CHAPITRE IX











— Augmentez la luminosité, C’Lha, ordonna A’Nko, face à un écran qui occupait une large portion du mur.

C’Lha obéit et, aussitôt, l’intensité lumineuse amena une amélioration très nette de la visibilité. Une image en couleurs montrait les organes internes d’un animalcule. L’image, couplée à un microscope électronique, était naturellement très grossie.

On distinguait nettement un système digestif, constitué par plusieurs poches successives, et même un embryon de système circulatoire. Des vaisseaux, remplis de liquide opaque, irriguaient les divers organes. Enfin, de nombreux sacs membraneux existaient le long d’un cortex vertébral et intriguaient les Zonds.

— Curieux, dit A’Nko. Je n’explique pas très bien l’utilité de ces poches. On dirait des glandes.

Il tendit la main vers le mur et montra du doigt le trajet suivi par un canal extrêmement fin qui aboutissait à la trompe abdominale.

— Logiquement, conclut-il, les sécrétions de ces glandes devraient se déverser dans ce canal. Il faudra extraire le contenu d’un de ces sacs membraneux et l’analyser.

C’Lha éteignit l’écran. Il quitta le siège du microscope électronique et rejoignit son collègue. En quelques minutes, les deux Zonds en avaient appris davantage qu’en plusieurs années de recherches.

— Sans Jans…, évoqua A’Nko, pensif, nous n’aurions jamais pensé à ces hémiptères. N’avais-je pas raison en faisant confiance aux humains ?

Son confrère modéra son optimisme.

— Ne vous réjouissez pas trop vite. Rien ne prouve que ces insectes soient les propagateurs de la maladie.

— Nous l’expérimenterons. Si les résultats confirment mes espérances, nous aurons progressé d’un grand pas, et le septième continent sera à notre portée.

Comme les Zonds enregistraient toutes les conversations des Terriens, ils avaient naturellement capté le double événement qui s’était produit chez les humains. D’abord, la guérison de Kassel. Ensuite, la découverte de Jans.

Aussitôt, A’Nko avait décidé qu’il était indispensable d’examiner ces insectes avec des moyens plus puissants qu’un microscope ordinaire. La nuit dernière, à l’aide d’un véhicule volant, il s’était posé à proximité de la grotte où dormaient les Terriens. Il avait même accru ce sommeil naturel de façon à pouvoir agir librement, en toute sécurité. Par précaution, il avait revêtu une combinaison protectrice que, ensuite, il avait stérilisée, au cas où ces hémiptères y adhéreraient.

C’Lha hocha la tête.

— Jans cherche vainement ses insectes. Vous lui avez ôté ses possibilités.

— Comment ça ?

— Peut-être aurait-il pu approfondir le problème, cerner la difficulté, en tout cas enrichir ses connaissances. •

— Non, assura A’Nko. Il manque de moyens techniques. Il nous a ouvert une voie d’étude. C’est ce que nous lui demandions. Si nous réussissons, nous lui en saurons gré.

Les Zonds poussèrent plus loin leurs investigations biologiques. A l’aide de microscalpels, ils disséquèrent littéralement les hémiptères, agents probables de la maladie. Ils étudièrent séparément tous leurs organes. Malheureusement, il s’agissait d’animalcules morts et les renseignements n’atteignaient pas des précisions comparables à celles offertes par des animaux vivants.

Ils prélevèrent néanmoins, à l’aide de sondes minuscules, au niveau des glandes échelonnées le long du cortex vertébral, une certaine quantité d’un liquide extrêmement fluide, ambré, semblable à du sérum. Puis ils injectèrent cette substance à des cobayes qui ressemblaient aux souris terrestres.

Ils attendirent plusieurs jours avec anxiété, espoir. Mais ils se rendirent vite à l’évidence. La sclérose n’atteignait pas les cobayes qui restaient en parfaite santé. Les souris étaient-elles réfractaires à la maladie ?

Le découragement envahit C’Lha.

— Nous avons échoué. Cela traduit notre impuissance. Je ne pense pas que Jans puisse mieux faire que nous.

— En aucune façon il ne convient de renoncer, assura A’Nko qui, contrairement à son collègue, gardait confiance. J’en suis certain, nous approchons du but. Des difficultés subsistent. Nous les vaincrons. L’analyse chimique du liquide glandulaire nous fournira peut-être des renseignements intéressants.

Ils se mirent au travail avec acharnement. Ils découvrirent plusieurs substances inconnues. Au moins une dizaine. Ils les essayèrent séparément sur les cobayes, sans plus de résultat. Alors, progressivement, ils sombrèrent dans le pessimisme.

Pourtant, la voie de la réussite s’ouvrait devant eux, incontestablement. Un nouvel examen d’un hémiptère, sur écran grossissant, leur confirma que les glandes échelonnées au long du cortex vertébral déversaient leur contenu dans un canal unique qui aboutissait à la trompe abdominale.

— Voilà l’origine de la maladie, soliloquait A’Nko. Mais nous ne parvenons pas à expliquer le processus de la sclérose.

Les deux Zonds se replongèrent dans des calculs complexes. Ils serraient de près, de très près, le problème. Quelque chose leur échappait encore.



*

* *



L’enquête, que Jans conduisit avec dextérité, se solda au moins par une certitude : ni Kassel, ni Klin. ni Phil, ni Helen et Clara n’avaient subtilisé l’éponge et la bassine contenant des cadavres d’hémiptères. Tous s’en défendirent avec énergie.

D’ailleurs, cette action n’aurait recueilli aucune explication valable. Tous, sans exception, avaient intérêt à ce que Jans poursuivît ses investigations sur la maladie. L’idée d’un vol ou d’une mauvaise plaisanterie s’excluait donc.

Pourtant, la disparition des précieux insectes pendant la nuit posait un problème de sécurité. Quelqu’un avait pénétré dans la grotte, profitant du sommeil des humains, un inconnu à figure tertestre ou autre, mais quelqu’un.

— Vous semblez inquiet, Jans, constata Kassel. A cause de ce vol ?

— Oui, semblable aventure peut se reproduire. Supposez que le ou les inconnus reviennent, qu’ils dérobent des outils, de la nourriture.

— Evidemment, admit le docteur de Los Angeles. Ce serait ennuyeux. Un tour de garde s’imposerait.

— Hum ! douta Edward. Vous n’avez pas remarqué ? Nous étions un peu abrutis en nous réveillant. Je soupçonne que nous étions plongés dans un sommeil artificiel. Nous avons déjà éprouvé de tels symptômes avant d’arriver dans ce désert.

— Vous pensez à l’individu chauve à lunettes ?

— Oui, lui seul serait peut-être intéressé par ces hémiptères.

— Mais comment aurait-il appris l’existence des insectes ?

L’imagination de Jans déborda fort loin.

— Nous sommes très certainement observés, épiés. Nous travaillons pour eux, Kassel.

— Pour eux ?

— Pour l’individu chauve à lunettes, pour ses compagnons. Vous ne pensez quand même pas qu’ils nous auraient amenés dans ce désert uniquement pour nous offrir cette « vie nouvelle », suggérée par l’annonce ! Je ne crois guère aux propositions désintéressées. Notre contrat avec ces gens dissimulait quelque chose D’accord, nous avons accepté sans conditions, sans poser de questions. C’était la règle. Nous aurions pu refuser. Acceptons maintenant les conséquences et ne revenons pas sur ce que nous aurions dû faire ou ne pas faire.

— Sans rien regretter…, dit Kassel, perplexe. Nous pourrions quand même chercher une explication, maintenant que notre psychisme est redevenu normal. Notre contrat ne nous l’interdit pas.

Ils décidèrent tout d’abord qu’il convenait de se protéger contre les hémiptères. Outre les burnous ou les vêtements habituels, ils adaptèrent des voilettes sur leur visage, sur leurs mains, sur toutes les parties visibles de leur corps. Ils ressemblaient à des apiculteurs, mais ils étaient assurés que les insectes à trompe ne les piqueraient pas. D’ailleurs, Jans pensait sérieusement qu’il fallait un grand nombre de piqûres pour contracter la maladie.

L’absorption régulière d’eau contenue dans les cactus entra également dans cette phase prophylactique. Kassel semblait définitivement guéri. Nul doute, l’intervention rapide de la médecine des contraires avait tué les insectes avant que ceux-ci ne déversent leurs substances sclérosantes. Il existait certainement d’autres méthodes, plus facilement applicables, pour venir à bout des hémiptères parasites.

Jans suggéra qu’il partirait en expédition avec Klin et Helen Cadwell. Phil proposa de les accompagner, mais Edward refusa.

— Kassel ne peut rester seul. Or, je vais vous conseiller une chose, Phil, quelque chose de très utile. Pendant notre absence, et avec l’aide de Kassel, vous vous rendrez à notre premier abri, et vous rapporterez des nouvelles d’Hokness. Je crois la maladie irréversible. Torn et Hokness n’ont aucune chance. Mais nous ne pouvons quand même pas abandonner nos compagnons qui restent en « vie suspendue ».

Le lendemain, équipés, Jans, Klin et Helen partirent. Ils s’enfoncèrent dans l’immense désert et ils marchèrent toujours vers l’ouest. Ils arriveraient bien, ainsi, au terme de leur randonnée, à la limite de ce continent de sable.

Ils établissaient une carte qu’ils utiliseraient pour le retour. La boussole leur permettait de ne pas s’égarer. Et un jour, le cinquième après leur départ, Philip Klin annonça, découvrant un nouvel horizon, du sommet d’une dune :

— Nous sommes au bout du désert !

Il cria et agita les bras. Aussitôt, Edward et Helen le rejoignirent. Alors, ensemble, ils regardèrent au-delà de la dernière barrière de sable.