CHAPITRE XVII – La cabane en flammes
Le lendemain matin, quand il s’éveilla, Lamar ne se ressentait pas de sa chute. Il s’habilla et s’empressa de téléphoner pour avoir des nouvelles de Florence.
Ce fut Yama qui lui répondit :
– Mlle Travis prend son bain en ce moment sur la plage.
Max Lamar sortit aussitôt et se dirigea vers le bord de la mer. Quelques minutes après, il était assis, entre Florence et la gouvernante Mary, sur le bord d’un rocher.
– Comment se fait-il, docteur, que votre main droite soit bandée et votre lèvre inférieure coupée ? demanda Florence, avec une inquiétude visible. Que s’est-il passé ? Racontez-moi vite…
– Oh ! ce n’est rien, dit Lamar. Ce n’est qu’un petit souvenir que m’a laissé Sam Smiling.
Brièvement, sur un ton qu’il s’efforçait de rendre plaisant, il raconta son histoire. Et, en terminant, il ajouta :
– Hier, quand ce vagabond m’a ramené chez moi, j’étais si désemparé que je l’ai laissé partir sans le remercier comme j’aurais dû le faire.
Comme il disait ces mots, une voix derrière lui se fit entendre.
– Pardon, monsieur Lamar, de vous déranger, mais comme on nous a dit à l’hôtel que vous étiez sur la plage…
Max se retourna et reconnut deux inspecteurs de police avec lesquels il avait déjà fait campagne.
– Tiens, Boyles et Jacob ? Qu’y a-t-il donc ?
– Désolés de vous déranger, monsieur Lamar, mais nous venons vous trouver de la part du chef. Voici les instructions que nous avons.
Max ouvrit le pli qu’on lui tendait et lut :
Je vous charge d’arrêter Charles Gordon, l’avocat de la coopérative Farwell, qui est accusé de détournements des fonds de garantie de cette société. Il paraît que cet inculpé se cache dans les rochers de Surf ton, où il vit en ermite. Priez le docteur Lamar de vous prêter aide et assistance.
RANDOLPH ALLEN
chef de la police
En lisant les instructions d’Allen, Max Lamar fronça le sourcil.
– Ça va bien, je vais vous rejoindre dans un moment, dit-il aux détectives, qui s’éloignèrent de quelques pas.
– Qu’avez-vous ? demanda Florence qui s’alarmait… Vous êtes soucieux, tourmenté… Parlez, je vous en prie… Qu’y a-t-il ?
– Une chose pénible, mademoiselle… Les circonstances me mettent en présence d’un acte que je ne veux pas… que je ne peux pas accomplir. Et cependant…
– Je vous en supplie, expliquez-vous !…
– Eh bien, j’ai mission d’arrêter cet homme, cet ermite à qui je dois la vie.
– Mais c’est impossible, s’écria Florence, révoltée.
– N’est-ce pas, c’est votre sentiment…
Lamar resta songeur un moment et reprit à mi-voix.
– Je me rappelle… je l’ai connu jadis, ce Gordon, brillant, élégant, mondain. Il était avocat-conseil de la société coopérative Farwell. Entraîné par le luxe, d’autre part généreux et charitable, il ne put, malgré ses honoraires très élevés, soutenir longtemps le train de vie dans lequel il s’était imprudemment engagé. Il ne résista pas à la tentation de puiser dans les fonds qui lui avaient été confiés. Alors, sur le point d’être arrêté, il prit la fuite, et vint, comme nous venons de l’apprendre, se réfugier dans les anfractuosités de la falaise de Surfton.
– Donc, au fond, ce n’est pas un mauvais homme ? demanda Florence Travis.
– Lui ? au contraire ! Il me l’a prouvé d’ailleurs…
– Alors, vous n’aurez pas le courage de l’arrêter ? dit Florence…
– Ah ! certes non ! répondit Max, et je regrette même de ne pouvoir le sauver à mon tour. Mais j’ai une position officielle et la loi est la loi… Je suis assermenté…
– Mais moi, je ne le suis pas ! s’écria Florence avec vivacité. Une sorte de fièvre avait animé son visage et, sur sa main appuyée au rocher, le Cercle rouge peu à peu apparaissait.
Elle n’y prenait pas garde.
Mais la prudence de Mary n’était jamais en défaut. La gouvernante détacha rapidement la mantille qui recouvrait sa tête et l’étendit sur la main de Florence.
La jeune fille insistait de toutes ses forces auprès de Max Lamar.
– Docteur, laissez-moi me substituer à vous ! De cette manière, vous serez quitte avec lui sans avoir entaché votre honneur professionnel.
– Comment vous y prendrez-vous ? C’est une folie que vous allez tenter là !
– Laissez-moi faire, dit Florence en souriant, quelque chose me dit que je réussirai. J’ai confiance en mon étoile !
– Et moi aussi, répondit Max Lamar, gagné à son tour par une telle assurance. Allez, c’est une bonne action. Mais soyez prudente…
Les deux détectives s’étaient rapprochés.
– Nous attendons vos ordres, monsieur Lamar.
Max parut hésiter.
– C’est très ennuyeux, dit-il, que vous soyez chargés de cette affaire. Moi, je comptais vous employer contre Sam Smiling, qui a failli m’assassiner cette nuit. Gordon ne se doute de rien, il restera dans ses rochers, s’y croyant à l’abri. Remettons à plus tard son arrestation. Occupons-nous d’abord de Sam.
– Nous avons des menottes pour l’avocat Gordon et non pour le cordonnier Sam Smiling, aujourd’hui, répondit Jacob. Les ordres du chef sont formels.
Max Lamar n’insista pas.
– Mais savez-vous exactement où est la retraite de Gordon ?
– Parfaitement, dit Boyles, nous avons sa photographie et celle de la cabane où il s’est réfugié.
Pendant qu’il montrait les documents à Max Lamar, Florence Travis, d’un coup d’œil furtif, les regardait également.
Et, laissant là Mary et le groupe des trois hommes, qui discutaient encore, elle prit sa course vers la falaise.
Parvenue à la pointe d’un rocher, elle se retourna et aperçut les deux policiers qui, conduits par un jeune guide, s’avançaient dans sa direction.
Elle reprit sa course et, après de nombreux détours, elle arriva en face d’une cabane fermée qui semblait déserte.
« C’est bien cette masure, pensa-t-elle, que j’ai vue tout à l’heure, représentée sur la photographie. »
Elle essaya d’ouvrir la porte qui résista.
Faisant alors le tour de la cabane, elle se rendit compte que la fenêtre de derrière, très basse, était entrebâillée.
Sans hésitation, elle l’escalada et se trouva dans une petite pièce dont le seul ameublement consistait en un grabat misérable et une table boiteuse sur laquelle une lampe était posée…
Il n’y avait personne dans cette pièce. Elle franchit alors une petite porte qui communiquait avec une autre pièce étroite et sombre.
Comme elle y pénétrait, un homme se dressa devant elle. Elle le reconnut.
– Monsieur Gordon, s’écria-t-elle avant même qu’il eût ouvert la bouche, la police vous cherche, elle est à deux pas.
La figure de Gordon exprima un indicible effroi.
– Hâtez-vous de fuir ! Je viens vous donner ce conseil de la part de l’homme que vous avez sauvé cette nuit ! continua Florence très vite. Ne perdez pas un instant. Sautez par la fenêtre. Sauvez-vous à travers les rochers. Pendant ce temps, je retiendrai les policiers ici.
Florence avait saisi Gordon par le bras et l’entraînait vers la fenêtre.
– Au nom de la loi ! Ouvrez !
Gordon n’hésita plus. Il se pencha, baisa la main de miss Travis et, s’élançant par la fenêtre, s’enfuit à travers les rochers.
Les coups redoublèrent. On enfonçait la porte.
Florence prit une boîte d’allumettes qui traînait sur la table et alluma la petite lampe.
Au même moment, la porte sauta et les deux policiers s’élancèrent dans la première pièce. Là ils s’arrêtèrent surpris.
Devant eux, la porte de la chambre était légèrement entrouverte et, dans l’entrebâillement, une main blanche de femme apparut.
Cette main tenait une lampe allumée, de laquelle s’échappait une fumée inquiétante.
Et une voix s’écria :
– Si vous faites un pas de plus, je mets le feu à la cabane.
La main agitait vivement la lampe et, sur cette main effilée et très blanche, un cercle intensément rouge se dessinait. Jacob et Boyles poussèrent un cri :
– Le Cercle rouge !
Leur hésitation fut courte. Ils s’avancèrent résolument.
Mais alors la main tendue projeta violemment sur le sol la lampe qui éclata, en dégageant un nuage de fumée infecte, épaisse et noire qui emplit les deux pièces. Jacob recula à demi asphyxié.
Une lueur s’éleva, des flammes crépitèrent, et en quelques minutes la cabane fut la proie d’un incendie dévorant.
Pendant ce temps, mettant à profit le nuage suffocant qui s’épaississait dans la cabane, Florence prit la fuite.
*
* *
Sur la plage, Max Lamar, toujours assis à côté de Mary, causait avec celle-ci de banalités, mais une sourde préoccupation les absorbait tous deux.
Une voix légère se fit entendre.
– Docteur !
Max se retourna. Il se trouvait en présence de Florence, qui s’avançait, souriante et calme.
– Eh bien ! ça y est, dit-elle en se penchant à l’oreille de Max. Je crois qu’il est sauvé. Mais sa cabane est en flammes. Voyez plutôt.
Et, du geste, elle montra le panache de fumée qui s’élevait dans les rochers.
Max et Florence coururent vers le lieu de l’incendie.
Au-devant d’eux s’avançaient les deux détectives, Boyles soutenant Jacob, encore suffoqué par la fumée qu’il avait respirée.
Max Lamar s’informa aussitôt :
– Vous n’êtes pas allé dans cette fournaise rechercher votre homme ? dit Max en feignant l’étonnement.
– Ma foi, nous sommes entrés, cela ne flambait pas encore. Nous avons enfoncé une première porte. Puis, comme nous allions en renverser une seconde, une main de femme apparut dans l’entrebâillent, une main qui jeta une lampe par terre. Vous voyez d’ici quelle explosion… et quelle fumée !…
– Une femme ?
– Sûrement, il n’y a qu’une femme pour avoir la main aussi blanche…
– Et sur cette main, interrompit Jacob qui reprenait ses sens, il y avait…
– Un cercle rouge, acheva Boyles.
Lamar fut bouleversé.
– Un cercle rouge, sur une main de femme ?
Avec une indifférence admirablement jouée, Florence baissa les yeux, regarda sa main et, la voyant parfaitement nette et blanche, elle la porta nonchalamment à son pendentif, pour bien la soumettre ainsi à l’examen de Max Lamar.
Mais un doute terrible avait envahi ce dernier, doute auquel, malgré tous ses efforts, il ne pouvait plus se soustraire.
– Il faut que je revienne immédiatement à la ville, dit-il. J’ai besoin de conférer avec Randolph Allen.
– Au revoir, mademoiselle, acheva-t-il d’un ton un peu froid…
Max Lamar de dirigea vers la station, tandis que Florence regagnait sa villa. Une inquiétude crispait son visage et, à voix basse, elle murmura :
– Cette fois, cette fois… j’ai bien peur qu’il ne sache la vérité…