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LA LEÇON D’ANATOMIE

— On gèle ici, déclara Maggs en tremblant et en regardant les autres comme pour en obtenir la confirmation. Mais c’est pas si mal, non ? Après tout ce qui s’est passé ?

Kindra ne répondit pas. Ils venaient d’émerger du tunnel, elle, Maggs et Hartwig, ainsi que Maître Hracken qui fermait la marche en silence. Hartwig avait récupéré le sabre laser de Ra’at, dont il avait nettoyé le manche avec la première poignée de neige qu’il avait pu ramasser. Mais il avait eu beau frotter, les taches ne partaient pas.

— Est-ce qu’on va parler de ce qui s’est passé là-bas ? demanda Maggs.

— Quoi, fit Kindra, tu as quelque chose sur le cœur ?

Tous se retournèrent pour dévisager Hartwig, à quelques mètres en retrait du groupe et toujours à l’intérieur du tunnel, de sorte que son visage restait dans l’obscurité.

— Ce qui est arrivé à Ra’at, dit Maggs, il…

— Ra’at s’est transformé, l’interrompit Hartwig en émergeant dans la clarté grisâtre du crépuscule et en soufflant un panache de buée.

C’était la première fois qu’il parlait depuis qu’ils s’étaient frayé un chemin à coups de sabre dans la muraille, et sa voix paraissait différente, étrange et pâteuse.

— Il est devenu l’un d’eux et Maître Hracken l’a rétamé. Et j’ai récupéré son sabre. Fin de l’histoire.

— Et nous ? demanda Maggs.

— Aucun d’entre nous n’a été mordu, à ce que je sache, fit Hartwig en les regardant comme s’il les défiait de le contredire. Ça va, toi ? (Maggs acquiesça.) Kindra ? Rien à nous révéler ?

Elle ne lui rendit pas son regard.

— Kindra ?

Silence.

— Hé ! fit Hartwig en dépassant Maggs pour la saisir par l’épaule et la retourner de force vers lui. Je te par…

Kindra fit brusquement volte-face, le regard soudain vacillant.

— Je n’ai rien.

— Tu en es sûre ? insista Hartwig, qui n’avait pas baissé les bras. C’est quoi, sur ton cou ?

— Très drôle.

— Tu crois que je plaisante ?

Il attendit que Kindra tende la main et se palpe la gorge, à un centimètre de la jugulaire. Elle grimaça en effleurant la plaie, retira la main et contempla la tache écarlate sur son index.

Non loin d’eux, Maître Hracken les observait sans piper mot.

— Une simple égratignure, conclut-elle. Sans doute un morceau de l’installation électrique qui…

— Tu n’en sais rien, la coupa Hartwig.

— Tu crois que je ne me rappellerais pas avoir été mordue ?

— Ce que je crois, dit-il en soutenant son regard, c’est qu’il y avait beaucoup de sang infecté qui volait dans tous les sens. Et qu’il a suffi que tu sois éclaboussée pour…

— Je serais déjà en train de t’arracher les tripes en hurlant, rétorqua Kindra. Ce qui n’est pas le cas… à mon grand regret. Si tu en as fini avec les conjectures…

— Tu étais prête à me tuer là-bas, avec ton sabre laser. Il me semble qu’il serait dans notre intérêt à tous de t’éliminer de l’équation dès maintenant. (Hartwig se tourna vers le Maître Sith.) Pas vrai, Maître Hracken ?

L’intéressé n’eut pas le temps de répondre que Kindra s’irrita.

— C’est vraiment ce que tu veux ? demanda-t-elle à Hartwig en brandissant son sabre. Nous nous sommes suffisamment affrontés dans l’arène. Tu sais comment ça va finir.

Sans répondre, Hartwig se contenta de la fixer, les épaules montant et redescendant à chaque souffle, le visage dépourvu de la moindre trace d’émotion. Le vent souffla un jet de flocons entre eux, et Kindra sentit l’entaille à sa gorge l’élancer.

— Décide-toi, dit-elle.

— Toi d’abord.

— Attendez, intervint Maggs. Personne ne connaît la période d’incubation de ce truc, pas vrai ?

— Ça n’a pas tardé, pour Ra’at, répondit Hartwig sans détacher ses yeux de Kindra.

— Mais Ra’at s’est fait mordre directement. Peut-être que l’exposition accidentelle prend plus de temps.

Kindra percevait l’assurance croissante de la voix de Maggs à mesure qu’il se persuadait de son propre argument.

— Bref, on n’en sait rien. Alors, avant que quiconque ne commette une bêtise, si on soufflait un peu le temps de se déshabiller et de vérifier que personne n’a de plaie ouverte susceptible d’avoir été touchée par du sang contaminé ?

Il consulta du regard Maître Hracken, qui n’avait toujours rien dit.

— Qu’en pensez-vous ?

— Oui, répondit Hracken.

— Se déshabiller ? s’exclama Kindra, qui passait de l’agressivité à l’incrédulité. Tu me demandes d’ôter mes vêtements ?

— C’est la seule façon de savoir, dit Maggs en jetant un coup d’œil à Hartwig. D’accord ?

— Pourquoi pas ? fit l’autre en haussant les épaules. Je n’ai rien à cacher.

Il retira brusquement sa tunique et la chemise d’uniforme en dessous, puis baissa son pantalon jusqu’à ses chevilles. Devant lui, Kindra avait déjà posé son manteau et gardait les bras croisés sur sa poitrine en considérant les autres d’un air de défi.

— Je n’irai pas plus loin.

Hartwig roula les yeux et se retourna vers Maggs qui tremblait de froid, en bottes et en caleçon, le reste de ses vêtements en boule contre sa poitrine comme un gosse sur le point d’aller au lit. Derrière eux se tenait Maître Hracken, torse nu. Le Maître de combat s’était également déshabillé pour révéler un corps robuste et musclé, endurci par les cicatrices, les tatouages et des décennies de conditionnement intense. Il penchait la tête, comme pour examiner quelque chose dans la neige.

— On est tous sains, on dirait, conclut Hartwig. J’imagine que ça veut dire que…

Maître Hracken leva la tête. Son rictus en biais semblait presque faire le tour de son crâne. Du sang dégoulinait déjà de sa bouche aux lèvres rongées et déchiquetées.

Il n’y avait plus rien d’humain dans ses yeux.

Hartwig produisit un bruit inarticulé, entre le cri et le hoquet de surprise, tenta de saisir son sabre laser et le fit tomber dans la neige. Il se pencha pour le récupérer, mais ne parvint qu’à l’y enfoncer encore plus.

En moins d’une seconde, Hracken était sur lui. Il s’empara de la tête de Hartwig, referma ses mâchoires sur la gorge de l’élève et arracha une bouchée de chair et de cartilage. Hébétée, Kindra vit le sang tracer de longues paraboles dans les airs, comme si on venait d’ouvrir une fontaine miniature sous le menton de Hartwig.

Ce dernier vacilla en arrière, les bras vers le ciel. Il cligna des yeux en se retournant vers le Maître Sith pour lui faire face. Il avait perdu son arrogance. Hracken tendit les mains, prêt à libérer un éclair de Force, quand sa tête bascula, se détacha de ses épaules et roula dans les congères noires dans un jet de sang.

Son corps décapité s’écroula, agité de tressaillements, et Maggs découvrit Kindra derrière lui. Elle tenait son sabre laser avec une fermeté sans faille.

— Merci, souffla Maggs.

— Laisse tomber, dit-elle en s’approchant de la tête de Hracken, qui grondait toujours, pour la fendre en deux. Je te laisse celui-là.

Maggs se retourna vers le cadavre de Hartwig dont la gorge déchirée se déployait dans la neige comme une main perdante de pazaak. La chose avait déjà commencé à reprendre vie. Elle se tortillait sur place, remuant les bras et les jambes et s’apprêtant à se redresser. La plaie de son cou émettait des gargouillements apathiques.

— Tu vas t’en occuper, oui ou non ? demanda Kindra.

Maggs respira à fond et abattit son sabre sur le cadavre de Hartwig, qu’il ouvrit du torse à l’entrejambe. Kindra baissa les yeux sur lui et s’aperçut qu’elle distinguait son cœur mort, muscle noir qui persistait à palpiter, s’accrochant à chaque battement. À cet instant précis, elle ressentit avant tout une profonde révulsion pour cet attachement insensé de la machine humaine à l’égard de la vie, envers et contre tout.

— C’est fini ? demanda-t-elle.

Maggs ne répondit pas.

— C’est fini ?

Maggs mania de nouveau son sabre laser, détachant cette fois la tête de la chose de ses épaules. Elle y resta suspendue un instant par un lambeau de chair avant de choir. Des gouttes épaisses de sang bouilli, noires comme de l’huile usée, tombèrent comme des larmes des artères sectionnées avant qu’elles ne se cautérisent tout à fait.

— Cette fois, oui, déclara-t-il.

Kindra acquiesça, mais n’éteignit pas son sabre.

— Et maintenant ? demanda Maggs.

— Je m’en vais, répondit-elle. Et toi, tu restes.

Maggs cligna des yeux.

— Quoi ?

Le sabre de Kindra le faucha aux jarrets, juste au-dessus des chevilles. Maggs poussa un cri et s’effondra en faisant des moulinets des bras, complètement déséquilibré. Il lui hurla dessus, lui demanda pourquoi elle avait fait ça, et ce qu’elle croyait obtenir de la sorte, mais Kindra avait déjà tourné les talons et commencé à courir – pas à marcher, à courir – de toutes ses forces dans l’autre sens.

— Attends !

Maggs se redressa et tenta de se lever, mais ses jambes aux tendons d’Achille tranchés refusèrent d’obéir et il s’effondra de nouveau dans la neige.

Quand il releva la tête, il entendit les bruits derrière lui.

Non, pensa-t-il. Non, c’était simplement une erreur, une énorme erreur…

Lorsqu’il se retourna, ils se jetèrent sur lui.