CHAPITRE IV
Après des années passées à diriger les mines d’épice de Kessel, l’administrateur en chef Nien Nunb s’y sentait autant chez lui que dans les garennes de sa planète natale.
Les tunnels obscurs ressemblaient beaucoup aux terriers de Sullust, où ses congénères au visage de souris et aux immenses yeux aimaient s’entasser. Chaque fois que son emploi du temps le lui permettait, Nien Nunb retournait rendre visite à sa famille.
Autrefois, les mines d’épice étaient une prison impériale dont la seule évocation faisait frissonner tous les habitants de la galaxie. Dix ans plus tôt, Lando Calrissian en avait fait l’acquisition, nommant administrateur son vieil ami et copilote Nien Nunb.
Les deux hommes avaient transformé l’endroit en un complexe industriel productif qui n’avait plus rien de sinistre. En choisissant leurs employés parmi les espèces qui préféraient vivre sous terre, ils avaient créé un environnement de travail confortable et sûr.
La production d’épice avait considérablement augmenté ces dix dernières années ; Nien Nunb disait souvent sur le ton de la plaisanterie que les mines de Kessel étaient une des rares entreprises rentables de Lando, même si l’investissement nécessaire pour les réaménager aurait suffi à payer la rançon d’un empereur.
Dans sa jeunesse, le Sullustéen avait mené une vie aventureuse. Il faisait de la contrebande avec Lando, forçant les blocus impériaux pour livrer leur cargaison à des planètes en quarantaine.
À bord du Faucon Millenium, emprunté à Yan Solo, Nien Nunb avait fait office de copilote quand Lando avait tenté de détruire la seconde Étoile Noire. Anxieux de nature, il était persuadé qu’ils périraient pendant l’attaque… Mais ils avaient survécu par miracle, et Lando était devenu un héros de la Nouvelle République.
Le Sullustéen estimait avoir eu son compte d’aventures. La gestion d’une entreprise lui semblait préférable à la perspective de se faire tirer dessus un jour.
Kessel était une petite planète à faible gravité. Comme Sullust, seules ses profondeurs étaient habitables. De grandes cités équipées de générateurs d’atmosphère avaient été bâties à la surface, mais la gravité ne suffisait pas à empêcher l’air de s’échapper en partie dans l’espace.
Chaque fois qu’il levait les yeux vers les baies vitrées pour contempler le ciel, Nien Nunb distinguait un anneau de débris rocheux (ceux de la lune de Kessel) qui s’étirait autour de la planète. Ils martelaient la surface de ce monde d’une incessante pluie de météores. Par bonheur, personne ne vivait dans la zone dangereuse.
Le prototype de l’Étoile Noire avait détruit la lune de Kessel, quelques années plus tôt. Depuis, c’était un monde tranquille, plongé dans une léthargie apparente, comme s’il avait décidé de reprendre son souffle et de reconstituer ses forces.
À cause de ses effets bénéfiques (regain d’énergie et augmentation des facultés télépathiques, entre autres), beaucoup d’entrepreneurs vendaient de l’épice au marché noir. Les espions, les contrebandiers, les informateurs et les amateurs de sensations fortes en faisaient une consommation régulière.
L’épice était indispensable à de nombreux traitements médicaux.
La tradition du marché noir était si profondément ancrée dans les mentalités qu’il avait fallu beaucoup de temps à Nien Nunb pour conclure des accords avec les principaux négociants. Mais son honnêteté avait fini par payer, et ses mineurs l’avaient récompensé en découvrant un nouveau filon d’andris de l’autre côté de la planète.
Nien Nunb avait été ravi. L’exploitation du filon avait rapporté beaucoup d’argent. Afin de le renforcer, Nien Nunb et ses ingénieurs avaient récemment fait installer une unité de congélation.
Ce jour-là, le Sullustéen accompagnait son bras droit, Torvon, pour leur tournée d’inspection hebdomadaire. Ensemble, ils entrèrent dans une des carrières.
Dans cette énorme caverne, les cuves de conservation alimentées par des générateurs flambant neufs bourdonnaient doucement. Une brume blanche glaciale s’échappait des soupapes de sécurité.
Des créatures aveugles semblables à des scarabées faisaient cliqueter leurs multiples pinces pour empaqueter l’andris avant de le plonger dans des cuves remplies de carbonite.
Le crâne du second administrateur était scindé en deux hémisphères et ses yeux vert pâle n’avaient pas de pupilles. Il était si grand que les épaules de Nien Nunb atteignaient à peine ses genoux cagneux.
Les scarabées aveugles paraissaient satisfaits de leur sort. Bien nourris et grassement payés, ils vivaient en communauté dans les mines de scintistim abandonnées, de l’autre côté de la planète. Ils ne demandaient pas grand-chose d’autre.
De petites plates-formes transportaient les caisses scellées et numérotées d’andris congelé jusqu’à la surface. Là, elles attendaient dans un spatioport protégé par un dôme que des cargos viennent les chercher pour les convoyer jusqu’à leur destinataire. Chaque armateur recevait un pourcentage du chiffre d’affaires et les crédits restants étaient expédiés sur Kessel.
Les conduits de ventilation bourdonnaient autour des générateurs et des cuves. Les machines s’emboîtaient dans tous les sens, étrange puzzle à la fois chaotique et ordonné semé de nombreuses cavités où les mineurs rangeaient leur équipement.
Nien Nunb se demandait comment profiter au maximum de cet espace de rangement. Il décida que les outils utilisés dans les autres carrières pourraient être regroupés là. Il étudia les moniteurs pendant que Torvon, debout derrière lui, le surplombait tel un arbre. Un coup d’œil aux jauges du flux de carbonite lui permit de constater que la plupart des aiguilles étaient dans le rouge. Alarmé, il tapota l’un des cadrans comme s’il espérait le réparer.
Torvon tendit le bras pour faire un réglage. Nien Nunb supposa qu’il avait constaté le problème et s’efforçait d’y remédier. Mais les indicateurs s’affolèrent. Qu’avait donc fait son second ?
Le Sullustéen entendit un grincement métallique et vit que le tuyau de refroidissement le plus proche était en train de gonfler sous la pression. Instinctivement, il plongea tête la première entre deux machines pour se protéger.
Les jambes noueuses de Torvon apparurent dans son champ de vision : le second administrateur se rapprochait. Nien Nunb lui cria de se mettre à l’abri, mais il se pencha vers lui et tenta de le déloger de sa cachette. Ne mesurait-il pas le danger ? songea Nien Nunb tandis que la main de Torvon se refermait sur le revers de sa veste.
Soudain, le Sullustéen comprit ce que son second essayait de faire : il voulait l’exposer à un accident !
Le tuyau explosa. Des vapeurs gelées se déversèrent sur les jambes de Torvon. La carbonite figea instantanément ses articulations, transformant ses mollets en deux piliers de glace.
L’extraterrestre hurla de douleur et voulut s’écarter, mais ses pieds étaient collés au plancher. Il se pencha pour essayer de se dégager. Ses jambes se brisèrent comme des stalagmites et il tomba tête la première dans le nuage de gaz.
Il n’avait pas encore touché terre quand la car-bonite accomplit son œuvre, congelant sa tête et son torse. Quand il heurta enfin la surface dure, Torvon se brisa en un millier d’éclats scintillants. Sa main était toujours agrippée au revers de la veste de Nien Nunb.
Terrifié mais sain et sauf, l’administrateur sullustéen recula pour se tapir au fond de la cavité. Des alarmes se déclenchèrent ; des lumières clignotèrent. Les systèmes de sécurité automatisés scellèrent le tuyau endommagé, arrêtant la fuite de carbonite.
Nien Nunb savait que le froid ne tarderait pas à se dissiper dans la carrière. Il ignorait ce qui venait de se passer et il doutait que quiconque puisse le lui expliquer. Une chose paraissait sûre : il ne s’agissait pas d’un accident. Et même si Torvon avait été la seule victime, Nien Nunb ne doutait pas d’avoir été personnellement visé.