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GERME
C’était l’orchidée qui les avait sauvés.
En y repensant, Zo se rendit compte qu’elle avait agi sans réfléchir, encore qu’elle n’aurait pas dû s’en étonner : la plupart des pouvoirs des Jedi étaient déclenchés par l’instinct, mus par la Force. Ce qui ne rendait pas la situation moins troublante.
Les choses vociféraient désormais au pied des rochers qu’elles avaient commencé à escalader avec une sorte d’agilité fébrile, grimpant par saccades, en s’accrochant avec leurs griffes pour les atteindre, elle et Tulkh. Le Whiphid réagit aussitôt en donnant un coup de lance au premier grimpeur, lui perforant la poitrine. Il redressa ensuite son arme et laissa la créature s’empaler entièrement sous son propre poids et finir le travail. Tulkh frappa avec sa lance sans en dégager le cadavre et fit pleuvoir une grêle de coups vicieux sur les autres pour les repousser.
Cette tentative avait tourné court presque immédiatement. Bien qu’entièrement empalée sur l’arme, la chose ne s’était pas arrêtée pour autant… et ne ralentissait même pas. En outre, Zo s’était rendu compte que les cadavres avaient changé de stratégie et escaladaient la saillie par l’autre côté pendant que Tulkh se battait encore avec le premier. On ne peut pas les tuer, avait murmuré une voix au fond de sa tête, ils sont déjà morts, regarde-les. Au début, Zo avait pensé qu’il s’agissait de ses propres pensées, puis elle avait compris qu’elle percevait en réalité l’orchidée murakami qui se lamentait, ivre de remords, en poussant des gémissements qu’elle seule pouvait entendre. Morts mais vivants, Hestizo, morts mais vivants, et c’est de ma faute, c’est moi qui leur ai fait ça quand Scabrous m’a jetée dans cette horrible cuve, et maintenant je suis en eux…
Zo s’était crispée. C’était sans doute à cet instant que le déclic s’était produit, inconsciemment peut-être, car une fraction de seconde plus tard, elle fixait la chose morte qui se tortillait au bout de la lance de Tulkh. Sauf que cette dernière ne se trouvait plus au bout : elle s’était presque assez rapprochée pour attraper la tête du Whiphid.
J’ai une idée, avait dit Zo à l’orchidée. Pousse.
Quoi ?
Tu es en eux à présent, pas vrai ? Tu fais partie de leur corps ? Tu l’as dit toi-même.
C’est vrai, mais…
Alors pousse.
Je ne peux pas…
Ne discute pas ! POUSSE.
C’était peut-être cet ordre ultime, dans sa véhémence désespérée, qui avait sorti l’orchidée de sa léthargie. Zo avait vu la chose qui s’agitait sur la lance de Tulkh se raidir et s’affaler, soudain immobile, comme si elle venait de comprendre l’intrusion dont elle était l’objet. L’instant d’après, une mince vrille verte avait poussé dans son oreille droite pour se transformer en tige de plus en plus épaisse à mesure qu’elle se déroulait en boucles vers le bas. Une autre était apparue dans sa narine gauche, puis une troisième, une quatrième… Des queues et des stolons émergeaient activement des deux oreilles à présent, déployant qui des feuilles, qui de minuscules fleurs noires. La bouche du cadavre s’ouvrit et une autre tige, aussi épaisse que le doigt de Zo, surgit de sa gorge sanguinolente.
Hestizo, ça fait mal, ça me fait mal…
Pousse, insista-t-elle. Continue à pousser, à POUSSER…
En observant les alentours, elle constata que les autres subissaient le même sort, hérissés de tiges et de pousses par tous les orifices visibles. Leurs visages tremblaient, agités par la croissance de minuscules végétaux qui rampaient sous l’épiderme. Zo savait que sa stratégie avait fonctionné à présent. L’orchidée était en eux, et l’orchidée grandissait. Elle se concentra de toutes ses forces et parvint à voir la flore qui poussait à l’intérieur des choses. Elle en accéléra la croissance, la força de l’intérieur alors même que l’orchidée se mettait à crier, à l’implorer d’arrêter en lui disant qu’elle avait mal, qu’elle n’en pouvait plus…
Elle l’ignora et fixa la chose au bout de la lance de Tulkh.
Et elle se concentra de nouveau sur le mot, elle le répéta avec toute la vigueur et la détermination qu’elle parvint à rassembler, sans discontinuer, dans une vague mentale régulière et brutale.
POUSSE. POUSSE. POUSSEPOUSSEPOUSSE…
La voûte crânienne du cadavre explosa dans une gerbe de rouge, de noir et de vert. À la place de sa tête, une véritable cascade de feuilles aux couleurs vives se déploya et se déversa sur tout le haut du torse de la créature. Le corps flasque s’affaissa sur la lance.
Tulkh s’en débarrassa d’un geste brusque et le dégagea d’un coup de pied par-dessus la saillie avant de se retourner vers Zo.
— C’est toi qui as fait ça ?
— Moi et la fleur.
— Tu ferais mieux de le refaire, déclara le Whiphid en désignant les autres créatures qui escaladaient le surplomb.
Ils fleurissaient encore, mais moins vite, et ils avaient recommencé à grimper dans leur direction.
Hestizo, s’il te plaît, gémit l’orchidée d’une voix plus faible à présent. Arrête, maintenant, je ne peux pas, ça fait mal…
— Il le faut, insista Zo sans se rendre compte qu’elle parlait à voix haute. Il le faut, parce que sinon, eux ne s’arrêteront pas. Ils vont nous tuer, ils vont me tuer, tu comprends ?
Tellement navrée, Hestizo…
Silence.
Et puis plus rien.
Une main se referma sur sa cheville et tira brusquement vers le bas. Zo s’écroula et tomba sur le flanc tandis qu’une des créatures se hissait d’une ultime saccade au sommet. La jeune femme tenta de s’éloigner, mais ne parvint pas à bouger.
Pousse, supplia-t-elle l’orchidée. Pousse, POUSSE MAINTENANT…
Mais la fleur, où qu’elle fût et quels qu’aient pu être ses pouvoirs quelques instants plus tôt, ne lui était plus d’aucune aide. Elle n’entendait même plus sa voix. Les ondulations et les vagues avaient cessé sous la peau du visage des autres choses. Il ne restait plus rien à leur opposer désormais. L’orchidée était épuisée, ou absente… ou morte.
La chose agrippée à sa jambe la traîna encore.
— Qu’est-ce que tu fais ? cria Tulkh en lardant les autres de coups de lance. Arrête-les !
— Je ne peux pas ! hurla Zo. L’orchidée n’est plus là !
Soudain, une immense masse surgit du sol devant eux, un monolithe noir et lisse qui soulevait derrière lui une énorme gerbe de roche et de glace. Aux yeux de Zo, il ressemblait à une tourelle composée de pierre et de duracier, plus grande que l’affleurement rocheux sur lequel elle défendait actuellement sa vie. Des lumières clignotaient à sa surface. Lorsque le dôme qui le coiffait se tourna vers eux, elle aperçut le reflet d’une turbine lourde…
Le blaster tira à deux reprises et le cadavre qui lui faisait face disparut dans une fumée âcre. Zo cligna des paupières, se frotta les yeux, et une masse énorme la percuta dans le dos : le Whiphid la fit basculer par-dessus la saillie juste avant que le troisième tir ne la pulvérise entièrement.
Ils atterrirent face contre terre dans la neige boueuse. Les bruits de la fusillade résonnaient encore dans les oreilles de Zo et se répercutaient dans son crâne douloureux. De gros blocs de roche fumante et des gerbes de neige pleuvaient tout autour d’eux. Zo se retourna vers le cratère où ils s’étaient tenus une seconde plus tôt.
— Cours ! ordonna Tulkh.
— Quoi ?
— Par ici.
Il tendit le bras vers le long bâtiment tubulaire situé à une vingtaine de mètres d’eux et, voyant qu’elle ne bougeait pas, il la poussa brutalement tandis que le canon pivotait de nouveau droit vers elle.