CHAPITRE XXIII – Le corps à corps

 

Max Lamar était rentré chez lui, absorbé par des préoccupations cruelles, et le lendemain, tous ses soupçons s’étaient multipliés, précisés, se transformant inexorablement en certitude.

« À tout prix, se dit-il, il faut que je connaisse la vérité. Et c’est aujourd’hui, je le pressens, que je saurai… »

Tout en se livrant à ses réflexions, il se dirigeait à petits pas vers Blanc-Castel.

Il franchit la grille du jardin, leva la tête vers la maison, et son regard s’arrêta sur une des petites fenêtres des mansardes.

Il tressaillit, saisi de stupeur. À travers la fenêtre il avait aperçu le profil d’un homme.

– Ah çà !… mais… on dirait Sam Smiling ! s’écria le médecin légiste, doutant du témoignage de ses sens.

À ce moment, Florence rentrait à Blanc-Castel. Descendant de son cheval qu’elle confiait au groom, elle entra dans le jardin.

De loin, elle aperçut Max Lamar. Elle s’avança résolument.

– Bonjour, docteur, dit-elle en tendant la main à Max Lamar. Qu’avez-vous donc ? Vous avez l’air tout ému.

Lamar, sans quitter du regard le faîte de la maison, répondit :

– Mon émotion se comprend, mademoiselle. Savez-vous ce que je viens de voir ? Sam Smiling à la fenêtre de votre grenier.

Florence éclata de rire.

– Sam Smiling ici ! Ah ! docteur, cela c’est de la fantaisie !

Florence insista.

– Voyons, c’est impossible.

– Eh bien, soit ! admettons que je puisse me tromper ; mais cela ne va pas m’empêcher de visiter toute la maison.

Florence comprit que Max Lamar n’en démordrait pas.

Elle le suivit donc dans l’antichambre. À ce moment, Mme Travis entrait dans la pièce. Max Lamar, l’ayant saluée, lui dit :

– Madame, un bandit s’est introduit dans votre maison et s’y cache. Le souci de votre sécurité m’oblige à fouiller partout pour le découvrir.

Il se dirigea, suivi de Florence, vers l’escalier conduisant à l’étage supérieur, qu’ils visitèrent entièrement.

Vingt fois Florence, au cours de cette perquisition, fut sur le point de tout avouer à Max Lamar.

Dans sa retraite, Sam Smiling ne se doutait de rien.

Soudain il lui sembla entendre du bruit dans le couloir.

Il dressa l’oreille. Le bruit s’étant accentué, il se précipita vers la porte qu’il entrebâilla légèrement.

Une voix arriva jusqu’à lui.

– Il ne me reste plus maintenant qu’à fouiller les mansardes.

Sam, en entendant cette voix, fit un pas en arrière et devint blême.

– Cette voix ?… Ce n’est pas possible… Lui… ? Mais non… Si je ne l’avais pas précipité du haut de la falaise, je jurerais que c’est Max Lamar… En tout cas, on perquisitionne.

Il entrouvrit à peine la porte, espérant se glisser au-dehors sans être vu. Mais il la referma brusquement en retenant une exclamation de stupeur et de rage.

Il venait d’apercevoir le seul homme qu’il eût jamais redouté, Max Lamar.

– Lui… c’est lui ! Il est vivant !

Sam courut vers la lucarne, pensant peut-être pouvoir descendre le long du mur dans le jardin.

Son espoir fut déçu. La muraille était absolument lisse.

Et, juste au-dessous de lui, la grande marquise vitrée de la porte d’entrée mettait un danger de plus.

Il revint vers la porte de la mansarde. Il retint son souffle et écouta.

Max Lamar voulait entrer dans la petite pièce, mais Florence lui fit remarquer qu’ils avaient négligé de fermer en bas la porte donnant dans la galerie. Ils redescendirent. Comme ils arrivaient à cette porte, Mary arrivait. La gouvernante se hâtait pour secourir Florence, qu’elle sentait en danger.

Pendant que le docteur redescendait, Sam Smiling entrouvrit de nouveau le battant, se glissa au-dehors, descendit l’escalier, et poussa la porte donnant dans la galerie. Il vit Lamar qui lui tournait le dos. Le bandit, faisant impérieusement signe à Florence, qui le regardait, les yeux agrandis par l’horreur, de ne pas bouger et de garder le silence, se glissa vers le médecin légiste en brandissant son couteau.

Mais Florence prompte comme l’éclair s’élança et poussa le docteur à l’instant même où la lame allait le frapper.

Max Lamar, d’un bond, avait fait face à son antagoniste.

Les deux hommes se trouvaient de nouveau en présence, et, sans un mot, ils se ruèrent l’un sur l’autre.

Du salon, où elle se tenait, Mme Travis entendit le tumulte de la lutte et, dominant son effroi, monta en tremblant l’escalier, suivit le couloir et arriva dans la galerie au moment le plus tragique du combat.

Dans un coin de la galerie, Florence et Mary s’étaient réfugiées.

Mme Travis, malgré sa terreur, conserva un peu de sang-froid et se précipita au téléphone pour avertir la police.

Dans la galerie les deux hommes s’affrontaient toujours, mais chacun avait lâché prise et, ramassé sur lui-même, regardait l’autre avec une attention aiguë.

Sam Smiling avait repris son couteau.

De son côté, Max Lamar, rapidement, sortit son revolver qu’il braqua sur le bandit.

Mais ce dernier, avec une agilité foudroyante, fit un saut de côté et, se jetant tête baissée sur son adversaire, lui fit tomber l’arme des mains et le saisit de nouveau à la ceinture.

La situation était grave pour le docteur. En effet, en un effort suprême, Sam Smiling le souleva à deux pieds du sol et brutalement le plaqua sur le plancher.

Puis saisissant le revolver qui se trouvait à portée de sa main, il le braqua sur son adversaire, qui, péniblement, se redressait sur un genou.

À ce moment, Florence, restée jusque-là immobile, pâle et comme pétrifiée par l’horreur, s’élança impétueusement en avant et, d’un coup violent de cravache appliqué sur la main du bandit, elle détourna la mort qui menaçait Lamar. La balle du revolver dévia et blessa seulement à la main le médecin légiste. Celui-ci, en un sursaut de farouche énergie, se dressa et, saisissant sur une console une énorme potiche, il la lança de toutes ses forces à la tête de Sam Smiling.

Atteint en plein front par le projectile, le bandit s’écroula.

Max Lamar n’eut pas de peine à lui passer le cabriolet, dont il était muni.

Mais ce geste fait, il chancela à son tour, épuisé, défaillant.

Florence bouleversée retenait ses larmes avec peine. Si Max avait été tué, n’eût-ce pas été un peu de sa faute ?… N’aurait-elle pas dû, au risque de se perdre, mettre Lamar au courant de la présence du bandit ? Et, en réfléchissant, une stupeur saisit la jeune fille. Pourquoi était-elle restée ainsi inactive, léthargique, terrifiée, alors que celui qu’elle aimait jouait sa vie pour la défendre ? Où était cette intrépidité qui dans des situations infiniment moins graves s’était manifestée en elle…

Mais un incident coupa court aux réflexions de la jeune fille. Les policemen, que Mme Travis avait demandés par téléphone, arrivaient.

Max Lamar leur montra Sam Smiling toujours étendu évanoui sur le plancher.

– Voilà l’homme que l’on recherche depuis quelques jours, leur dit-il. Emportez-le à l’hôpital.

Les deux policemen chargèrent Sam Smiling sur un brancard et l’emportèrent.

Alors se tournant vers Florence, Max Lamar lui dit d’une voix grave :

– Mademoiselle Travis, il faut maintenant que je vous pose quelques questions. Et pour cela je désire que nous soyons seuls.

Et, s’adressant à Mme Travis :

– Madame, voulez-vous être assez bonne pour me laisser seul quelques instants avec Mlle Florence ?

Mme Travis et Mary se retirèrent, sans mot dire, oppressées par une cruelle inquiétude.