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GRIMPEURS
À vingt mètres du sommet, elle les vit qui l’observaient d’en haut.
Accroupis de tous les côtés de la fosse rectangulaire, accrochés au rebord, ils scrutaient les profondeurs de leurs yeux avides où se reflétaient les lueurs orange et vacillantes venues de l’incendie. Des filets de liquide rosâtre coulaient de leurs bouches entrouvertes.
Il y en avait tant.
Zo s’interrompit un instant et se figea sur place en tressaillant, les doigts engourdis et ensanglantés à force d’escalader la paroi. Chaque centimètre carré de son corps ruisselait de sueur. Les crampes atroces de ses mains lui donnaient l’impression qu’on lui avait enfoncé des clous dans les phalanges. Les muscles de ses mollets criaient grâce, agités de spasmes. Sans la Force, elle savait qu’elle ne serait jamais arrivée là, mais maintenant qu’elle voyait ce qui l’attendait en haut…
Ils ouvrirent la bouche comme un seul homme et crièrent.
Zo se détourna en grimaçant tandis que le souffle épouvantable de leur haleine fétide se déversait sur elle, et elle contempla le fond de la fosse. Les flammes avaient envahi l’antique Temple de Drear à présent, et la fumée l’empêchait de voir le corps de son frère et les restes de Dark Scabrous.
Elle releva la tête.
Ils avaient commencé à descendre le long de la paroi. Les cadavres des élèves Sith d’Odacer-Faustin rampaient dans sa direction avec leur célérité d’insecte caractéristique. L’expression de voracité qu’ils arboraient ne laissait aucune place au doute quant à leurs intentions.
Hestizo, murmura la voix de l’orchidée. Je vais essayer de pousser en eux, je ferai ce que je peux, mais quand les tiges se déploieront, je ne crois pas…
Zo acquiesça une seule fois d’un air sinistre. Il n’y avait rien d’autre à faire. Elle tenta d’invoquer la Force, chercha cette impression de sécurité et de paix qui l’avait envahie immédiatement après s’être libérée des sangles sur l’autel, mais ne trouva qu’un vide cotonneux et muet, comme la sensation illusoire issue d’un membre amputé. Trop inquiète, elle s’était laissée submerger par la peur et ne parvenait plus à se concentrer suffisamment.
La plus proche des créatures était presque sur elle, retroussant les lèvres avec impatience. Zo se rendit compte que la chose allait crier, puis se jeter sur elle. Elle commença à reculer, mais ses orteils glissèrent de la brèche rocheuse où elle avait pris appui.
Un hoquet silencieux lui échappa. L’espace d’une seconde vertigineuse, son estomac se noua et elle resta suspendue par le bout des doigts, les pieds battant dans le vide, incapable de trouver une prise à laquelle se raccrocher. La chose qui rampait vers elle était presque à portée de main, une expression d’urgence décérébrée se répandant sur son visage mort.
Hestizo, cria l’orchidée. Hestizo, ne lâche pas…
Je ne tiens plus, je ne tiens plus…
Ses doigts glissèrent et elle commença à tomber.
Au même moment, le grimpeur bondit vers elle, s’accrocha de la main gauche aux inscriptions gravées sur la surface lisse, et tendit la droite pour la saisir à la gorge. Zo entendit quelque chose céder avec un bruit sec dans son larynx, puis elle sentit l’étau froid et glissant du pouce et de l’index sur son cou.
La chose poussa un nouveau cri, si puissant que Zo eut l’impression qu’il lui comprimait les tympans et se déversait dans son crâne comme de la cire chaude. Ils s’étaient tous mis à hurler en descendant dans la fosse, grouillant sur toute la surface des parois pour s’approcher d’elle. Les yeux remplis de larmes, Zo ne distinguait même plus la roche noire ni les mots gravés sous le flot de corps. Il n’y avait plus qu’une couche compacte de chair frémissante.
La créature qui l’avait saisie à la gorge la hissa avec une vigueur incroyable pour la porter vers sa bouche humide. Zo leva les mains dans un geste de protection instinctif et heurta la peau glacée d’une chose qui grimpait par-dessus son assaillant, dans l’intention manifeste de l’atteindre avant lui. Il lui attrapa le bras droit tandis que l’autre saisissait le gauche. Tous deux commencèrent à la tirer de part et d’autre, à lui luxer les épaules… Suspendue à des centaines de mètres au-dessus des restes calcinés du Temple de Scabrous, elle allait finir écartelée.
Pousse…
Zo ignorait si c’était elle-même ou l’orchidée qui avait pensé ce mot, mais ça n’avait plus d’importance. Dans une vision floue, elle aperçut les tiges vertes qui jaillissaient des oreilles des créatures, surgissaient de leurs narines, mais il était trop tard, et il y en avait trop.
Ce fut alors que les tirs de blaster déferlèrent depuis le haut du puits et perforèrent le mur.
Quand Zo releva les yeux, une vision immaculée s’offrit à elle : une lumière blanche, si intense qu’elle fit monter les larmes sous ses paupières, d’où elles débordèrent pour lui inonder les joues.
Quoi ?
Une deuxième rafale heurta le mur à quelques mètres au-dessus d’elle, ébranlant toute la fosse. Zo leva le bras, s’agrippa d’une main au rebord déchiqueté du cratère qu’elle avait laissé dans la paroi et joua des coudes jusqu’à ce qu’elle dispose d’une prise plus ou moins sûre. La lumière palpitait désormais tout autour d’elle, cascadant depuis la surface pour envahir tout son champ visuel.
Lorsque le troisième tir s’abattit, elle avait réussi à grimper à l’intérieur de la cavité grossière et à rabattre ses jambes. L’immense puits vibrait violemment autour d’elle. Décrochés de leurs perchoirs, des corps tombaient et passaient sous ses yeux sans cesser de hurler, agrippés les uns aux autres comme s’ils espéraient trouver le salut dans le lien infernal que la mort avait tissé entre eux.
Elle les regarda disparaître dans les flammes.
En levant la tête, elle découvrit qu’il en restait des dizaines, mais ils rampaient vers l’entrée de la fosse, grimpant à toute vitesse pour éviter de tomber.
Zo cligna des paupières. Quelque chose se balançait sous ses yeux, une longue et mince forme venue de la surface.
Une tige, pensa-t-elle, encore une tige, et si je n’en vois jamais plus jusqu’à la fin de mes jours, ce sera encore trop tôt.
Mais il ne s’agissait pas d’une tige.
C’était un câble de remorquage.