortir.
— Ramenez le matériel, les sacs, ordonna Jans. Je vais donner quelques pastilles de sel à Phil, car il a dû se déshydrater.
Klin et Helen repartirent sur leurs pas. Quand ils revinrent, le soleil déclinait et la température fraîchissait rapidement.
Ils dressèrent la tente et mangèrent des provisions en boîte. A l’aide d’une seringue, ils sondèrent les cactus et retirèrent de l’eau pour la journée du lendemain. Phil observait avec un certain intérêt toute cette organisation. Torn et lui étaient partis avec seulement des duvets et quelques provisions de bouche.
Tandis que ses compagnons dormaient, au chaud dans leur sac de couchage, Jans évoquait les conséquences de leur rencontre avec John Phil. Il s’interrogea anxieusement. Combien d’hommes, ou de femmes, étaient-ils déportés sur cet effroyable continent ?