CHAPITRE XXVI – La fin d’un bandit
Sam Smiling, on le sait, était un simulateur de première force. Il l’avait prouvé lors de ses premiers démêlés avec la justice, et l’état dans lequel il feignait d’être était encore une comédie.
Tout risque d’évasion de sa part semblant maintenant écarté, on ne laissa dans sa chambre qu’un seul gardien, et celui-ci n’hésita pas à sortir lorsque le malade lui demanda d’aller lui chercher un oreiller supplémentaire dans un cabinet voisin.
À peine avait-il quitté la pièce que Sam Smiling, se coulant rapidement au bas de son lit, sauta sur la porte qu’il ferma à double tour, emprisonnant ainsi son gardien.
Ce dernier, étant de la sorte pris au piège, se mit à frapper et à appeler de toutes ses forces.
– Tu peux toujours faire du raffut, mon bonhomme, murmura Sam, en passant un pantalon. La porte est solide.
Mais les cris du policier donnèrent l’éveil et le docteur, un interne et l’infirmière accoururent précipitamment.
Comme ils ouvraient la porte de la salle, Smiling, qui, derrière le battant se tenait aux aguets, se rua, les bouscula violemment et les rejeta dans le corridor où il se trouva avec eux. Alors, apercevant sur une tablette un appareil téléphonique portatif, il s’en saisit et se mit à le faire tournoyer au-dessus de sa tête, comme il eût fait d’une massue.
– Ah ! le bandit, s’écria l’interne, et courageusement, il s’élança sur le furieux pour le maîtriser.
Smiling était sur ses gardes. Il fit un saut de côté et assena, avec l’appareil téléphonique, un coup violent sur la tête de l’interne, qui, étourdi, tomba sur le plancher.
Mais alors Sam se trouva tout à coup en présence d’un nouvel adversaire : l’infirmière s’était glissée dans la salle et avait délivré le gardien qui accourait sur le théâtre de la lutte. Acculé au mur, Sam Smiling l’attendit de pied ferme et l’envoya rouler à dix pas.
Cependant il avait, en même temps, lâché l’appareil téléphonique. Le médecin ramassa l’instrument et en frappa le bandit.
Sam Smiling chancela et recula, cherchant un point d’appui pour ne pas tomber. Derrière lui était une des larges fenêtres du corridor qui donnaient sur la rue, et le bandit, croyant rencontrer le mur, ne trouva que le vide. Il n’eut pas la force de se rejeter en avant. Un vertige le prit, et basculant par-dessus le rebord de la fenêtre, avec un cri étouffé, il tomba.
Son corps tournoya dans le vide et, de la hauteur de quatre étages, vint s’écraser sur le trottoir.
Au même instant, dans la rue, un homme arrivait, qui fut le témoin de cette chute.
C’était Max Lamar qui se rendait à l’hôpital pour y interroger le blessé.
Le médecin légiste se précipita vers le corps, maintenant inanimé.
Max Lamar ne put retenir une exclamation en reconnaissant Sam Smiling.
À ce moment, ayant dégringolé quatre à quatre les escaliers, arrivaient le médecin et le gardien.
Le médecin de l’hôpital examina un instant le corps par acquit de conscience.
– Il est mort, dit-il enfin.
Max Lamar prit à part le gardien et lui demanda des détails sur l’événement.
– Qui aurait dit, monsieur Lamar, que ce gaillard-là avait conservé tant de vigueur ? Il avait l’air de ne plus avoir que le souffle, et je croyais qu’il allait mourir entre chaque mot pendant qu’il jouait la comédie du repentir et de la confession.
– Comment ? Quelle confession ?
– Eh bien, je parle de l’aveu, de l’accusation. J’aurais voulu que vous fussiez là, vous vous seriez peut-être aperçu qu’il nous montait le coup avec sa faiblesse, tandis que M. Randolph Allen…
– Randolph Allen ? Smiling a parlé à Randolph Allen ?
– Parfaitement, et même qu’avec M. Allen il y avait M. Silas Farwell, vous savez bien, le gros industriel.
Max Lamar pâlit.
– Et qu’a-t-il dit à ces messieurs ?
– Il prétendait connaître le secret et le nom de la femme au Cercle rouge…
– Eh bien ? demanda Lamar en tremblant.
– Il leur a raconté une histoire vraiment extraordinaire, il a dit que la personne au Cercle rouge, c’était…
– C’était… ?
– Mlle Florence Travis.
Max Lamar ne s’attendait pas à entendre un autre nom. Cependant il reçut un choc affreux.
Ainsi, tout espoir était perdu… Le secret terrible était divulgué… Le scandale allait éclater, effroyable. Max Lamar, le front baissé, les lèvres tremblantes, souffrait atrocement pour elle d’abord, pour lui ensuite.
Cependant, le gardien reprit son récit :
– Il avait un tel accent de sincérité, ce coquin-là, qu’on n’aurait jamais cru que c’était une frime. Il simulait la faiblesse et l’épuisement.
Max Lamar n’écoutait pas. Il cherchait à reprendre son sang-froid, à envisager avec calme et fermeté la situation, à découvrir une lueur de possible espoir dans l’ombre épaisse qui l’enveloppait, mais un mouvement près de lui attira son attention. Le brancard était arrivé, et on y déposait, pour l’emporter, le corps du bandit, tandis que des policemen maintenaient à distance la foule qui s’était amassée.
Max Lamar prit congé du médecin chef et de l’interne. Puis il jeta un dernier regard sur le brancard où était la dépouille de Sam Smiling.
– Peu d’hommes ont fait autant de mal que cet homme, murmura-t-il.
Et, plus bas encore, pour lui-même, il ajouta :
– Aucun homme ne m’a fait autant de mal.
Puis Max Lamar s’éloigna d’un pas rapide.