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TROU DE
MÉMOIRE
— Bienvenue sur Marfa, Rojo Trace. Je suis Niles Emmert. On nous a prévenus de votre arrivée.
L’assistant aux cheveux argentés tendit la main. Trace s’arrêta le temps de la serrer machinalement tout en embrassant l’ensemble du paysage d’un regard analytique tandis qu’ils traversaient la piste d’atterrissage. Il avait réquisitionné un vaisseau de taille moyenne, assez vaste pour huit hommes d’équipage mais suffisamment discret pour ne pas attirer l’attention. On lui avait ajouté des moteurs ioniques et un hyperpropulseur de classe Un pour les voyages au long cours. Il voyageait seul.
— Je veux voir le niveau des recherches.
— Mais bien sûr, dit Emmert. La chambre d’incubation se trouve en B-7. C’est là que votre sœur s’occupait de l’orchidée.
L’ascenseur les attendait. Dix minutes plus tard, Emmert le conduisit au milieu des rangées de plantes et de la végétation luxuriante jusqu’au sas de la chambre. Trace examina le panneau de commande arraché et les composants brisés à l’intérieur. Il s’accroupit pour poser les deux mains à plat sur le sol sale et rayé.
— À notre connaissance, reprit Emmert, Hestizo était…
Trace l’interrompit d’un geste sans même lever les yeux. Des pensées effervescentes l’envahirent : il entendit la voix de Zo et distingua le visage de son agresseur, un Whiphid, le plus grand qu’il eût jamais vu. Il les traînait, elle et l’orchidée, hors de la chambre. Trace sentit la surprise de sa sœur se muer en douleur quand l’extrémité contondante de la lance du ravisseur lui cogna la tête. Il ressentit aussi l’impact fulgurant lorsqu’elle bascula en arrière et s’effondra en lâchant la fleur. Le Whiphid se pencha, la hissa sur son épaule et ramassa l’orchidée avant de s’éloigner.
— Il est venu pour la fleur, conclut Trace.
Emmert opina du chef.
— L’orchidée murakami est renommée pour ses capacités liées à la Force. Elle possède des pouvoirs, mais il lui faut un gardien doté d’un taux de midichloriens équivalent pour rester en vie.
— Y avait-il quelqu’un d’autre dans cette section du complexe à ce moment ?
— Seulement Wall Bennis, le directeur du labo.
— Est-il toujours…
— Inconscient, répondit Emmert. Dans la cuve de bacta. Nos médecins estiment qu’il se réveillera dans un jour ou deux.
— Nous ne pouvons pas attendre si longtemps. Et la surveillance sur la piste d’atterrissage et dans la zone de chargement ?
— Nos senseurs ont bien enregistré l’arrivée et le départ d’un vaisseau non autorisé tôt dans la matinée, répondit Emmert avant de détourner le regard, penaud. Il devait disposer d’une sorte de système de dissimulation pour échapper à nos instruments… mais en consultant les enregistrements, nous avons découvert ceci.
Fouillant la poche de sa blouse, il en retira un datapad qu’il alluma. Trace examina l’écran. Il affichait l’image du hangar principal et se concentrait sur un vaisseau oblong qui semblait fabriqué avec des débris. Malgré son aspect disgracieux, ou peut-être à cause de lui, il en émanait une impression larvée de malveillance brute. Cette masse grossière paraissait défier quiconque de s’approcher, de crainte de ce qu’elle pouvait abriter. Une série de nombres et de lettres abîmés figurait sur la coque.
— Pouvez-vous améliorer l’image ? demanda Trace.
Emmert appuya sur un bouton pour agrandir jusqu’à ce que Trace déchiffre le nom de l’appareil : Mirocaw.
— Nous n’avons pas réussi à identifier son indicatif jusqu’ici.
— Parce qu’on a suffisamment gratté les caractères pour les rendre illisibles. C’est un vieux truc de contrebandier, expliqua Trace en se rembrunissant. Vous avez parlé d’un système de dissimulation ?
— Oui, mais…
— Et ça, qu’est-ce que c’est ? s’enquit Trace en désignant une série de décolorations d’un bleu vert pâle à bâbord.
Les marques semblaient émettre une sorte de phosphorescence curieuse, comme si cette partie de la coque avait été aspergée d’huile iridescente.
— Des traînées de carbone ? dit Emmert.
— Non, fit le Chevalier Jedi en secouant la tête. Ce sont des résidus de vapeur thulienne. Une anomalie galactique, mélange de pollution aérienne postindustrielle et de brume cristalline. On n’en trouve guère qu’à trois endroits en dehors de la Bordure Médiane.
Emmert le dévisagea, interdit.
— Préparez mon vaisseau, ordonna Trace. Je pars dans cinq minutes.
Ses soupçons furent confirmés dans l’heure : les formations nuageuses thuliennes les plus proches nimbaient les environs de Kwenn, avant-poste industriel en bordure de l’Espace Hutt.
Trace y atterrit en fin de journée. La Station Kwenn était un amas pollué de baies d’appontage, de hangars, d’ateliers, de cantinas et de tripots illégaux. En prenant garde de ne pas attirer l’attention, Trace écuma une douzaine d’établissements, parla aux pilotes, aux fugitifs, aux mécanos et aux bourlingueurs de la bordure qui composaient la population locale. Il paya des tournées, contint son impatience et écouta les longs monologues sans queue ni tête de piliers de comptoir qui n’avaient pas bénéficié d’un public si attentif depuis des années. Au bout du compte, ce fut un contrebandier bothan manchot du nom de Gree qui lui donna l’information attendue : l’identité du propriétaire du Mirocaw, un chasseur de primes Whiphid qui se faisait appeler Tulkh.
— Ça fait un bail que je l’ai pas revu par ici, conclut Gree quand Trace lui eut offert plusieurs verres, dont un cocktail très apprécié dans le coin et baptisé le « Trou de mémoire », avant de glisser dans sa patte restante une poignée de crédits. Il paraît qu’il a trouvé une vraie aubaine, mais personne ne sait de quel taf il s’agit.
Trace braqua ses yeux sur ceux du contrebandier et maintint le contact visuel tout en déversant le pouvoir de la Force dans son esprit, afin de terminer le travail entamé par l’alcool.
— A-t-il parlé d’une fleur ?
— Une…
Le visage de Gree se détendit et il s’exprima naturellement, d’une voix d’où toute réticence avait dorénavant disparu.
— Ouais, c’est vrai… Il cherchait une fleur. Tulkh n’était pas du genre bavard, mais on a pris une biture un soir et il m’en a parlé.
— Qui l’a engagé ?
— Un Seigneur Sith appelé Dark Scabrous.
Trace sentit un froid glacial l’envahir.
— D’où venait-il ?
— Je sais pas… une Académie Sith ?
Gree grimaça légèrement en se creusant la tête.
— Je dirais… sur Odacer-Faustin ? conclut-il en clignant des yeux. Hé, je pourrais avoir un autre verre ?
Mais Trace avait déjà disparu.