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ARTILLERIE
LOURDE
L’ingénieur de maintenance aux cheveux bruns et à l’air hagard installé dans le siège du pilote crispait les mains sur les commandes. Son expression oscillait entre l’inquiétude et l’incrédulité totale. Dehors, un nouveau tir toucha la coque et cabra le vaisseau. Par-dessus le hurlement des alarmes de collision, Zo entendit des impacts métalliques sous l’une des ailes.
— Qui nous tire dessus ? demanda-t-elle.
— Les canons de périmètre de Scabrous, en bas, cria l’homme en rejetant la tête en arrière, le visage illuminé par les clignotements des balises d’urgence rouges et blanches.
Zo s’agrippa au dossier du siège du pilote et regarda au travers de la verrière. Ce qu’elle vit suffit à lui glacer le sang. Ils volaient toujours au-dessus de la planète, à moins de cinq cents mètres de la surface battue par les vents d’Odacer-Faustin. Entre les Temples et les bâtiments de pierre écroulés, les canons lourds qui avaient jailli du sol pivotaient vers le haut pour lâcher sur le vaisseau de puissantes salves d’énergie.
— Tirez-nous de là ! cria Zo.
— Ce n’est pas si simple ! Ils déploient un champ compact de tirs de suppression qui bloque l’horizon supérieur.
— Hein ?
— Ils ne veulent pas nous laisser partir ! rétorqua Frode en se retournant et en croisant son regard avec ses yeux étonnamment bleus. Et je n’arrive pas à maintenir les écrans déflecteurs de ce tas de ferraille !
— Où est passé Tulkh ? s’enquit Zo.
— Qui ?
— Le Whiphid ! Le propriétaire du vaisseau !
Le HK ne répondit pas tout de suite, et Zo dut réprimer l’envie de le saisir par les processeurs pour le secouer. Elle n’arrivait pas à imaginer le Whiphid en train de se tourner les pouces pendant que les canons Sith taillaient son appareil en pièces, mais elle ne l’avait plus revu depuis qu’il s’était éclipsé, et si le droïde disposait d’une information…
— Peux-tu désactiver cette artillerie ? l’interrogea-t-elle.
Le HK émit un bourdonnement bas et résigné.
— Pas à distance… plus maintenant.
— Comment peut-on les arrêter ? Ils vont nous abattre en plein vol !
— Le contrôle du système principal se trouve à l’intérieur de la tour, expliqua le droïde. Je pourrais le débrancher manuellement. Mais ça nécessiterait…
BOUM ! Une nouvelle salve, la plus violente jusqu’ici, martela le Mirocaw par en dessous et manqua de le faire basculer. Zo s’affala dans le siège du copilote et s’y attacha, serrant et fixant les sangles autour de ses épaules et de sa taille. Elle distinguait à présent des rangées entières de tourelles en duracier qui dépassaient de la neige et dont les canons vomissaient sans discontinuer des vagues d’énergie écarlate contre le vaisseau.
— Posez-nous, cria-t-elle à Frode en désignant le point où la tour de Scabrous se dressait tel un doigt noir et accusateur pointé vers eux.
Pour sa part, le pilote ne discuta pas et poussa vigoureusement le manche sur le côté. Le Mirocaw plongea, se faufila parmi les bâtiments de l’Académie, puis redressa le nez. L’espace d’un instant, le sommet de la tour apparut sous eux comme un disque noir et plat cerclé de lumières venant d’en bas, et un raclement de métal se fit entendre lorsque le train d’atterrissage du Mirocaw frotta le toit. Une autre rafale de blaster déchira l’air devant eux, et le dernier tir ricocha contre le flanc de l’appareil. Il y eut un chuintement haut perché qui s’estompa peu à peu tandis que les écrans déflecteurs lâchaient.
— Vite ! aboya Frode d’un air sinistre. On ne tiendra pas trente secondes de plus là-dedans.
Le HK avait déjà disparu du cockpit et empruntait l’écoutille menant à la soute. Un instant plus tard, une alarme résonna, annonçant l’ouverture d’une issue extérieure. Zo et Frode scrutèrent le sommet de la tour par la verrière.
— Non, dit-elle d’une voix rauque.
— Quoi ?
Zo tendit la main alors qu’un froid glacé l’envahissait et que sa gorge se serrait de dégoût. Dans les premiers tourbillons grisâtres de l’aube, elle apercevait déjà les premières créatures qui escaladaient le toit depuis l’intérieur du dernier étage de la tour, rampant par les fenêtres brisées pour s’approcher du vaisseau. Elle comprit que le bâtiment était infesté, envahi par une masse compacte de cadavres. Son esprit revint précipitamment à ce qu’avait dit le droïde.
— Y a-t-il quelqu’un d’autre à bord ?
— Juste ce chasseur de primes Whiphid, répondit Frode. Pourquoi ?
— Le HK prétend qu’il y a une infection à bord.
— Quoi ? s’écria-t-il en s’inspectant et en tâtonnant sa combinaison de vol comme pour chercher des symptômes. Où ça ?
— Il n’a pas précisé, mais…
Nouvelle déflagration. Une intense rafale d’énergie toucha la coque du Mirocaw, avec assez de puissance pour le déséquilibrer malgré le train d’atterrissage et l’envoyer glisser en biais sur le toit de la tour, juste au bord. Par le cockpit, Zo vit la proue de l’appareil virer. Elle faucha la foule de cadavres qui se massaient devant lui, les jetant par-dessus le toit, d’où ils tombèrent par vagues. L’engin poursuivit sa route, bascula lui aussi et piqua du nez, en chute libre.
Zo se rendit compte qu’elle regardait la surface de la planète qui se précipitait vers eux.
Nous sommes en train de tomber, lui hurla son esprit. Nous allons…
Frode démarra les moteurs d’un coup de poing et le Mirocaw se redressa brusquement à la dernière seconde, frôlant l’affleurement rocheux de l’architecture Sith et filant vers le ciel.
Zo pivota sur son siège et se tourna vers la tour, désormais clairement visible dans la lumière de l’aube. Le toit grouillait de créatures, tous les élèves infectés de l’Académie. Elles surgissaient des fenêtres pour remplir l’espace vide que le Mirocaw venait de laisser. La bouche béante, elles hurlaient à l’unisson, et même si Zo n’entendait pas leur cri, elle le sentait presque résonner dans sa cage thoracique, dans son esprit et dans son cœur. Elle savait que cet ululement resterait longtemps gravé dans sa mémoire, voire toujours.
— Le droïde a dû atteindre le contrôle principal, dit Frode en désignant le sol. Regardez.
Zo se retourna et vit les turbolasers de Scabrous pivoter de nouveau. Au début, elle pensa qu’ils allaient reprendre le vaisseau pour cible, mais ils poursuivirent leur rotation jusqu’à ce qu’une bonne douzaine de canons arrêtent leur visée sur la même cible.
La tour.
Le droïde, songea Zo, le HK, il est toujours là-haut…
Les canons laser tirèrent de concert, vomissant leurs rayons d’énergie droit vers le sommet de la tour. Les rafales firent mouche simultanément et l’édifice explosa dans une aveuglante gerbe de shrapnels et de flammes. Un vaste nuage de combustion enfla depuis l’intérieur et se déploya pour former un anneau dévastateur tandis que les réacteurs principal et secondaire détonaient à leur tour.
La déflagration phénoménale secoua l’atmosphère entière. Dans le cockpit, Pergus Frode, qui n’y connaissait pas grand-chose en combustion et en réacteurs, mais entretenait un rapport intime avec les bases de l’instinct de survie, eut la présence d’esprit de pousser à fond les propulseurs du Mirocaw. Ce fut le seul détail qui empêcha le vaisseau d’être happé par l’onde de choc, mais il suffit.
Une fois atteinte la vitesse de libération, lorsque l’appareil perça l’atmosphère d’Odacer-Faustin et se prépara à passer en vitesse-lumière, Zo sentait toujours les vibrations qui agitaient la coque. Quand elle baissa les yeux sur ses doigts, elle découvrit qu’elle s’était agrippée à l’accoudoir du siège du copilote avec suffisamment de force pour que ses phalanges blanchissent. Elle dut se faire violence pour lâcher, s’éclaircir la gorge et tendre la main à l’homme qui pilotait.
— Au fait, dit-elle d’une voix tremblante, je m’appelle Hestizo Trace.
— Pergus Frode, répondit-il en soufflant et en lui serrant la main. Enchanté.
— Beau pilotage.
— J’ai pas mal volé en mon temps, fit-il tandis qu’une ligne soucieuse se creusait au-dessus de son sourcil droit. Attendez, où allez-vous ?
— Je retourne dans la soute. Il faut que je vérifie quelque chose.