CHAPITRE XII
Flanquée de Zekk, l’ambassadrice Cilghal remonta la longue file d’attente des touristes qui espéraient louer un véhicule aquatique.
Elle attendit patiemment que le Yarin ait fini de traiter avec son interlocuteur du moment. Quand ce fut fait, l’homme-arbre s’inclina avec déférence devant elle.
— Que puis-je faire pour rendre plus agréable votre séjour sur Récif-Cristal ? demanda-t-il en tendant la main pour serrer celle de Cilghal.
L’ambassadrice lui fit un sourire charmeur. Du coin de l’œil, Zekk vit Anja lever les yeux au ciel : elle avait déjà passé une heure à subir les courbettes du loueur.
La Calamarienne désigna Jacen.
— Laissez-moi vous présenter Jacen Solo, fils de la présidente de la Nouvelle République. Je lui sers de guide à la demande gracieuse de son oncle, maître Luke Skywalker.
Zekk remarqua le changement d’expression du Yarin.
— Et voilà ses amis Tenel Ka, princesse du système de Hapès, ainsi qu’Anja et Zekk. Tous sont étudiants à l’Académie Jedi. Bien entendu, je prends mes devoirs d’ambassadrice très au sérieux, et mes protégés ont à cœur de découvrir les merveilles de notre océan polaire. Je suis certaine que vous mesurez l’importance de cette visite pour l’image de Récif-Cristal. Songez à ses répercussions potentielles : des Chevaliers Jedi admirant les beautés de votre station, la gratitude de la maison royale de Hapès… Peut-être même une visite de la présidente Leia Organa Solo.
— Hum… Oui, je vois. Malheureusement, il ne me reste pas de sous-marins à louer. Mais le statut de capitaine du port de Récif-Cristal comporte certains privilèges.
« Je possède un véhicule subaquatique. D’ordinaire, je m’en sers pour régler les problèmes ou faire des balades, mais je serais très honoré que vous consentiez à l’utiliser. Cinq personnes y seront peut-être à l’étroit…
— Ce n’est pas grave du tout, assura promptement Jacen.
— Merci beaucoup. Je suis ravie d’accepter votre proposition, dit Cilghal.
Le Yarin fit un sourire radieux au petit groupe. Son regard se posa sur Anja.
— Je suis navré, jeune dame, d’avoir failli vous décevoir. Vous auriez dû me dire que vous étiez en si bonne compagnie.
Les joues de la jeune femme s’empourprèrent, comme si elle réalisait que se promener avec des Chevaliers Jedi, des altesses royales, des ambassadrices et les enfants d’un héros de guerre et d’un chef d’État risquait d’impressionner pas mal de gens.
— Par ici, par ici, les invita le Yarin. (Il dévisagea Zekk.) Jeune homme, vous avez toutes les qualités d’un excellent pilote, si je ne m’abuse. Je pense que mon mini-submersible sera entre de bonnes mains.
— Je me débrouillerai très bien tout seule ! fit Anja.
— Zekk sera parfait, dit Tenel Ka.
— D’ailleurs, grogna le jeune homme, pas question que tu prennes les commandes d’un véhicule avant de m’avoir rendu mon vaisseau.
Anja pinça les lèvres et croisa les bras. Zekk affirma :
— Je suis sûr que Cilghal acceptera de me servir de copilote, puisque je navigue en eaux inconnues.
Le capitaine du port ouvrit le sas et aida les jeunes Jedi à monter à bord du sous-marin.
— Ambassadrice, dit-il, vous connaissez les océans calamariens. Vous sentez-vous capable de faire face aux problèmes qui pourraient survenir ?
Cilghal hocha la tête.
— Nous prendrons grand soin de votre mini-submersible, dit Zekk. A-t-il un nom ?
— Je l’ai baptisé Elfa. Dans mon langage, ça signifie « poisson si petit qu’il ne vaut pas la peine qu’on l’attrape ».
— Je ne saurais trop vous remercier, capitaine, dit Cilghal. Nous prendrons grand soin de l’Elfa.
L’Elfa était bien plus petit que le Bâton de Foudre, et moins maniable parce qu’il se déplaçait sous l’eau, mais Zekk éprouvait beaucoup de plaisir à le piloter.
— Le signal du transpondeur augmente, annonça Anja. Nous ne sommes plus très loin de la réserve d’épice.
La jeune femme semblait respirer difficilement. Zekk se demanda si elle était claustrophobe ou… en manque.
— Dis-moi simplement si j’ai besoin de modifier ma trajectoire, répondit-il.
Cilghal avait montré au jeune homme comment utiliser les systèmes de l’Elfa, et il se sentait désormais aussi à l’aise à ses commandes qu’à celles d’un vaisseau stellaire.
— Là-bas, dit Jacen en tendant un doigt. Ça ne serait pas notre cible, par hasard ?
— On dirait. Tu as de très bons yeux, le félicita Tenel Ka.
— Mais pas aussi beaux que les tiens, répliqua son ami.
— Le signal est très net, dit Anja, les lèvres pincées, comme si elle désapprouvait ces enfantillages. Tu le reçois ?
— Oui, confirma Zekk en faisant les modifications nécessaires.
Il lui fallut moins de cinq minutes pour manœuvrer et se mettre en position près de la réserve dissimulée sous des morceaux de banquise flottante : quatre conteneurs blindés, scellés et amarrés à la glace.
Anja approcha du hublot pour regarder par-dessus l’épaule de Zekk. Son visage était rouge, sa respiration haletante et ses cheveux collés par la transpiration.
— Et maintenant ? demanda le jeune homme.
— Maintenant, on les détruit comme prévu, répondit Anja.
— Navré de doucher votre enthousiasme, mais au cas où vous ne l’auriez pas remarqué, ces conteneurs sont blindés, intervint Jacen. Comment comptez-vous vous y prendre ?
— Je crois que je peux vous aider.
Cilghal s’installa aux commandes des deux bras manipulateurs du mini-submersible. Elle saisit un conteneur, augmentant la pression jusqu’à ce qu’une des griffes métalliques perce sa surface et qu’il se remplisse d’eau.
— On se contente de les laisser couler ? demanda Zekk.
— Non, ça ne suffira pas, dit Anja. (Elle tenta de se calmer et continua :) Les agents de Czethros pourraient quand même les localiser grâce au transpondeur et récupérer l’épice. Souvenez-vous qu’il y en a pour une fortune.
— Dans ce cas, essayons autre chose…
Cilghal saisit un second conteneur avec l’autre bras manipulateur, l’écarta du premier et l’en rapprocha violemment pour qu’ils se heurtent. Le conteneur déjà endommagé explosa, libérant une multitude de minuscules ampoules. Certaines se brisèrent ; d’autres s’enfoncèrent lentement dans les flots glacés.
— Cette solution te paraît-elle acceptable ? lança Tenel Ka à Anja.
La jeune femme garda le silence, se contentant d’observer les ampoules. Zekk se demanda si elle regrettait sa décision de les détruire.
— Même si les hommes de Czethros localisent le signal du transpondeur, j’aimerais bien les voir draguer des kilomètres carrés de fonds sous-marins pour essayer de récupérer les fioles.
Zekk hocha la tête d’un air satisfait.
— Comme dirait Jaina, qu’est-ce qu’on attend ? Pulvérisons les autres conteneurs.
— Un de moins. Il en reste trois…, souffla Anja.
Pendant que Zekk s’affairait aux commandes de l’Elfa, Cilghal manœuvra adroitement les pinces métalliques pour s’emparer du dernier conteneur d’andris. Soudain, elle s’immobilisa et cligna de ses grands yeux de poisson.
— Quelque chose cloche.
Les lumières du sous-marin avaient attiré l’attention d’une créature aquatique en quête de proies.
— Qu’est-ce que c’est ? demanda Jacen en se penchant vers un hublot de transparacier. Il y a une ombre là dehors… Une ombre qui nage.
Fermant les yeux, le jeune garçon invoqua la Force.
— Oh…
Un gigantesque œil jaune à la pupille aussi grosse que sa tête apparut de l’autre côté de la vitre. Jacen se figea, cloué sur place par le regard froid et malveillant de la créature.
— Tu vas nous dire que tu as un mauvais pressentiment, je suppose ? lança Tenel Ka.
Son ami hocha la tête. Alors que le monstre aquatique glissait le long de la coque du sous-marin, ils virent sa gueule garnie de crocs suffisamment énormes pour déchiqueter une aile X.
— Attention ! cria Jacen.
Un tentacule de la taille d’une amarre de spatioport se déplia. Malgré la faim qui semblait l’animer, le monstre agissait prudemment.
Le sous-marin fit demi-tour. De nouveau, la créature le longea sans attaquer. Ses tentacules serpentaient dans toutes les directions.
Jacen lâcha un sifflement plus admiratif qu’inquiet.
— Ce monstre est vraiment énorme. Savez-vous à quelle espèce il appartient, Cilghal ?
La Calamarienne secoua la tête.
— Il existe dans les océans de ma planète de nombreuses créatures qui n’ont jamais été repérées par un être vivant…
— Si celle-ci décide de s’en prendre à nous, nous n’allons pas rester vivants très longtemps, dit Anja.
Les remous provoqués par le déplacement du monstre firent osciller le sous-marin. Zekk se raccrocha aux commandes. Jacen pressa son visage contre le hublot de transparacier, observant la peau épaisse, le long cou, la gueule capable d’avaler tout rond un requin et les dizaines de tentacules menaçants.
L’un d’eux vint frapper la coque de l’Elfa : pas très fort, juste pour voir comment cette proie réagissait. Mais cela suffit à faire partir l’engin en vrille au milieu d’une nuée de bulles.
Cilghal lutta pour reprendre le contrôle.
— Accrochez-vous, dit-elle tandis que Zekk essayait de les stabiliser malgré le manque de visibilité.
Dans la cabine, des lumières clignotèrent et s’éteignirent juste avant que les générateurs de secours ne prennent le relais et ne rétablissent le courant.
La tête de Zekk heurta la paroi.
— Dites-moi que ce submersible a des systèmes défensifs ! supplia-t-il.
— Malheureusement, ce n’est pas prouvé, répondit Tenel Ka. Et je doute qu’il soit capable de distancer cette créature.
Jacen scruta les profondeurs glaciales. Il sentait que le monstre allait faire demi-tour et revenir… Cette fois, il éprouverait moins de réticence à attaquer.
Le jeune garçon se concentra et tenta d’utiliser la Force pour atteindre le cerveau primitif de la créature.
— Elle n’a même pas frappé fort tout à l’heure, se lamenta Zekk. Elle voulait juste tâter le terrain. (Le jeune homme se frotta la nuque et regarda Jacen.) La prochaine fois, elle essaiera de nous gober.
Des bulles continuaient à remonter vers la surface, enveloppant les jeunes Jedi d’un rideau de perles aquatiques.
Le Léviathan attaqua de nouveau.
Cilghal activa les propulseurs et l’Elfa s’arracha aux profondeurs et commença sa remontée.
Faisant claquer ses tentacules, la créature engagea la poursuite.
Malgré les efforts désespérés de Cilghal, la pince métallique qui agrippait le dernier conteneur d’épice le lâcha. La Calamarienne tenta de le rattraper avec le second bras, mais celui-ci se coinça.
Lentement, la caisse coula vers le fond de l’océan.
— L’andris nous échappe, dit Anja.
Jacen ne put déterminer si elle était déçue ou non.
La créature plongea pour s’emparer du conteneur. Ses tentacules se tendirent, s’enroulèrent autour de sa proie et la portèrent à sa gueule. Des crocs acérés déchirèrent le métal, libérant les ampoules d’épice.
Le Léviathan avala des milliers de doses d’andris.
Horrifié, Jacen se tourna vers ses amis.
— Cette fois, on va avoir de gros ennuis. Le monstre était déjà rapide avant, mais quand l’épice fera effet…